Citations de Aurélien Bellanger (132)
La grande table : notre dernière utopie politique.
La dernière frontière de Paris
J'ai en tous cas fini par admettre l’inacceptable : oui, ces deux heures d'enseignement technologique avaient joué un rôle aussi grand dans ma formation intellectuelle, que les trente autres heures de matière généralistes.
J'ai toujours aimé les manuels scolaires et les encyclopédies. Je récupérais enfant les manuels de géographie de ma sœur aînée et je peux encore réciter les tranches du Larousse bleu en cinq volumes de mes parents : de A à Chondrichtyen, de Chondrifié à Fougère, de Fougères à Marbrure, de Marburg à Recteur, de Rectifiable à Zythum : le monde coupé en cinq parties égales.
Le sport a perdu, là bas, ses derniers ridicules, ce sentiment de gène qu'il y a à courir immobile, à transpirer pour rien, à avoir renoncé à son statut de chasseur-cueilleur pour celui de Sisyphe.
"L'île intense"
Un pays capable de détruire la terre dit avoir acquis des capacités d'organisations supérieures, des capacités d'organisation qu'aucune intelligence humaine ne peut plus maîtriser.
Il aurait ainsi existé deux politiques, la bonne et la mauvaise, la politique, au féminin, comme une maudissure mortelle au paradis des idées, et le politique, au masculin - pronom qui se déclinait sous la forme d'un partitif et qui amenait à parler du politique, comme s'il y avait là un réservoir de conduites et d'idées, le répertoire des formes pures du droit, entités facilement convocables et garantes ici-bas du bon fonctionnement des institutions souveraines : la cité de Dieu était presque laissée en concession aux hommes pour les habituer progressivement, à leur seconde vie de citoyens du ciel. Pour des raisons complexes et qui dataient sans doute de la Révolution, les deux conceptions recouvraient à peu près en France le clivage gauche-droite : la gauche était du côté du politique quand la droite était politicienne - la gauche exigeait des citoyens quand la droite se contentait des hommes.
C'était la seule structure qu'il respectait au fond, l'essence judiciarisee de la langue.
La gauche n'avait plus le monopole du cerveau.
La politique, après une longue éclipse de plus d'un demi-
siècle, était de retour en France. Il existait une droite,
enfin, comme vision du monde et non plus comme simple
façon de rassurer les bourgeois, terrorisés par l'existence
d'une gauche qu'ils sentaient, instinctivement supérieure
à eux sur le plan intellectuel. La gauche n'avait plus le
monopole du cerveau.
pp 177-8
L'histoire humaine, depuis l'apparition du premier outil, est gouvernée par la technique. C'est, de fait, une technocratie. Les hommes qui vivaient ici ont été les premiers à s'en apercevoir. A découvrir qu'en contrôlant la production technique on contrôlait l'humanité.
Le TGV était un jouet de technocrate indifférent à l'existence du territoire réel. La carte de la grande vitesse était une carte autonome.
La Mayenne est l'un des départements les plus réguliers de France : c'est un rectangle transformé, par l'énorme masse de la Bretagne, en un parallélogramme presque parfait. Les diagonales d'un parallélogramme définissent, à leur point d'intersection, le centre de gravité de la figure. A cet égard, Argel, situé en ce point précis, à quelques kilomètres à l'est de Laval, le centre économique et politique du département, occupait une position privilégiée.
Mais un parisien sur cinq était exclu de la gentrification et de la redécouverte émerveillée des anciens quartiers populaires - les 8 millions d'habitants de ce qu'on s'obstinait à appeler la banlieue, l'espace des Franciliens, de ceux qu'on refusait d'appeler Parisiens et qui constituaient pourtant le vrai peuple de Paris.
page 274
Dominique découvrit ainsi, dans les interstices de la machine, les effets de l'acidité des sols sur les traverses en bois. En Bretagne, celles-ci étaient presque chaque fois pourries et décomposées malgré tous les traitements chimiques qu'elles avaient pu subir, alors que les tourbières anaérobies de la Normandie ou du Centre les avaient parfaitement momifiées.
Dominique Taulpin, très engagée dans la Recherche & Développement, lança d'innombrables études et expérimentations pour apprendre à ralentir les effets de la gravité, de l'usure, du ruissellement et de l'inévitable vieillissement des infrastructures.
En donnant au profil des voies la forme d'une pyramide tronquée, on pouvait retenir le sable qui voulait s'épandre. En posant des plaques de feutre sur le fond des voies, on pouvait empêcher la boue de remonter et d'agir ainsi négativement sur les propriétés mécaniques du ballast - il devait conserver ses angles saillants et sa rugosité, faute de quoi il perdrait l'essentiel de ses qualités mécaniques. En drainant les marnes glissantes, en aspirant l'air sous des films plastifiés, comme dans des sachets de café sous vide, on pouvait retenir pendant plusieurs dizaines d'années les plus mauvais terrains.
Dominique parcourut des centaines de mémoires sur l'écoulement des eaux, la granulométrie, la pédologie et la résistance des matériaux. Elle participa à des dizaines de chantiers de réforme des voies, au côté de la gigantesque machine qui creusait sous les rails pour en extraire le ballast usé, avant d'en réinjecter, mélangé à du ballast frais, la part encore utilisable, sélectionnée par une calibreuse embarquée. On introduisait alors à travers le nouveau granulat des ancres vibrant à la fréquence étudiée de 42 hertz afin d'éveiller les propriétés mécaniques du nouvel agrégat, en attendant l'action métamorphique des trains.
Encore fascinée par la fragilité du monde, Dominique continuait à s'intéresser aux phénomènes d'écoulement et de coagulation qui suffisaient à décrire la plupart des paysages connus. Elle acceptait que son activité professionnelle n'aboutisse qu'à des structures éphémères, à des levées de terre qui retomberaient toujours ; elle n'en éprouvait aucune peine ni aucune mélancolie. Dans le temps qui lui était contractuellement imparti, tout se déroulerait selon ses prévisions - le poids du train serait dissipé en trapèze sur la terre, les forces de cisaillement seraient absorbées par le ballast, l'eau s'infiltrerait au plus vite, sans rien emporter ni défaire, dans la structure pyramidale souterraine de la voie.
« Il n’existait aucun dispositif capable d’amortir les mouvements désordonnés du monde ; le monde était lâché dans le temps et aucun instrument n’était capable de le retenir. »
La théorie de l'information n'échappe pas à cette règle : malgré le développement spectaculaire des technologies de l'information et de la communication, elle demeure une théorie mal comprise.
J'en suis ainsi arrivé, au milieu des tableaux de la maturité du plus sage de tous les peintres, à comprendre pourquoi les oeuvres de jeunesse n'existent pas, ou n'en sont pas vraiment : car elles sont à destination d'un seul spectateur, leur auteur, qui est précisément le moins apte à les apprécier. Ce sont, pour l'éternité, des oeuvres sans public. (Page 77)
Sébastien était hanté par Loana, le patient zéro de la téléréalité. en France.