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Critiques de Beata Umubyeyi Mairesse (214)
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Consolée

C’est l’histoire d’une langue perdue et d’une langue retrouvée. Mme Astrida est une vieille dame métisse en fin de vie dans un EHPAD, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Au fur et à mesure que sa mémoire s’envole, elle perd l’usage de son français alors qu’une langue inconnue de tous émerge. Ramata, quinquagénaire noire en reconversion professionnelle, propose un stage d’art-thérapie dans cet EHPAD. Irrésistiblement attirée par Mme Astrida, elle décide d’enquêter sur elle, remontant progressivement vers la vérité de racines de l’histoire de la vieille femme, à l’époque de la colonisation belge en Afrique centrale.



Beata Unubyeyi Mairesse met un lumière une réalité médicale d’une ampleur importante mais méconnuz du grand public. Les personnes d’origine immigrée - qu'elles soient africaines, asiatiques ou européennes - atteintes de maladie neuro-dégénérative, oublient leur français lorsque c’est leur deuxième langue, et ne s'expriment plus que dans leur langue maternelle, même si cette dernière n’était plus pratiquée depuis des décennies. Les pays anglo-saxons ont déjà mis sur pied des programmes spécifiques pour améliorer la prise en charge de ces patients. En France, cette approche interculturelle du soin gérontologique tarde, comme si on n’avait jamais pensé aux immigrés comme des personnes susceptibles de vieillir dans leur pays d’accueil.



Mme Astrida est née au Rwanda et à l’instar de près de 20.000 autres enfants, elle a été placée dans un orphelinat pour mulâtres ( pères blancs, mères noires ) où des missionnaires les ont coupés de leur culture africaine, de leur langue, avant de les déporter en Belgique pour les faire adopter sans l’accord de leurs parents en 1959, juste avant l’indépendance du pays. Ramata, elle, est née au Sénégal et a immigré en France en 1975 pour suivre un père ouvrier dans l’usine Ford de Bordeaux. Elle aussi a connu le déracinement linguistique :



« Quand on émigre, les visages changent, les paysages sont remplacés par d’autres, les goûts se transforment mais on oublie souvent de dire combien les sons aussi nous perdent, nous devons fermer le rideau ondulant des voyelles et apprendre à grimper sur un mur de consonnes gutturales et, en passant de l’un à l’autre, nous nous trouvons affublées d’un boitement disgracieux qui s’incrustera durablement dans notre prononciation d’exilées. Comment pouvait-on changer d’environnement sonore en une seule vie, passer d’un monde à l’autre, s’adapter toujours sans devenir muet ? »



Par l’alternance des chapitres 1954 / 2019, l’autrice fait résonner les vies de Mme Astrida et de Ramata. L’Histoire ne se découpe pas en tranches distinctes, elle tisse des liens entre passé et présent, le passé irriguant certains traumatismes toujours très actuels. C’est la langue qui est au cœur de ce très riche récit qui questionne plus largement, avec beaucoup de justesse, les questions sensibles qui gravitent autour de l’immigration, du racisme, de la colonisation et de la transmission générationnelle.



Les chapitres sur Mme Astrida, notamment ceux évoquant son paradis perdu, plein de couleurs, de saveurs et d’oiseaux avant le chagrin dans l’orphelinat de Save, qui m’ont le plus touchés. Mme Astrida est un très beau personnage dont le parcours ne peut que toucher.



Par contre, j’ai trouvé le reste du casting moins convaincant car on sent trop qu’il a été construit pour démontrer. Ils font « personnages » et l’autrice a tendance à surexpliquer leur profil : Ramata, la femme noire transfuge de classe qui étouffe sous le conditionnement des injonctions de sa mère ( « Tais-toi, écoute, surtout ne te fais pas remarquer, on n’est pas chez nous » ) et qui affiche une méritocratie color blind avant de faire un burn out ; son mari musulman comme elle mais d’origine maghrébine, plus stoïque face au racisme qu’il a pu subir ; et surtout leur fille.



Inès aurait pu être un personnage passionnant, étudiante brillante qui décide de se voiler après les attentats de Charlie Hebdo pour affirmer son identité et ne plus raser les murs comme ses parents. Mais au final, je trouve ce personnage de trop dans le récit qu’il alourdit alors que tout ce qu’en dit Beata Unubyeyi Mairesse est pertinent et fort. Dans doute le roman étreint-il trop d’intentions comme s’il visait une quasi exhaustivité sur les sujets de l’immigration et du racisme. J’aurais préféré qu’il se concentre sur Mme Astrida à laquelle il offre un très belle fin, apaisante et lumineuse.



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Tous tes enfants dispersés

C'est parce que j'ai adoré "Consolée" que je n'ai pas hésité à emprunter le premier roman de Beata Umubyeyi Mairesse lors de ma dernière visite à la bibliothèque. Sans être un coup de cœur comme "Consolée", je garderai quand même un très très bon souvenir de "Tous tes enfants dispersés".



On suit tour à tour trois personnages, de trois générations différentes : Immaculata, Blanche et Stokely. En plus de faire partie de la même famille, c'est l'histoire du Rwanda qui les relie (génocide des Tsuti et guerres civiles), que l'on perçoit donc de trois points de vue différents, chacun l'ayant vécue différemment.



Immaculata est Tutsi. Elle a deux enfants, Blanche et Bosco, la première d'un père Blanc, le second d'un père Hutu. Elle a vécu la guerre, soit en prison, soit cachée dans la cave d'un libraire et voisin Hutu. Elle a perdu quasiment tous les membres de sa famille, tués dans le génocide. Elle a passé un certain temps après coup à rassembler tous leurs ossements afin de leur offrir une fin plus "digne". Mais les drames n'en ont pas fini avec elle, elle en perdra l'usage de la parole et se réfugiera un peu plus dans le silence...



Alors que son fils a fugué pour s'enrôler dans l'armée, elle enverra Blanche auprès de son père, en France, avant les terribles événements rwandais. Elle espère pour sa fille une vie plus occidentale, loin de la guerre. Si cette dernière n'en oublie pas ses racines, c'est en France qu'elle restera, elle finira ses études et rencontrera le père de son fils, Stokely. L'éloignement de son pays natal et des siens, ainsi que les non-dits, les secrets et enfin les silences d'Immaculata, appuieront davantage le rejet dont Blanche s'est toujours sentie victime...



Stokely, quant à lui, parce qu'il a un problème de santé, ne peut visiter le pays natal de sa mère. C'est donc sa grand-mère, avec qui les liens sont très forts, qui viendra à lui. C'est avec lui qu'Immaculata prononcera les premiers mots tus depuis si longtemps, c'est ainsi qu'il commencera à s'intéresser à l'histoire du Rwanda...



