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Citations de Bernard Noël (282)


Quand l'ampleur du paysage donne l'impression d'aller à perte de vue, le regard éprouve l'infini...
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Qu'ont de si attractif ces paysages? Ils ont pour eux de susciter une si forte adhésion à leur espace que cet espace, un instant, nous devient intérieur.
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Là où furent l'enfance et le premier regard, il ne reste rien qu'un vivant encore vivant.
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Bien sûr, l'origine est en nous un pays perdu, mais ce pays a son lieu particulier, qui reste repérable à partir de quelques jalons.
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– Que cherchez-vous ?
– Je voudrais pouvoir vous le dire sans mots.
– Comme on oublie ?
– Oui, comme parle l’oubli.
     

Je suis immobile. Un merle approche, me regarde, picore quelques miettes, puis se retire, très lentement. L’espace qu’il a d’abord rétréci, qu’il approfondit maintenant à mesure qu’il s’éloigne, cet espace est greffé à un autre, en moi : un volume d’attente, qui est aussi la confiance de l’oiseau. L’attente est une écoute : je suis tout prêt d’entendre une langue oubliée…Tout à coup, des mots, et, distinctement :
     
– J’ai perdu l’alphabet.
     
Une à une, j’entends les lettres dégringoler dans un lointain qui… Mais non, je m’aperçois que je suis toujours immobile, et que les mots, les bruits, sont un écho…Je me mets à écrire tout cela, en pensant remonter de l’écho à l’origine, mais il n’y a qu’un grand vide scintillant…et ma main, et mon désir, et mon ouverture à… à un espace vers lequel les mots devraient me porter, alors qu’ils n’en sont plus que l’oubli constaté…
     
L’oubli est la maison des dieux.
La mémoire est liée à la volonté ; l’oubli au seul regard, au regard pur. …
La mémoire s’éloigne de l’expérience, et déjà elle l’imagine…On ne crée pas avec la mémoire mais avec l’oubli.
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La vue n'est pas seulement un sens, qui aurait pour unique fonction de nous informer des choses environnantes, elle accumule aussi en nous une mémoire visuelle inséparable de notre langage, de nos souvenirs et de notre pensée.
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Bernard Noël
La vue



