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Critiques de Brian Evenson (158)
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Immobilité

Quand on lit la quatrième de couverture, on se dit qu'on est en terra cognita, le scénario combinant plusieurs tropes classiques de la SF ; à savoir un monde post-apocalyptique , un protagoniste principal ayant perdu la mémoire, un réveil de ce dernier après une très longue cryogénisation.



Sauf que dès les premières pages, la sensation de familiarité s'envole immédiatement pour ne jamais réapparaître. Là où la plupart des auteurs de SF cherchent à présenter un monde clair et compréhensible, quitte à surexpliquer, Brian Evenson choisit lui d'introduire en permanence des éléments d'incertitude narrative. A peine sait-on qu'il y a eu le Kollaps, une catastrophe ( indéterminé ) qui a transformé la Terre en paysage lunaire, désertique et stérile, empoisonné au point que la faune et la flore ont été éradiquées et que la population humaine se réduit à quelques groupes dispersés accrochés à leur survie. Et puis c'est tout pour le cadre spatio-temporel.



Le lecteur est propulsé dans un doute oppressant qui ne le quittera jamais, complètement déboussolé car ce qu'il découvre de ce monde terrible, il le fait à travers les seuls yeux de Josef Horkai sauf qu'après un « stockage » cryogénisé de trente ans, il se réveille paraplégique et amnésique. Ses limitations physiques et mentales ne lui permettent plus de distinguer ce qui relève de souvenirs réels ou de son imagination voire d'un rêve ( ou cauchemar ). Il est page blanche, plongé dans un brouillard d'images figées qu'il ne parvient à analyser correctement, avec des bribes d'informations qui se cognent dans sa tête. Il ne sait même pas s'il peut faire confiance à ceux qui l'ont réveillé pour lui assigner une mystérieuse mission de retrouver un objet volé. Lui dit-on la vérité ? Il ne sait pas qui il est, même pas s'il est toujours humain.



Le récit est court, plein d'étrangeté et de tensions très immédiates que le lecteur ressent aussitôt, comme connecté à ce Josef, presque comme s'il était en lui. La prose de Brian Evenson a la netteté d'une lame de rasoir, que ce soit dans les descriptions du monde qui se révèle progressivement à notre regard, ou dans les dialogues quasi absurdes ( presque du Beckett parfois ) avec les deux hommes «  mules » qui le transportent sur leur dos.



L'auteur transmet parfaitement la menace et le désespoir qui transpercent la sauvagerie de ce nouveau monde. Se juxtaposent des perspectives discordantes qui ne conduisent jamais vers des conclusions préfabriqués, plutôt un ensemble d'idées interconnectées qui aident le lecteur à se positionner quasi philosophiquement en se questionnant sur le sens de la vie, l'identité et la responsabilité morale. Comme souvent chez Evenson, ancien prêtre mormon en rupture avec son milieu, le récit oscille entre nihilisme et messianisme. L'intrigue est saturé de références bibliques, mais toujours pour plonger encore plus dans le cauchemar. Jusqu'aux dernières pages terrifiantes de brutalité ( j'en frissonne encore ) qui propose un dénouement aussi percutant qu'inattendu.



Un étrange voyage qui ne ressemble à aucun livre post-apo lu auparavant, une lecture rude et marquante.
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La Confrérie des mutilés

Kline est un détective qui a perdu sa main au cours d'une enquête. Tranchée net par le gentleman au hachoir. Il a cautérisé au plus vite, lui-même la plaie avec un réchaud dans le but de surprendre le tueur et ainsi l'achever, d'une balle dans l'oeil…

Pas le genre d'histoire qui reste insignifiante.

Et qui va attirer une secte : La Confrérie des Mutilés.



Kidnappé par les membres de la secte, il se voit octroyé de force, une mission complètement absurde : trouver un assassin au sein de la Confrérie, mais sans corps, sans lieu du crime, et dans l'interdiction formelle d'interroger les frères… Car la Communauté est hiérarchisée par le nombre d'amputation. Hors Kline n'est qu'un « un », puisqu'il ne lui manque que sa main. Et pour pouvoir avancer dans l'enquête, il faudrait au moins être un « quatre »…



1/Si vous connaissez un peu l'auteur, vous savez que le mormonisme occupe ses récits. Je vous synthétise grossièrement le mormonisme : un jour un mec très charismatique, Joseph Smith, se balade dans la forêt et rencontre un ange qui lui confie des plaques d'écritures saintes, lui permettant de rédiger le Livre des Mormons (une sorte de suite à La Bible, pour ceux qui arrivent aux States). Il aura au cours de sa vie, plusieurs contacts spirituels avec les hautes sphères déistes, notamment lorsqu'il se lassera de son épouse et qu'un ange lui annoncera qu'il doit se marier avec plusieurs femmes (bah voyons). Des branches différentes vont s'éloigner du mormonisme de base. Puis plus tard, s'installant dans l'Utah et pour des raisons politiques, ils vont devoir redevenir monogames. Mais la monogamie n'est pas du goût de tout le monde et d'autres branches extrémistes vont voir le jour.

J'ignore si Brian Evenson a été élevé par des extrémistes mormons, mais son personnage, Kline, va se retrouver bringuebalé d'une branche sectaire à une autre. La base du premier mouvement était que de perdre un membre, permettait de se rapprocher de Dieu. «Si la perte d'un membre nous rapproche de Dieu, ils pensaient l'approcher de plus près en multipliant les amputations. » C'est ainsi que la secte dévie dans l'exagération absurde et ridiculement douloureuse. La convoitise d'accéder au plus haut rang, va créer une hiérarchie au sein de la Communauté : plus vous avez de membres amputés, plus vous êtes au sommet. « La hiérarchie, les jugements portés contre les camarades ayant subi un nombre inférieur d'amputations, la servitude, la suffisance. »

Le sacrifice de soi, plus au sens propre qu'au figuré, n'est alors plus spirituel, mais motivé par le Pouvoir. Jeux de mains jeux de vilains. Notre protagoniste va devoir affronter l'horreur, les personnages se découpant de manière absolument consentante des bouts de leurs corps.

Consentants ?

Est-ce que justement, ce n'est pas le propre de la secte de nous faire croire que nous sommes consentants ?

Car la soumission au sein du groupe, fonde la course à la multiplication des amputations. Elle n'existait pas lorsque tous les membres étaient au même niveau spirituelle. La hiérarchie, que ce soit dans la religion ou les sectes, ne devraient pas exister, car nous sommes tous les agneaux de Dieu, au même niveau... Il ne devrait pas exister d'être supérieur en dehors du démiurge. La hiérarchie ce n'est pas spirituelle. Et en voulant atteindre le haut niveau, pouvons-nous alors parler de consentement? Voilà, à mon sens, la première symbolique du roman.



2/Lorsque nous sommes extérieurs à une religion ou une secte, nous sommes confrontés à l'ignorance et l'incompréhension la plus totale, qui institue ainsi la place du mouvement dans quelque chose que nous ne pouvons pas saisir, sans ressentir La Foi. La Foi ou l'Appel de Dieu. Et pourtant, les détenteurs de cette Foi mystérieuse peut rendre curieux. Cette curiosité est un piège. « La curiosité est vraiment quelque chose d'affreux, songeait-il. Comment peut-on s'empêcher d'avoir envie de savoir? » Cette curiosité elle concerne surtout ceux ou celles qui s'intéressent à la métaphysique. Et les communautés prosélytiques le savent, elles sont formées ainsi. (Je peux en témoigner, ayant assister pendant 3 ans, deux fois par semaine aux réunions dans le salle du Royaume des Témoins de Jéhovah). C'est encore plus hermétique pour ceux ou celles qui ne cherchent pas à savoir. Ces derniers ne seront pas la cible. Alors quand on est la cible, on entendra des phrases, tel que Kline l'entendra : « Quand vous aurez reçu l'Appel » qui pour les fanatiques est une évidence incontestable. Vous recevrez l'Appel, c'est certain. Et lorsque l'Appel de Dieu ne vient pas, et qu'un carnage est accompli, l'autre branche le voit comme un Elu. Celui qui doit éliminer les faux prophètes. Ne peut-il donc pas se sortir de ce cauchemar ? Non car il est difficile de sortir d'une secte. Et la bienveillance qui y règne, avec cette gentillesse à outrance, cette assurance de « protection », c'est quelque chose de très enivrant. La communauté protège, aide, soutiens, pourquoi donc vouloir en sortir ? Et si elle disait la Vérité ? Adopter la politique de la main tendue lorsqu'on n'a pas de main, quelle idée!