Immaculata a les deux pieds au Rwanda, Blanche n'en a plus qu'un seul et Stokely aucun. L'histoire familiale de chacun est la même, mais racontée dans trois perspectives différentes. C'est fort, intense, parfois douloureux, tant par les événements que par les relations entre les protagonistes. Un peu comme un roman choral, tantôt narré à la première personne, tantôt à la troisième, Beata Umubyeyi Mairesse nous plonge dans son récit de manière fort envoûtante. J'ai retrouvé son style poétique, tout en finesse, qui m'a conquise une nouvelle fois.



Beata raconte la guerre et le génocide, et les drames familiaux, visiblement en connaissance de cause. Elle-même originaire de Butare (comme Immaculata) et survivante du génocide des Tsuti (comme Immaculata également), vivant aujourd'hui à Bordeaux (comme Blanche et Stokely), on ne peut que ressentir la dimension personnelle à travers l'histoire de ses trois personnages. C'est un morceau d'elle qu'elle nous partage, et ça n'en est que plus percutant et poignant.



Un récit très facile à lire, malgré les événements éprouvants.

Une plume toujours aussi enchanteresse.

Des personnages abîmés par la guerre et/ou un passé familial douloureux, attachants, intéressants.



Un très beau premier roman.

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Lézardes

Lézardes est un recueil de nouvelles sur des douleurs inconsolables, celle de la guerre, de la barbarie, celle de la vie broyée qu'on croyait éternelle. Dix-huit récits peuplent ce recueil, dont trois sont des contes du Rwanda d'autrefois. Les quinze autres prennent pied dans l'horreur d'une réalité qu'on voudrait qu'elle n'eût jamais existé, celle d'un génocide, celui des Tutsi au Rwanda en 1994.

Ce sont des voix d'enfants qui nous parlent ici, quinze récits qui traversent le temps de 1984 à 2074... Oui, vous avez bien lu, 2074, une manière de construire le futur de manière durable lorsque tout a été anéanti. Ce sont des voix d'enfants, des voix multiples, leur mère n'est jamais loin.

Ne vous fiez pas à la douceur des mots, à la délicatesse qui caresse ces récits au ton si juste, si vous vous penchez de près au plus près de la page, vous entendrez sourdre la violence, les cris, le bruit de la mort et puis, écartant les phrases comme un rideau vous verrez alors l'horreur innommable.

Des enfants sont devenus parents et à présent jouent avec leurs enfants, jouent parfois à cache-cache dans un endroit protégé du malheur du monde, parfois en Europe. Et ce sont brusquement les murs qui se lézardent, la terre qui tremble, le sol qui s'ouvre comme une trappe béante sur l'abîme du passé. Une mère se souvient alors d'avoir été enfant, devant courir puis se cacher sur les ordres de ses parents, faire le silence, tandis que la rue s'éventrait à coup de machettes dans des flots de haine, de barbarie... Mais se cacher où ? Même les voisins devenaient alors une menace.

Ici l'innocence côtoie la tragédie.

Ce sont des récits littéraires qui ressemblent à des fables, avec parfois un côté presque onirique, des tranches de vies peuplées de nostalgie et d'envoûtement, chaque récit ouvre une lézarde de plus sur un mur, un mur supposé protéger la vie, protéger les enfants, protéger contre les guerres, contre le mal, contre ce qui détruit la vie.

Les lézardes sont comme des mensonges, des rides, le temps qui est venu trop vite, à coup de machettes... On voudrait protéger les enfants comme on peut, ils ont grandi avec cela, ce passé qui ne s'effacera jamais, même dans le jeu innocent d'un cache-cache longtemps après...

Beata Umubyeyi Mairesse avait quinze ans lorsqu'elle survécut là-bas au génocide, y échappant de peu, se cachant comme d'autres enfants là où s'était possible, dans une cave, à deux pas où rodait la mort...

Derrière les mots, il y a les non-dits qui hurlent et c'est une douleur insupportable qui arrache des larmes. Comment ne pas s'émouvoir devant cette mère qui cogna désespérément son ventre violé et l'enfant qui s'apprêtait à naître de ce malheur, tandis que le frère déjà grand était déjà prêt à accueillir cette petite soeur qui n'avait rien voulu de cela et fut là pour la protéger, prendre soin d'elle... Il est alors devenu bien plus qu'un grand frère...

Quinze histoires pour dire la nostalgie d'une terre qui s'est engouffrée dans la terreur durant quelques jours de l'année 1994.

Les vies s'enchevêtrent ici comme les vivants parmi les morts, comme les morts entassés dans un charnier qu'on découvrira plus tard par hasard, comme les vivants parmi les vivants, comme les enfants parmi leurs parents qui furent des enfants en 1994...

Il faut bien alors rafistoler dans ses souvenirs cette enfance qui revient comme une lézarde sur le mur.

Quinze textes ciselés dans la justesse des mots qui disent l'émotion, pour construire une mosaïque de portraits touchants, parfois drôles, souvent douloureux, à fleur de peau, épris de désenchantement, de magie et surtout envoûtés d'espoir.

Merci Meps de m'avoir fait découvrir ce livre et son auteure.

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Ejo



Quinze ans avait l'auteure lorsque son pays, le Rwanda, fut ravagé par un génocide horrible. Et en dépit de cette horreur et en faisant abstraction des sentiments, Beata Umubyeyi Mairesse a réussi un parcours plus qu'étonnant : exemplaire ! L'année même du massacre des Tutsi, 1994, la jeune fille est partie pour la France où elle a enchaîné études et diplômes, l'IEP à Lille, la Sorbonne à Paris. Ce qui demande tout de même une merveilleuse force de caractère ! Par ailleurs, simultanément à ses études poussées, la jeune dame a été fort active dans des organisations à but non lucratif, comme à Bordeaux dans le domaine de la santé par exemple.



En 2015, Beata Umubyeyi Mairesse a publié son premier ouvrage "Ejo", et pendant les 4 ans qui ont suivi, elle a manifesté le même rythme élevé comme écrivaine qu'elle avait soutenu en tant qu'étudiante. En 2017, elle sort son second recueil de nouvelles "Lézardes" et cette année elle achève un double coup : un recueil de poésies "Après le progrès" et un roman "Tous les enfants dispersés". Ce dernier ouvrage a été fort bien accueilli sur Babelio et lui a valu d'être nommée pour divers prix littéraires, parmi lesquels celui de la Société des Gens de Lettres (SGDL).



Comme Belge j'ai suivi ce génocide, qui a fait entre 800.000 et un million de victimes, avec une grande attention du fait que le Rwanda, tout comme le Burundi à côté, a été, après la 1re guerre mondiale, sous mandat belge et qu'un de mes anciens instituteurs s'y trouvait comme missionnaire.



