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Citations de Bernard Noël (282)


LES ETATS DE L'AIR
nous n'avons que la vue
les parois de vent
ce vide est le pays

ici la profondeur renverse
le regard sur soi
elle nous fait sauter dans nos yeux

toujours le va-et-vient
le vu et le non-vu
la greffe du pas-là
sur ce qui est là

tant de passages
en nous-même s'ouvrant
en nous-même passant
et l'œil à travers
s'enroule au bâti d'air

chaque chose se tient dans ce qu'elle est
plus de centre
mais du central

tout le corps voit
et la feuille est derrière la vue
comme le dos derrière soi

un chemin d'air
semé de cailloux d'encre
et la porte dedans
la porte qui s'en va

miroir vous êtes
notre tête au-delà
on y rentre chez soi
par la pupille
cette petite lune noire

au ciel de papier
une part d'air
page pour battements
quand la pensée s'envole

buée de traces
buée parmi laquelle
chacun retourne vers le tout

les écailles limpides
le dessous planté d'os
puis l'obscur

partout du seuil
et le même partir
l'étonnement suffit
rien n'arrête l'ouvert
sauf sa propre surface

chaque limite appelle
le regard s'y dépasse
la tête est ce là-bas
où elle le rejoint

alors dans l'œil ailé
le corps se voit venir
où le mental s'aère

mais voici l'Autre en Vous en Lui
la rencontre affrontée
le doublement du monde
un philtre d'air
l'in-fini

et ce mur de rien
où la langue s'entête
puis se noie dans les yeux
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comprendre c'est décréer
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– l'art ne serait-il pas, opérativement,
le lieu charnière entre l'objet et le sujet,
entre la matière et l'imagination, l'un
à l'autre s'y nouant, l'un sur l'autre
réagissant?
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lumière la clarté du monde
s'écrit dans l'épais de la chair
mais les hommes ne sont
que l'envers de leur ombre
et ils ne veulent pas être ce qu'ils sont
parfois ce que je fais ressemble au buisson d'Abraham
parfois l'écriture est un cri muet
la langue un vieux charbon
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De ce fait, la poésie est le foyer de la résistance de la langue vivante contre la langue consommée, réduite, univoque. La poésie est cette vitalité de la langue sans avoir besoin de l'affirmer : elle l'est naturellement, en elle-même, par sa situation, car elle est sans cesse réactivée par ce qui l'anime, et qui est source, qui est originel.
L'avenir de la poésie est d'être source d'avenir parce qu'elle est un perpétuel commencement.

(extrait de "Où va la poésie ?") - p.142
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Bernard Noël
Cela remonte à une vingtaine d’années et la captation mentale a fait depuis beaucoup de progrès avec la mise à la disposition de tous d’un appareil portable, qui cumule les capacités de communication en donnant accès à la fois à Internet, aux chaînes de télévision, aux réseaux sociaux et au réseau téléphonique. Chacun a désormais son smartphone et il suffit d’emprunter les transports publics pour constater que leur utilisation ne cesse guère d’occuper une bonne partie des voyageurs. Bien des parents se plaignent que leurs enfants n’ont plus d’échange avec leurs camarades qu’avec cet appareil. Cette addiction est évidemment inquiétante car elle touche une bonne partie de la population, mais son pire effet tient sans doute à ce que le smartphone donne réponse à tout grâce à sa liaison avec Internet et que l’utilisateur finit par s’en attribuer le mérite, donc la pensée. Le smartphone finit alors par devenir un organe, qui annonce des connexions toujours plus intimes qu’on commence déjà à greffer sur le corps : elles rendront l’individu de plus en plus dépendant, manipulé, soumis. Tout cela est le résumé sommaire d’une situation qui installe un contrôle généralisé grâce à des appareils séduisants et non par la contrainte, tout en développant une police dotée de forts moyens de répression.
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"[...] Même le poème n'est pas définitif. C'est la différence avec autrefois. Quand il y a du récit, il y a du trajet définitif. Mais la fragmentation du poème chasse cette linéarité, ce fléchage temporel. Nous revoilà dans l'interminable, qui peut aussi s'écrire l'in-fini, et il invite chaque lecteur à défaire et à refaire. Si on impose un centre, on exclut le lecteur de son rôle.
On exclut la possibilité d'autres sens, d'autres lectures. Et le lecteur de sa capacité créatrice. C'est la chance du poème de pouvoir être lu, réinterprété."