L'auteur utilisera en symbole d'incompréhension, quelque chose d'absolument révulsant : la mutilation pure et simple (dans la joie et la fête en plus).



3/J'ai beaucoup de mal à saisir le rapport de Brian Evenson avec l'amputation. Dans son roman Immobilité, le protagoniste n'est pas amputé mais il ne peut clairement pas utiliser ses jambes. Dans Baby Leg, on subit des expériences douteuses sur les corps et cette femme qui a une jambe de bébé à la place de sa vraie jambe, et maintenant celui-ci. Mais son génie d'écriture rend certaine situation très drôle. Les dialogues absurdes n'ont rien à envier à Samuel Becket et la banalisation des amputations donnent l'impression que l'auteur joue avec monsieur Patate. Même si j'avoue que les premiers passages m'ont donné la nausée, la répétition de l'horreur grandguignolesque finit par rendre ses scènes horribles à la limite de la comédie. Et lorsque le protagoniste se balade avec une tête ensanglantée, et qu'il se pose des questions sur son inhumanité, nous nous rendons compte que nous avons perdu la nôtre puisque nous ne sommes pas horrifiés par la situation. C'est très fort.



C'est mon quatrième roman de Evenson, et je dois avouer que je suis accro.

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L'Antre

Diantre, un Antre sans âtre où l'Autre nous hante avec hâte… !



En ce début janvier 2023 Brian Evenson sort deux livres en parallèle, dans deux maisons d'édition différentes : immobilité chez Payot et Rivage et L'antre chez Quidam. Si j'ai choisi ce dernier c'est parce qu'il est traduit par Stéphane Vanderhaegue qui m'avait fortement impressionnée avec son roman uppercut anarchiste P.R.O.T.O.C.O.L. le moins que l'on puisse dire c'est que c'est également un excellent traducteur. Dès la première page de ce petit livre, il retranscrit avec subtilité la plume élégante de Brian Evenson.



Nous avons là une novella de science-fiction philosophique dans laquelle la notion de personne est questionnée. Qu'est-ce qu'une personne ? Être humain et être une personne est-ce la même chose ? N'est-ce pas finalement qu'une question de définition, de point de vue, d'autorité compétence pour le définir comme tel ?



Le récit est un rapport effectué par quelqu'un qui est terré dans une sorte d'abri souterrain qu'il appelle l'Antre, la surface terrestre étant devenu un poison pour lui. Il n'a pas de nom semble-t-il et est seul. Ses rares échanges se font avec un terminal, une IA qui permet de répondre à toutes ses questions, encore faut-il savoir bien les poser ces questions, l'IA étant assez exigeante sur la définition des termes posés. De plus le Terminal devient défectueux. Nous comprenons que ce quelqu'un, s'il est une personne en tant que bipède doté d'une pensée individuelle, n'est pas vraiment un humain car ne provenant pas de l'union d'un spermatozoïde et d'un ovule se développant ensuite au sein d'un utérus. En lui il y a la concaténation de tous les êtres comme lui qui ont vécu auparavant, chaque être, d'une durée de vie d'environ cinq ans, ayant besoin de matériaux pour produire le prochain être et s'imprimer ensuite dans cette descendance. Or il n'y a plus de matériaux…et les différents être en lui agissent bizarrement, certains meurent, lorsque d'autres prennent le contrôle…Humanoïde ? Robot ? Extra-terrestre ? Autre chose encore ? Nous ne saurons pas et cela fait tout le charme du récit. C'est juste quelqu'un qui, au bord de l'extinction de son espèce, cherche désespérément à en assurer la perpétuation. D'où le rapport qui revêt une importance cruciale alors qu'il est le dernier et qu'il se meurt. Doit-il sortir de l'antre pour rechercher d'éventuels humains ?



« C'est comme ça qu'on relaie l'information d'une bouche plus ancienne à une oreille plus jeune, chacun d'entre nous recevant ce que les autres avant lui ont toujours su ».



L'ambiance est froide, pour ne pas dire glaciale, inquiétante et oppressante. La narration quelque peu désincarnée. J'ai trouvé passionnante cette façon d'imaginer la sauvegarde de tous les ancêtres en imprimant leur mémoire en la personne suivante…mais finalement n'est-ce pas pareil pour nous ? Ne sommes-nous pas l'essence de tous nos aînés, certains prenant une place plus importante que d'autres, certains s'avérant plus toxiques que d'autres…Sommes-nous véritablement libres de toutes nos racines ? Notre mémoire n'est-elle pas atavique ?



« Qui suis-je pour décréter que la personne que je pense être, cette personnalité parvenue à remonter à la surface telle de l'écume, est mon moi réel ? Ces autres remplissent plus d'espace en moi que je ne le fais. Peut-être que l'un d'entre eux est mon moi réel et que je suis l'intrus ».



Pour autant ce livre est exigeant, ardu, multipliant les pistes et les faux-semblants. Tout reste assez flou, n'y cherchez pas une solution à la fin, seul le questionnement sur l'identité finalement est primordial et central ce qui peut apporter un peu de frustration, surtout au milieu du livre où j'étais un peu perdue. Les questions sont plus importantes que les réponses apportées. Elles nous interrogent sur notre propre espèce, sur notre propre héritage et notre perpétuation. En miroir. Et de façon troublante.



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Baby Leg

Passé/présent

Kraus se réveille amnésique dans une cabane, une main en moins, avec la sensation étrange d’être poursuivi. Manquant de vivre, il va acheter de quoi manger et découvre une affichette sur lequel on peut voir le portrait d’un individu qui lui ressemble. Un certain docteur Varner le recherche et ses réactions violentes nous poussent à douter de sa santé mental. Un psychiatre qui cherche son patient psychotique ?

Ici/Ailleurs

Le docteur Varner n’est vraisemblablement pas psychiatre. Il s’adonne à des expériences plus que douteuses qui me feront penser au docteur Arden dans la saison 2 d’American Horror Story. Les moignons, les plaques de fer dans le crâne et les cuves d’immersion ne laissent pas trop de place à l’incertitude… Et pourtant, Brian Evenson avec cette étrange femme à la jambe de bébé et sa hache sur l’épaule nous laissera en permanence dans un flottement malsain entre une réalité cauchemardesque et une psychose imaginaire…

Ce docteur existe-t-il ? Pourquoi les gens que Kraus a tué ne meurent pas ? Et cette femme à la jambe de bébé est-elle un mauvais rêve récurrent ? Une fuite de la réalité douloureuse que subit Kraus pendant l’expérimentation de Varner ? Ou tout ceci n’est-il que l’illusion d’un esprit profondément dérangé qui subit une réelle thérapie sans aboutissement ? Qui est cette femme? Pourquoi cette jambe de bébé?

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Inversion

" Nul n'a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour se sortir en fait de l'Enfer." Antonin Artaud



J'ignore si Brian Evenson a écrit ce roman pour se psychanalyser de son vécu au sein des mormons, mais c'est le sujet principal de l'œuvre. On y découvre des situations que j'ai peiné à trouver par d'autres moyens, comme par exemple la façon dont les mormons célèbrent le mariage et cela m'a semblé intéressant. La folie est le maître mot de ce récit. Le protagoniste est complexe car on ignore si on doit l’apprécier ou avoir pitié.



Je connaissais déjà "l'expiation par le sang" ayant lu auparavant Sur l'ordre de Dieu de Krakaeur, essai qui m'en avait beaucoup appris sur le mormonisme. L'expiation par le sang, c'est une manière d'autoriser le meurtre. Horrible.



Inversion m'a paru moins sujet à l'interprétation que ses autres romans. Lorsque j'ai lu Immobilité, La Confrérie des Mutilés et Baby Leg, j'avais le cerveau en ébullition. Ce qui n’est pas le cas pour Inversion. Alors peut-être est-il aussi riche que les autres mais je ne l'ai pas perçu ainsi.

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Alien : No Exit

Lorsque j'ai acheté ce roman, je ne savais absolument pas quel en était le sujet.

J'étais bien décidée à lire tous les romans de Brian Evenson, sans me préoccuper de l'histoire, du thème ou du genre.

