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Citations de Arno Bertina (87)


Quand on parle de l’attachement de tel ou tel à son travail, c’est toujours sans se risquer à justifier ce lien (paradoxal) à un système de contraintes – il faudrait pourtant argumenter : c’est quoi cette fierté qui contrebalance un peu le désir de liberté ou la contestation du travail salarié comme système coercitif (l’exploitation de l’homme par l’homme) ? En écoutant Yann et les autres, je touche du doigt l’explication : ce n’est pas un placebo, ou le simple fait d’être accepté par d’autres, au sein d’un groupe, mais bien la joie de se montrer intelligent – à ses propres yeux déjà. Dans cette usine comme ailleurs, ils sont nombreux à avoir quitté le système scolaire avec un CAP ou un BEP, à vivre avec l’idée, exprimée ou enterrée, qu’ils n’ont pas réussi, scolairement, n’ayant pas tous le bac, etc. (Quand je vais dire, plus tard, à Yann, qu’il est très intelligent, il va se défausser et transmettre la patate chaude à ses collègues : « Vous pensez qu’j’suis intelligent ?! » Si l’on s’est construit sans être valorisé à cet endroit précis de sa personne…) Voilà ce que ramasse le mot « fierté » : la surprise et la joie de s’être sorti d’une situation nécessitant de l’intelligence plutôt que des réflexes ou du courage ou de la force. Les polytechniciens de Renault les ont plantés avec une voiture qui n’a pas séduit – malgré les enquêtes de consommation qu’ils ont dû multiplier, en amont, mobilisant les compétences de leurs salariés sortis d’HEC ? Les Creusois survivront à ce mini-naufrage en utilisant leur intelligence. S’ils n’étaient pas parvenus à le faire, la dette contractée pour acheter ces machines n’aurait pu être épongée, et elle aurait étranglé GM&S Industry. La mort qui approchait, ils lui ont fait peur et elle a reculé. Voilà la fierté et l’attachement à une usine, à un outil de travail, et à un collectif : quand ces trois instances te permettent de manifester cette intelligence à laquelle toi-même tu as du mal à croire, et que tout le monde te dénie au-dehors, y compris le président de la République (« fainéants », « fouteurs de bordel », « analphabètes », « des gens qui ne sont rien », etc.).
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Michel rentre donc du boulot pour trimer encore : monter une cloison en carreaux de plâtre, par exemple, pour faire deux chambres dans une seule, les deux grandes se disputant souvent.
Alors arrive un moment où le corps ne suit plus.
Tant que l’entreprise carbure, on peut se sentir payé de cette fatigue, voire de cet épuisement – puisque cette « gloire » ruisselle sur les employés qui, en retour, se donnent pour entretenir cette réputation. Ce cercle vertueux c’est l’attachement de la feuille à l’oxygène, comme celui de l’homme à ses poumons : on se sent vivre.
Son licenciement il y a une semaine ne change rien à l’affaire : il a commencé ici à l’âge de vingt-quatre ans et il en a désormais cinquante-deux ; il a passé plus de temps dans l’usine qu’hors de ses murs.
Et on sait aujourd’hui que la voiture et son pot d’échappement détruisaient le monde dans le moment même où ils nous les donnaient – si l’on pouvait être fier de travailler dans l’industrie automobile, jusque dans les années 80, ce n’est plus le cas aujourd’hui, la planète est asphyxiée.
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À l’entrée de la petite zone industrielle, un chêne, quelques haies, deux prairies.
La tonalité bucolique prend fin quelques mètres plus haut ; support de pancartes sur lesquelles on a écrit avec des bombes de toutes les couleurs, la grille de l’usine bruisse de la colère des salariés du site qui semble dévasté : par endroits le bitume est presque retourné, des pneus ont été brûlés ici, du caoutchouc qui a fait là et là une croûte épaisse… Des restes de structures métalliques attendent qu’on les jette dans une benne… Sur la guérite de pesée des camions de livraison, sur les murs des bâtiments… des graffitis partout. Disent la colère et l’inquiétude. Dénoncent d’anciens propriétaires – cinq noms qui me seront bientôt familiers. Incriminant l’État complice de ces patrons voyous, etc. Mais personne ou presque, et n’étaient ces graffitis, un silence inattendu.
GM&S comme « Grand Moment de Solitude » dit une affichette.
J’arriverais après la bataille ?
Nous sommes le 13 septembre 2017, j’entre dans le petit local syndical où j’ai rendez-vous avec Yann Augras et Vincent Labrousse.
– Un café ?
– Non merci.
– Alors c’est parti.