(extrait de "L'impensable et l'insensé") - p. 34
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1
extrait 12

Au commencement, l’œil visita la moelle, et je naquis.
Un sexe émergea à l’opposé de l’œil pour regarder le
temps, et lentement, la moelle fila une pelote de nerfs
autour de laquelle les heures vinrent s’égoutter. Ce fut
le ventre. L’eau eut alors soif de se saisir, et elle
condensa la peau. Le mou engendra son contraire, et
l’os parut. Il y eut un dedans et il y eut un dehors, mais
le dedans contenait son propre dehors qui disait moi
pendant qu’il disait je. L’œil les mit au noir et se tourna
vers le dehors dehors. J’eus un visage, un volume, un
corps. Je fus un plein, qui allait toujours de l’avant.
Mais voici que mon œil s’est inverti. Maintenant, je
vois derrière, maintenant je suis creux, et mon corps est
à recommencer.
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1
extrait 11

Le coccyx est atteint avec l’habituelle déperdition
du regard dans le ventre, mais les vertèbres, tout à
coup, ne me fournissent plus ce canal parfaitement
rond, où la perception voyageait instantanément. Je
ne localise que des périphéries, des arêtes, des
rebords                      toujours un affaissement interne,
une sorte de cratère millénaire                                 et
partout une chute sans fin, une chute autour de
laquelle vivent ou survivent les organes, mis en sac par
la peau                                                     Rien qu’un reste,
à partir duquel le corps peut toujours recommencer, où
se détruire                                                             Mais
j’ai peur. Je fume de l’habitude. Je repeins ma peau. Je
mets les femmes dans mon œil.                          Femme
continuelle ou femme nouvelle, l’une pour anesthé-
sier la sensation de la chute, l’autre pour provoquer
cette expiration, qui est la remontée du vide dans la
gorge          et l’espérance du crachat               du crachat
libérateur                                        Pourtant, il ne s’agit
pas d’expulser le vide, mais de le traverser dans le corps.
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1
extrait 10

L’équilibre se rompt quelque part dans le trajet des
nerfs. Le désordre gagne si vite, que je ne peux déjà
plus savoir où il a commencé. Une bulle monte. Il y
a un court-circuit à la pointe du cœur, puis le vide se
gonfle – un vide où pend mon estomac douloureux. La
partie inférieure de mon estomac. L’autre est venue se
plaquer sous mes épaules. On dirait qu’une pyramide
blanche s’est renversée sur mon ventre pour l’empaler.
La gorge durcit. Elle s’énerve à hauteur de la luette, et
il y a dans tout le corps un grand reflux. Une sorte de
panique, qui accumule sous les épaules une espèce
d’étouffement. Par réaction, peut-être, la moelle épi-
nière redevient un rayon lumineux, qui fascine mon œil.
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1
extrait 9

Ma bouche est cette concavité paisible, environnée de
voies complexes. A volonté étanche, elle est en soi le
seul espace creux par lequel l’étranger peut venir
m’habiter et me traverser. Elle est la porte d’une par-
tie du corps. Le nez, par contre, ouvre et ferme un cycle
de chemins. Il me manquait d’avoir dissocié ce qui, en
moi, dépend de la bouche et ce qui dépend du nez.
J’avais oublié que tout, pourtant, avait commencé là :
par la perception dédoublée d’un courant d’air.
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1
extrait 8