Avec un titre comme Alien : No exit, je pensais à une éventuelle métaphore de son vécu lorsqu'il a été excommunié de la secte mormone. Je n'avais pas du tout associé le mot « Alien » à extraterrestre et ma rencontre avec ses récits, touchait mes réflexions métaphysiques et philosophiques…

Alors, j'ai été très très très surprise de découvrir que c'était une sorte de Spin-off de l'univers d'Alien. Oui oui les films Alien.



Pour commencer : Brian Evenson maîtrise son sujet à la perfection. Ma condition de fan et de puriste (voir d'enc… de mouches comme dirait certains) rendait mes exigences très éminentes. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il m'a fallu du temps, pour me décider à le lire, de peur d'être terriblement déçue. Alors, j'ai été ravie de constater que tout y est respecté : tant dans l'ambiance SF horrifique, que dans l'action et avec tout le vocabulaire attendu.



***



Kramm est un ex-mercenaire, hautement entraîné pour vaincre les Xénomorphes pour la solde de Weyland-Yutani. Mais attention, comme Weyland-Yutani a des propensions à utiliser les xénomorphes à des fins lucratifs personnels, ses xénomorphes ne sont à vaincre une fois que la menace est trop avancée pour continuer. Un jour, il y perd toute sa famille, donne sa démission et décide de ne plus exister. le suicide étant trop difficile, il se fait cryogéniser pour une durée indéterminée.

30 ans plus tard, il est réveillé pour une mission particulière en tant qu'expert neutre, pour Planetus Company, une filiale en concurrence avec Weyland pour coloniser les planètes. 7 scientifiques sont retrouvés morts : des chestbursters semblent être sortis de six ingénieurs travaillant pour Weyland-Yutani. Et l'androïde collaborateur a été complètement écrabouillé. Mais, l'extermination bien trop minutieuse, ne correspond pas à une attaque de facehuggers selon Kramm… Et ce n'est pas la seule chose qui rend l'expert sceptique : pas de trace de mue, ni d'oeufs, ni de xénomorphes… Que se passe-t-il sur la planète C-3 L/M où deux compagnies cohabitent pour y développer des colonies ? Kramm trouve que ça pue. Que ça pue grave même…

Ce qui nous amène à une lecture pleine de suspenses.



***



Dans la catégorie, qui est le monstre ? Nous avons un bon exemple de l'Ennemi au sein d'une même espèce. Car si Weyland-Yutani ne regorgeaient pas d'hommes fous, férus d'expérience douteuse à des fins lucratifs et de rentabilité, les aliens ne pouvant pas se reproduire sans un hôte humain, l'extinction de la race se serait probablement faite toute seule au bout de plusieurs siècles. Mais voilà, si les monstres existent, c'est bien parce que d'autres monstres les exploitent. « Aussi mauvaises soient les créatures, je dois me rappeler que ce piège mortel est le fait d'esprits humains, un enfer humain peuplé des cauchemars qui envahissent le sommeil de la raison. » Dans les films, ils seront représentés sous forme androïde ou humaine (Ash, Burke, Michaël Weyland, David…) mais ils représentent à chaque fois une société belle et bien humaine : Weyland-Yutani.

Dans le roman de Brian Evenson, on aura affaire à un type absolument ignoble, vous savez, une sorte de banquier en costard hors de prix, bien coiffé et manucuré, qui pour de l'argent vendrait toute sa famille. Ce qui rend ce récit terrifiant, fidèle à la franchise.

No exit dit le titre, pas d'issue pour se sortir de l'Enfer, surtout lorsque la compagnie du diable possède une grande partie de la Galaxie…



***



Quelques notes personnelles : les scientifiques du terraformeur tués seront sept comme dans le Nostromo et les héros seront sept également. On peut supposer que nous sommes bien après 2420 (après Alien 4) car Weyland-Yutani a poursuivi ses expériences depuis LV-426 et qu'elle a pu au cours des siècles conquérir différentes planètes après avoir perdu leurs chances avec les gènes d'Ellen Ripley, et fabriquer le neutralisateur d'acide Alien pour faciliter les missions, fabriquer des collecteurs d'oeufs d'Aliens, etc… Et aussi car le Xénomorphe est une menace connue (alors que dans toute la saga, à part Ellen que personne ne croit, les autres ont vent du phénomène que lorsqu'ils en sont confrontés).

Brian Evenson me surprend énormément, tandis que je connaissais de lui, des romans de SF philosophique et métaphysique (immobilité et L'Antre), des thrillers horrifiques (La Confrérie des Mutilés, Baby Leg, Père des Mensonges), il nous offre ici un roman de divertissement mélangeant suspense, horreur, Space-Opera et action stéroïdé (mention spéciale pour le personnage Bodybuildé Bjorn, qui avec son accent, me fera penser à Colossus de Marvel ou à Schwarzenegger).

Pour le reste, je vous laisse soin de découvrir ce roman qui plaira forcément aux amateurs de la saga Alien.



***

Y'a-t-il des traces de Brian Evenson dans ce récit ?

Oh oui mais elles sont subtiles : tout d'abord, les amputations, certes indispensables dans ce type de roman, mais on reconnaît quand même son style et surtout quand on aborde le "c'est pas grave, on les remplacera." Nous voyons également quelques bribes d'absurdités surréalistes comme il aime si bien transmettre : le personnage de Bjorn, casi immortel, par exemple ou la planète meurtrière qui s'appelle Soulages. Ensuite, nous les voyons à travers le cauchemar, est-ce que c'est réel ou dans l'imaginaire d'un homme meurtri cryogénisé?… Et lorsqu'on lui demande, pourquoi ne s'est-il pas suicidé ? Et qu'il répond, qu'il avait peur du cauchemar d'après, de l'Enfer? Ah oui le voilà Brian Evenson, choisir entre un cauchemar et un autre, une réalité horrible ou une imagination terrifiante? Pas de sortie possible vers un sommeil tranquille... No exit.

Nous pouvons également voir les traces de Brian Evenson à travers la place de l'être humain dans cet Enfer… L'humain contre l'humain qui utilise des armes. Parfois elles sont techniques, mais parfois elles sont organiques et monstrueusement vivantes...

Donc quelques questions philosophiques éparses qui montrent la patte de l'auteur même si ce n'est pas le fondement du récit…

A moins que si en fait...

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Père des mensonges

Je ne crois pas que j'aurais les bons mots pour exprimer ce que je ressens à la suite de cette lecture.

Peut-être devrais-je me taire alors.

Pourtant il faut en parler. Car les enfants qui subissent ce genre de choses, n'ont pas les mots pour le dire. En vieillissant, nous les possédons. Et c'est pour cela, que nous devons témoigner pour eux.

Brian Evenson appuie son récit sur une vérité atroce, malsaine, dégénérée : celle du Pouvoir que les hauts dignitaires religieux possèdent.



Et il montre, la sournoiserie de ce contexte :

Si l'Homme devient Doyen de sa religion (hautes autorités religieuses), c'est que Dieu l'a choisit.

Donc lorsque ce Doyen est accusé de viol. Soit Dieu s'est trompé en élisant cet homme (et donc l'autorité de Dieu est vain), soit les victimes mentent. Evidemment, les hautes instances religieuses ne vont pas admettre que Dieu se serait trompé dans son choix. Alors les mots des victimes seront portées comme des mensonges...



Brian Evenson nous raconte dans un premier temps, comment ce pédophile est parvenu à tromper tout le monde, de manière plutôt simple en réalité, grâce à la place dominante qu'il détient dans la secte, et grâce à la confiance que lui a octroyé ses supérieurs, ne pouvant admettre leurs erreurs de jugement. Nous pouvons également comprendre que la parole de la Femme en général, n'a aucune considération (d'ailleurs, soit elles sont excommuniées, soit elles doivent se taire).

Ensuite il aborde brièvement, comment ses gens, ses prêtres, ses pasteurs, ses rabbins, ses imams, ses moines, ses anciens, ses chefs, etc... sont impunis même lorsque le doute n'est plus permis : car ils règlent ses horreurs en interne, pour ne pas ébruiter à la presse, pour ne pas donner une mauvaise image. En cachant et en manipulant, ils ne font que défendre l'Enfer. Pas terrible comme comportement pour des croyants.



