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Citations de Caroline Lamarche (113)


Elle ne regarde plus la télé. Désormais elle l'écoute. Comme Jeanne d'Arc ou Bernadette Soubirous, elle voit des formes, entend des voix et en retient de quoi sauver le monde. Elle me parle d'un documentaire sur le réchauffement climatique. Au Pérou les montagnes ont d'ores et déjà perdu leur couverture neigeuse, ce qui entraîne une sécheresse sans précédent. Un paysan péruvien, qui a compris que le blanc rejetait le rayonnement solaire, s'est mis à peindre un pan de montagne avec un mélange de chaux et d'eau. Il a déjà recouvert, en s'accrochant au flanc noir et brûlant du rocher, l'équivalent de trois terrains de football. Le versant blanchi s'est refroidi, le gel est revenu et la neige, en fondant, alimente à nouveau les ruisseaux.
Ma mère, éternelle planificatrice : On ferait bien d'envoyer des hélicoptères sur toutes les montagnes du monde avec de la peinture à pulvériser, ce serait merveilleux."
Moi, je pense que la merveille est qu'un homme l'ait fait tout seul avec cet outil dérisoire : un pinceau. Ne s'agit-il pas d'une action plus remarquable et pour tout dire plus artistique que le fait de piloter un hélicoptère d'épandage ?
Si je ne regarde plus jamais le journal télévisé, c'est que les nouvelles y sont peintes en noir. Tous les téléspectateurs n'en meurent pas mais beaucoup en sont frappés. Sauf ma mère. "Le monde va de mieux en mieux", affirme-t-elle. Elle déteste que je la contredise. Pire: elle ne me croit pas.
Pour faire contrepoids aux drames planétaires, je décide d'être comme ce paysan péruvien armé de son seul pinceau. Je remplace la surenchère des menaces et des plaintes par une action dynamique qui recrée du bien-être au moyen d'un outil naturel : l'écriture. Elle seule permet à mes idées de se remettre à circuler comme des ruisselets limpides.
(pp.73-74)
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Je voyais de loin briller et se tordre le poisson tiré de l'eau, éclat d'argent sur l'argent de la rivière, sorti du sombre et du silence pour être jeté comme un mot dans une conversation, un mot rare et palpitant, dont la beauté restée jusque là secrète se ternit dans la seconde.
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A Reocin, le passé ne m’apparaît pas à la faveur d’une rencontre fortuite, mais grâce à un mémorial construit en bord de route, sur lequel je tombe, là aussi, par hasard. Dix-huit stèles en zinc, de différentes tailles, correspondant à autant de morts, trois hommes, six femmes, neuf enfants. J’apprends alors seulement, par un panneau explicatif, que ces gens ont été surpris, le 17 août 1960, à l’heure du coucher, par la rupture de la digue, dite de la Luciana, qui servait à retenir les résidus d’extraction que l’on nomme « stériles ». Plusieurs maisons et autant de familles anéanties sous trente mille tonnes de pierres et de boue. Le panneau reproduit des extraits de journaux de l’époque, ponctués de photos de cortèges funèbres. Un deuxième panneau, de même facture, placé à quelques pas du premier, résume les activités de l’Asturienne à Reocin en y mentionnant le souci du bien-être des travailleurs, photos du dispensaire médical et de l’économat à l’appui. De sorte que se côtoient, sur la même butte herbeuse, l’expression d’un deuil collectif et celle d’un bien-être planifié.
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Le quittant pour replonger dans une soirée de plus consacrée aux coffres, malles et armoires de la maison de ma mère, je me dis que l’écart entre lui et moi n’est plus seulement ce qui nous a attirés autrefois, à savoir une complémentarité dynamique entre nos origines familiales respectives ou nos manières d’argumenter ou de nous divertir. Ce qui s’est révélé au fil de nos rangements fastidieux existe par une différence supplémentaire, à mes yeux la plus poignante : la classe possédante possède, en plus du reste, des archives. Les ouvriers, rien.
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Le chien non plus n'avait personne sur qui compter. Pourtant, je me souviens que nous étions au moins une demi-douzaine à vouloir le sauver.
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Il faisait chaud et j'étais vêtue assez légèrement d'une robe rouge vif et de mes baskets portées pieds nus.
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« C’est la dernière fois que… » Cette sérénité dans l’exposition des symptômes du grand âge, je l’interprète comme l’aboutissement d’un processus qui a sans doute charrié pendant des mois, silencieusement, son paquet de renoncements, cette appellation chrétienne du chagrin.
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Vivement que tout cela se termine, me dis-je en surveillant l’horloge, que cesse cette torture où je happe en vain l’air comme un poisson sorti de l’eau, car rien, dans tout ce qui se dit, ne laisse la moindre chance à la confidence filiale, aux souvenirs d’enfance, à la tendresse, bref au sentiment d’être autre chose que le réceptacle d’une haine impitoyable et parfaitement rationnelle [..], rien ne me permet de respirer l’air rare et pur des contrées proches de la mort, fragilité, humour, reconnaissance, pensées hautes et tranquilles, rien ne me permet de préparer ensemble la manière dont, bientôt, ma mère et moi ne serons plus ensemble.
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Quelques heures plus tard, elle m’enverrait le clip de la chanson Mama de Khadja Nin, dans lequel on voit la grande chanteuse burundaise caresser le visage de sa mère, la serrer, l’embrasser, ce que nous n’avions jamais, au grand jamais, pu faire. Tout ce que nous avions eu, c’était quelques paroles échappées que nous gardions en nous, chacun son petit trésor. Moi c’était le « chérie, chérie, je t’ai tant aimée quand tu étais petite et maintenant cela revient », je n’en voyais pas d’autres pour me consoler de l’effroi éprouvé au moment de sa fin.
