Citations de Bernard Tirtiaux (164)
Je ne connais pas l'histoire de vos familles, mais je côtoie l'âme humaine depuis suffisamment longtemps pour savoir que si elle se nourrit de tendresses, elle se repaît aussi de conflits et de rancœurs.
La mort a frappé fort ce jour-là. Elle rappelle au verrier que l'œuvre appartient au destin, ce monstre malfaisant qui, d'une chiquenaude, culbute les vies.
(Page 388)
C'est dans cette église hostile, au pied de l'autel, que le garçon fit avec la morte le pacte qu'il n'accepterait plus l'hostie des mains des prêtres et qu'il ne partagerait plus leurs prières. Il atteindrait Dieu par un autre chemin, il défricherait sa propre voie vers la Lumière.
(Page 31, version Folio)
Les cours d'eau sont des invitations au voyage, ce sont les routes nomades de l'imaginaire, les radeaux désamarrés de nos espérances.
Le monde a ses rois, ses hommes d'État, ses présidents, ses dictateurs, mais il manque cruellement de princes, de poètes, d'innovateurs, de porteurs de flambeaux qui maintiennent sans forfanterie une torchère allumée au-dessus des enfants des hommes.
(Le puisatier des abîmes)
Faut-il arrêter de vivre pour autant ? Un matin neuf est un nouveau prodige et, si je brûle des cierges pour mes morts, je me bats pour construire dans la lumière chaque jour qui m'est donné.
Tu n'as pas idée (...) à quel point nos femmes sont devenues féroces au bout de cinq années de guerre. Pour la majorité d'entre elles, la vie avait continué comme par le passé avec en plus des enfants à nourrir, à éduquer, à soigner, l'obligation de remplacer l'absent. Cette dureté que je peux comprendre, je l'ai aperçue à maintes reprises alors que je ramenais des compagnons chez eux. Diminués ou simplement vaincus, ils faisaient les frais d'un accueil lointain sinon glacial. Avec l'attente, les souffrances endurées, l'éloignement, les femmes s'étaient trop longtemps débrouillées seules pour réintégrer autre chose qu'un intrus en la personne d'un mari. Quoi de plus normal ! Quand, en plus, un revenant s'était rebellé contre le régime, il essuyait alors la vindicte des épouses et des proches à qui la propagande nazie serinait qu'elle tenait les traîtres pour responsables des insuccès de notre armée.
Il doit admettre à cette heure, après longs mûrissements et lectures studieuses, qu'il n'est nulle part, qu'il a péché par ignorance, qu'il croyait stupidement que les pierres précieuses poussaient sur des arbres à pierres précieuses et qu'il suffisait d'un peu d'adresse pour en planer les facettes. Il sait maintenant que pour tailler et polir le solitaire de ses rêves, il faut autant de temps que pour amener un nouveau-né à l'âge adulte. Il a lu que pour arriver à façonner un joyau semblable à celui qu'il cherche pour sa châsse, certains artisans s'astreignent pendant des années et des années à roder face après face leur pierre sur un touret de métal. La matière abrasive ? De la poussière de diamant suspendue dans un peu d'huile. Et le plateau tourne, tourne à en perdre le nord. Et il faut des semaines pour enlever un cheveu de matière. Parfois l'artisan doute, il voudrait bien jeter son caillou au fond d'un précipice. Il se demande pourquoi il a placé sa jeunesse dans une gourmandise de lumière, un caillot de soleil, une semence magique d'étoile, un récipient fabuleux où l'essence du jour serait captive. Et pourtant, il ne peut éteindre son rêve de lumière parce qu'il n'en existe pas de plus élevé. La lumière est la première œuvre du Créateur sur une terre informe et vide. La lumière est une part de Dieu comme le regard est une part de l'homme.
En moins de deux, il empile quelques livres, congédie avec tous les honneurs un petit rongeur attaché au lieu, et dans le même mouvement invite Nivard et Archambaud à s'asseoir sur ces sièges improvisés dont il souligne avec verdeur qu'ils sont aussi propices à élever l'esprit qu'à soulager le fessier.
J'interroge la pigmentation des photos pour percer tout ce que mon père ou ma mère auraient pu me dire à l'oreille.
Pas un jour où je ne remercie mon père pour les hauts arbres et leurs oiseaux.
La où certains ont besoin de s'envoler et d’atterrir pour se sentir en vacances, je me contente de mon jardinet pour assouvir ma soif d'évasion et de bien-être. Heureux, je gamberge. Dans ma tête, je me balade aujourd'hui à Rhodes, à Chypre en Crète.
Si j'ai toujours été pendu aux lèvres du ratayon, ma grand-mère, par contre, ne pouvait s'empêcher de couper sans relâche son mari pour rectifier une erreur, mettre le doigt sur une invraisemblance,
relever une omission, une approximation, une exagération. Pour cette ancienne institutrice primaire, un chat était un chat et l'objectivité en toutes circonstances une vertu cardinale.
« Capricieux, rusé, pactisant avec les insaisissables fluctuations de l’heure, de la clarté et des saisons pour s’échapper sans cesse, le vitrail est la forme la plus sauvage de l’art, la plus imprévisible. Le vitrail n’est que folie, métamorphose, floraison illusoire, jeu d’algues échevelées dans une rivière de lumière. »
... le vitrail est la forme la plus sauvage de l'art, la plus imprévisible. Le vitrail n'est que folie, métamorphose, floraison illusoire, jeu d'algues échevelées dans une rivière de lumière.
Que trouvez vous de la vision de l Orient et de L Occident qui est présentée dans le roman ?
Je trouve votre idée remarquable, n'en déplaise à vos confrères et à cette presse imbécile qui a trouvé plus payant de vous lyncher que de vous défendre. Les gens sont sans imagination, sans audace ! C'est affligeant, mais c'est ainsi. Voyez comment votre auditoire a réagi ! Vous voulez connaître mon sentiment sur le sujet ? Eh bien, je vais vous le donner : vous n'avez pas parlé d'eux ! C'est bien là la seule chose qui les émoustille : qu'on parle d'eux, qu'on lustre leur vanité, qu'on se réfère à eux, à leurs travaux, à l'excellence de leurs initiatives, à leur avis éclairé, bref, à leur importance. Leurs noms sur l'affiche, voilà ce qu'ils revendiquaient. C'était si peu de chose. Au lieu de cela, vous vous êtes enfermé tout seul dans votre rêve et vous avez poursuivi vos recherches avec votre épouse sans rien demander à vos pairs. Plus grave, vous êtes arrivé sans aide de personne à échafauder ce que j'estime être un des plus fantastiques défis jamais lancés depuis... la construction des cathédrales. Quelle arrogance ! Quelle démesure ! Quelle naïveté surtout !
(...) Comme s'ils avaient été liés l'un à l'autre depuis toujours par la filiation du regard, comme si la source pure dont ils avaient été abreuvés tous les deux était l'incandescente lumière qui donne naissance aux choses.
Je m'enfonce dans ses yeux là jusqu'à la source abîmée des larmes, jusqu'à la source des cécités qui gangrènent nos éblouissements...
Je n’absous pas les actes, bien sûr, mais j’estime qu’il faut transmettre à nos enfants la vigilance plutôt que la haine. La haine est sectaire, elle méprise, elle exclut. La vigilance est ouverte, elle est l’affaire de tous, vainqueurs comme vaincus. Elle a pour enjeu que pareilles dérives ne se reproduisent plus.