J'ai aussi lu plusieurs ouvrages sur le sujet : du Canadien, Gil Courtemanche, "Un dimanche à la piscine de Kigali" (2000) ; de la journaliste belge du quotidien Le Soir, Colette Braeckman "Rwanda : histoire d'un génocide" (1994) et la trilogie de Jean Hatzfeld "Récits des marais rwandais" (2000-2007). Un livre que j'ai commenté, le 14 août 2017, sur la question est de l'ancienne juge de la Cour de la Haye, la courageuse Suissesse Carla Del Ponte : "La Traque, les criminels de guerre et moi".



L'originalité de cet ouvrage de notre écrivaine franco-rwandaise c'est qu'en 10 nouvelles et 6 lettres elle nous peint le "passé simple, le conditionnel présent et le futur" de quelques femmes du Rwanda. "Combien hier épuise, hante et bouleverse la vie des survivant(e)s du génocide... " comme elle précise dans un court avant-propos.

En l'espace d'à peine 141 pages, Beata Umubyeyi Mairesse nous trace un tableau extrêmement convaincant de la réalité psychologique que ce génocide a représentée et continue à signifier à ces femmes. Un peu plus loin, elle spécifie : "Nous sommes trop pleines d'amertume et de souffrances... "



Très souvent par des petites touches, l'auteure évoque cette réalité. Par exemple, la tante d'une protagoniste a été arrêtée sans raison et lorsqu'elle rentre au bout d'un certain temps refusait d'en parler et la nièce de conclure : "J'ai juste remarqué qu'elle était devenue insomniaque". En d'autres termes, l'ignominie de son expérience carcérale avait comme effet qu'il lui était impossible d'en formuler le moindre mot, mais d'en voir des flashbacks qui lui empêchaient de dormir.



Dans le même ordre d'idées ou plutôt de sentiments, il y a les Tutsi à qui le sommeil échappe à cause des messages atroces de haine qu'elles entendent toujours de l'infâme Radio Télévision Libre des Milles Collines (RTLM), qui de juillet 1993 à juillet 1994, a répandu systématiquement une propagande virulente contre les Tutsi et les Hutus modérés. En fait, une incitation au génocide avec des slogans tels "Tuez tous les cafards". Durant la tuerie, la RTLM, surnommée "Radio Machette" ou "RTLMort", indiquait où les "cancrelats" ou les Tutsi se cachaient avec comme "conseil" : "Remplissez les fosses" ! Le commandant des forces de l'ONU, le général canadien Roméo Dallaire, a proposé de bloquer l'émetteur, mais les États-Unis s'y sont opposés. Lire les mémoires de Dallaire "J'ai serré la main du diable : La faillite de l'humanité au Rwanda" (2004).

Parmi les condamnés pour planification du génocide figurait une femme, l'animatrice Valérie Bemeriki qui a eu perpète en 2009.



À la page 119, l'auteure fait dire à une de ses héroïnes : "Je crois que les seules disputes qu'il y ait jamais eues à la maison étaient dues à la radio". À sa fille, elle dit : "Tu n'as pas idée de ce que dit cette radio petite idiote ! Toi tu danses quand on veut te couper les jambes ?"



Parmi tant d'abomination, tout de même une phrase plus légère, en parlant d'une jeune fille férue de la mode : "Elle s'est fait éclaircir la peau avec des crèmes et des savons soi-disant parisiens - mais est-ce que les Parisiennes ne sont pas déjà blanches ?"

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Consolée

Je vais le dire je pense à chacun de ces livres, mais une histoire particulière s'est nouée entre cette auteure est moi. Je l'ai découverte par un recueil de nouvelles et j'ai depuis suivi son parcours, attendant chaque prochaine étape avec impatience. Nous voici à celle du deuxième roman, étape essentielle s'il en est, presque aussi importante que le premier. L'étape de la confirmation, de l'installation dans ce genre qui reste phare dans notre littérature, cette capacité à s'installer dans une histoire longue, à y emmener avec elle son lecteur.



Telle une championne olympique de littérature, Beata transforme l'essai (oui je sais c'est au rugby qui n'est pas olympique, mais l'auteure a fait sa vie en France à Bordeaux, donc le lien est aussi logique). Après la lecture de Tous tes enfants dispersés, je n'avais plus la crainte du passage à la forme longue. Ici, pour le coup, elle prend ses aises, gagne encore une centaine de pages sans en avoir l'air, conserve toute la force de sa phrase que j'aime dire complexe dans sa simplicité.Ce style contamine d'ailleurs heureusement ses thématiques, puisque d'un résumé qui pourrait paraître simple, abordant majoritairement les questions du métissage et de la migration, elle y mêle des passages essentiels sur la façon dont on traite nos ainés (précédant sans doute le scandale Orpea vu le temps que prend la rédaction d'un livre), sur la maladie d'Alzheimer, sur le burn out et la reconversion, sur le voile, sur le multilinguisme...



Alors que dans le premier roman on pouvait identifier assez aisément les parts autobiographiques, Beata brouille un peu les pistes, se diffusant au sein de son histoire en laissant prendre à ses personnages le premier plan, qu'il s'agisse d'Astrida la grand-mère isolée dans son EHPAD, de Ramata la Sénégalaise rêvant tellement d'intégration qu'elle s'en est désintégrée, de Consolée l'enfant métisse du Rwanda qui donne son titre au livre et sa conclusion à l'histoire. Comme dans le premier roman, la narration à plusieurs voix convient bien au style comme à l'histoire. On met du temps à comprendre le sens de l'enquête de Ramata auprès d'Astrida alors qu'on a l'impression d'avoir déjà tout compris en lecteur omniscient... mais les boîtes de photos cachent bien des secrets qui ne nous seront d'ailleurs révélés qu'à nous, parce que contrairement à ces personnages enfermés dans le petit monde qu'elle a créé, nous avons de notre côté l'insigne honneur de vivre dans le même monde que Mme Umubyeyi Mairesse (oui je reprend la solennité du nom de famille pour la fin).