Le plus difficile dans cette lecture, c'est que Brian Evenson nous place dans la peau de ce doyen religieux pédophile, au fort trouble dissociatif de l'identité, pour dénoncer le pire. Avec son style d'écriture, à la limite de l'absurde, on assistera à des dialogues surréalistes entre lui-même et ses autres personnalités : dont un Jésus à la tête sanglante qui représentera l'intangibilité de son moi impunissable et parfois, un médecin, la voix de la raison, tentant de lui expliquer le mal.



L'auteur nous offre un récit au thème dérangeant mais qu'il ne fallait pas taire.



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Immobilité

Il existe des gens très bien sur cette planète. Seulement, ceux qui dominent le monde, ne le sont pas. Forcément, seuls les haineux arrogants perfides dominent le monde. D'où ma question : à la Fin des Temps, lorsque les vivres manqueront, quel genre de personne restera-t-il?

****

Josef Horkaï se réveille d'un long sommeil en cryogénie. Il ne se souvient de rien et ne peut plus bouger ses membres inférieurs. Il se retrouve acculé à une tâche qu'il ne comprend pas. On lui demande de récupérer un cylindre dans un lieu particulier. Et comme il ne peut pas marcher, on lui octroie deux « serviteurs », appelés des mules, qui doivent accomplir leur raison d'être : transporter Horkaï d'un point à l'autre, et le ramener avec l'énigmatique cylindre. Qualifier des êtres humains de mules, déjà cela me fait mal au coeur. D'ailleurs pendant tout le trajet, Horkaï tente de comprendre leur raisonnement, absent de toute réflexion existentialiste. L'air est toxique, les mules sont sous scaphandres, tandis qu'Horkaï est « spécial », l'air toxique ne l'atteint pas. Pourquoi ? Est-ce un surhomme ? Un ange ? Pendant cette quête, Horkaï va découvrir un monde dévasté, dépeuplé, désertique, toutes constructions du passé en ruine, sans plantes, ni animaux. Lorsqu'il parvient enfin à destination, la personne qui le reçoit lui ressemble trait pour trait…. Tous ses mystères attraperont le plus haut niveau de mon attention jusqu'à la dernière ligne. Tandis que nous nous posons des questions sur Horkaï, nous nous en posons également sur le fond du roman :

- Si la religion n'avait pas existé, que serions-nous aujourd'hui ? (et j'ai pensé à Zarathoustra qui descend de la montagne pour nous apprendre la mort de Dieu).

- Si c'était la fin des temps, et que nous avions le pouvoir de redonner vie, le ferions-nous ?

- Si les anges existent vraiment, nous protègent-ils des malheurs de la Terre ou de nous-mêmes ?

- Dans La Bible, les justes seront ressuscités pour la Vie Eternelle. C'est quoi les justes ?

- Est-ce que j'ai envie de vivre éternellement ?

- Est-ce que la Vie Eternelle n'est pas une métaphore pour exprimer que l'être humain fera tout, quoi qu'il en coûte, pour assurer la survie de l'espèce?

- Si Dieu nous a fait à son image, est-il arrogant et perfide comme nous le sommes ?

- Et d'autres encore...



Toutes ses questions métaphysiques ont un sens pour moi. Et Brian Evenson, ancien mormon a de la matière a communiqué sur ce pan de spiritualité. Car, alors qu'il est peut-être bon de se questionner sur la naissance de l'humanité et son devenir, il est moins bon d'adhérer à une communauté dirigée par des êtres humains qui disent suivre la parole divine. En réalité, ses communautés ne suivent que ce qui les arrangent car les textes sacrés sont interprétables à l'infini… Les textes sacrés ont ceci de vicieux, c'est qu'ils sacralisent d'une certaine manière la place de l'Homme dans le monde. Derrière ses belles paroles d'humilité, se cachent le plus grand complot d'arrogance et de malveillance à l'égard d'une grande partie des êtres vivants. Et peu importe que Dieu soit Amour et qu'il a un plan pour l'être humain, ou qu'il soit inexistant. Peu importe, du fait que la vraie question que se pose Brian Evenson dans ce roman : le méritons-nous ? Avons-nous envie de réessayer ?

« Nous sommes une malédiction, un fléau. Nous avons commencé par donner des noms à toute chose puis nous avons inventé la haine. Puis nous avons commis l'erreur de domestiquer les animaux, une erreur presque aussi grave que la découverte du feu. A partir de là le lien est facilement fait avec l'esclavage, et une fois qu'on considère les hommes comme des animaux -comme des mules, par exemple, continua-t-il en lançant un regard à Horkaï -, nous devenons un bien jetable, la guerre devient monnaie courante. Ajoutez une religion majoritaire qui prêche la fin des temps et des livres sacrés utilisés pour justifier une atrocité après l'autre, et de là l'annihilation, il n'y a qu'un pas. Il est préférable de ne pas laisser la société se développer du tout, d'abandonner chaque personne à son propre sort, seule, tremblante, et effrayée au milieu des ténèbres. »

L'opposition des hommes restants, entre ceux qui se prennent pour des élus de Dieu et ceux qui se prennent pour Dieu en trafiquant la génétique, rendent les personnages (les plus enclins à survivre naturellement dans ce monde), d'abord Rykte, puis Horkaï, comme au contraire ceux qui pourraient sauver l'être humain des mauvaises décisions, dans un potentiel éternel retour. Je ne vais pas spoiler. Il faut le lire si vous voulez plonger dans cette réflexion.



Bien que se drapant dans une amertume nihiliste, ce roman sera incontestablement dans mon top 5 de 2023. Incroyable road movie sans jambes, ni voiture.



Pour plus de contenances, je vous invite à lire la superbe critique de monromannoir.







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La Confrérie des mutilés

Cette édition française présente les deux parties de ce texte, « La Confrérie des Mutilés », et sa suite directe « Les Derniers Jours », écrites et publiées aux USA à quelques années d’intervalle.

Notre ex-prêtre Mormon y offre le récit brut et gore d’un type, ex-policier infiltré aux contours plus que flous, nommé Kline, ni propre ni remarquablement petit, au prise avec des sectes dismophophobiques, ou plus précisément et « positivement », adepte de l’apotemnophilie…



Mais laissons la place à Marc Gozlan dans son blog du Monde pour nous expliquer:

« Apotemnophilie, terme utilisé la première fois en 1977 pour désigner le désir d’amputation d’un membre sain. Ce terme vient du grec apo signifiant « loin de », en référence à la notion d’extrémité, temno qui signifie couper et philie qui veut dire aimer. L’apotemnophilie signifie donc littéralement « l’amour de l’amputation ».



Initialement, ce terme désignait clairement un trouble de l’ordre d’une paraphilie (ensemble des pratiques sexuelles déviantes), le désir d’être amputé (apotemnophilie) coexistant avec une recherche de partenaires amputé(e)s (acrotomophilie). L’assimilation de l’aptemnophilie à une paraphilie va cependant rapidement laisser place à une autre conception.



Depuis 2004, le caractère paraphilique du trouble n’est plus établi. Le terme d’apotemnophilie tend à être remplacé par une autre appellation. Les psychiatres parlent aujourd’hui de « trouble de l’identité et de l’intégrité corporelle » (TIIC). Cette nouvelle terminologie renvoie au fait que de nombreux patients expriment d’extrêmes préoccupations concernant leur image corporelle. Les patients atteints par ce trouble auraient un corps normal mais qui leur est devenu insupportable, estimant devoir être amputés pour être eux-mêmes. » M.G.



Ce « trouble », ou bien cette « maladie », — on voit bien que la terminologie, ( le langage en général ) pose la relativité de l’appréciation de certains comportements, spécialement de ce qui est ou a été catalogué sous le terme de paraphilie… on y reviendra… — mérite de s’y intéresser attentivement. Assez rares, les patients souhaitant l’amputation sont généralement décrits par les psychiatres comme « entièrement conscients et cohérents » dans cette volonté de modifier leur corps. En découle quantité de questions morales et d’arbitrages scientifiques…



Occasion donnée d’y réfléchir, car à part cela, ce roman ne demande pas beaucoup de concentration. Même l’horreur en reste plate, juste absurde.

Le plus court « Baby Leg », sorti juste après celui-ci, offre une variation beaucoup mieux menée de ces thèmes, avec sa structure ourobore, que cette tuerie allant crescendo.



