AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Caroline Lamarche (113)


Ma mère qui fut excursionniste et bûcheronne, ménagère et lectrice, solide cuisinière et fine apicultrice, vieillit à la vitesse de la lumière - lumière qui, soit dit en passant, se manifeste dans nos contrées avec une parcimonie désolante. De semaine en semaine, elle se meut plus difficilement, réduite aujourd'hui à l'espace de la bibliothèque remplie de livres reliés de cuir ciré. Cirer les livres est la seule activité qui lui est encore accessible, à petits mouvements contraints - la main, le bras, la nuque souffrent intensément d'arthrose, l'épaule se paralyse -, cirer les livres donne de la beauté et une odeur merveilleuse à ce qui constitue désormais son unique univers.
(p.18)
Commenter  J’apprécie          60
Ma mère parlait, mes frères et sœur, mes cousins, tantes ou oncles s’il y en avait parlaient. Je me taisais, le battement irrité de mon sang dans mes oreilles rendant plus confus le brouhaha général. Il me semble que mes oreilles sifflaient déjà, comme aujourd’hui, qu’elles ont toujours sifflé. Je sais pourtant qu’il n’en est rien puisque je dois ce sifflement, a conclu le spécialiste en l’absence de tout autre indice relatif à une surexposition au bruit, à un choc émotionnel, que je suis parvenue à dater d’un soir d’été avec M où la chaleur était forte et la rivière fraîche. Mais pour l’heure il s’agit d’un repas de famille. À ma gauche – j’étais la fille aînée et ma place était à sa droite – mon père proférait, pour lui seul semblait-il, quelque chose, les yeux baissés sur un blanc de poulet ou une pomme de terre qu’il massacrait à gestes lents, distraits, mon père racontait une histoire, interminable et murmurée, les yeux dans son assiette, indifférent à l’indifférence familiale, il avait l’habitude que l’on ne s’intéresse pas à ses digressions, qui prenaient la forme de méditations sur l’Histoire ou la généalogie ou le patrimoine monumental de notre région. Je l’écoutais vaguement, par politesse, ou désespoir, je l’écoutais n’ayant rien d’autre à écouter – c’était ma place, à sa droite – que la voix de mon père, cette onde discrète qui, sans interruption, rayait imperceptiblement la conversation générale, une voix marmonnée et tenace, tirant le fil d’une méditation sur l’Histoire, ou la généalogie ou le patrimoine monumental, un fil ténu, constamment mis à l’épreuve par l’envahissement familial, et qui eût pu se distendre, se briser à tout moment, mais qui, pourtant, se tissait comme celui de l’araignée, un fil sorti du ventre, ou peut-être du cœur, du poumon, j’ignore l’organisation interne de l’araignée, ce qui y remue et bat, mon inculture est aussi éclatante que l’érudition de mon père, (…)
Commenter  J’apprécie          60
Je me suis promis de ne pas faire durer cela plus longtemps que l’absolument nécessaire. De ne pas accumuler les anecdotes. De ne pas devenir victime de mon propre récit. On écrit pour revenir au monde plus vivant. Ou pour tenir le choc de l’épreuve à venir. Le reste rôdera à jamais dans les abysses. C’est le substrat nourricier, celui qui n’est pas atteint par la lumière, qu’aucun filet ne remonte.
Commenter  J’apprécie          50
Nous, les femmes, nous restons muettes, nos regards passant de l’un à l’autre avec cette docilité duplice qui consiste à paraitre extraordinairement attentives et, ce faisant, à donner l’impression qu’on encourage le débat, alors qu’en réalité on se dit avec soulagement qu’une fois de plus les hommes jouent ensemble en vous laissant de côté, ce qui rend les modestes esprits féminins libres de vagabonder à leur guise.
Commenter  J’apprécie          50
J’aime l’idée qu’un garde amoureux des arbres et un musicien devenu gardien de nuit puissent entrer, comme s’ils étaient chez eux, dans la maison où je dors. Les portes verrouillées s’ouvriront à leur approche. Ce sont des hommes de métier. Des hommes sûrs.