J'espère fortement qu'elle me fera le plaisir de revenir à la Comédie du Livre en 2023 après son passage uniquement virtuel (cause COVID) à celle de 2021. J'ai quatre livres à faire dédicacer, des conversations rêvées sur le sens des prénoms et des noms de famille, sur la vie à Lille et à Bordeaux (deux villes que le hasard a mis sur nos deux routes) et surtout sur les émotions dans lesquelles son écriture me transporte à chaque lecture.
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Le convoi

[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE 2024]



Dans quatre brefs chapitres de présentation, Beata Umubyeyi Mairesse résume la trame narrative de son témoignage. Elle situe son histoire dans le temps et dans l'espace et explique les terribles circonstances de son départ du Rwanda. Elle expose ce qui l'a amenée à finalement écrire ce livre et tire les conclusions qui se sont imposées à elle. Elle développe ensuite chacun de ces points au fil de ses trouvailles et de ses réflexions dans quatre parties intitulées « Quatre photos  », « Le temps du témoignage », « Terre des hommes » et « L'heure de nous-mêmes ». Les doutes, les questions et les réticences qui l'habitent hantent la totalité de ce récit. Est-elle la personne appropriée pour nous raconter sa fuite du Rwanda ? Est-elle légitime avec sa peau de métisse, noire pour les Blancs, blanche pour les Noirs ? Peut-elle parler au nom de tous ? Peut-elle sortir de la fiction dans laquelle elle s'est réfugiée jusqu'à maintenant pour parler de ce traumatisme ? Elle a eu sa possession (elle racontera comment c'est arrivé) quatre photos du convoi du 18 juin 1994 dans lequel elle et sa mère se trouvaient. Que va-t-elle, que peut-elle faire de ces photos sur lesquelles elle n'a vue ni sa mère ni elle-même ? Elle commence alors une enquête pour tenter de retrouver les enfants qui paraissent sur les photos, mais se rend compte au fil des rencontres qu'il est plus facile de trouver de la documentation sur les sauveurs que sur les victimes… Comment redonner aux victimes la place qui leur est due ?

***

Le titre de ce document, le Convoi, rappelle forcément d'autres convois qui me viennent à l'esprit avant ceux du Rwanda. Je trouve que le choix de ce titre permet de sensibiliser le lecteur aux plus récents, ceux du Rwanda. Cependant, dans ce cas, le projet des organisateurs est tout autre : il s'agit de soustraire ces enfants aux mains des génocidaires ! Dès le début, l'autrice pointe d'autres responsabilités que celles des Hutus : « Personne ne veut entendre les rares voix qui rappellent que l'ethnicisation de la société rwandaise est une construction coloniale. Ils s'entretuent depuis la nuit des temps, n'est-ce pas » (p. 17). La chronologie présentée à la fin de l'ouvrage permet de retrouver et de situer les événements, du protectorat allemand (1897) à l'arrivée des Belges (1916) jusqu'à juillet 1994. Même dans la présentation de cette chronologie apparaît l'attitude de la France avant et pendant le génocide. Je vivais au Québec à cette époque, et je me souviens de la froide colère de Roméo Dallaire quand il parlait, en interview, des responsabilités de l'Occident dans ce massacre, tout en déplorant son impuissance à agir en tant que commandant de la MINUAR. Passionnant aussi le questionnement de l'autrice à propos des photos que les reporters prennent des victimes. Elle s'interroge sur leur droit à l'image, sur la violence de cette représentation, sur la conservation des ces témoignages visuels et sur la manière souvent désinvolte dont ils sont utilisés, classés, perdus, diffusés, etc. Comme souvent ceux qui écrivent sur leur propre passé, l'autrice s'interroge encore sur les pièges de la mémoire, la manière dont on transforme ses propres souvenirs, la méfiance qu'elle éprouve envers les interprétations a posteriori, celles des autres, bien sûr, mais, avec un grand souci de vérité, les siennes propres. Un document intéressant et nécessaire, à mon avis, parfois confus et souffrant de quelques redites.

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Consolée

1954. Ruanda-Urundi. Consolée, jeune métisse, est arrachée à sa mère à l'âge de sept ans. Elle est placée dans un orphelinat à Save, qui regroupe tous les mulâtres et mulâtresses du coin afin de les "civiliser".

2019. Quelque part dans le Sud-Ouest de la France. Ramata, cinquantenaire sénégalaise en pleine reconversion professionnelle, effectue un stage en art-thérapie dans un EHPAD, la résidence "Les Oiseaux". C'est là qu'une des pensionnaires, Astrida Papailiaki, attirera son attention : atteinte de la maladie d'Alzheimer, cette dame en a oublié son français et baragouine une langue que personne ne comprend. De fil en aiguille, Ramata finit par comprendre qu'elle n'a de belge et de grec que ses prénom et nom. Elle est en fait l'une de ses enfants métis qui ont été expatriés en Belgique à la veille de la décolonisation...



Beata Umubyeyi Mairesse, grâce à "Consolée", évoque un pan de l'Histoire encore trop peu connu de nos jours, celui des destins des enfants dits mulâtres ou mulâtresses, nés d'un père Blanc et d'une mère Noire, qu'on a arrachés à leur famille maternelle et réunis dans des "colonies scolaires pour enfants mulâtres", des orphelinats pour enfants qui ne sont pas orphelins... Rejetés par les Noirs car pas assez noirs, rejetés par les Blancs pour leur peau trop foncée, ces enfants n'ont leur place nulle part, ils dérangent. Rassemblés dans ces colonies, ils passent plus inaperçus... À la veille de la décolonisation, on ne sait qu'en faire, certains sont expatriés en Belgique, adoptés ou employés, en fonction de leur âge et de leurs savoir-faire.



Consolée, dont on est prévenu dès le départ qu'elle est un personnage fictif, fait partie de ces enfants. L'autrice nous conte son histoire, de la séparation d'avec sa mère et son grand-père à son arrivée dans cet EHPAD où elle se perd à petit feu. Sa vie, très mouvementée et souvent terrible, nous est pourtant racontée tout en douceur et sensibilité. La plume de l'autrice se veut poétique, enchanteresse, mélodieuse, à l'image des chants et vols des oiseaux que Consolée guette sur son banc en solitaire. J'ai été subjuguée et conquise immédiatement.



Le contexte historique (histoire du Rwanda/Burundi, décolonisation, génocide) est plutôt bien développé. L'autrice aborde également d'autres sujets tout aussi appétents, tels que l'appel à la main d'œuvre étrangère dans les années 1970, les difficultés d'intégration au sein d'une population qui ne les accepte guère, les difficultés qui se présentent aux générations suivantes, toujours considérées comme des immigrés et donc comme des étrangers. Elle évoque également le manque de personnels dans les EHPAD, le peu de temps accordé à chacun des pensionnaires, le manque de reconnaissance pour les uns comme pour les autres.



Quels que soient la période ou le lieu où se déroulent les événements, quel que soit le personnage auquel est consacré chacun des chapitres, tout est parfaitement bien emboîté.



Pas de suspense ici, on sait et comprend quasiment tout assez tôt. Mais il n'est aucunement utile pour nous tenir en haleine : le personnage de Consolée, qu'elle soit toute gamine ou bien plus âgée, est attendrissant, très attachant, et suffit à nous garder éveillés du début à la fin. L'histoire de Ramata, issue d'une famille d'immigrés sénégalais, est également intéressante.