la vue plie dehors sur dedans

île de nuage et de bulle
à l’intérieur ce pli de rien

le toi s’y replie sur l’autre
même toi que toi tout en rien

le corps s’apprend par le désir
les yeux le perdent là fixé

toujours l’âme s’empaille
de quelque regard d’ange
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Bernard Noël
Artaud est désormais le grand consumé qui, loin de sortir de sa consumation, en fait sa langue.
Il est, dit-il, celui qui parle la langue de son propre incendie.
Il brûle, et il se sert de sa brûlure pour en traduire l'état et, par cet état, intensifier son humanité. Il est le spectateur de sa chair en proie aux flammes, un spectateur non distant et cependant assez distant pour voir cela de haut, sur sa propre flamme dansant, tandis que sa main trace dans un seul mouvement l'acte qui brûle et la vision qui alimente le feu.
Sa main trace le diagramme verbal de cette double occupation, elle n'écrit pas, elle enregistre le phénomène à sa vitesse. Elle n'inscrit pas du lisible, mais du vif, et à l'instant, et en l'état, et tel quel surgi, et criant.
La graphie des cahiers est l'empreinte même de la vivacité d'Artaud vivant son incendie. Ils ne pouvaient donc qu'être ainsi "écrits" -- dans cette écriture qui obéit aux pulsions et non à la calligraphie. Le sens est dans le mouvement avant d'être dans les articulations de la phrase.
Comparez cela à des volumes édités : l masse d'écriture est devenue des textes clairement établis, avec un appareil considérable de notes. L'illisible est devenu lisible. Est-ce une trahison ?
La sauvagerie a seulement changé d'apparence pour répondre à la nécessité qui veut qu'un livre soit un livre, avec un format, des pages assemblées, un empilement de lignes sur chacune. D'ailleurs, dès les premiers mots, un cri monte, intact, brutal, haletant. Loin d'avoir été atténué, domestiqué, normalisé par le livre, il est encore plus nu dans notre tête du fait qu'il s'arrête moins dans nos yeux. Il n'est plus graphique et par conséquent particulier, il est textuel et mental, autrement dit accessible à tous.
Artaud est là avec une violence à jamais revenante, un corps à jamais imposthume.
Imposthumable !
Artaud le Mômo qui râpe à mort le rhume où s'enroue l'être.
Que s'est-il passé ?
C'est la question que nous devons nous poser sous peine de n'être que de mortifères consommateurs de mots.
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Bernard Noël
La machine qui est l'organe du progrès aurait pu être un instrument de libération. Beaucoup l'ont cru tout au long du XIXe siècle, mais un choix différent a été fait pour l'humanité. Le choix du profit. 
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Chaque chose peinte est faite d'une image et d'un espace. L'image n'a besoin que de rappeler son origine ; l'espace, lui, porte la réflexion. Et par là même, il est le jamais vu dans lequel le peintre plonge le déjà vu, qui est le matériau de son travail. Figurer consiste à croiser le déjà vu et le jamais vu de telle sorte que ce dernier nous ouvre les yeux.
Il s'agit de déranger le fonctionnement mécanique du regard pour qu'il voit enfin ce qui d'ordinaire lui échappe. Un arbre reste un arbre, et même un visage un visage : la seule chose qui puisse les changer en eux-mêmes dans nos yeux, c'est le surgissement à l'intérieur de leur image, et donc du regard, d'une relation qui modifie la consistance de la vue. (p. 106)
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la forme va sur le temps c'est une arche
faite en perpétuel présent
elle ne sais pas qui vit qui meurt
(Floraison)
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PUEBLA
la cathédrale est fermée sa cour aussi
Dieu fait grève enfin pour la première fois
l'histoire aligne façades fatiguées
pavés de pierre noire et murs couturés
le durable est une sauce au chocolat
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Le poème
sème dans le langage la même folie
comment aurais-pu le penser ailleurs
il veut que sa clarté soit assez sauvage
pour déchirer le cœur et la peau des yeux.
(Le passant de l'Athos)
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J’ai vu remuer ses lèvres, et qu’il hésitait : Tu es une tueuse d’amour, a-t-il fini par dire. Je le sais, j’ai dit, je n’ai pas un tempérament suédois !
Je n’aurais pas dû lui jeter ce reste de jalousie.
Je me suis aperçue, pendant que Roberto me tournait le dos et s’en allait, que j’avais encore au cœur un peu de cette ordure.
J’ai failli crier à Roberto : Reviens, je n’ai voulu blesser que moi-même parce que ta vue égratignait la vieille plaie. Je me suis rappelé sa susceptibilité, les explications interminables qui ne changent rien.
Je venais de tirer le dernier pus de la blessure.
J’ai senti se lever le vent, et il passait doucement sur ma mémoire. Je me suis souvenue d’une image – peut-être avait-elle glissé de mes lèvres autrefois sur quelque scène – qui comparait les larmes et la rosée. J’en ai recueilli la fraîcheur en pensant que les souvenirs sont les nuages d’un espace intérieur, qui n’est pas céleste, mais comment désigner la qualité de ce qui possède une voûte et cependant reste sans fond ?
Je suis entrée dans cet espace, et j’y étais bien à regarder passer là-haut les ombres de ma vie.
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Tombeau de Lunven



11

dans quel avant demeurent les images
ce qu’elles représentent est leur présent
l’acte inscrit est à jamais immobile
la violence y est sans réalité
mais le regard recharge l’explosion
en repoussant qu’elle est imaginaire
alors fermer les yeux et méditer
son visage apparaît puis disparaît
et le trottoir qui va le fracasser
le temps n’a rien calmé dès que la tête
tente encore d’apercevoir la chute
une illusion est toujours au travail
non pas question de renverser le temps
la chose en cours ne trouve pas de mots
il doit s’agir de partager ta fin
pour que l’empreinte en couvre tout le reste
et ne laisse en vue que le nerf amical
image et souvenir sont incomplets
la main et le sourire ont disparu
la voix aussi qui pénétrait le corps
même admirée l’œuvre ne suffit pas
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Tombeau de Lunven



