Citations de Catherine Grive (104)
- Bonjour, madame.
- Bonjour, made...jeun...
Allez, un petit effort. Regarde-moi bien. Fille ? Garçon ? Tu trouves ? Oui ? Non ? Allez, pas grave.
De retour à la maison, je me suis quand même dit que j'exagérais. J'étais qui pour parler comme ça à un adulte, même un adulte qui était ma mère ? J'avais peint 'La Joconde' ? J'avais dessiné les plans de la Tour Eiffel ? J'avais inventé le socialisme ? Un peu d'humilité, Kid, je me suis dit. J'ai tout rangé dans les placards. J'ai même mis le sucré avec le sucré et le salé avec le salé pour me faire pardonner.
En fait, un corps nu, si on prend soin de le regarder avec tendresse, n'est jamais laid. Il est tout simplement humain.
J’ai un chagrin. Et pas un minus. Je ne pourrais pas dire précisément de quand il date, à peine comment il se manifeste – de vagues bouffées d’ennui, une inquié- tude sans objet, un manque d’envie, d’appétit, d’atten- tion –, encore moins d’où il me vient. Mon enfance a été plutôt chouette, mes parents ont du boulot, j’ai un forfait honorable pour mon portable, j’ai toujours eu des cadeaux à Noël, je ne suis allergique à aucun aliment que j’adore manger.
Au début, je n’y avais pas fait trop attention. Je pensais qu’il partirait tout seul. D’autant que je suis quelqu’un chez qui tout passe facilement, la colère, la rancune, la mauvaise humeur. Mais ça n’en prenait pas le chemin. Bien au contraire. Mon chagrin volait dans ma tête comme un bourdon au-dessus du paysage. Pour ne plus l’entendre, je me forçais à penser à autre chose. Et si possible à rien. Mais le rien n’est pas le vide, le rien est une matière inépuisable à penser. Ceux qui connaissent comprennent.
c'était mon blouson.
Celui au cuir marron vieilli et tendre, craquelé aux coudes, à la doublure douce comme un pyjama de bébé.
Qui avait un écusson sur la manche.
Avec la fermeture Eclair qui coinçait un peu, mais finissait toujours par céder.
Et une pression au col que, les jours de grand froid, maman fermait d'un geste énergique, les sourcils froncés.
Celui qui m'allait si bien, même encore un peu trop grand, été comme hiver, triste ou en forme.
Maintenant.
A présent, actuellement.
Maintenant, en ce moment, je tiens dans les mains un livre. Ce livre.
Alors, sans me dégonfler, j'ai pris une épingle.
Il n'a même pas eu le temps de dire pouff qu'il a éclaté.
Quand on voit une souris courir sur les rails du métro. (Occasion de faire un voeu)
J'ai (…) regardé les photos de notre voyage, notamment celle où on voit ses dents tellement il rit. Il venait de me faire une blague :
- Tu savais que le mot 'ouate' venait des phoques ?
- Non.
- Ouate de phoque !
Elle était bonne, sa blague, à lui.
Je l'envie d'avoir des parents comme ça. C'est une pensée d'enfant de croire que c'est toujours mieux chez les autres...
Oui, de parler. Que ce soit à la personne qui est la cause de votre chagrin ou à quelqu’un d’autre. Mais de ne pas rester trop longtemps seul avec ce qui fait de la peine.
Je suis une pessimiste optimiste, une pessimiste contrariée.
Je fais partie des solitaires, de ceux chez qui les mots ne viennent pas facilement, mais les images si, qui ont besoin de se créer une bulle pour être eux-mêmes. L’ai-je toujours été ? Pas du tout. J’ai développé cette nature à force d’être perçue comme une personne différente. Une personne née fille, en l’occurrence. Une personne avec ses goûts propres…
-À l’évidence, cette dame n’a pas toutes ses frites dans le même sachet, comme on dit chez nous, remarque drôlement M. Schouppe.
Il faut de la sagesse pour accepter ce qu'on est, mais il faut du courage, de la persévérance, de la confiance pour devenir soi-même.
M.Schoupe m’a tendu la main.
-Bonjour, petit. C’est quoi ton prénom ?
-Joséphine.
-Joséphine, comme une fille ?
- C’est une fille, papa.
M et Mme Schouppe m’ont examiné de haut en bas, de bas en haut. Je suis habituée à ce regard incrédule. J’y réponds toujours par la même moue indéfinissable, quelque chose entre ma propre surprise et la fatalité.
Dessiner, c'est exprimer des sentiments, c'est une chose, mais parler aussi. S'au-to-ri-ser. Par-ler.
Raconte ! réclament-ils tous en cercle autour de moi.
– Oui, allez, raconte, insiste un mec de terminale qui ne m’a jamais adressé la parole.
Raconter quoi ? La porte de l’entrée claquée, les pas de mon père remontant le couloir, le bruit de son pipi suivi de la chasse d’eau, sa voix pour me demander si j’étais prête – nous devions aller faire des courses pour le dîner –, le temps qu’il a marqué en entrant dans ma chambre ? Son « Que se passe-t-il ? » ? L’instant où, concentrée sur mon dessin, j’ai relevé la tête et découvert la fumée noire flotter dans la pièce ? « Au feu ! » s’est-il écrié avant de me soulever par le col comme on attrape un chat par la peau du cou. Sous les portes du couloir, des petites flammes dardaient déjà leur langue vers nous. « Lorie ! hurlait-il. Lorie ! » « Que se passe-t-il ? » a répondu la voix lointaine, assourdie, de ma mère. Elle et nous avons déboulé en même temps dans l’entrée. Papa a ouvert la porte. Dans la panique, maman a fait le geste idiot de vouloir fermer à double tour. Papa a remonté la marche pour lui arracher la clé des mains. C’est ça que leurs regards attendent ? Plus de détails ? Des cris, du sang, des blessés
Cette autre chose, (que nous avons en commun ndlr) c'est de les avoir éduqués pour qu'ils aillent à la mort. Nous aurions pu tout aussi bien leur donner tous les matins quelques gouttes de poison que seul un médecin aurait su détecter... Mais non, nous les avons envoyés loin, très loin, animés par des idées de justice, de liberté que nous leur avons rentrés dans le crâne à coup de d'histoires de petits canards ou de mythologie grecque.
[A la bibliothèque]
La dame blonde à l’entrée, avec son Thermos de thé et ses petits-beurre Lu, ne parle que si on lui adresse la parole. C’est grâce à elle que j’ai découvert Oui-Oui. Cette lecture a été pour moi un véritable choc, le véhicule d’un changement intérieur profond. Ainsi, on pouvait, comme Oui-Oui, être petit et faire le bonheur autour de soi ? Je n’en étais pas revenue.