Un roman merveilleusement bien écrit, percutant, bouleversant, captivant.



Un joli coup de cœur !

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Tous tes enfants dispersés

Blanche revient au Rwanda auprès de sa mère, Immaculata, et de son frère, Bosco, après avoir fui le pays au moment du génocide de 1994. Mariée à un Antillais, elle est à présent maman d'un petit garçon métis, Stokely. Au sein de la maison familiale de Butare, elle espère pouvoir enfin entendre la voix de cette mère si secrète. C'est une forme de dialogue silencieux qui se met en place, alternant les points de vue de Blanche, D'Immaculata et d'un narrateur omniscient qui pourrait figurer cette troisième génération qu'est Stokely. Sous une pudeur et avec une retenue trompeuse les deux femmes dévoilent leurs doutes et leurs douleurs, Immaculata tournée vers Bosco, ce fils qui n'est jamais vraiment revenu de la guerre et Blanche, fragile et maladroite devant le besoin d'identité de son propre fils.

L'incipit est tout simplement magnifique. Les mots ont été travaillés, les phrases ciselées, j'ai tout à coup entendu la pluie tomber sur la tôle des toits de Butare. Beaucoup de sujets de débats féministes actuels sont soulevés par Beata Umubyeyi Mairesse, et cela tout en délicatesse. En parallèle, l'horreur du génocide n'en est que plus prégnante et s'imprime littéralement dans nos esprits. Les métaphores utilisées par l'auteure sont enivrantes, oniriques presque.

Magnifique.
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Tous tes enfants dispersés

Comment trouver des mots - baume pour rafistoler l’histoire d’une famille meurtrie , à la mémoire si douloureuse?



Ou plus encore ,ce que lui lègue les déchirures d’un passé tapi en embuscade, un amour aux sentiments camouflés ,amour filial éclaboussé de secrets à travers le génocide des Tutsi ,au Rwanda , en 1994 ?



Comment réparer , recoudre l’inconcevable, l’inimaginable ?



Retrouvailles pulvérisées, retrouvailles de cœurs en lambeaux ......



Tout au long de ce premier roman magnifique qui porte la voix de trois générations : une mère: Immaculata qui n’a jamais quitté le pays aux mille collines et a toujours gardé le silence sur l’origine de ses deux enfants, une fille : Blanche, partie vivre à Bordeaux après avoir fui le génocide des Tusti de 1994, un petit- fils : Stokely l’auteure apprivoise les silences , le poids des non - dits destructeurs, les sources d’incompréhension , la lourde tension qui menace l’unité de cette famille profondément blessée., violence extrême , absurde, complexe entre Hutus et Tutsis , ravages des conflits guerre, , massacres , tourbillon de l’histoire rwandaise , atrocité ....



Ce récit polyphonique soulève avec des mots justes , forts, poétiques, le couvercle du chagrin.

L ’auteure offre une alternance de points de vue tout à fait intéressante , s’y ajoutent des thèmes puissants comme la question de la maternité, le courage des mères à travers des portraits touchants,——-une ode en fait à ces mères donneuses de vie——la filiation, le racisme et le colonialisme ——l’identité , les difficultés liées au métissage——-



Le tissage fragile de ces trois voix , superbe, intime, sensible, âpre , la langue importante qui peut blesser, diviser, éloigner , les silences lourds, la résilience , la révélation , la libération vont de pair avec ces liens intenses parfois violents entre les femmes de cette famille , : «  Une famille qui ne se parle pas est une famille qui meurt » ,la fin de l’ouvrage donne de l’espoir , heureusement , la vérité se trace un chemin à travers le dialogue entre une grand - mère et son petit fils....



Un livre à la beauté rare, douloureuse , dépaysante sans complaisance , ni misérabilisme.

Bouleversant , éblouissant , pétri d’humanité , sublimé par le style caressant , exotique , ( proverbes rwandais ) , parfois rude aussi .

Une pépite littéraire !

«  Vous êtes revenus vivants mais tout avait changé » .

«  Le chagrin ne tue pas , il abîme » .

«  Le silence est mon seul bouclier » .





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Consolée

Il est des rencontres aussi imprévisibles qu'inattendues mais qui ne pouvaient que se faire. Lorsque Ramata entre aux Oiseaux pour y effectuer un dernier stage en art-thérapie, métier qu'elle a choisi d'exercer après son burn out , sa vie est sur le point de basculer mais elle ne le sait pas encore.

Son regard est attiré par une femme esseulée, plus claire de peau qu'elle . Madame Astrida est une femme discrète, dont la mémoire a vacillé et qui s'exprime de plus en plus difficilement en français, ressort de son passé une langue que nul dans l'EPHAD ne comprend. Qui donc est cette femme? quel est son vécu? ..

En cherchant à mieux connaitre Astrida, Ramata va être amenée à affronter les non-dits enfouis de son arrivée en France, des regards que tous ont porté et portent encore sur elle, Petit à petit le voile se lève sur une enfant Consolée en 1954 , métisse , qui a été retirée à sa mère rwandaise , placée dans une institution religieuse à Save , ce sera ensuite la guerre , le rapatriement en Belgique..

Un roman puissant qui retrace les vies de ces deux femmes, des parcours à la fois similaires et différents, un roman qui touche, émeut, informe et offre à chacun matière à une réflexion salutaire et indispensable.

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Tous tes enfants dispersés

Excellent roman mêlant plusieurs thématiques, qui m'a touchée tant par la trame-drame du récit que par l'écriture de l'auteure, d'une grande délicatesse poétique.

Un grand oui à cette histoire qui nous fait revivre de l'intérieur la tragédie du génocide rwandais et les cicatrices indélibiles qui marquent le coeur de ce peuple résilient malgré tout. Un grand oui à ces personnages aux vécus lourds et douloureux, qui nous racontent leur coeur souffrant avec beaucoup de justesse et de retenue. Les liens familiaux, les héritages psychologiques, culturels, intimes, sont mis en mots avec pudeur et vérité.

Ce roman est le métissage de multiples sujets qui s'entremêlent les uns les autres de manière harmonieuse, chacun soutenant l'autre. J'ai l'image d'une belle tresse africaine, dense, épaisse, bien serrée, ornée de quelques perles colorées : une mêche de relations intergénérationnelles (relations mère-fille, mère-fils, grand-mère-petit-fils...), une mêche d'Histoire (le Génocide), une d'exil (en France, afin d'échapper à une mort probable), une énorme mêche de psychologie (culpabilité, remords, regrets, solitude,résilience, pardon,...), une plus culturelle (us et coutumes rwandais), le racisme (le sentiment d'exclusion ressenti par les métis, ni blancs ni noirs, se sentant exclus des deux communautés...), le retour aux origines, ...

