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Citations de Antoine Sénanque (260)


Il n’exigeait aucune prière, aucun rituel. Il me demandait de laisser faire la nature, de la laisser prier pour nous et pour le monde car sa beauté était action de grâce. C’était la première leçon du maître, Antonin, voir dans la nature une action de Dieu
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Antonin n’arrivait pas à imaginer le prieur Guillaume sous les traits d’un novice maladroit qui peinait à écrire comme un enfant laborieux. Il était plus facile de se représenter le gros inquisiteur au même âge. On sentait que rien en lui n’avait fondamentalement changé. Sa dureté garantissait la résistance au temps. La vieillesse ne s’intéressait pas à ce genre d’homme. Elle ne pouvait les abîmer qu’en surface.
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Il y avait des rumeurs sur des laïcs qui jouaient aux moines sans l’être vraiment. Parmi eux, on trouvait des femmes, souvent des veuves, de bonnes personnes qui se réunissaient en communauté sans prononcer de vœux. Indépendantes des ordres monastiques, elles agissaient comme des moniales sans clôture, sous la surveillance de l’évêque. Leurs seuls engagements étaient la chasteté et l’obéissance. Installées dans de petites maisons regroupées en béguinage, elles s’occupaient des pauvres et des malades, catéchisaient et menaient tranquillement leur chemin de prière et de méditation. Leur vie édifiante leur valait un statut social et le respect du peuple. Rien de menaçant ne paraissait pouvoir venir de ces congrégations simples et vertueuses. Pourtant l’ordre dominicain devait redouter de sérieux périls pour envoyer une figure aussi prestigieuse qu’Eckhart diriger leur enseignement. Les béguines lisaient, écrivaient, débattaient des questions spirituelles en toute liberté, le monde ne restait pas à leur porte. Or, à cette époque, une vague d’hérésie recouvrait l’Europe et avait particulièrement infecté les communautés dans les Pays-Bas et en Allemagne. »
Le prieur Guillaume appuya sa voix :
« La liberté, Antonin, elle avait prêté son nom à la grande hérésie qui faisait trembler l’Église : le Libre Esprit. Ces saintes femmes furent accusées de le propager.
Les béguines étaient comme les Franciscains, elles mettaient de l’amour partout. Pour elles, l’amour était suffisant pour “voguer sur l’océan de Dieu”, ainsi qu’elles le répétaient. La raison devait rester au port. Le pur contraire de l’esprit dominicain qui, pour voguer vers Dieu, s’en remet à la seule intelligence en respectant la distance de majesté.
La “Marguerite” dont m’avait parlé Étienne était une béguine célèbre qui avait écrit un livre que tu ne trouveras pas dans les scriptoriums des monastères, ni dans les bibliothèques des universités. Une œuvre en langue vulgaire qui pouvait contaminer les esprits non préparés et non surveillés, et dont les copies ont été détruites par l’Inquisition. Toutes, sauf quelques-unes que tu pourras obtenir si tu sais à qui demander.
La pauvre Marguerite fut brûlée avec son livre pour une phrase qu’elle aurait dû peser. Des mots empoisonnés, remplis d’un venin mortel, connus de toutes ses sœurs et de nous, dominicains, qui les avons condamnés : “Je suis Dieu, car amour est Dieu et Dieu est amour… Je suis Dieu par nature divine.” Comment pouvait-on accepter une telle folie ? Si chacun peut se transformer en Dieu par l’extase, à quoi sert l’habit que nous portons ? À quoi sert de prêcher la bonne parole et de confesser les âmes de leurs péchés.