Yann va me montrer l’usine, en m’expliquant les presses, l’emboutissage et la cataphorèse. Les stratégies industrielles et les escroqueries qui ont mené la boîte au bord du dépôt de bilan.
Une énième AG de combat doit avoir lieu ensuite. L’actualité de l’entreprise : plus de 100 salariés recevront leur lettre de licenciement dans une semaine – le repreneur ne les reprend pas. Si l’on ajoute les départs volontaires et les mises à la retraite, on arrive à 157 ou 160. Mais ceux qui sont repris ne se font pas d’illusion : il ne disparaîtra pas, le couperet pendu au-dessus de leur tête depuis deux ans au moins.
Quel que soit le répit consenti à ceux qui restent, dans six mois ou dans trois ans il tombera effectivement.
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On est habitué à désigner les lieux par des noms propres – dans la langue du jour, « Guéret » est une préfecture du Limousin ; on a oublié que ces deux syllabes ont indiqué, longtemps, une friche ou une jachère, partout en France. Au contraire, quand le nom d’une ville est aussi un adjectif, les bâtiments, les jardins et les rues peinent à s’imposer nettement ; si vous dites « La Souterraine » par exemple, ils sont contestés ou bousculés par une entité chargée d’ombres et de nuit, de roches et de terre.
Mieux : le jour où j’apprendrais à situer La Souterraine en Creuse, je ne pourrais m’empêcher de noter à quel point les deux noms travaillent dans le même sens… Peut-être ai-je même été tenté de dire « ça sent l’sapin », mais le département dépend de la sylviculture, et du douglas, économiquement… On aurait pensé que je jouais avec les mots alors que non ; j’entendais bien quelque chose de perdu, empruntant au cimetière et au cercueil, et le vrombissement d’une vie capable de jaillir, à un moment ou à un autre – à l’air libre.
Il ne faudrait pas trancher, mais soigner l’ambivalence ; en se battant pour sauver l’usine de La Souterraine, les GM&S activaient un ferment acide : on est chez Racine, quand la noblesse des décisions est la condition de la tragédie ; et dans Shakespeare quand les gagnants sont des minables, des bandits, des criminels.
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Urbanistes, nous devons faire le contraire de ce que font les cyniques. Je parle d’intérêt général, oui. Si les gens ont dans la rue des lieux pour se parler, si on réussit l’aménagement d’un petit parc, s’ils font corps, nous soignons l’intérêt général mieux qu’en faisant repeindre une cage d’escalier.
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M’attendais-je à une telle bronca ? Non, même en découvrant la salle, je ne me suis douté de rien. J’ai noté que sans être pleine cela faisait beaucoup de monde tout de même, peut-être pas loin de mille personnes. Peut-être ai-je même félicité la mairie, intérieurement, d’avoir si bien fait le job… Trop souvent, il n’y a que trois pelés dans ces présentations publiques… Sans doute me suis-je dit, aussi, que c’était un signe positif, cette curiosité des habitants pour les annonces que nous allions faire ; un signe de civisme, de qualité du vivre-ensemble. Et je me souviens maintenant avoir noté qu’il me faudrait demander quelques photos de la salle au service com’ de la mairie, pour la plaquette de l’agence. Mais je ne me suis douté de rien, non. À moins que le fait de penser à quatre choses en même temps soit un signe de fébrilité, de ma part, trahissant une inquiétude animale, auquel cas j’étais la bête traquée, et la grande salle du Liberté la meute de chiens lancée à ma poursuite.
Quand un technicien a fait signe au maire de s’avancer, il a quitté la coulisse pour le centre de la scène, où une grande table avait été dressée – micros et bouteilles d’eau minérale -, et j’ai emboîté le pas de ses adjoints. Je venais de passer deux minutes à fixer les visages de chacun, sans y chercher quoi que ce soit, et n’y trouvant pas la moindre trace d’inquiétude je me suis avancé à mon tour sans deviner qu’une tension parcourait les gradins. Je n’ai pas senti qu’il y avait de l’électricité dans l’air, je n’ai pas entendu que les gens se parlaient, échangeant sur telle ou telle rumeur. Qu’ils étaient venus armés jusqu’aux dents en quelque sorte. Qu’ils allaient trépigner en attendant que soit abordé LE point pour lequel ils se sentaient des âmes de rempart ultime, des âmes de ligne Maginot.
