Citations de Belinda Cannone (348)
Adulte, il m'est vite apparu qu'un homme aimable, pour moi, était en premier lieu un -interlocuteur-, au sens fort: quelqu'un avec qui parler. (p. 36)
Aujourd'hui, ma soeur m'envoie un mot pour me rappeler que c'est l'anniversaire de notre père, ajoutant : " Et de Jules Verne. ça ne m'étonne
pas ! " Il était de ceux qui imaginent d'autres mondes et qui appartiennent à la charmante tribu des fadas : ceux que visitent les fées. (p. 46)
La curiosité est le mouvement qui ouvre l'oeil dans ce sentiment voisin de l'émerveillement, l'étonnement. (...)
Alors, soudain, plus rien n'est banal, ou plutôt si, tout est banal et pourtant, parce que regardé intensément d'un regard d'attention forcée (...), le monde acquiert une présence considérable (...) ( p. 111)
Malgré la primauté que j'accorde à la nature, je reconnais que les grands ouvrages d'architecture suscitent en moi de l'émerveillement, comme par exemple celui que provoquent immanquablement le mont Saint-Michel, qui semble avoir été inventé dans un autre monde que le nôtre, le château de Chambord ou le musée de Guggenheim de Bilbao, qui se présentent comme des accumulations de surprises visuelles dont l'ensemble dispense une impression de grâce générale. (p. 42)
Dans -Le Don du passeur-, j'ai raconté comment, dans mon enfance, mon père n'avait cessé d'attirer mon attention sur la beauté de l'univers. "Regarde ! Regarde ! ", cette invitation qui monte aux lèvres devant le spectacle émerveillant, je crois qu'elle était continûment sienne- au coeur de ce qu'il considérait comme son devoir de pédagogue. C'est ainsi qu'il m'a appris la vigilance, que je tiens pour la définition même de l'attitude poétique: une attention aigüe au réel. (p. 13)
Le doué, même troisième ou quatrième quand il n'a pas fait d'efforts, sera toujours plus élégant que le méritant.
C'est évident le langage est un trou par où circulera le sens. Car dans tous les cas ce sont bien les trous de la langue qui permettent au sens (un filet de sens) de se répandre, respirer...
Enfin, vous vous approchez. Grands bouleversements dans le corps-esprit. « Tu me plais, c’est un évènement. » Un doigt sur le bras, une main sur l’épaule encore vêtue, des frôlements… comment s’unir à ce corps, quelle place y trouver ? ce torse t’accueillera-t-il ? Sera-t-il assez vaste ? et ces lèvres perdues entre nez et menton, comment les embrasser ? Impression qu’il faut apprendre une géographie pour se « localiser » dans le nouveau corps.
Car il s’est agrandi à la taille d’un univers miniature, plein de promesses, d’endroits secrets, lieu de pratiques multiples et toutes enchantées – jamais assez de temps et de force pour l’explorer suffisamment, il te donne un pressentiment de l’infini. Vous vous quitterez repus et pourtant pleins d’un désir intact. Vous venez à peine de commencer à vous étreindre.
Désir et mélancolie : comme le recto et le verso d’une feuille, inséparables.
Le pianiste occasionnel est-il forcément plus inspiré, plus émouvant que le musicien accompli? Au contraire, c’est une fois son art maîtrisé qu’il peut oublier la technique et improviser, inventer, donner libre cours à ses sentiments.
Le travail tient l'émotion en respect.
« Quel intérêt à mettre à nu l’être profond d’un écrivain plutôt moyen ? lorsque je le suis pas à pas dans Petropolis, je pense que seule compte sa trajectoire. Parce qu’elle aboutit le 22 février 1942 à la mort volontaire. Alors la courbe qui l’emporte vers cette fin mérite d’être auscultée. »
Je peux donc à présent répondre à une question posée à l'orée de ce livre, celle des œuvres comme consolation. Non. Les œuvres, en nous donnant l'occasion de ressaisir le monde, nous permettent d'y exercer une forme de liberté.
Et depuis, vois : on met à mal le Code du travail et on dit « réforme, acceptez les réformes », on fait passer une loi en force et on dit aux manifestants « vous ne voulez pas dialoguer », et partout, ici comme dans le monde, l’opinion commune déclare que les Français seraient cramponnés à leurs acquis et réfractaires au changement. Mais pourquoi accepterait-on un changement qui ne signifie en réalité qu’adaptation a un monde qui se précipite vers l’avant pour le seul bénéfice des privilégiés? Adaptation qui passe par un recul en matière sociale.
On accède à l'émerveillement non en raison de la nature merveilleuse du spectacle mais grâce à un état d'être favorable, ou, autrement dit, s'émerveiller résulte d'une procédure alchimique dont le principe se trouve dans le regardeur et qui permet de révéler une dimension secrète des choses.
S'émerveiller réclame non seulement de vivre dans l'instant mais aussi dans la lenteur. " Dans le tourbillon vertigineux de la vie courante, où ils n'ont plus qu'un usage entièrement pratique, les noms ont perdu toute couleur comme une toupie prismatique qui tourne trop vite et qui semble grise", note Proust dans "le côté de Guermantes". La lenteur : ralentir pour que la toupie manifeste ses couleurs. Le réel est beaucoup plus généreux que ne l'imagine la personne pressée.
s'émerveiller résulte d'un mouvent intime, d'une disposition intérieure par lesquels le paysage à ma fenêtre ou l'homme devant moi deviennent des évènements. L'événement survient au présent pure, dans une épiphanie. Alors je ne me projette plus dans un avenir rêvé, ni ne m'abandonne, mélancolique, à la contemplation du chimérique passé : je suis entièrement requise ici et maintenant. Savoir se rendre disponible à ces évènements qui émerveillent est une voie vers le bonheur, dans la mesure où la vie heureuse est celle vécue au présent.
Toi aussi, encore tiraillée entre les deux conceptions de l’amour, tu comprends intimement l’Adolphe de Benjamin Constant lorsqu’il déclare : « Malheur à l’homme qui, dans les premiers moments d’une liaison d’amour, ne croit pas que cette liaison doit être éternelle ! Malheur à qui, dans les bras de la maîtresse qu’il vient d’obtenir, conserve une funeste prescience, et prévoit qu’il pourra s’en détacher ! » Si intensité est le maître mot de l’amour, comment conjuguer ce savoir (l’intensité tombera) et la joie du désir à l’époque de l’amour vif ?
Toi, tu imagines que demain nous ferons couple autrement, dans un engagement provisoire, admettant qu’une séparation n’est pas un échec et que vivre plusieurs liens au long de son existence est une respiration naturelle de la vie amoureuse. Peut-être même perdrons-nous l’habitude de vivre obligatoirement sous le même toit, adoptant des modes de vie plus souples, plus inventifs… Qui sait ? Alors amour et désir charnel ne feront qu’un… plusieurs fois.
Tu lui écris « Je te pense », formule sans légitimité grammaticale, mais « Je pense à toi » marque trop de distance ; or tu es si pleine de lui (lui : parfum en toi, musique secrète, teinte de l’air) qu’il te faut une expression capable de restituer le fait qu’il est lové en toi. D’où le raccourci. Aussi : il te semble y entendre une appropriation (je te prends en moi), et une suggestion érotique (comme je me délecte de toi, même en ton absence…)