Le seul petit point qui fait que l'ultime étoile reste grise est l'écriture. Quoi, me direz-vous, vous l'avez pourtant encensée il y a à peine quelques lignes!!! Oui, je ne me renie pas, j'ai adoré l'écriture de l'auteure, sensible, poétique, pudique... mais j'ai trouvé dommage que, faisant parler plusieurs personnages aux âges, cultures et âge très divers, elle utilise exactement le même langage, les mêmes formulations... ce qui est très crédible pour la grand-mère empreinte de la sagesse de l'âge, mais ne semble pas très naturel dans la bouche d'une jeune petit français pré-ado...

A lire le remue-coeur et l'ouverture culturelle et historique !
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Consolée

Ce livre de douleur soulève les questions d'exil et d'intégration.

Consolée finit sa vie dans une Ephad en perdant l'usage du français.

Ramata, l'art-thérapeute en formation qui la suit est intriguée par cette femme qui s'éteint peu à peu en marmonnant une langue étrangère peu connue.

Ramata décide donc de découvrir la biographie de cette vieille femme née au Rwanda et arrachée à sa famille en 1954.

Jeune fille, Consolée ne se préoccupait pas de son métissage . Mais les belges qui se retirent du Rwanda préfèrent éduquer ces enfants dont un des parents est blanc.

Ce sont donc des Soeurs qui feront la transition difficile et violente avant l'arrivée en Europe et les placements dans des familles d'accueil.

Consolée sera d'une part docile dans son adolescence mais avec l'âge adulte elle refuse cette enfance volée.

Si la mémoire flanche beaucoup, elle n'oublie pas pourtant son grand-père qui lui racontait des contes. Elle attend cet aïeul qui devrait se manifester par un milan, oiseau qu'elle voyait au Rwanda.

Grâce à ce roman émouvant, l'empathie s'accroit pour ces enfants de couleurs déracinés malgré eux.

J'ai apprécié découvrir le rôle d'art-thérapeute avec Ramata qui donne un éclairage sur une profession peu connu et qui pourtant ouvre des perspectives d'espoir auprès des malades d'Alzheimer.



Ce roman est une réussite car Beata Umubyeyi Mairesse a le mérite de détailler les aspects d'une maladie dégénérative et surtout de nous confronter à l'exil et la transmission pour trouver une identité et une place dans ce monde.

Un bon livre d'une jeunesse confisquée qui n'a pas droit à l'oubli.
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Tous tes enfants dispersés

Il est rare pour moi de suivre un écrivain dans sa progression. J'ai plutôt lu les écrivains quand ils étaient déjà renommés, et ne lisais ensuite leurs premiers romans qu'après avoir découvert leurs oeuvres majeures. Grâce à Babelio et à la Masse critique, j'ai pu découvrir Beata Umubyeyi Mairesse par son recueil de nouvelles Lézardes, qui m'a poussé à lire ensuite son premier recueil Ejo. J'ai pu ainsi découvrir une auteure au style précieux, qui a le talent d'exprimer le non-dit, le secret, les sous-entendus. Une écriture que j'aime à dire simple dans la complexité.



Lire son premier roman était donc une évidence, qu'un cadeau de mon épouse me permet de réaliser. Je m'y suis attelé, impatient de découvrir comment elle avait pu à la fois préserver et faire évoluer sa phrase dans un exercice au plus long cours.



Elle a tout d'abord eu l'intelligence de choisir un sujet autobiographique, car quand on affronte un exercice tel que le roman, il est plus simple de s'atteler au sujet que l'on connait le mieux. On sent que quelques détails différent de la vérité, on peut même en vérifier certains (Beata a fui le Rwanda à 15 ans, l'héroïne de son roman à 20). Elle nous permet ainsi de nous plonger dans l'imaginaire, tout en faisant de nombreux clins d'oeil à la réalité (dans l'analyse du nom kynarwandais de son personnage par exemple).



Ma plus grande attente (et donc forcément un peu crainte) était lié au style que j'avais adoré dans les nouvelles et que je souhaitais retrouver intact dans le roman. Là encore, l'auteure a su, en adoptant des chapitres "points de vue" où elle raconte l'histoire depuis le prisme d'un des trois personnages principaux - la grand-mère, la mère, le petit-fils - adapter sa narration pour préserver ses mots.



On retrouve donc cette danse autour du sens, qui utilise de nombreuses figures de style pour rendre l'innommable. Le roman est un peu construit en spirale, on ne fait qu'effleurer les sujets de loin au début, comme des endroits douloureux qu'il ne faut pas aller fouiller. La forme romanesque force l'auteure à finir par y aller plus en profondeur vers la fin, là où la nouvelle lui permettait de rester dans la suggestion. Mais on retrouve à chaque moment ces précautions, cette légèreté qu'elle a su diffuser dans ses précédentes oeuvres et qui restent pour moi sa marque de fabrique.



J'ai aimé aussi retrouver cette simple complexité dans les sujets abordés. En effet, du livre autobiographique d'une Rwandaise exilée, on serait tenté d'attendre un récit centré sur le génocide. L'auteure recadre son lecteur: la vie est bien plus complexe que cela. Toutes ces victimes du génocide ont eu une vie avant, et les rescapés ont une vie après, Ejo, (mot signifiant à la fois passé et futur en kinyarwanda) résume bien ce choix. Bien sûr que le génocide a tout bouleversé, mais rien n'était simple avant. Les sujets abordés sont donc multiples: la transmission, les rapports entre les générations, le racisme, l'identité, la recherche des origines pour mieux comprendre son histoire.



La simplicité est beaucoup plus complexe qu'on ne croit, la complexité finalement mieux retranscrite par la simplicité d'une phrase qui sait la saisir par des envolées poétiques qu'on ne sent pas arriver, et des retours à une dure réalité sans recherche de vengeance, sans animosité, avec simplement l'envie d'être un passeur de maux. Rien n'est totalement triste ou mauvais, comme la dispersion de ses enfants qui peuvent ainsi germer et donner de beaux fruits porteurs d'espoir.
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Tous tes enfants dispersés

«Retrouvailles de cœurs en lambeaux»



Dans ce beau premier roman de Beata Umubyeyi Mairesse une famille séparée par le génocide rwandais essaie de renouer les liens distendus au-delà des générations et des silences et d’oublier les fantômes qui la hante.



1997 à Butare, au sud du Rwanda. Blanche revient dans ce pays qu’elle a quitté trois ans plus tôt. C’est l’histoire de ses retrouvailles avec sa famille que nous raconte Beata Umubyeyi Mairesse dans ce premier roman à forte densité dramatique. Car les mots ne veulent plus sortir, les liens sont trop distendus. Car chacun combat d’abord ses propres fantômes.