Le maire de Rennes a pris la parole en premier, naturellement. La salle murmurait, un peu, mais c’était inaudible depuis la scène. Il a fait l’historique du Blosne, racontant brièvement qu’il avait été nécessaire, au tournant des années 1960, de commencer à réfléchir à la construction d’un grand ensemble qui accueillerait aussi bien l’immigration intérieure (la Bretagne des campagnes) que les rapatriés d’Algérie. Beaucoup d’immeubles du centre-ville étaient devenus des taudis que l’on s’arrachait tout de même, du fait du manque de logements. Pour les habitants des campagnes, pour les mal-logés du centre-ville, les premiers immeubles de l’ex-ZUP Sud furent accueillis comme des miracles de confort et de modernité, à la fin des années 1960. Le maire rappelle cela, les normes définies à l’époque dans le plan d’occupation des sols, la distance incompressible entre les constructions et la verdure (les arbres) participait d’un hygiénisme devenu la marque de la modernité. Si vous quittiez le village et les sols en terre battue ce n’était pas pour habiter à nouveau les uns sur les autres, mais ailleurs.
Ici il y a eu une salve d’applaudissements qui, parce qu’ils étaient trop appuyés et tellement soudains, nous ont tous fait relever la tête, et sourire, en direction du public, quelque chose était étrange mais on ne pouvait sans doute ni comprendre ni deviner la colère qui devait plus tard dégringoler des mêmes gradins vers nous, grande vague s’effondrant et nous roulant, incapables de nous débattre. Alors nous avons souri comme des idiots, je crois.
Le maire s’est alors interrompu et a demandé à l’une de ses adjointes de raconter la suite de l’histoire qu’il venait de commencer : comment la qualité du bâti avait permis à chacun de s’endormir sur ses lauriers ; comment rien ne fut fait, par conséquent, dans les années 1970, 1980 et 1990, pour entretenir les bâtiments de l’ex-ZUP Sud, qui allait vite compter près de vingt mille habitants de toutes les nationalités – ce n’est pas faute, pour Rennes, d’avoir eu quelques grands maires dans ces années-là ; comment nous nous trouvions désormais devant la nécessité d’agir si nous ne voulions pas aller au-devant d’un problème social colossal, et de problèmes d’hygiène et de salubrité qui allaient devenir impossibles à résoudre. Il en allait du confort des habitants, de leur sécurité. C’était aussi une question de patrimoine, les copropriétaires ne pouvant laisser les biens perdre de leur valeur sans lever le petit doigt.
N’ayant pas encore la parole, j’étais inactif et, de ce fait, pieds et poings liés à cette tension qui montait. Les minutes s’étiraient, la rumeur enflait. Les gens se faisaient moins discrets. L’oratrice se cherchait une contenance, elle a pris la feuille A4 sur laquelle se trouvaient résumées les grandes lignes de notre étude, elle l’a brandie entre l’auditoire et elle, mais parce qu’elle tremblait un peu ou parce que les spots étaient bien trop puissants, la feuille semblait être rongée par ce surcroît de lumière blanche, les bruissements, les messes basses, la toux des uns et des autres, tout cela rongeait la feuille, oui, comme autant de chenilles la dévorant, et les ressorts des sièges qui disent, à la place de l’occupant lui-même, qu’il y a malaise, une mauvaise position, un inconfort, les mandibules des chenilles, les premiers « Pfffffff » plus sonores que les autres, un agacement qui me préparait à concéder que cette étude était amendable, discutable ?
Et quand j’ai enfin pris conscience de la tension, il était trop tard, elle allait exploser. Bien évidemment je n’aurais pas pu empêcher qu’elle explose car elle puisait son énergie à une source très profonde, qui avait à voir avec la nature même de cette étude, mais j’aurais pu, à tout le moins, me composer un visage, anticiper. Les parents qui savent leur enfant mal formé sont préparés, ceux qui découvrent leur enfant mal formé au jour de sa naissance dégringolent d’un sommet d’émotions qui compte parmi les plus élevés du monde. Inévitablement, à la façon que j’ai eue de me crisper j’ai compris que je prenais les sifflets pour une agression raciste. Ils sifflaient l’Arabe de service, voire peut-être l’Arabe qui a réussi, c’est-à-dire le traître. C’est mon corps, et la mémoire du corps, des peurs enregistrées. Instantanément, les anticorps se sont répandus, ce n’était pas des sifflets racistes, je me suis dit, ils auraient sifflé un urbaniste blanc, chrétien, n’importe qui, si celui-ci avait signé – pour son agence – le même audit du Blosne.
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le mot "coincé" résonne de manière fantasque – le triangle a soudainement le volume du cor de chasse. Tout en retirant mon sac à dos, que je vais pendre au guidon le temps d'une courte pause au bord de l'eau, je suis saisi par cette impression.
