Un sanglier dans l’école
« 𝑀’𝑒𝑛 𝑏𝑎𝑡𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑢𝑖𝑙𝑙𝑒𝑠 ! 𝐽’𝑙𝑎 𝑚𝑎𝑟𝑎𝑣𝑒 ! » C’est par ces mots, éructés par Sonia, que Jean Lafargue découvre sa classe de 2nde professionnelle. Quelques jours avant d’entrer pour la première fois dans une salle de cours en tant que professeur, Jean Lafargue lit une critique méprisante de son roman dans le journal.
Ecrivain vaincu, il renonce à la littérature. Il quitte Lyon où rien ne le retient, pour prendre un poste de professeur de français en remplacement, dans le lycée professionnel de Vitrac, banlieue de Bordeaux. Jean Lafargue n’a ni vocation ni précédente expérience dans l’enseignement ; il accepte le poste par dépit, pour avoir un salaire, des vacances, un statut et qu’on ne dise plus de lui qu’il est « inadapté, déphasé, asocial ».
« 𝐼𝑙s 𝑛𝑒 𝑚’𝑜𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑙’𝑎𝑖𝑟 𝑖𝑛𝑐𝑢𝑙𝑡𝑒𝑠, 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑖𝑟𝑒 : 𝑖𝑙𝑠 𝑜𝑛𝑡 𝑙’𝑎𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑛𝑎î𝑡𝑟𝑒, 𝑑𝑒 𝑛’𝑎𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑗𝑎𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑟𝑖𝑒𝑛 𝑎𝑝𝑝𝑟𝑖𝑠 »
Il découvre le monde de l’enseignement : ses élèves (leurs prénoms, leur ricanement, leur bêtise), ses collègues (la baisse de niveau n’est pas l’apanage des seuls élèves), le pédagogisme, le nivellement par le bas, l’omniprésence de l’idéologie.
« 𝑜𝑛 𝑎𝑝𝑝𝑒𝑙𝑎𝑖𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑒́𝑙𝑒̀𝑣𝑒𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑎𝑝𝑝𝑟𝑒𝑛𝑎𝑛𝑡𝑠 ; 𝑜𝑛 𝑢𝑡𝑖𝑙𝑖𝑠𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑥𝑒𝑟𝑐𝑖𝑐𝑒𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑎𝑟𝑡𝑖𝑐𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑆𝑐𝑖𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑒𝑡 𝑣𝑖𝑒 𝑗𝑢𝑛𝑖𝑜𝑟 𝑜𝑢 𝑑𝑒 𝐿’𝐸𝑞𝑢𝑖𝑝𝑒, 𝑠𝑎𝑣𝑎𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑚𝑒̂𝑙𝑒́𝑠 𝑎̀ 𝑑𝑒𝑠 𝑡𝑒𝑥𝑡𝑒𝑠 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠, 𝑑𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑛𝑔𝑎𝑖𝑛𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑅𝑒𝑛𝑎𝑢𝑑 (‘’𝐷𝑒̀𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒 𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑠𝑜𝑢𝑓𝑓𝑙𝑒𝑟𝑎, 𝑗𝑒 𝑟𝑒𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑟𝑎’’), 𝑒𝑡 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑛𝑜𝑡𝑖𝑐𝑒𝑠 𝑑’𝑎𝑝𝑝𝑎𝑟𝑒𝑖𝑙𝑠 𝑚𝑒́𝑛𝑎𝑔𝑒𝑟𝑠 »
Effaré, il constate l’acculturation d’une jeunesse ravagée par les réseaux sociaux, la sous-culture américaine, le complotisme, la communautarisation. Très attaché au respect de la langue, il écoute abasourdi le langage de nos chères têtes blondes (ou crépues), sorte de sabir franco-arabo-anglais, fait d’onomatopées, de verlan et d’insultes.
𝑳’𝑰𝒗𝒓𝒂𝒊𝒆 est le roman de l’effondrement : la transmission est rompue, l’ignorance portée comme étendard… Nuisible, l’ivraie croît partout, les bons grains se raréfient mais persistent : l’année de Lafargue est sauvée par Noria. Elève nouvelle au sein de l’établissement, elle échappe à la médiocrité ambiante et est moquée pour cela par les autres élèves. Lafargue se sent seul, tout comme la petite Noria ; un lien va se créer entre eux, le professeur tentera de l’aider, s’imaginant qu’elle a un don pour l’écriture.
Bien que le thème et les sujets abordés soient lourds, c’est un roman très drôle. Lafourcade dresse une galerie de portraits hilarante : du professeur de géographie qui n’a jamais dépassé les frontières de son département, au gérant du 𝐶𝑎𝑙𝑖𝑐𝑜𝑏𝑎𝑟 où « ici, on mange gaulois », à Mme le proviseur qui ressemble à John Edgar Hoover et « parle un français d’écailleur de harengs ».
𝑳’𝑰𝒗𝒓𝒂𝒊𝒆 a paru en 2018 aux éditions Léo Scheer, sa lecture peut être complétée par 𝑳𝒆𝒖𝒓 𝑱𝒆𝒖𝒏𝒆𝒔𝒔𝒆, journal du professeur Bruno Lafourcade, édité chez Jean Dézert en 2021.
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