10

ce trou dans le dos ces flancs déchirés
ces masses sanieuses pleines de sang
le bassin broyé par je ne sais quoi
on sent que souffle ici une épouvante
mais à qui ce corps noyé dans l’espace
il fut jeté là après le supplice
vague espoir de découvrir par ici
l’acte risqué d’une conjuration
mais rien ne peut changer l’irréversible
et ta mort en est la confirmation
son manque garde en vie le disparu
il respire de me couper le souffle
il est là soudain de n’être plus là
brusque violence et seulement intime
pas même alors une image présente
pourtant quelque chose est venu en tête
a serré la gorge et saisi le cœur
puis tout se retire à perte de souffle
comme lentement arraché au corps
le visiteur reste dans les parages
puis s’écarte comme on ferme les yeux
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Tombeau de Lunven



9

quelle intention derrière ce tableau
pas souvenir d’un sourire ironique
quand tu me fis tout à coup ce cadeau
il ne ressemblait à aucun autre
ce que je fis peut-être remarquer
pas sûr que je l’ai vraiment regardé
ni ce soir-là ni les années suivantes
je redoutais son explosion charnelle
dans un flou de formes et de couleurs
je savais sans savoir que je savais
j’évitais ces poumons mis en panache
ce tas de tripaille jailli du ventre
le trou creusé au profond de la cuisse
les bras les mains noyés dans un magma
le profil dirait-on fut écrasé
tête plantée sur désastre organique
mon regard a peur de ses découvertes
il avance recule et se détourne
craignant d’apercevoir l’image vraie
celle qui fut ici vécue d’avance
dans le présent sans bords de la vision
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Tombeau de Lunven



8

la mort a fait de toi un tas informe
une atroce bouillie sur un trottoir
je n’ai rien vu et ne cesse de voir
un an jour pour jour après Unica
je ne sais combien après Réquichot
dont tu admirais l’œuvre et la conduite
ni combien avant Deleuze et Vuarnet
ces noms triste couronne mortuaire
non pour bâtir macabre compagnie
mais pour recouvrir la chose sanglante
qui toujours fermement dans ma pensée
il faudrait que le nom soit comme un os
un fétiche suspendu dans la tête
et non ce clou qui met à vif la plaie
avec des défécations de douleur
la vue du cercueil n’a rien apaisé
il dissimulait l’état du cadavre
tel qu’apprêté pour le dernier voyage
le voir aurait pu tuer les images
de chairs broyées ou mâchées par le choc
de cerveau coulant du crâne cassé
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Tombeau de Lunven



7

comment cesser de voir ce qu’on a vu
la peau qui s’affaisse la chair qui coule
souvent cela nous occupe la tête
était-ce dans un livre ou dans un film
on distingue bien la peau du cadavre
les grosses gouttes la sueur de sang
nul ne t’a vu plonger de ta fenêtre
pas de témoin pas de choc partagé
aucun de tes amis n’aime en parler
ils ont tous peur de ton mauvais exemple
qui d’entre nous alla te reconnaître
personne ici n’a envie de savoir
nous craignons tous une image précise
car il faudrait avaler son abîme
sauter en dehors puis tomber dedans
de nos illusions il ne reste rien
l’air de nos pensées s’en va en fumée
les mots tombent derrière ce rideau
ils ont fini de branler dans nos bouches
trop cariés pour être réparés
après avoir mâché du souvenir
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Tombeau de Lunven



6

as-tu économisé l’agonie
on a dit de toi tué sur le coup
ce cou qui tue et que n’exprime pas
l’éclair intérieur qui ferait la somme
à quoi bon vouloir penser l’impensable
pourrait-il au moins dévier la perte
chasser un peu les images mauvaises
celle surtout du crâne qui éclate
celle du corps devenu tas sanglant
toujours cela fait la scie dans la tête
tantôt comme pour repousser l’horreur
tantôt pour en exciter la présence
je vois monter une fumée pensive
elle cherche à noyer l’ultime image
celle qui n’existe pas mais le voudrait
la dernière telle qu’on l’imagine
dans le désir d’être là jusqu’au bout
tout cela n’est que pauvre excitation
avant le retrait dans la solitude
les amis parfois portent le cercueil
nul ne les invite à creuser la tombe
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