Immaculata, la mère de Blanche, a perdu ses maris. Le père de Blanche est un ingénieur français qui a filé en métropole sans demander son reste, laissant son épouse et ses deux enfants – elle a aussi eu un fils avec Damascène, un Hutu qui est parti à Moscou – affronter les mois plus difficiles de son existence. Elle parviendra à confier sa fille à des expatriés évacués par l’armée belge tandis que son fils Bosco part au front pour défendre son pays. Durant trois mois, elle vivra terrée dans une librairie avant que son fils ne vienne la sortir de cet enfer.



En reconstituant le puzzle familial, on se rend bien compte combien leurs trajectoires différentes les ont éloignés les uns des autres. Tout tes enfants dispersés est bien le roman de l’incommunicabilité. De la mère avec ses enfants, du frère avec sa sœur, du petit-fils avec sa grand-mère. Même si l’on sent bien qu’une âme innocente comme l’est Stokely, peut être le premier à dépasser les non-dits, les peines intérieures, les rancœurs et les préjugés érigés au fil des ans. Stokely est le fils de Blanche et de Samora, un métis comme elle, rencontré à Bordeaux et avec lequel elle a eu envie de se construire une nouvelle vie.

Mais avant que l’enfant ne puisse s’exprimer et rendre la parole à sa grand-mère, il devra lui aussi franchir quelques obstacles. Né avec un frein de langue trop court, il devra être opéré. Baptisé par erreur Kunuma (qui se traduit par «se taire ou devenir muet»), il lui faudra devenir Kanuma («petite colombe») et apprendre le kinyarwanda pour s’ouvrir de nouveaux horizons.

Racontée à trois voix, cette histoire d’exil et d’oubli, de culpabilité et de pardon, de colonisation et d’accueil, de deuil et de naissance est aussi celle de femmes qui doivent apprendre à trouver leur voie – leur voix – dans un monde où les hommes entendent les soumettre, y compris en s’appropriant l’histoire et en la transformant. Bosco veut par exemple faire de sa sœur la complice des blancs chez qui elle habite désormais et dont le comportement durant le génocide fut loin d’être exemplaire.

Un thème que l’on retrouve dans le formidable roman de Yoan Smadja, J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi, et qui montre aussi combien les cicatrices sont difficiles à effacer, combien il est difficile de surmonter certains traumatismes.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Tous tes enfants dispersés

Ce livre m'a été conseillé par ma médiathèque, autrement je n'aurai jamais eu l'idée de le lire. Et je serai passée à côté d'un récit bouleversant et d'une grande beauté. Ce qui est assez paradoxal puisqu'il raconte la vie d'une famille rescapée du génocide rwandais. L'écriture est belle, jamais crue, jamais dans la description des atrocités vécues, mais avant tout dans l'émotion et dans la recherche de reconstruction et de vérité. C'est un livre bouleversant d'humanité. Je recommande fortement.
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Ejo

Ejo, en kinyarwanda, signifie à la fois hier et demain. Dans ce recueil de nouvelles, 10 au total, c'est exactement de ça qu'il s'agit: le génocide avant, et après.

Beata Umubyeyi Mairesse était là, au Rwanda, en 1994, lorsque tant de Tutsi ont été massacrés. Cachée dans une cave pendant trois mois , miraculeusement sauvée, elle a pu se réfugier en France et y continuer ses études.

Mais dans ce recueil, ce n'est pas d'elle qu'il s'agit, ou sans doute d'elle mais fragmentée, découpée en autant de portraits de rescapés: hommes ou femmes avant le génocide, ou revenant dans leur pays des années après tandis que d'autres y sont restés pour patiemment rechercher les ossements de leurs proches et les enterrer dignement.

Jamais Beata n'écrit directement l'horreur du génocide. Ses mots tournent autour, le frôlent dangereusement mais le contournent, trou béant, vide cauchemardesque omniprésent mais encore intouchable réellement. Bien sûr on devine, les blessures sont là, les mots crus, directs aussi, ces frères et soeurs découpés, les ossements déterrés par les corbeaux... une réalité horrifique, mais une réalité quand même.

Chacune des dix nouvelles sont comme des tableaux du Rwanda sur une vingtaine d'années, bruts tout en restant pudiques, révoltés, désespérés. Comment écrire sur une telle réalité? Beata Umubyeyi Mairesse y arrive pourtant d'une plume fine, intelligente mais sans concession.

Merci Babelio et La Cheminante -maison d'édition que je garde en mémoire - pour cette belle découverte. J'espère que Beata Umubyeyi Mairesse ne s'arrêtera pas là.
Lien : http://pourunmot.blogspot.fr..
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Consolée

Consolée qui deviendra Astrida d'un côté et Ramata de l'autre.

Deux femmes. Deux femmes fortes. Particularité commune : elles sont toutes deux nées ailleurs, en Afrique, et vivent en France.

La place dans ce roman entre ces deux femmes est équilibrée, sans doute l'auteure voulait montrer que si les choses avaient évolué, ce n'était pas encore suffisant quand on est femme et Noire.

Mais voilà, si j'ai été passionnée par l'histoire de Consolée/Astrida, j'ai été moins tentée par celle de Ramata. En fait j'ai eu l'impression que l'auteure voulait aborder trop de thèmes, les survolant trop.

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Avec Consolée/Astrida, on va découvrir la destinée des enfants métis dans le Rwanda des années 50. L'aberration qu'ils représentent dans la hiérarchie des races. Car on a beau être après la 2e Guerre Mondiale, cette idée demeure. Avec cette enfant on découvre sa vie auprès de son grand-père maternel, sa mère et sa cousine. Ces moments sont empreints de poésie et de douceur. Puis vient l'arrachement, ce moment effarant où ces enfants seront emmenés dans un orphelinat (alors qu'ils ont bien leurs parents en vie !) un établissement spécialisé dans les "mulâtres". J'aurais aimé m'attarder sur la vie de Consolée/Astrida.

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Avec Ramata on aborde le burn out, le racisme, la misogynie, l'intégration, les enfants de la 2e et 3e génération. Déjà beaucoup de thèmes en soi...

Ce personnage va croiser Consolée/Astrida, désormais une personnage âgée atteinte de la maladie d'Alzheimer.

Cette maladie va ramener Consolée à sa langue d'origine.

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Les histoires racontées sont intéressantes, mais j'aurais peut-être aimé en limiter le nombre pour m'attarder davantage sur la destinée de Consolée/Astrida.

Donc ce roman m'a plu puisque il m'a donné envie de lire un autre titre de l'auteure (les moments de Consolée petite fille sont si poétiques et presque magiques !) mais je garde en moi cette petite déception.....