Cousins des Assassins en Fauteuil-Roulant découverts dans « L’Infinie Comédie » de DFW, ces groupes sectaires aiment beaucoup le hachoir ou le couperet. Il y a vraiment beaucoup de sang dans ce roman.



En ultime page du livre, l’éditeur Lot49 annonce d’un énigmatique et volumineux symbole Omega Ω la prochaine sortie (en 2010) du volumineux roman « Oméga mineur » de Paul Verhaeghen, dont je vous parlerai un jour.
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Immobilité

« L’infini du vide sera autour de toi, tous les morts de tous les temps ressuscités ne le combleront pas, tu y seras comme un petit gravier au milieu de la steppe ». »

Samuel Beckett, « Fin de partie ».



Cette épigraphe beckettienne donne le ton du roman de Brian Evenson, une dystopie hallucinée et paranoïaque, une longue plongée au coeur d’un monde dévasté par l’apocalypse, qui a quasiment détruit toute forme de vie, humaine, animale ou végétale.



« Immobilité » débute par le réveil violent de son héros, Josef Horkaï. Ce dernier ne garde aucun souvenir d’avoir été stocké, ni des jours qui ont précédé son stockage, et encore moins de sa vie avant le « Kollaps », qui a mis fin au monde tel que nous le connaissons.



Doté d’une force étonnante, Josef se débat lors de l’opération, au point d’amocher les hommes de main chargés de le ramener à la vie. Ses souvenirs sont flous et épars. Josef n’est plus certain de rien, à l’instar des héros dickiens qui peinent à discerner le réel du rêve. Est-il vraiment revenu au monde ? Est-il en train de rêver ? Où se situe la frontière entre les limbes dont il a émergé et la réalité d’un monde dévasté ?



À peine remis sur pied, il saisit qu’il fait partie d’une communauté dirigée par un dénommé Rasmus, qui lui inspire une confiance toute relative. Ce dernier lui apprend que l’absence de sensation dans ses jambes a vocation à durer, dans la mesure où malgré sa force brute, il est paraplégique et atteint d’une maladie incurable.



Josef n’a pas le temps de se familiariser avec la réalité qui l’entoure, ni d’obtenir de réponses tangibles à ses questions. On lui confie en effet une mission de la plus haute importance, dont dépend l’avenir de la communauté de survivants qui vient de le « déstocker ». Il s’agit de récupérer un objet essentiel, une capsule congelée contenant des graines, située à l’extérieur de l’abri où se sont réfugiés les survivants.



Le héros découvre progressivement qu’en plus de son handicap et sa mystérieuse maladie, il est fondamentalement différent. Ni vraiment humain, ni vraiment non humain, il dispose de la capacité de survivre à l’air vicié qui pollue la planète et de se « mouvoir » à l’extérieur de l’abri sans mettre ses jours en danger.



Deux hommes qui semblent frères, Qanik et Qatik, ont été formés pour aider Horkaï à accomplir sa périlleuse mission. Surnommés les « mules », leur raison d’être est de porter ce dernier jusqu’au lieu où la précieuse capsule est cachée et de le ramener sain et sauf en possession du trésor tant convoité. Tout entier revêtus de combinaisons protectrices, ils quittent les lieux en portant sur leurs épaules le héros « immobile » de ce roman aux allures de cauchemar.



Le lecteur féru de S.F. retrouve dans le roman de Brian Evenson les tropes du roman post-apocalyptique. Une planète terre dévastée par une série sans fin de conflits. Des humains apeurés et regroupés en communautés dirigés par des chefs à l’intégrité douteuse. Le surgissement d’êtres « intermédiaires », tels que le héros, qui ont développé une capacité de résistance étonnante aux conditions de vie épouvantables du « nouveau monde ».



Et pourtant. L’originalité et la force de percussion de ce roman très sombre tiennent au regard incertain posé par Josef Horkaï sur un univers aux contours mal définis. Notre héros fraîchement déstocké n’est sûr de rien et fait preuve d’une paranoïa évoquant l’un des maîtres du genre, Philip K. Dick. Horkaï accorde une confiance limitée aux dires de Rasmus, au peu d’informations que les « mules » veulent bien lui confier, ainsi qu’à ses propres souvenirs. Pire encore, il ne cesse de douter de ses propres intuitions et de la pertinence de son évaluation du « réel ».



Tout le brio de Brian Evenson réside dans cette économie d’informations communiquées au lecteur qui appréhende une réalité angoissante à travers le regard inquiet de son héros. Si les pièces du puzzle se mettent progressivement en place, une forme d’incertitude persiste. Derrière l’apparence d’une n-ième variation sur le thème du roman post apocalyptique, « Immobilité » nous propose une plongée hypnotique au coeur de ténèbres qui nous sont progressivement dévoilées au travers du regard lacunaire et paranoïaque de Josef Horkaï.



Une beauté étrange émane de l’odyssée improbable d’un personnage paralysé, porté par deux improbables « mules », dans un paysage lunaire. Le flou qui nimbe une intrigue traversée par l’éclat languide des fleurs du mal offre à « Immobilité » un supplément d’âme qui lui permet de transcender le genre « post apocalyptique ».



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Alien : No Exit

Je n'avais pas une irrépressible envie de refaire une balade dans l'univers d'alien ( c'est plus le contraire ... ) ,mais j'ai fortuitement pris connaissance de critiques élogieuses sur l'auteur dans des journaux qui ne sont pas connu pour déborder d'éloges pour la science-fiction de façon général ( Le Monde …).

Alors je l'ai lu et c'est incontestablement un « page turner « .



Le style est parfaitement au point et les personnages sont d'une densité à couper au couteau !

Il y a par exemple une sorte de dandy sadique et très mondain qui est époustouflant de finesse et de présence .

C'est un thriller d'espionnage et d'horreur avec beaucoup de suspens bien inséré dans une intrigue bien structurée , subtile et finement pensée , assez piégeant comme texte, en fait .

Le roman est très prenant , le narrateur est habile et les dialogues sont solides et quelquefois teintés d'un humour basique assez posé et mesuré .



On est loin des clichés et c'est assez rassurant car personnellement je n'ai pas beaucoup exploré l'univers d'alien ( qui est sous licence ) en raison de deux romans médiocres qui m'ont découragé. Cependant les novélisations des films stricto sensu sont vraiment bonnes ...



Quand les personnages sont confrontés à la bestiole , le roman prend tout de même des accents assez typés « univers d'alien « , mais ce ne sont pas des clichés pour autant.

Néanmoins , c'est vrai que l'univers est relativement calibré du fait de la dynamique licence qui induit des contraintes assez normées et exigeantes et leur cadre normatif est tout à fait perceptible dans la structure du roman ( typologie des personnages , cadre environnemental et institutionnel ... ) .

Un excellent thriller d'espionnage aux accents survivalistes pour une partie de l'histoire.



Très réussi au final et un excellent moment dans cet univers en compagnie de mots bien assemblés et tout à fait percutants !

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Alien : No Exit

L’introduction qui ajoutait au côté horrifique de la saga "Alien" une narration hard boiled était de bon augure. Mais la 1ère partie techno thriller s’avère finalement assez plan plan (des intrigues mégacorporatistes dont on ne comprend pas vraiment les tenants et aboutissants, avec des personnages pas toujours facilement identifiables car trop rapidement survolés et quelques incohérences des familles également). Ensuite survient le twist et les homines crevarices, appelés par certains « créateurs de richesses » et par d’autres « premiers de cordée », prennent le pouvoir. Débute alors un survival plaisant car rondement mené : pour s’échapper d’un point A de moins en moins sûr pour ne pas dire de plus en plus dangereux, les 7 survivants confrontés aux thématiques survivalistes habituelles (comme l’euthanasie des infectés, la récupération de ceux qui ne le sont pas, ou encore que faire des blessés…) doivent traverser une zone B infestée d’aliens pour rejoindre un vaisseau en état de marche au point C. Dommage que la fin ouverte soit un peu facile voire un peu fumiste.