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L'Europe détenant 90% du patrimoine artistique et artisanal de l'Afrique subsaharienne, Nicolas Sarkozy pouvait, toute honte bue, humilier les Sénégalais qui l'écoutaient, à Dakar, en 2017, en affrimant que "le drame de l'Afrique, c'est que l'Homme africain n'est pas assez rentré dans l'Histoire". Validons cette idéee le temps d'en montrer l'idiotie profonde : comment pourrait-il en être autrement puisque les Européens ont escamoté les signes de l'histoire africaine, du temps qui passe, des modes qi changent, des représentations qui évoluent (celles des dieux comme celles des hommes).
Extrait de Considérer, texte faisant partie de la postface.
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Ils savaient pourtant que tous ces objets liés à la pensée magique leur parlaient d'un monde qui avait été le nôtre, en Europe. Un monde que nous ne comprenions plus ; des rites n'avaient plus cours, les archéologues peinaient à en reconstituer le sens, des liens s'étaient distendus au fil du temps, et avec eux l'inscription de notre vie sur une scène tellement plus vaste. Pourtant... Pourtant nombre d'analystes nous incitaient depuis dix ou vingt ans à réévaluer nos gestes et nos désirs par rapport à notre "empreinte écologique", avant que la Terre soit perdue pour l'Homme. "La planète vit à crédit depuis 2014, écologiquement".
Les arts premiers étant les mieux à même de nous remettre sur le chemin d'un rapport à notre environnement, et donc à nos semblables comme aux animaux et aux esprits, une idée commença à circuler : notre vie dépendait de ce musée ; et de sa gratuité.
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Arno Bertina
Certains mots peuvent avoir la violence de l'étoile jaune.
Citation dite par l'auteur lors de l'émission "Dans quel monde on vit" sur "La première"
chaîne de radio belge. Lors de cette émission, l'auteur a présenté son dernier livre "L'âge de la première passe" (Verticales)
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Nous ne sommes pas autorisés, les regards sont craintifs. Si un froissement d'ailes s'était fait entendre on se serait tous vus mulot ou campagnols. À chaque pas dans la cuisine immense, et déserte, on se redit qu'on est des révolutionnaires, il n'y a pas d'autorisation a demander, pas de badge à biper. On casse les serrures, les portiques, et on arrête de mettre les patins, de s'excuser, on arrête de se laver les mains pour tuer la vermine qu’on porte pas, ou qu’on porte et on s'en fout. Il faut.
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S'il n'y a plus aucun investisseur pour vouloir de La Générale Armoricaine, c'est que d'autres sont passés par là, vidant la bête de tout son sang. Les fauves ne s'intéressent qu’aux bêtes qu'ils tueront eux-mêmes ; découvrant par hasard une carcasse encore valable, il n'y toucheront pas. C’est l’heure des hyènes.
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L'entreprise nous bourre le mou avec sa propagande, elle veut qu'on fasse corps avec elle, elle veut notre corps – et nous on lui donne sans presque réfléchir parce qu'elle est de toute façon la seule à le désirer encore. « Sur le marché du cul » dit ma fille, qui sait pas encore être douce, « tu vaux qu'un vieux slip ». Elle nous essore, elle nous étrangle.
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Pour ne pas être seulement le Blanc que je suis, et pour ne pas être assigné à l'Histoire dont j'hérite avec la couleur de ma peau, je dois - cette question engage mon humanité et la littérature qui me passionne- ne pas en rester à l'affliction, et faire une place à la joie. Je dois montrer ces filles, lorsqu'elles sont souveraines aussi, autrement je les enferme. leur humour ou les "dix secondes tigre" décrites par Henri Michaux ne démentent pas la détresse. Mais ce serait aggraver les blessures que de ne pas faire une place à ces moments de grande respiration.
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Aujourd’hui, troisième réunion – le pas décidé de Pascal Montville, en sortant de la voiture, comment l’interpréter ? C’est la troisième AG avec « l’obsédé », comme Fatou l’appelle.
– Il marche contre nous, toujours bille en tête ?