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— Tu voulais savoir la différence entre Platon et Aristote ? Demande au lion. Pour le sculpter, Platon l’aurait cherché dans sa tête, Aristote dans la pierre. L’un croyait que la mémoire contenait le modèle de toutes choses, l’autre que rien ne pouvait exister sans la matière. Platon aurait demandé à l’artiste de copier le lion qui posait dans son esprit, Aristote lui aurait dit de l’extraire du marbre où il attendait sa main habile pour le libérer. L’un va chercher la beauté hors du monde, l’autre la trouve ici-bas. Tu as compris ? (…)
Étienne à mes côtés m’observait avec l’extraordinaire inexpressivité dont il était capable. Je m’étais empressé de partager avec lui la réponse du maître. Il avait plissé ses grands yeux, comme si une idée lui apparaissait mais elle avait dû lui échapper avant qu’il ne parvienne à la saisir. Il donnait l’impression de la chercher à l’extérieur de lui-même, au loin, en rétrécissant le regard pour mieux la distinguer à l’horizon. N’y repérant rien, il me proposa d’aller traîner vers les cantines où sa mère travaillait, ce qui nous valait un supplément de soupe quand l’humeur de cette femme rugueuse était légère.
— Ils sculptaient des lions, Platon et Aristote ? demanda Étienne sur le chemin des cuisines.
— Il faut croire, assurai-je.
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« Il y avait des clans et des combats, racontait Guillaume. Le peuple de la Sorbonne était essentiellement composé de gens d’Église. Ce qui ne les empêchait pas de se battre comme des soudards. Entre les moines réguliers dont je faisais partie et les prêtres séculiers qui nous méprisaient, tout ce petit monde se bénissait d’ecchymoses et de bosses.
Les convictions philosophiques étaient aussi matière à contusions.
Parce que le maître paraissait défendre les thèses des platoniciens, le clan de l’inquisiteur général nous traitait de “Plats”, en prenant des airs de condescendance infinie. Eux n’avaient qu’Aristote à la bouche, un philosophe grec que l’on étudiait depuis moins d’un siècle. On disait qu’on devait aux Arabes d’avoir conservé et traduit ses œuvres. Alors on les appelait les “Sarrazins”. Les échauffourées entre les “Plats” et les “Sarrazins” de la Sorbonne étaient fréquentes et les bottes de paille qui servaient de chaises volaient dans les étages. Souvent, les concierges devaient séparer les novices qui se battaient comme les canailles du quartier. (…)
Les clercs n’étaient pas les seuls à combattre pour des convictions philosophiques d’autant mieux défendues qu’elles étaient moins comprises. Il y avait aussi le clan des laïcs qui nous sommaient de retourner à nos couvents. Ils méprisaient tout ce qui venait de l’Église et prétendaient que l’université écraserait un jour les cathédrales. Pourtant, leurs maîtres étaient tous des clercs. Ils crachaient sur les serviteurs de Dieu mais écoutaient leurs leçons. Comme ces apothicaires qui venaient apprendre leur métier auprès des moines thérapeutes avant d’afficher leur mépris pour ces ignorants sans diplôme à qui ils devaient leur culture.
Rejeter la religion, aux yeux des étudiants laïcs, garantissait une certaine élévation d’esprit. Dieu, dans sa très grande sagesse, n’avait pas cru bon de créer l’intelligence pour ses moines, se satisfaisant de leur foi. Il revenait donc aux laïcs de s’atteler à combler ce manque, ce dont ils se chargeaient en nous accablant d’insultes et de coups.
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On lui avait appris que la goutte était une maladie d’humeur, ce qui convenait bien à son malade. L’équilibre des quatre humeurs du corps réglait la bonne santé. L’une d’elle, la bile, pouvait s’accumuler en excès dans le crâne et verser à travers le corps comme l’eau d’un vase trop rempli. Goutte à goutte, jusqu’au pied. D’où le nom que les anciens avaient donné à l’affection. Peut-être était-ce l’excès de dureté qui commençait à s’égoutter de l’âme du sacristain pour enflammer ses orteils ?