Commenter  J’apprécie          50
Inouï, ce mot pris dans le sens courant d'extraordinaire ne veut rien dire. C'est un lieu commun qui nous évite de penser tout en nous faisant croire que nous vivons, ou allons vivre, une succession de moments extraordinaires, que l'existence n'est faite que d'exaltations, de drames, de coups d'éclat.
Mais Inouï, au sens propre, signifie : ce qui n'est pas entendu.
Lorsqu'un homme et une femme s'accompagnent au fil de longues années dans le déroulement quotidien de leurs tâches parallèles ou communes, cela ne fait pas beaucoup de bruit. Ce n'est même pas un sujet de livre. C'est pourtant ce refus de l'extraordinaire, du dramatique, au profit du mouvant, du laborieux, de l'infime, qui fait de l'amour conjugal quelque chose d'inouï.
Commenter  J’apprécie          50
A l’arrière de ce qui avait été, un siècle plus tôt, la Fabrique de Fer, se trouvait une colline arborée nommée le Bois Saint-Jean. Là, Frédéric m’avait désigné, mangés par la broussaille, des vestiges imposants et sinistres, noirs résidus de coulées de fonderie qu’on eût pu croire ratées et qui étaient, en réalité, criminelles.
- Les gens les nomment les cloches-tombes, m’avait-il dit. (…) Des tombes en forme de cloches.
Les morts qui s’y trouvaient n’étaient pas nommés. Aucun mémorial ne les signalait, ils faisaient partie de la masse des anonymes de la sidérurgie, ceux qui travaillaient sous la menace du métal en fusion et dont la disparition n’avait laissé aucune trace, pas le moindre cadavre, pas le moindre ossement, pas même un tas de poussière. Cela se passait souvent de nuit. La fatigue, une glissade en sabots dont les ouvriers étaient chaussés avant-guerre, ou un débordement soudain de la fonte tel du lait porté à ébullition. Ces accidents individuels, tus par les sociétés, non archivés, demeuraient dans la mémoire des gens. Frédéric se souvenait avoir assisté, enfant, à des funérailles dont le cercueil de taille réduite ne contenait qu’une petite fraction sauvée du corps de l’homme qu’on n’avait pu retenir dans sa chute vers le gouffre à 1600 degrés. D’autres, brûlés sur certaines parties du corps, en étaient fiers comme de blessures de guerre. Mais qu’en était-il du métallo disparu sans laisser la moindre trace dans une coulée devenue sa seule tombe ? Un cri, une fumée crépitante, puis plus rien, la rivière en fusion poursuivait son chemin.
Je le raconte comme je l’ai compris. La fonte qui avait mangé un homme n’était pas utilisée. Elle était, cette porteuse de malheur, jetée au Bois Saint-Jean. On l’abandonnait, refroidie et durcie, sous les maigres arbres du terril. Autant de cônes sombres, de sculptures archaïques. Point de sépulture, donc, pour les dissous de la coulée, mais une cloche-tombe, une tombe qui offrait l’apparence d’une immense cloche, monstre mélancolique et noir rejoint bientôt par des carcasses de voitures, des déchets de construction, des détritus en tout genre dont il faudrait bien, un jour, nettoyer la zone.
Commenter  J’apprécie          50
L'homme sonne à la porte. Un petit chien aboie. La porte s'ouvre, livrant passage à une grosse femme. Elle nous introduit dans une cuisine vieillotte. Elle a posé son fer à repasser, le linge est sur la planche, le chien me renifle les orteils.
-Vous avez droit à une boisson, dit la grosse femme.
Commenter  J’apprécie          50
"Voilà moins de six mois que je la connais et c'est ma plus belle love story. Parfois je la crois morte, mais ça ne correspond pas à son tempérament. Alors je préfère l'imaginer libre, même si elle a en quelque sorte disparu. À moins qu'elle ne soit là, tout le temps, sous mes yeux, parmi les autres, dans le flot, le flux, sous le vent qui commence à se faire vif et les feuilles qui tombent et se posent. Je ne sais pas."