Tous les passages obligés de la saga sont là : le réveil de stase, la présentation des personnages et des enjeux à la cantine, le briefing de mission, le cadre sup sociopathe prêt à tout et au reste, la Weyland-Yutani qui ne pense qu’aux moyens de faire plus de pognon, le bestiaire habituel d’un côté (œufs, facehuggers, chestbursters, drones, reine…), et les individus avec le mot victime tatoué sur le front d’un autre côté (l’androïde caché qui révèle son identité, les troufions spatiaux, la tête, les jambes, le geek et la pouffe qui n’arrête pas de crier « quelle chose affreuse, c’est abominable, c’est abominable. Quelle horreur on va tous mourir ! »). Et bien sûr le huis clos, les passages bouchés par le creep, la traversée du nid, les créatures planquées dans le noir et les pourritures en costards-cravates ou en blouse blanche derrière un écran… Bref le cahier des charges est bien rempli !





Sauf que cela ne fonctionne qu’à moitié pour 3 raisons :

– le mythe de la créature et la thématique du viol sont quasiment démystifiés (tout le monde est au courant de leur existence, donc aucune peur face à l’inconnu, tout le monde n’hésite pas à recours au simple flingue pour dézinguer les créature, tout le monde est équipé de neutralisateurs d’acide dont les réserves semblent inépuisables)

– les Kramm, Frances, Bjorn, Jolena, Kelly, Duncan, Gavin, auraient pu être réussis si on avait pris la peine de bien les camper avant de les confronter aux horreurs humaines et aliens, car là grosso modo comme dans un mauvais slasher on zoom sur eux juste quelques instants avant qu’ils ne crèvent salement

– force est de constater que c’est quand même écrit et / ou traduit par-dessus la jambe…



Bref niveau qualité et efficacité on est plus près d’"Alien versus Predator" que la saga cinématographique d’origine. Un honnête novélisation qui remplit honnêtement son office : c’est vite lu et vite oublié et c’est très bien ainsi. Avis aux easy readers bien avertis qui ici ne devraient pas trop perdre leur temps.
Lien : http://www.portesdumultivers..
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L'Antre

Immense auteur américain s’il en est, Brian Evenson n’était plus traduit en langue française depuis… 2017 !

Son œuvre très particulière et exigeante continue pourtant outre-Atlantique dans la forme longue comme dans la forme courte.

Grâce à deux éditeurs, Rivages Imaginaire et Quidam, Brian Evenson revient sur le devant de la scène chez nous avec la publication simultanée de deux romans : Immobilité et L’Antre.

C’est à ce second, en réalité une novella de 110 pages, que nous allons nous intéresser aujourd’hui.



Publié en 2016 en langue anglaise, L’Antre est un récit science fictif à la fois inquiétant et étrange qui convoque la majorité des obsessions de son auteur pour le corps et l’identité.

Rédigé sous la forme d’un rapport, le texte nous fait suivre un protagoniste qui n’a pas de nom et qui se terre dans une sorte d’abri souterrain qu’il nomme lui-même « l’Antre ». Sa seule interaction sociale, si l’on peut dire, se fait avec un mystérieux Terminal censément capable de répondre à toutes ses interrogations.

Tout ce que l’on sait à cette étape du récit, c’est que le rédacteur du rapport est un survivant d’une catastrophe globale qui a rendu la surface mortelle pour lui et les siens. Et c’est bien là que le bât blesse !

En effet, dès les premières pages, notre narrateur interroge le Terminal sur la dernière fois où une personne a quitté l’Antre.

L’ordinateur, surpris, lui demande de définir le terme « personne » puisqu’il semblerait que notre héros n’en soit pas vraiment une lui-même…

Progressivement, Brian Evenson multiplie les ambiguïtés autour de la nature même de son personnage principal. Qui est-il et, surtout qu’est-il ?

En quittant l’Antre à la recherche de la dernière personne a en être sortie et, surtout, à y avoir survécu, notre narrateur tombe sur Horak conservé et cryogénisé dans un caisson qu’il désactive pour le réveiller.

De là, les évènements s’enchaînent et notre protagoniste perd pied, rongé de l’intérieur par les « autres » lui qui l’habitent.



Cette remarquable novella joue sur un décor post-apocalyptique minimaliste pour resserrer son histoire autour du narrateur qui ne sait plus vraiment qui il est ni ce qu’il est. Dans l’Antre, tout est en faux-semblant, biaisé par les perceptions et les croyances erronées de celui qui raconte et qui va, petit à petit, comprendre qu’il est loin d’être le dernier humain en vie. C’est ici qu’opère le génie cryptique de Brian Evenson s’évertue à brouiller les limites entre ce qui relève de l’humain et de la personne, séparant les deux termes et leurs significations respectives pour démonter le réel qu’il va pervertir page après page.

L’Antre n’est pas un récit chaleureux. Il est glacial et étouffant, parfois drôle et morbide, souvent obsédant et troublant. Fidèle à lui-même, Evenson cherche à faire tomber la cohérence interne de son héros en même temps qu’il met à terre ses croyances. De nouveau, il fissure l’identité et montre que derrière l’unicité de la psyché veille d’autres entités prêtent à prendre la place de celui que l’on croit être.

Tandis que notre survivant explore les possibilités qu’il lui reste pour perpétuer les siens, il se rend compte des limites de son propre corps.

Un corps friable, amputable…et qui saigne jaune.

Mais un humain saigne aussi, n’est-ce pas ?

Tout change dans le récit d’Evenson du fait de la supposée disparition de l’espèce humaine. Sans connaissance ou exemple, notre narrateur en est réduit à croire des choses qui reposent sur l’enseignement de ses prédécesseurs qui, eux-mêmes, le tiennent de leurs prédécesseurs.

Mais cela peut-il constituer une vérité en soi ?

Perturbant, L’Antre s’amuse avec son lecteur, échange les personnalités et brouille la perception de l’autre, ébranlant nos certitudes en profondeur sur ce qui constitue la personne humaine et consciente.

Devant l’effondrement des acquis, la folie guette et contamine, comme elle le fait avec Elden Fochs dans Père des Mensonges ou Rudd Theurer dans Inversion. Le rideau se déchire lentement et inéluctablement, et personne n’est plus ce qu’il pense être à la fin.

Dès lors, n’est-on jamais plus qu’un simple corps ?



Minimaliste et brillant, L’Antre est un voyage intérieur où tout tombe en ruines et où les voix se multiplient pour briser ce qui nous semble acquis et évident.

Brian Evenson construit un récit science-fictif flirtant avec l’absurde et qui nous ramène pourtant à la fragilité de notre être. Fascinant.
Lien : https://justaword.fr/lantre-..
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Père des mensonges

Eldon Fochs est "doyen laïc au sein de la Corporation du Sang de l'Agneau", une secte religieuse conservatrice. Son épouse lui conseille de consulter un psychothérapeute depuis qu'il est atteint de troubles du sommeil - rêves agités où il profère des paroles terribles avec une autre voix que la sienne.



Alternance dans le récit entre lettres de pression de la hiérarchie du doyen sur le psy, compte-rendus du thérapeute et témoignages de Fochs.

Le premier rapport médical révèle des fantasmes pédophiles sur de jeunes garçons, et meurtriers à l'encontre d'une jeune fille réellement assassinée. Le récit de Fochs lui-même donne un autre éclairage à l'affaire : on suit les délires hallucinatoires d'un homme malade, certes, mais aussi les aveux froids d'un individu lâche, fourbe, calculateur, qui profite de sa position d'autorité auprès des jeunes gens dont il abuse en prétendant leur donner l'absolution divine.



Pédophilie, meurtre, inceste, Fochs est capable du pire, et c'est à peine si on trouve l'ombre d'une explication (quelle a été la véritable enfance du personnage ?)...

Un livre terrible sur la pédophilie (cf. les justifications religieuses invoquées ici par le coupable), sur l'aveuglement et l'hypocrisie à l'oeuvre dans certaines communautés religieuses où la hiérarchie est prête à tout pour éviter le scandale.



C'est bouleversant, écoeurant, dérangeant. Mais on a beau ressentir une aversion croissante pour le personnage et un violent sentiment d'injustice et de révolte, on est malgré tout captivé par son histoire, et on voudrait comprendre...
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L'Antre

J’ai la chance d’avoir un libraire amateur de littérature de l’imaginaire.

Et de plus, ayant plus d’une fois fait une belle découverte littéraire grâce à ses conseils avisés, j’aime à élargir mes horizons livresques.

Une fois de plus, je dois cette lecture à ses recommandations.

Une lecture différente, déroutante, et qui laisse clairement une impression durable. Pas mal pour un livre qui fait à peine une centaine de pages. Il est vrai que nous ne sommes pas en face d’un pavé mais plutôt de ce que l’on peut appeler une novella.