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Quelquefois, Antonin pensait que Dieu se foutait bien de la gueule du monde, comme s’Il n’avait plus rien à y faire et que tout ça ne le concernait plus. Désintéressé de ses enfants confiés au grand orphelinat de la nature, avec charge pour elle de les élever comme elle pouvait. Voilà bien le monde, se disait Antonin, un grand orphelinat où l’on passait son temps à se demander pourquoi on avait été abandonné. Quant à la nature, Dieu l’avait créée en oubliant la tendresse en route, elle aimait « dur », si elle avait un cœur, ce dont on pouvait douter.
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Ces deux hommes que mon maître a été, comment pourront-ils être jugés ensemble ? Comment le châtiment de l’un et la grâce de l’autre pourront-ils être équitablement partagés ? Tous les jugements sur nous-mêmes sont des moyennes entre le pire et le meilleur de nos actes. Mais quand l’écart est si grand, comment choisir entre celui qui mérite tous les pardons et celui qui devrait souffrir tous les enfers ?
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La nuit était tombée, épaisse et humide. Les chandelles de la maison Seilhan n’éclairaient rien. Dans les couloirs, une lumière jaunâtre dégoulinait avec la cire qui s’en échappait et tombait comme elle, en gouttes jaunes guidant le chemin des cafards. Le cloître désert lui apparut ainsi : chemin de cafards. Les frères qui y tournaient suivaient leur ligne tracée par des lueurs aussi rachitiques que leurs cœurs.
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— Tu vois… commença Robert, l’encre…
— Quoi l’encre ?
— C’est les arbres, quand ils deviennent malades.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Tu sais bien. Les noix de galle, c’est comme un bubon sur l’écorce des chênes quand un genre de mouche venimeuse les pique, ça les fait gonfler par endroits comme la peau de ces malheureux. Et c’est de ces tumeurs d’écorce qu’on tire la belle encre pour tes vélins.
— Et alors ?
— Alors, c’est pareil pour les lépreux. Ils font de l’encre. C’est à Dieu qu’elle va servir pour écrire ses volontés. Et pour la peste, aussi. Et pour nous… Tout fait de l’encre. Nos larmes sont noires, le ciel écrit avec, c’est pour ça qu’on est là.
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La rue était un tas d’immondices sur lesquelles poussaient des échoppes crasseuses. Des cochons en liberté assuraient l’entretien. Gare à ne pas buter dessus, leurs morsures étaient plus redoutables que celles des chiens. Leur groin couvert de merde et de vermine vous infectait mieux qu’un ciseau de chirurgien.
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Depuis cinquante ans, les plus grandes tanneries d’Europe commerçaient avec les Turcs dont personne ne surpassait l’habileté dans le traitement des peaux. Après des années de factures « déshonorées », les commerçants de Constantinople avaient jugé préférable de commercer avec eux-mêmes en envoyant sur le continent des représentants de leur race. Les peaussiers turcs avaient envahi la périphérie des villes où on les prélevait en temps d’épidémie comme victimes expiatoires en compagnie des usuriers juifs. Les bûchers réunissaient ces pécheurs et réconciliaient leurs croyances dans les flammes. Depuis les années de peste, il s’en allumait partout. Les prophètes des rues appelaient à une grande purification car les derniers jours de la terre étaient proches. Il était écrit qu’aucun juif ni aucun Turc ne connaîtrait la fin du monde en Europe, tant on les massacrait pour les priver d’apocalypse.
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Dans la mémoire du prieur Guillaume, les souvenirs formaient des croix, plantées sur les dépouilles des actes qu’il avait laissés s’accomplir. Le temps les avait brûlées, mais les croix marquaient leur place. Toutes les mémoires étaient recouvertes de croix de cendre, de grands cimetières d’actes dont l’oubli avait emporté les ombres. Chacun pouvait prétendre renier leur existence. Mais les croix demeuraient, elles prouvaient qu’on ne décidait pas du destin de nos actes et qu’aucune trace ne s’effaçait jamais de la surface de la terre.