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Tous tes enfants dispersés

Comment transmettre quand les mots n'existent pas pour raconter l'horreur ?



Immaculata qui s'est terrée dans une cave durant les 100 jours du génocide rwandais a réchappé à la barbarie où l'inventivité de l'homme n'avait pas de limites pour faire mourir son ennemi imaginaire de la plus atroce des façons. Immaculata n'est peut être pas morte sous les coups de machettes, n'a peut être pas subi la massue hérissée de picots, mais elle n'est plus vivante. Ceux qu'elle aimait ont tous été décimés.



Lui reste ses enfants. Bosco, à moitié Hutu et Tutsi, parti combattre... Et sa fille Blanche métissée d'un père français qu'elle a exilé en France peu avant, quand couvaient les prémices de la catastrophe.



Quand Blanche rentre au pays, elle tente de comprendre... Et elle deviendra une passeuse d'histoire malgré le mutisme de sa mère.



C'est tout en poésie et en suggestion que cette tragédie nous est contée. Elle laisse aussi deviner toute la complexité de la naissance de ce conflit soi-disant ethnique, dont les racines prennent naissance avec la racisation par les colons blancs, les responsabilités politiques belges et françaises et l'immobilisme de la communauté internationale.



Si vous avez aimé "Petit pays" (Gaël Faye), ce livre vous plaira certainement.

Quant à moi, il m'a donné envie de m'intéresser plus avant sur l'histoire de ce terrible génocide, alors que seulement quelques décennies au préalable le monde avait dit "plus jamais ça".
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Le convoi

Convoi humanitaire.



Beata Umubyeyi Mairesse a été sauvée avec sa mère, le 18 juin 1994 soit quelques semaines avant la fin du génocide des Tustsi au Rwanda, par un convoi humanitaire suisse.



Cette enquête commence simplement, des proches de Beata Umubeyi Mairesse les auraient vues, elle et sa mère, traverser la frontière entre le Rwanda et le Burundi sur la BBC. L’auteure va ainsi entrer en contact avec l’équipe de la BBC présente ce jour-là, treize ans après les faits. La quête de ces rushes va la pousser à mener l’enquête sur le convoi humanitaire suisse qui les a sauvées toutes les deux.



La première partie se concentre sur les premiers pas de Beata Umubeyi Mairesse dans son enquête. Elle fait également une réflexion intéressante sur le devoir de mémoire. Ainsi elle estime que témoigner peut permettre d’éveiller une conscience citoyenne chez les enfants, et les pousser à se questionner si une population particulière devait devenir bouc émissaire. Cela permettrait, peut-être, en cas de nouveau génocide, que des individus agissent contre.



La deuxième partie est le témoignage de Beata Umubeyi Mairesse durant le génocide en 1994. Ce témoignage est très instructif. Le lecteur ressent la peur au ventre de celle qui témoigne, les journées d’angoisse dans leurs différentes caches. Ces jours sont l’expression de la folie d’une partie de la population rwandaise. La majeure partie des Hutus considèrent normal d’exterminer les Tutsis. Ils parlent même de « travail ».



Les troisième et quatrième parties sont malheureusement en deçà. L’auteur mélange son enquête sur les organisateurs du convoi, avec les témoignages d’enfants en ayant bénéficié. Elle ajoute également sa recherche d’autres photos et le témoignage de journalistes ayant couvert le génocide. L’ensemble devient très confus. Enfin, elle conclut son enquête en questionnant le rôle des témoins et des victimes. Les occidentaux ont imposé leur propre vision du génocide, quand les victimes n’avait pas le droit à la parole.



Bref, un témoignage instructif même si la forme est parfois brouillonne.



Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE 2024.
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Le convoi

Le 18 juin 1994, après 3 mois de massacre des Tutsis par les Hutus et de terreur, Beata Umubyeyi Mairesse et sa mère ont eu la vie sauve grâce à un convoi de l'organisation humanitaire suisse Terre des Hommes qui les a emmenées de Butare à la frontière avec le Burundi. Elle avait 15 ans; sa mère et elle n'auraient pas du être acceptées dans ce convoi car il était réservé aux enfants de moins de 12 ans. Elle arrive dans le nord de la France, est scolarisée, est entourée d'affection et de soutien par sa famille d'accueil, se marie et a des enfants.

le titre de ce livre évoque, souvent, les heures sombres de la deuxième guerre mondiale et la déportation de Juifs vers la mort. Ici, le mot "convoi" se charge d'une image positive car il a transporté des enfants vers la vie.

L'auteure a suivi un long cheminement de trois décennies avant de pouvoir écrire le récit de ces mois d'horreur mais aussi de témoigner pour les autres enfants, pour saluer le courage de celles et ceux qui les ont aidées, sauvées. Elle a commencé par de la fiction avec des romans autour du génocide, puis elle a accepté de témoigner devant des lycéens de 15 ans à partir de 2016 et s'est lancée dans la quête d'une photo qui aurait été prise au moment de son passage de la frontière avec sa mère; son désir était de retrouver les autres enfants du convoi et leur faire parvenir les photos où on les voyait. Cette (en)quête a été semée d'embûches, d'obstacles, d'espoirs déçus mais riche de rencontres, d'échanges, d'amitié.

L'auteure s'interroge sur ce qu'est la responsabilité de témoigner sans trahir ceux qui ont subi le même drame, sans que son propre vécu oblitère la réalité, sans que ses mots soient mal perçus, mal interprétés.

Elle nous livre également une réflexion sur la place des photos prises par des étrangers, dont l'interprétation peut être faussée par le biais occidental. C'est, pour elle, ce qui s'est passé au Rwanda. Elle souligne le sentiment de dépossession que peuvent ressentir ceux qui ont été photographiés. Où s'arrête le droit à la propriété intellectuelle et où commence le droit à l'image alors que les enfants ont été photographiés et sont apparus dans les média occidentaux sans leur consentement? le regard de l'autre. le regard sur l'autre.

On sent que Beata Umubyeyi Mairesse choisit ses mots avec soin pour essayer de rendre compte d'une réalité dont elle est la porte-parole mais qui ne lui appartient pas. Le texte est sobre, précis, sans pathos mais puissant.

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...Sous l'influence coupable du Malaga, Mogrhabine et Gastibelza s'assoupirent devant le feu moribond, la braise virait à la cendre et la cendre volait au vent, la nuit était silencieuse des cigales de l'après-midi...lorsqu'il vit le pain et le Niolo tombés de la besace de l'homme à la carabine, Victor Hugo songea avec nostalgie à Esmeralda et Quasimodo prisonniers du cri des gargouilles de Notre Dame de Paris...une larme se forma sous la paupière de son oeil gauche...

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