Citations de Annie Ernaux (2819)
Elle me disait, les yeux brillants "c'est bien d'avoir de l'imagination", elle préférait me voir lire, parler toute seule dans mes jeux, écrire des histoires dans mes cahiers de classe de l'année d'avant plutôt que ranger ma chambre et broder interminablement un napperon. Et je me souviens de ces lectures qu'elle a favorisées comme d'une ouverture sur le monde.
La sensation du temps qui passe n'est pas en nous.Elle vient du dehors, des enfants qui grandissent, des voisins qui partent, des gens qui vieillissent et meurent.
Le " devoir de mémoire", c'était une obligation civique, le signe d'une conscience juste, vun nouveau patriotisme. Après quarante ans de consentement à l'indifference envers le génocide juif _ on ne pouvait pas dire que le film Nuit et brouillard ait attiré la foule, non plus que les livres de Primo Levi et de Robert Antelme _ on croyait ressentir de la honte mais c'était une honte retardée. C'est seulement en regardant Shoah que la conscience contemplait avec effroi l'étendue possible de sa propre inhumanité.
De plus en plus, il me semblait que je pourrais entasser des images, des expériences, des années, sans plus rien ressentir d’autre que la répétition elle-même.
J’avais l’impression d’être éternelle et morte à la fois, comme l’est ma mère dans ce rêve que je fais souvent et au réveil je suis sûre pendant quelques instants qu’elle vit réellement sous cette double forme.
Le pire dans la honte, c'est qu'on croit être seul à la ressentir.
Avoir reçu les clés pour comprendre la honte ne donne pas le pouvoir de l'effacer.
C'est bête de ne pas savoir à quel moment on serait le plus heureux.
Le patois avait été l'unique langue de mes grands-parents.
Il se trouve des gens pour apprécier le pittoresque du patois et du français populaire. Ainsi Proust relevait avec ravissement les incorrections et les mots anciens de Françoise. Seule l'esthétique lui importe parce que Françoise est sa bonne et non sa mère. Que lui-même n'a jamais senti ces tournures lui venir aux lèvres spontanément.
Prof, le mot qui ploufe comme un caillou dans une flaque, femmes victorieuses, reines des classes, adorées ou haïes, jamais insignifiantes, je ne me pose pas encore la question de savoir à laquelle je ressemblerai. Dans les gradins, sur mon banc à mi-hauteur, je palpite surtout devant ma vie nouvelle. L'aventure, ma chance, ma liberté. Ne pas démériter.
Chez moi, il endossait le peignoir à capuche qui avait enveloppé d’autres hommes. Lorsqu’il le portait, je ne revoyais jamais l’un ou l’autre d’entre eux. Devant le tissu-éponge gris clair j’éprouvais seulement la douceur de ma propre durée et de l’identité de mon désir.
“Ecrire, c'est essayer de sauver le temps passé”
Télérama dialogues 2016
J’avais le privilège de vivre depuis le début, constamment en toute conscience, ce qu’on finit toujours par découvrir dans la stupeur et le désarroi : l’homme qu’on aime est un étranger.
Naturellement pas de récit, qui produirait une réalité au lieu de la chercher. Ne pas me contenter non plus de lever et transcrire les images du souvenir mais traiter celles-ci comme des documents qui s'eclaireront en les soumettant à des approches différentes. Être en somme ethnologue de moi-même.
Il m’arrachait à ma génération mais je n’étais pas dans la sienne.
Désirer savoir est la forme même de la vie et de l'intelligence.
Comment sommes-nous présents dans l’existence des autres, leur mémoire, leurs façons d’être, leurs actes même ? Disproportion inouïe entre l’influence sur ma vie de deux nuits avec cet homme et le néant de ma présence dans la sienne.
jeudi 7 février
(...)
Le temps de l'attente à la caisse, celui où nous sommes le plus proche les uns des autres. Observés et observant, écoutés, écoutant. (...)
Exposant comme nulle part autant, notre façon de vivre et notre compte en banque. Nos habitudes alimentaires, nos intérêts les plus intimes. Même notre structure familiale. Les marchandises qu'on pose sur le tapis disent si l'on vit seul, en couple, avec bébé, jeunes enfants, animaux... (p.47)
J'ai fini de mettre au jour l'héritage que j'ai dû déposer au seuil du monde bourgeois et cultivé quand j'y suis entré ...
"Il jouait au Loto sportif chaque semaine, attendant, comme il est naturel au cœur de la nécessité, tout du hasard : "je gagnerai un jour, c'est forcé.""
Sa vie la plus intense est dans les livres dont elle est avide depuis qu'elle sait lire. C'est par eux et les journaux féminins qu'elle connaît le monde.