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Les hommes ressemblaient aux loups que la pestilence avait rendu plus nombreux et plus redoutables. La famine et le froid avaient ramassé la faux que la maladie avait abandonnée et tuaient maintenant autant qu'elle. Les canailles vous égorgeaient pour un morceau de viande, personne n'osait plus voyager et Guillaume ne dut sa vie sauve qu'à son habit de dominicain, car les gens respectaient Dieu depuis qu'ils avaient vu le diable.

Chapitre 48 – Chassé
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Le voyage jusqu'à Marseille lui montra le fracas de la peste et le bien qu'elle laissait au monde : des routes désertes, des villages silencieux, des rues et des places délabrées. Les hommes s'évitaient et masquaient leurs visages. Les regards ne portaient que terreur et découragement. Chacun se recroquevillait derrière ses murs. L'horizon s'arrêtait aux barrières des maisons. La société des hommes avait volé en éclats. Marchés, fêtes, cérémonies ne mélangeaient plus les humains. Les cœurs s'étaient fermés. Ne restaient plus que des clans qui défendaient leur famille et leur territoire.

Chapitre 48 – Chassé
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_ Il brûlera avec ses putains du Libre Esprit, me promettait-il.
Les clercs de Cologne le redoutaient. Moi, je n'avais pas peur de lui. Malgré ses menaces, je le trouvais inoffensif.
J'avais tort.
C'est lui qui détruisit le maître.
Bien sûr, il y eut le procès, les voyages exténuants vers Avignon, l'Inquisition qui comdamna son œuvre et la maudit pour les siècles à venir. Mais l'Inquisition n'a pas touché au cœur d'Eckhart. Kanssel l'a brisé.
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Pendant deux années, la mort frappa avec une rage que jamais l'humanité n'avait connue. La terre s'ouvrait pour la faire disparaître. Les hommes paraissaient étrangers au monde. Les fosses étaient pleines, les charniers laissés à l'air libre et recouverts de chaux formaient des collines blanches au milieu des champs. Il y avait des villages de cadavres où personne n'osait aller, des tables ouvertes pour les corbeaux et la vermine. Les chiens et les chevaux n'y échappaient pas. Ils crevaient sur les routes désertes et leurs carcasses abritaient des vies grouillantes. La vie réduisait sa taille, involuait dans ce qu'elle avait de plus primitif, reculant aux temps anciens où aucun homme n'avait encore été engendré. Dieu ne punissait pas la vie mais les pécheurs. Et les flèches de la peste préparaient peut-être un monde purifié offert à une sainte vermine qui rachèterait les fautes de tous les fils d'Adam.

- Chapitre 48 – Chassé -
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Le peuple de la Sorbonne était essentiellement composé de gens d'Église. Ce qui ne les empêchait pas de se battre comme des soudards. Entre les moinesréguliers dont je faisais partie et les prêtres séculiers qui nous méprisaient, tout ce petit monde se bénissait d'ecchymoses et de bosses.
Les convictions philosophiques étaient aussi matière à contusions.
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Le plomb, c'est l'homme misérable que nous sommes lorsque nous vivons selon les désirs terrestres. L'or, c'est l'homme spirituel, enrichi de Dieu. Et la pierre philosophale qui transforme l'un en l'autre s'appelle le détachement. Lorsque tu auras abandonné la volonté d'obtenir quelque chose , tu auras gravi la première marche du détachement.
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" Un soir Mathilde chanta.
Nous étions couchés. Une béguine vint nous réveiller et nous conduisit, à la lueur d'une chandelle, jusqu'au dortoir des sœurs.
Le jugement de la grande dame était juste. Le chant de Mathilde était céleste. On ne pouvait rien dire de mieux. La voix vous envahissait comme les parfums d'encens d'une chapelle. Elle appelait les anges."

- Chapitre 26 - Le chant -
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