Commenter  J’apprécie          50
Je suis ainsi faite que l'amour me réduit à n'être plus qu'une feuille très fine, mangée par les intempéries et emportée par un vent violent.
Commenter  J’apprécie          50
(p198) J'écris . Je cherche la phrase capable de contenir ce que je sais de l'amour, comme une coquille contient son fruit, la note parfaite sur la portée de l'existence. La découvrir serait un bonheur presque égal à celui de se trouver ensemble en équilibre sur un vieux mur, un fleuret de bois à la main, et de parvenir, au même moment, à se toucher le coeur.
Commenter  J’apprécie          50
La poésie est un petit ventilateur
placé contre le visage, la bouche, les yeux,
elle rafraîchit en toute circonstance.
(p.56)
Commenter  J’apprécie          40
On croit les femmes brutales, mais c’est que le cercle de leurs activités est restreint : cuisine, ménage, toutes ces obligations répétitives et menues réduisent les forts tempéraments à se maltraiter en maltraitant les choses.
Commenter  J’apprécie          40
Des quarante fermes du village, il n’en restait plus que trois. Entre les lotissements poussés partout ne broutaient plus que quelques vaches qui ne s’appelaient plus Blanchette, Noiraude ou Marguerite, elles n’avaient plus de prénoms, juste une étiquette à chaque oreille avec un code-barres, comme la viande au supermarché.
Commenter  J’apprécie          42
Ma mère me dit : « Un jour tu devras… avec ton mari… Ce sera désagréable, mais ne t’inquiète pas, ce n’est qu’un petit moment ennuyeux, qu’on oublie très vite, et surtout, surtout, tu ne devras jamais, jamais, lui dire non ». […] Cette information lapidaire, donnée d’un ton qui se voulait rassurant, constitua le début et la fin de mon éducation sexuelle.
Commenter  J’apprécie          40
Moi, parfois, en observant certains bénévoles qui brillent par leur perfectionnisme technicien, je me pose des questions. On le sait bien : c’est toujours les plus zélés qui finissent par en finir. Dans les faits divers, les meilleurs infirmiers ou infirmières, les impeccables, qui ne laissent rien au hasard, les préfères du médecin-chef … un jour, zou ! ils se trompent soi-disant de seringue.
Commenter  J’apprécie          40
Un jour, j’ai vu une femme. J’étais assise dans le métro, elle se tenait debout devant moi, vêtue d’une robe ou d’un manteau, je ne sais plus. Du gris ou du bleu. Les cheveux mi-longs. Le visage dépourvu de maquillage était lisse, tranquille. Je me suis aperçue qu’elle pleurait. Muettement. Sans expression. Les larmes coulaient à flots, elle ouvrait et fermait les yeux pour les absorber, c’était le seul mouvement sur son visage impassible : le battement des paupières. Un voile liquide. Un masque d’eau.
J’ai pensé qu’elle venait, comme moi, d’être quittée par un homme.
Je me suis levée, je suis allée vers elle : « Je peux vous aider ? »
J’ai vu ses yeux s’agrandir, ils ne cillaient plus du tout.
Elle a dit : « Ma mère vient de mourir. »
Commenter  J’apprécie          40
La nuit est toujours intéressante.
Commenter  J’apprécie          40
Les lucioles sont nos sentinelles, comme les rossignols disparus, eux, bien avant ma naissance.
Commenter  J’apprécie          40
Les gens hantés par un deuil irréparable ne croient plus en l’avenir. Mais bien en l’imagination, d’où naissent les plus folles histoires. Ses histoires à elle, pourtant, n’inventent pas d’autres mondes. Pas d’autres amours non plus. Il leur suffit d’être complices de quelques vies sauvages.
Commenter  J’apprécie          40



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Caroline Lamarche (388)Voir plus

Quiz Voir plus

Karine Giebel ou Barbara Abel

Je sais pas ?

Karine Giebel
Barbara Abel

10 questions
66 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}