Il s’arrête, sort son téléphone. Son flic et sa conseillère lui passent légèrement devant, avant de ralentir, et il leur emboîte le pas. Avec cette façon qu’il a eue d’être pressé, il y a cinq ou six mois, de débouler dans le dossier sans d’abord nous écouter, nous découvrir, il m’a fait penser à ces chauffeurs de bus qui veulent avancer plutôt que rendre service ; ils ont vu, dans le rétroviseur, quelqu’un qui court et leur fait signe, mais ils démarrent quand même. Tenir l’horaire, ou aller même un peu plus vite – comme s’ils étaient dans le privé avec des bonifications. Quand une seule personne veut descendre, ou monter, ils s’en agacent un peu. « Pour une seule personne… » On a tous la tête pourrie. Et lui là alors, pourquoi est-il pressé ? Pour nous (il aurait compris l’urgence) ou parce qu’on reste pas longtemps ministre ? Il ne veut pas marquer l’arrêt, entendre les coups qu’on donne sur la portière parce qu’il nous assimile, inconsciemment, à ceux qu’il combat depuis dix ans, aux grands patrons, aux fonds de pension dont il parle tout le temps, aux consommateurs indifférents, et ça nous gave ! Il ne fait pas de détail : il y a un monde à renverser, la malbouffe, la surconsommation. Et là il parle aux tenants de ce monde ancien à ne pas pleurer, d’après lui. Il a devant lui des « acteurs », il dit, de cette chaîne alimentaire tordue – c’est comme ça qu’il nous appelle. Il se plante évidemment. On n’est pas l’axe de direction du bolide qui fonce dans le mur, ni même les roues crantées. On n’est rien que les crans de ces roues, ou encore moins que ça : nous sommes la graisse noire qui les enduit. On est innocents, monsieur connard ! Vous ne parlez pas aux décideurs ou aux actionnaires capables d’inventer des allers-retours avec les pays en voie de développement, mais aux petites mains ; on est les doigts qui s’agitent, sans cerveau, juste des doigts, du squelette et des tendons. On est la graisse noire des engrenages qu’on ne peut pas accuser des directions prises par le chauffeur. Dans sa tête de ministre, les deux strates sont bien collées, il nous aura entendues – certaines – parler fièrement de l’abattoir parce qu’on vend nos poulets et nos plats cuisinés dans le monde entier, et il croit qu’on est solidaires des choix de la direction, à cause de ça. Il ne voit pas que c’est le visage de notre drame, cette fierté.
– C’est le visage de notre drame, cette fierté !
Mais non, il entend pas. Quelqu’un lui parle. Je vais pas répéter ma phrase à l’identique. Un coup de griffe ça peut pas être du réchauffé. (Vanessa Perlotta, salariée, unité de conditionnement)
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On serait coupables de ne pas sortir de la culpabilité - à nos yeux déjà, à ceux des autres travailleurs et aux yeux de nos enfants. Tant qu'on s'insurge pas, on valide que c'est nous qui coûtons cher, que c'est nous qu'on travaille mal ou pas assez, que c'est nous la "masse salariale", les charges, et pas le "capital" ou l'essentiel, la richesse. Si on ne fait pas un coup d'éclat, le système continue de nous dévorer, alors que c'est tout ça qu'il faut renverser, revenir dans l'innocence. Je vais faire un truc fou par colère mais je vais le faire pour redevenir innocent, pour nous ramener tous dans l'innocence.
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Cette nuit, demain, au fil de la journée, il deviendra par petites touches un mec très ambigu - ce profil que tout le monde déteste. Les journaux reprendront ce truc, encouragés par des informateurs (des sources non autorisées, et d'autres désirant garder l'anonymat, et d'autres encore autorisées, ok, mais on n'expliquera pas pourquoi leur nom n'est pas donné, etc.). Et en quatre ou cinq heures, il deviendra clair que le portrait n'est plus le même. Le mec sympa du début de la séquestration est maintenant un agent double, un informateur des hystériques de la réforme d'envergure.
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On reproche l'utopie aux gens de gauche, ils ne seraient pas dans le réel. Ce renversement donne le vertige. La gauche est née de la misère, de la colère. Elle est née dans la tête de gens qui n'avaient plus rien à perdre, qui se brûlaient chaque jour au contact du monde. Elle n'a pas été calculée sur un boulier. Une insurrection c'est une réaction de survie, une métamorphose de la mort en forme de vie.
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Il a senti comment j'ai frissonné mais il essaie de rester cool. Quand quelqu'un se crispe tout près de toi c'est difficile, et pour moi c'est la beauté de la vie. Quand tu vois les fleurs s'ouvrir le matin, t'as envie de t'ouvrir aussi, et quand tu vois un CRS sur le parking de ton usine t'as envie de le matraquer, c'est dans la peau on est reliés.
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Avaler deux andouillettes ça doit être le temps qu'il faut à des CRS pour arriver "sur zone" comme ils disent. Alors en déjeunant comme ça, au bord de la nationale qu'ils vont emprunter toutes sirènes hurlantes dans un quart d'heure, je me fais l'effet d'un Arsène Lupin regardant passer les flics en se resservant une coupe de champagne. Qu'est-ce qui attire le pyromane ? Le feu ou les pompiers ?
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