Cette blancheur qui, parfois, fuse de ma moelle est une
arme semblable au rire. Elle gèle ce qui pourrait
m’attendrir. Pas de sentiment. Rien que les pulsations
rapides de la transparence où, par à-coups, saigne le
cœur. Le volume, débarrassé de muscles, est pur. Les
os s’alignent sur mes flancs comme des signaux de
silice. Les articulations ont été calées, colmatées. Je
suis droit. Là-haut, ma langue bat au vent.
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1
extrait 7

Une mentonnière de douleur Paralysie partout. Le nez
bruisse. Lourdeur soudaine des testicules sous le sexe.
Remous. Circonvolutions. Vide. Vide. La voûte des
épaules éclaire l’érosion interne. Tout coule en moi
comme à travers le col d’un sablier. Aucun geste n’est
pensable : ils iraient se geler sur la peau ou multiplier
le sable de la chute. Vide. Vide. Loess de chair. Mais
les traces ? Où sont les traces ? Tout l’inconnu ne peut
pas baver continuellement en moi sans laisser une trace.
Et puisque tout le problème, maintenant, est de me baver
moi-même en moi jusqu’à condensation de la stalactite
interne autant suivre cette trace. De qui ? De quoi ?
Qu’est-ce que moi et l’autre et l’autre ? La peau, certes,
et les organes amarrés, les nerfs, les os. L’organisation.
Le poids du soleil retient la terre dont le poids retient La
bouche ne veut pas se retrousser jusqu’à l’anus. L’œil
ne veut pas se glisser dans le sexe, alors chacun tente
l’impossible pour jouir indépendamment et ne pas
regarder le vide.          À l’intérieur, la chute continue
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1
extrait 6

Il y a des perceptions à nerfs, à squelette et à chair.
J’avance de l’une à l’autre, comme à travers les bandes
d’un spectre. Il arrive aussi qu’une perception s’immo-
bilise tout au long du corps, à partir des yeux. Elle est
alors ce chemin de corpuscules que traversent mes os,
ma chair, que rayent mes nerfs. Plus souvent, elle est
comme une fibre tendue dans la fibre d’un nerf. Cela
se produit surtout dans la moelle épinière, où débute
d’ailleurs tout ce qui a trait au ventre. La part la plus
inaccessible de moi demeure la poitrine. La texture des
poumons, il y a même, entre l’aisselle droite et le foie,
un espace qui ressemble à un désert. C’est une sorte
de trou convexe par rapport au reste du corps. Quelque
chose comme le siège du froid installé à proximité de
la chaleur vive des organes.
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extrait 5

Quelquefois, la chair du thorax s’évapore. Je voudrais
croire qu’elle a glissé dans le ventre, mais les mains
refusent d’aller voir. Ou plutôt, je passe mon temps à
chercher mes mains avec le sentiment d’une urgence
douloureuse, comme si quelqu’un allait profiter que
me voici à découvert. Plus tard, avec une lenteur horrible,
la plèvre sécrète une bouillie calcaire, qui va boucher
les interstices entre les côtes. La colonne vertébrale,
alors, se détache le long de l’édifice comme une
cheminée. Et c’est mon dos que je vois : masse
blanchâtre où se désagrègent des cristaux de salpêtre.
J’essaie d’en rire, mais rien ne vient de l’intérieur. La
coquille s’est vidée.
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extrait 4

L’os blanchit, et le visage s’affaisse sur le crâne troué.
Des nerfs vibrent sur des arêtes d’os. Paupières closes,
l’œil branle son regard tout au long de la moelle, tandis
que des élastiques cinglent le foie et l’estomac. Les
dents veulent lyncher la langue. Le cerveau veut démé-
nager, car il est las du pâté de cœur. Un boyau ahane
un tremblement. Quel orage terrible se prépare parmi
des organes extérieurs ? L’espace est noir. Les os suent
un regard qui les décharne. Les yeux cherchent leurs
orbites. Plus tard, la poitrine se rebâtit autour d’un
courant d’air. Rire encore, mais sans rire. Et le poids
des jambes agrippées à l’une l’autre, et le sang qui
remonte en re-faisant le corps.
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1
extrait 3