Le narrateur, qui se retrouver dans un lieu qu’il nomme l’antre semble être très isolé. Il semble être le dernier survivant de son espèce et avec juste quelques brides de souvenirs. Seul un terminal pas très performant est capable de répondre à ses nombreuses interrogations. Au fur et à mesure que le récit avance, nous découvrons avec le narrateur des parcelles de ses souvenirs, mais les pistes et les indices sont rares et nébuleux dans ce futur post-apocalyptique.

Finalement, à la fin de ce récit, plein d’interrogations subsistent, ca nous n’aurons clairement pas beaucoup de réponses. Et surtout, finalement, s’il ne fallait qu’en garder une, cela serait celle-ci que je retiendrais : qu’est-ce qu’un Humain ?



Challenge ABC 2023/2024

Challenge Mauvais Genres 2023

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Baby Leg

Brian Evenson est mormon. Brian Evenson a de l'imagination.

Ecrire vient pour lui avant tout le reste, regardez son histoire.



Longue nouvelle méritant bien sa publication individuelle.

Variation dismorphophobique et amnésique de "La confrérie des mutilés".

Absurde avec ce qu'il faut de gore et d'humour.

Walden pris dans un Acid Test.

A relire avec une hache posée sur les genoux.

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La Confrérie des mutilés

La confrérie des mutilés n'est pas un livre aimable. Et c'est ce qui fait l'intérêt de cette expérience singulière.



Souvent je me suis demandée où l'auteur m'emmenait, parfois j'ai hésité à arrêter ma lecture. Il faut dire qu'Evenson malmène son lecteur, il le brutalise, le pousse dans ses retranchements, le confrontant à des situations poussées à l'extrême. Pour autant, on ne peut s'empêcher de poursuivre sa lecture, fasciné. On en redemande même. Evenson a du talent, du style et de l'audace. Il ose tout. L'humour noir très présent distille un délicieux malaise.



La confrérie des mutilés n'est pas qu'une expérience extrême. C'est également une œuvre avec un propos, fort, intelligent et bien amené. Evenson s'intéresse à la fois à la folie absurde à laquelle peut mener la foi religieuse et également à la façon dont la religion annihile les personnalités et formate des individus dans un même moule.



j'ai trouvé ce roman brillant, fascinant, dérangeant, hypnotisant, il m'a secouée, il m'a retourné le cerveau (et l'estomac aussi)... Pourtant, je ne peux pas dire que je l'ai aimé. Non, la confrérie des mutilés n'est pas un livre aimable mais c'est un livre passionnant, à lire absolument.

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Immobilité

Un homme se réveille d'un long sommeil. On l'a sorti de son stockage pour une mission. Laquelle ? Récupérer un objet inconnu dans un lieu inconnu. Dans un monde inconnu depuis une catastrophe qui a laissé la planète, ou, en tout cas, ce coin de planète où se situe le roman, dans un sale état. Ravagé. Atmosphère mortelle. Qui est-il ? Que doit-il faire ? Pourquoi ? La liste des questions est immense. Les réponses vont-elles venir ?



Comme dans L'Aube d'Octavia E. Butler, le personnage principal vient d'une autre époque où la Terre a été dévastée par un cataclysme provoqué par l'humanité. Ici aussi, il est perdu dans ce nouveau monde qu'il découvre progressivement. Mais si chez Octavia E. Butler, la difficulté vient de la présence d'extraterrestres aux us et coutumes étranges pour une humaine, chez Brian Evenson, c'est l'amnésie quasi totale du héros qui crée le problème. Et l'intérêt principal de l'ouvrage. Car le lecteur est comme lui et, avec lui, il va découvrir le monde post-apocalyptique créé par l'auteur américain. Tout va venir progressivement. Et cette attente, ce questionnement continu sur le monde imaginé par Brian Evenson constituent le sel essentiel de ce roman. Comment fonctionne-t-il ? Quels sont ces différents groupes qui semblent s'être constitués ? Mini démocratie ? Tyrannie sans scrupule ? Secte dirigée par un gourou ? L'auteur se montre malin et subtil : les réponses à la situation sont nombreuses. Les choix multiples. Ils laissent du libre-arbitre au lecteur qui peut se faire sa propre idée, ou du moins essayer : quelle voix semble la meilleure pour résister à cette situation ? Sans parler de l'extérieur : pourquoi certains personnages craignent-ils tant de l'affronter et d'autres pas ? À quoi est due cette différence ? Que d'interrogations qui stimulent l'imagination, sans la brider, sans lasser. Une gageure brillamment réussie à mon avis par Brian Evenson. Je ne suis pas (je le répète assez au fil de mes billets) un grand adepte du post-apo. Mais là encore, comme dans d'autres cas récemment (Périphériques de William Gibson, Unity d'Elly Bangs, Resilient Thinking de Raphaël Grenier de Cassagnac, le trilogie Rempart de M.R. Carey, Les Chroniques de Mertvecgorod de Christophe Siébert, ou même L'évangile selon Myriam de Ketty Stewart : en fait, pour quelqu'un qui n'aime pas ce genre, j'en ai lu un paquet !), j'ai été happé par l'histoire. Et mes réticences sont tombées l'une après l'autre. Je ne suis pas encore un fan absolu, mais je ne fuis plus cette étiquette.



D'autant que ce roman est également le creuset d'une vaste source d'interrogation sur l'identité. le personnage principal se réveille amnésique. Il ignore absolument tout. Qui il est, ce qu'il fait là, qui sont les gens qui lui parlent. Et même les raisons de la catastrophe. Voire l'existence de la catastrophe. Qu'était-ce que ce Kollaps, dont même le nom est déformé ? Tout est mis en doute. de plus, sa seule source de renseignement est un homme qui ne lui dit pas tout. Et lui cache sciemment des informations. Ce qui fait que même les pistes qu'il a données peuvent être remises en question. Rien n'est stable. Philip K. Dick, au secours ! Dès qu'il est dans le noir, dès qu'il se réveille sans savoir où il est, Josef Horkaï se demande où il est : est-il encore stocké et est-il en train de rêver ? Est-il à l'extérieur dans une nuit absolue, sans lumière artificielle ? Est-il dans une grotte ou un bâtiment dont les parois ne laissent pas filtrer la moindre lumière ?



« Ça voulait dire qu'il ne pouvait pas se fier à ses sens, qu'il ne pouvait pas se fier à ce qu'il éprouvait et, par conséquent, ne pouvait pas se fier à ses propres pensées. L'esprit est un maître illusionniste. » (page 42) Josef Horkaï (mais est-ce vraiment sont nom ?) est-il un être libre de ses mouvements ou un simple pantin dirigé par d'autres ? Est-il même humain ? Lui résiste à l'atmosphère empoisonnée de l'extérieur alors que les autres, humains semble-t-il, ne survivent pas longtemps, malgré des combinaisons protectrices. L'humanité a-t-elle évolué ? Ou ces êtres sont-ils des créations artificielles ?



Le doute permanent doit être terriblement usant pour lui. Mais pas pour nous. C'est une autre facette de ce roman qui me fascine : il m'a passionné, j'ai tourné les pages avec envie, alors que le sujet est grave et pourrait être pesant. le traitement de Brian Evenson est simple dans ses phrases, dans ses interrogations, mais terriblement efficace car on veut connaître la suite, on veut comprendre ce qu'il s'est passé, on veut découvrir qui est vraiment le personnage principal.



Or, malgré cette simplicité apparente, les réflexions sont profondes et m'ont touché. Outre la réflexion sur l'identité, on trouve encore ceci : « Des noms, des catégories, des divisions. Dès que vous désignez une chose, vous apprenez à la haïr. » (page 217) Créer des catégories est une bonne façon de créer des divisions. Et en ces temps de guerre proche, de montée des tensions entre les différents bords de l'échiquier politique et social, cette citation a porté.



immobilité m'a surpris, mais m'a aussitôt emporté dans son rythme et son univers. J'ai pris fait et cause pour Josef, souffrant avec lui physiquement et intellectuellement, ressentant ses doutes et ses interrogations, me demandant sans cesse comment cela allait bien pouvoir se terminer. Ce road-movie post-apo sans voiture a su me séduire par sa simplicité apparente et par sa profondeur réelle. Il est déjà une de mes lectures marquantes de 2023.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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La Confrérie des mutilés

Le détective privé Kline rejoint à son corps défendant une drôle de secte aux moeurs sordides, pour y mener une enquête dont les tenants et aboutissants lui demeurent obscurs.



