Samedi 19 septembre 2020 / 9 h 45
Par Cécile Wajsbrot.
Lectures d'Anne Mulpas.
Romancière et essayiste, également traductrice de l'anglais (Viriginia Woolf) et de l'allemand (Peter Kurzeck, Wolfgang Büscher). Elle vit actuellement entre Paris et Berlin, où elle a reçu en 2016 le prestigieux prix de l'Académie. Destruction, le Bruit du Temps, 2019. Totale Eclipse, Christian Bourgois, 2014 . Conversation avec le maître, Christian Bourgois, 2014. Mémorial, Zulma, 2005. Lîle aux musées, Denoël, 2008
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Extrait 2
tu seras l'enfant vigie
moi le dernier poème
charivari du quai - adieu terre ferme
nous retrouverons le drame
celui des pirateries anciennes
nos déluges et naufrages de ruisseau
nos rires de source
- grelots d'avant rivière
joie pour blason défi en étendard
patiente petite tu sais bien
qu'à chaque instant
je me rapproche de toi
- ma rive mon amarre -
je reviens vers
ma promesse signée d'un cri
à l'aube donc je le jure
pieds et cœurs nus j'abandonnerai
tout désir de conquête
dans quelques heures
tu largueras le souvenir
j'aborderai l'oubli
oui dans quelques heures
je serai prête petite - mais pas avant
tiens le toi pour dit
C'est quoi être normal, je me demande. Dans ma tête, personne répond.
13h15. On rencontre Madame Laroue. […] Elle nous fait la visite du CDI à 100 km/h. Là, les albums, les BD. Là, les romans – ce sont des livres sans images, elle précise comme si on savait pas. Là les livres documentaires sur la géographie, les animaux, l’espace et tout ça.
Là, là, là.
Je voudrais lui dire de se calmer parce que nous, les exceptionnels, on n’a pas besoin d’autant de livres mais elle va trop vite, et je ne me sens pas de l’arrêter, et puis elle nous parle du club lecture tous les lundis midi. Il paraît que chez les normaux, il y en a qui ne mangent pas le midi pour parler des livres qu’ils ont lus. Ils sont bizarres les normaux quand même.
Depuis tout petit, c'est comme ça, y a rien à faire : quand je dois me concentrer, ça fait des fourmis dans mes yeux. Des fourmis qui m'empêchent de voir et d'écouter et quand elles me chatouillent alors là, je dois bouger de ma chaise, je dois parler parce que sinon c'est pas possible. Je suis un extraterrestre avec des fourmis, des crabes, des trous... Tout un tas de trucs bizarres en dedans. C'est comme ça.
J'attendais que le ciel s'ouvre, qu'il m'avale, qu'il m'engloutisse, qu'il me mâche lentement sous ses grandes dents d'acier. Mais la nuit était douce, désespérément douce et le ciel fermait sa gueule avec obstination. Pas moyen de disparaître. En attendant, je taillais mes crayons.
Extrait 1
l'heure s'arrime
à mon dos - patiente petite dame
aux doigts blancs
je dois nous faire voguer
c'est vrai
mais à l'aube seulement
seulement
quand au brou de la nuit
j'aurais taillé ma barque
dénervé les regrets
rabioté tout ego
je promets petite
aux doigts piaillant qu'alors
je
balancerai
tête par dessus coque
toute résistance
et nous prendrons les eaux
légères nous avancerons
ballotées sûrement
par le temps enivré de lui-même
La nue
étire le désir
de connaître
le jour
dans sa séparation
Je dis OK, pas de problème. Et puis, je tourne les talons et je m’en vais tout en espérant très fort qu’il me coure après. Quitte ou double, la vie est un pari ! Mon cœur cogne très fort à chaque pas que je fais et puis, ouf ! Il se rapproche, il me rattrape, il me saisit par le bras et dit qu’il prendra le train suivant. Je souris imperceptiblement, mais au fond je suis ravie.
Papa me parle souvent de mes études, de plus tard. Qu’est-ce que je peux dire de plus tard ? Demain, je m’en fous. Demain, c’est noir et ça pèse trois tonnes. Demain, ça me donne envie de vomir. Je veux qu’on me parle de là, maintenant, tout de suite.
Ça n'a pas de sens l'Histoire, on croit que l'humanité avance mais elle fait des tours sur elle-même et refait les mêmes conneries.