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Tout ce qui disparaît et disparaîtra encore se trouve dans les œuvres des artistes. Alors si vous voulez voir à quoi ressemble la neige, demandez à vos parents de vous emmener au musée. Là vous verrez des tableaux qui représentent des hivers merveilleux. Car l'arrivée de la neige était ce qu'il y avait de plus magique.
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L'instituteur décida d'associer à son cours sur la neige des œuvres d'art. Il avait en tête les tableaux de deux ou trois artistes de ce vingtième siècle où personne ne se doutait encore que la neige, les insectes, les oiseaux et, cela va sans dire, la religion disparaîtraient aussi vite.
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J’ai proposé à France qu’elle m’indique comment programmer son robot-tondeuse, que j’en prendrais bien soin, que je pourrais même m’en occuper quand elle partirait en vacances, en somme je lui en ai parlé comme d’un animal domestique puisqu’elle semble si attachée à son robot, si incapable d’en changer les habitudes. Je me dis souvent que cette femme un peu trop seule – une battante, notez bien, dont pas mal de types ont profité quand elle était encore dans la course – a enfin trouvé une compagnie, son robot tondeuse, plus simple qu’un chat ou un chien, plus propre aussi, et toujours là, présence diligente et discrète, zélée, aux ordres, infatigable, et c’est vrai que quand vous voyez ce machin parcourir la pelouse dans tous les sens, on dirait une sorte de tortue rapide, ou de tamanoir ou d’animal exotique à carapace, les gens qui passent au bord du lac sont fascinés, les promeneurs s’arrêtent et regardent, ça les fait rire parfois, et leurs chiens aboient comme s’ils avaient vu un ballon en mouvement perpétuel.
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Je pensais à cet animal comme à moi-même : quelqu’un qui se hâte avec ardeur vers un but (mais lequel ?) et que la vie, sans cesse, contrarie ou place dans des situations potentiellement périlleuses.
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Moi j’ai beaucoup pleuré de naître, m’a toujours dit maman. De sorte que j’ai deux lacs à la place des yeux. Quand je suis couchée sur le dos, les yeux ouverts il y a comme une poche d’eau salée au bord de mes pommettes. En me levant, je pleure, et c’est de rester debout jusqu’au soir que j’assèche mon regard. À force de rester debout jour après jour, je suis devenue une vraie jeune fille. Autrefois maman disait : « Arrête de pleurer ! Quelle gamine assommante ! » Maintenant je souris. Malgré les cernes qui marquent la place des lacs d’eau salée, j’ai l’air heureuse, et c’est un mensonge qui me suivra jusqu’à la tombe.
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(…) ces pierres de formes et de couleurs variées, jaunes, bleues, vertes, laiteuses ou caramel. J’aperçois dans un coin deux blendes dorées où dorment une abeille et un moustique pétrifiés depuis des milliers d’années dans leur goutte de caramel translucide, petit cercueil précieux qui semble prévu pour qu’à l’ère des pesticides qui les exterminent, ces deux-là soient nos pharaons minuscules.
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Force est de constater que ces exercices de consanguinité lucrative, reconduits audacieusement à chaque génération, n’ont produit aucun rejeton taré. Pourtant je me souviens avoir été dûment chapitrée dans mon adolescence : se marier entre cousins produisait des idiots. On nous citait toujours un exemple à l’appui : dans telle ou telle famille « connue » on trouvait un individu qui bavait ou qui agitait les bras de manière désordonnée. Ou, pire, qui sans être zinzin avait l’air « commun ». Car chez nous, si personne ne rivalisait d’élégance, loin de là, il n’en fallait pas moins être bien bâti, ni trop gros ni trop maigre, se « tenir droit » et avoir « l’air distingué ». Je crois pouvoir dire que même les plus incultes avaient chez nous l’air « distingué » : on ne pouvait exister à moins. Quant aux femmes, Virginia Woolf aurait dit qu’elles « s’habillaient sans grâce mais se tenaient superbement ».
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La précision et la beauté des pages manuscrites, leur résilience dans le froid des caves, la touffeur des greniers, ce que j’imagine de la position des scripteurs, de leur manière de se placer sous une lumière rare, du geste de tremper la plume dans l’encrier, de la laisser courir, tout cela se révèle infiniment plus vivant que ce à quoi se résume aujourd’hui les échanges de courriels, les brèves de téléphone portable ou l’agitation des réseaux sociaux. Ces gens dont les phrases élégantes n’excluaient ni les émotions ni les doutes, me deviennent plus réels et plus chers que mes proches. (…)
L’écriture manuscrite est à l’imagination ce que le corps est à l’amour.
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Je suis très souple. Je peux toucher mes orteils avec mes doigts de la main.
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p 19 En matière de dispute, nous sommes, elle et moi, analphabêtes, des championnes de la contorsion mentale et de l'autopersuasion: ce qui fâche n'existe pas.
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« En deux jours la fraîcheur a disparu,
nous entrons dans la fin du monde
qui d’année en année se rapproche et
multiplie les jours intenables.
Une maison est plus fraîche qu’un hôpital,
voilà à quoi je pense en peignant la première couche
sur cette porte déjà exposée au soleil.
Quand j’ai fini je reviens vers ce modeste rectangle
nommé Samsung et sur lequel s’inscrivent
tous nos échanges et les mots des poètes.
Et je lis ta réponse en forme de haïku :
"Peindre une porte dégage le champ.
Un certain calme. »
(pp.37-38)
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