Neige molle. Tendre neige. Neige encore. Et la peau
floconne à travers la chair avec douce lenteur. Et la
chair floconne à travers les côtes.                               Et
plus loin, les vertèbres dressent dans le centre du corps
un besoin de verticalité                                              Des
ancêtres passent. Certes, c’est le temps qui me fait
l’amour, et je le digère à l’infini.                         Où est
dehors                                                                        Où
est maintenant ?
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extrait 2

La terre s’affaisse dans mon corps. Je suis la terre et
l’affaissement de la terre. L’œsophage est le centre
immobile de ce glissement. Il n’y a plus ni squelette
ni nerfs. Je vois sans voir. La souffrance gîte dans les
lézardes qui traversent ce lent éboulement, mais elle
ne fait pas mal



Le péritoine se crevasse. Je me peuple de trous d’air.
Chaque effort de l’œil crispe comiquement ma gorge.
Un autre émerge dans mon ventre sans être venu de
l’extérieur.
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à Robert Maguire



1
extrait 1

.................................. les mots crèvent au ras de ma
peau. Le regard est fixe. Le buste est un assemblage
d’élément mobiles et d’éléments immobiles. Les
gestes se poursuivent à l’intérieur de la poitrine,
comme les cercles sur l’eau. Et le cou se prolonge
loin dans le corps. C’est depuis l’estomac qu’a poussé
l’arbre qui empale ma gorge. Il monte jusque dans mes
narines. Un court-circuit coupe le courant des nerfs
dans ma nuque. Ma tête se penche vers un lac d’argent
lisse, qui tout à coup s’éparpille dans l’espace comme
un bac de mercure. On me trépane pendant que mes
jambes s’allongent, s’allongent, perçant des nuages.
D’un côté, il fait mal ; de l’autre, il fait nuit. Entre
les deux, une hélice tourne dans le ventre , et l’air reflue
vers ma bouche............ J’ai la gorge pleine de plumes.
Je crache des cellules...................................................
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Bernard Noël
GRAND ARBRE BLANC
     
à André Pieyre de Mandiargues
     
à l’Orient vieilli
la ruche est morte
le ciel n’est plus que cire sèche
     
sous la paille noircie
l’or s’est couvert de mousse
     
les dieux mourants
ont mangé leur regard
puis la clef
     
il a fait froid
     
il a fait froid
et sur le temps droit comme un j
un œil rond a gelé
     
grand arbre
nous n’avons plus de branches
ni de Levant ni de Couchant
le sommeil s’est tué à l’Ouest
avec l’idée de jour grand arbre
nous voici verticaux sous l’étoile
     
et la beauté nous a blanchis
     
mais si creuse est la nuit
que l’on voudrait grandir
grandir
jusqu’à remplir ce regard
     
sans paupière grand arbre
l’espace est rond
et nous sommes
Nord-Sud
l’éventail replié des saisons
le cri sans bouche
la pile de vertèbres grand arbre
le temps n’a plus de feuilles
la mort a mis un baiser blanc
sur chaque souvenir
mais notre chair
est aussi pierre qui pousse
et sève de la roue
     
grand arbre
l’ombre a séché au pied du sel
l’écorce n’a plus d’âge
et notre cour est nu
grand arbre
     
l’œil est sur notre front
nous avons mangé la mousse
et jeté l’or pourtant
le chant des signes
ranime au fond de l’air
     
d’atroces armes blanches qui tue
qui parle le sang
le sang n’est que sens de l’absence
et il fait froid grand arbre
il fait froid
et c’est la vanité du vent
     
morte l’abeille
sa pensée nous fait ruche
les mots
les mots déjà
butinent dans la gorge
     
grand arbre
blanc debout
nos feuilles sont dedans
et la mort nous lèche
est la seule bouche du savoir
     
     
« La Face de silence » (éd. Flammarion, 1967 / P.o.l., 2002)
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