Les titres et places dans la hiérarchie des membres de cette confrérie sont fonction du nombre d'amputations subies volontairement comme autant 'd'actes de foi'.



Ambiance déplaisante et hautement malsaine, donc - âmes sensibles s'abstenir. Action, hémoglobine, gâchette en folie et violence à gogo, voilà ce que j'appelle un polar bien bµrné.

J'ai eu la curiosité de m'y frotter, après avoir été aussi captivée qu'horrifiée par 'Père des mensonges' du même auteur.

J'avoue avoir survolé certains passages de mutilations au hachoir ou de strip-tease très particuliers.



Au-delà des moments difficiles qui conduisent le lecteur au bord de la nausée ou de l'évanouissement selon son endurance, le roman présente une intrigue intéressante et une accusation métaphorique des sectes qui amputent l'individu de son âme et de ses biens, qui le rendent anonyme et interchangeable...



Dommage que le dernier tiers n'offre rien d'autre qu'une surenchère de violence, là où j'attendais une explication plus solide.
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Inversion

Si l’on devait user d’un mot pour qualifier le mode narratif dominant utilisé par l’américain Brian Evenson, ce serait certainement le mot « fissure. »

Son horreur, tout autant psychologique que physique, procède d’un lent processus d’altération du réel, l’auteur « fissurant » ce que l’on prend pour acquis et contemplant la psyché de ses personnages s’effondrer sur elle-même à mesure que ladite fissure s’élargit.

La chose était évidente dans son premier roman, Père des Mensonges, qui voyait Elden Fochs, homme d’Église et père de famille, basculer dans les tréfonds de l’horreur et de la dépravation. Cette tendance à corner le réel et à acculer ses personnages dans un mécanisme implacable menant tout droit à la folie se retrouvait également dans nombre de ses nouvelles issues de son premier ouvrage, La langue d’Altmann. Il est donc normal (et attendu) de retrouver le même procédé pour Inversion, certainement l’un des romans les plus connus de Brian Evenson…et l’un de ses plus radicaux avec La Confrérie des Mutilés.



Une partie manquante de moi

Écrit en 2006, Inversion est le tout premier livre traduit en langue française de Brian Evenson par Julie et Jean-René Etienne dans la cultissime collection Lot 49 du Cherche-Midi. Curieusement, son titre français ne rend pas particulièrement honneur à sa version originale bien plus évocatrice : The Open Curtain. Mais qu’à cela ne tienne puisqu’Inversion est une expérience de lecture qu’on n’oublie pas.

Reprenons du début : Rudd Theurer est un adolescent plutôt fragile et effacé lorsqu’il tombe sur ce qu’il pense être la preuve de l’existence d’un demi-frère dans les affaires de son père mort conservées à la cave par sa mère. Éconduit par celle-ci lorsqu’il lui parle de cette découverte, Rudd va se mettre à ressasser encore et encore cette information jusqu’à découvrir que son demi-frère, Lael, habite en fait à Springville non loin de son propre domicile. Dans le même temps, Rudd doit rendre un devoir à propos d’un héros d’une époque qui le fascine. Mais malheureusement, Rudd n’a pas de héros à qui s’identifier (normal puisque pour beaucoup de garçons, le père fait office de premier héros). Privé de ce repère fondamental et profondément secoué par les secrets que garderait sa mère à propos de son demi-frère, il tombe sur la sinistre histoire d’un certain William Hooper Young qui, en 1903 à New-York, aurait assassiné une jeune fille, Anna Nilsen Pulitzer. Comble de l’horreur pour le jeune garçon, William était non seulement le petit-fils de l’un des fondateurs de l’Église mormone mais aurait, en plus, tué selon un obscur rite inavouable de cette même religion appelé « l’expiation par le sang. »

…Et si c’est un comble, c’est parce que Rudd est lui-même mormon !

Dès lors, les choses vont peu à peu se fissurer dans l’esprit du jeune homme et l’on sent, petit à petit, que la logique de Rudd s’altère à mesure que des mantras pervers envahissent ses pensées. Brian Evenson nous emmène graduellement dans une spirale horrifique qui ne semble avoir aucune fin.



Catalysé par la foi

Pour cela, il va employer des mots-clés, des phrases qui deviennent des sortes de formules quasi-surnaturelles pour Rudd, comme investies d’un pouvoir occulte que nous ne serions pas en mesure de percevoir.

Ce qui est important dans Inversion, c’est que rien n’est vraiment comme il semble l’être de prime abord et que les perceptions du personnage principal ne sont pas fiables…et qu’elles le seront toujours moins au fur et à mesure de la plongée dans le récit qu’il n’ous rapporte. Un récit qui semble se dédoubler avec l’investigation menée par Rudd sur l’histoire sinistre de William, comme une image de sa propre psyché en train de se briser en deux. Mais c’est la violence et la cruauté, mêlées à la propre histoire personnelle de Rudd, qui vont définitivement faire basculer l’ensemble.

On le sait, Brian Evenson est lui-même mormon et l’une des obsessions centrales de son œuvre concerne la religion et ce que celle-ci fait à l’homme, au croyant.

Est-ce qu’elle le préserve ou est-ce qu’elle le maudit ?

Dans le cas de William, c’est clairement le second choix puisqu’au travers de la religion mormone, l’adolescent va complètement décrocher puisque noyé par les rites, les secrets, les codes et les symboles qui s’accumulent dans son esprit comme autant de pierres contre un barrage déjà prêt à s’effondrer. C’est par deux rites mormons en particulier, l’expiation par le sang et le mariage, que la fissure devient finalement une fracture puis un gouffre qui l’aspire littéralement dans une hallucination où il est désormais incapable de discerner le réel de la fiction…et de reconnaître sa propre identité !



Se protéger par le déni

Après ce qui incarne le premier basculement dans l’horreur pour le récit (et pour Rudd), Brian Evenson ouvre une seconde partie inattendue sur le personnage de Lyndi, une jeune femme amenée à rencontrer Rudd dans des circonstances pour le moins compliquées. On retrouve une nouvelle fois cette volonté de torture d’un esprit déjà fragile et confronté à une brusque rupture de sa propre réalité. Surtout, on assiste finalement à un déni inconscient du réel dans un but de protection, un peu à la façon de Rudd mais cette fois pour échapper à un évènement traumatique direct et non pour échapper à sa propre folie qui guette dans les circonvolutions de son encéphale.

Il serait vain de raconter la suite des évènements et impossible de narrer correctement la troisième et dernière partie du roman, hallucination totale et sans concession qui fait constamment glisser le tapis sous les pieds du lecteur encore désorienté. À ce stade, comme Eldon Fochs dans les dernières pages de Père des Mensonges ou comme Kline dans l’épilogue sanglant de La Confrérie des mutilés, il n’y plus de retour en arrière et plus aucune voie de secours pour le héros tombé tête la première dans la folie qui l’entoure. Inversion confond les rôles : celui de la victime et celui du bourreau, celui du héros et du criminel, celui du fou et du sain d’esprit, celui du croyant et du fanatique. Brian Evenson montre à quel point la religiosité et les rites qui l’entourent déstabilisent et peuvent facilement confiner à la folie pure et simple. Son roman, difficile et radical, à la fois par sa froideur clinique et descriptive mais aussi par sa volonté de n’ignorer aucune des failles mentales de ses héros malheureux, n’est pas pour tout le monde, loin de là. Il faut adhérer à cette dissection fiévreuse qui se fiche totalement de l’identité du tueur et pour qui le voyage mental représente le seul véritable intérêt du crime. Car c’est le chemin vers la folie, la destruction du corps par l’esprit qui intéresse l’américain avant toute autre chose et pas l’arme du crime ou sa découverte.



Comme des sables-mouvants, l’histoire d’Inversion aspire le lecteur et Rudd Theurer. Dissection glaçante d’un esprit en train de s’effondrer sur lui-même par le poids de son histoire familiale et de sa culture religieuse, le roman de Brian Evenson dérange et obsède, tel un monstre sournois et infâme terré aux confins de votre esprit prêt à se fissurer à son tour.
Lien : https://justaword.fr/inversi..
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