AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Cécile Desprairies (99)


L'épurateur s'était non seulement dispensé lui-même d'épuration, mais il épurait ses pairs.Il était passé dans le camp des vainqueurs, comme l'avait fait de son côté sa nièce Lucie.L' " effet caméléon " est une constante de ma famille.

( p.133)
Commenter  J’apprécie          10
En attendant, tout le monde rit à ses blagues. Lucie et le clan ont bien investi: ils ont un Américain, qui plus est ancien militaire,et mieux encore juif, dans leur entourage. Pas un de ces
" ramenards", comme aurait dit Lucie, mais un juif complexé de l'être, le seul autorisé finalement, celui qui s'encanaille en fricotant en eaux troubles, du côté des nazis et de leurs affidés. En voilà un qui a tous les avantages ; si juif et si peu à la fois.

( p.97)
Commenter  J’apprécie          10
Hôtel du Beaujolais
Donne sur les jardins du Palais-Royal.
Endroit fréquenté par les hommes de lettres: Zweig avant guerre, puis Giono «ÞHôte du PalaisRoyal» (Cocteau) et Giraudoux y séjournent.
(L’hôtel est auj. fermé.)
Aucune trace de réquisition dans les archives consultées.
Domicile temporaire de Giraudoux
Témoignage de Gerhard Heller
«Lorsque je lui [Giraudoux] rendis visite en 1942, à l’hôtel du Beaujolais,
dans l’enceinte du Palais-Royal, je sentis combien profonde avait été son
évolution. […] à deux pas des appartements de Cocteau et de Jean Marais,
à côté de celui de Colette.»
Gerhard Heller, Un Allemand à Paris, 1940-1944, Paris, Éd. du Seuil, 1981, p.142.
Commenter  J’apprécie          10
Lucie a les yeux noirs, pas du parfait type aryen. Mais si on l'interroge, elle répond que la couleur des yeux est de toute façon une question de gènes dominants et de gènes récessifs. Ainsi, même si ça ne se voit pas, elle a quand même les yeux bleus. Elle a les yeux bleus à l'intérieur, voilà tout. Ce n'est pas seulement une couleur, c'est un tout. Peu importe la couleur, pourvu qu'on ait le gêne.
Commenter  J’apprécie          00
Malheureusement pour ces cendrillons, minuit avait sonné. « En 44 », les « salauds » avaient envahi Paris, telle une nuée de locustes, et signé la in de la guerre, autant dire la fin de la récréation. Le carrosse des jeunes femmes s'était transformé en citrouille. « Ces sa-lauds ont tout gâ-ché », psalmodiait ma tante, dans un lamento nasillard et plaintif.
Commenter  J’apprécie          00
Ma mère reste obsédée par la collaboration. Ambassadrice sans interlocuteur d'une cause perdue ; impératrice sans empire, Gauleitrice sans district, elle était pourtant faite pour la Lotharingie.
Commenter  J’apprécie          00
Je n’ai pas été convaincu par le texte : le style manque cruellement d’inventivité et la position de l’autrice me questionne.
Commenter  J’apprécie          00
Dans les faits, Lucie transpose l’irréalité dans un français qu’elle
construit. Elle dit à ses petits : Ce serait comme ci. On ferait comme ça. On
penserait comme ci. On dirait que Friedrich a dit cela…
Est-elle encore dans l’excitation de la victoire, cramponnée au désir
d’atteindre les sommets qui les avaient portés si loin avec Friedrich, ou bien
vit-elle, dans un autre monde, l’espoir d’échapper à cette vie-là ? Elle sait
sûrement qu’elle a tout perdu mais n’en accepte pas l’idée. Seul le déni lui
reste. Se mentir rend les choses plus supportables. Il suffit de se répéter
suffisamment longtemps un mensonge pour qu’il se mue en vérité. De toute
façon, avec Hitler, c’était tout ou rien. Friedrich l’a écrit sur une carte : Mit
Hitler – Alles oder Nichts. Ce sera donc tout, y compris la fausseté, les
petits arrangements avec l’honnêteté, les écrans de fumée, la méchanceté
parfois et quelques bonnes mises en scènes saupoudrées de propagande. Qui
n’adhère pas à son système est à mettre aux encombrants.
Ce faisant, Lucie répand de-ci, de-là quelques indices donnés en pâture
à ses enfants. Ils ne comprennent pas tout mais saisissent des mots, des
phrases, font des rapprochements ; Lucie joue au als ob, de toutes les façons
possibles, avec une mauvaise foi noire, essayant parallèlement de nous y
faire jouer. Certains d’entre nous s’en désintéressent ; d’autres comprennent
vite, surtout ceux qui perçoivent bien que c’est la seule manière de capter
son attention. L’enfant est loyal, il s’adapte ; il n’a pas d’autre solution que
de parler le même langage pour exister.
Commenter  J’apprécie          00
« Après-demain ou dans trois jours, les Américains seront à Paris. Les
combats seront violents mais rien ne peut empêcher leur reconquête. Déjà,
j’ai l’écho de rumeurs abominables concernant les civils.
« En attendant, c’est la débandade.
« Écoutez bien, car je ne le répéterai pas deux fois. Vous me faites
perdre mon temps, ma jeunesse et ma beauté. Vous êtes allés trop loin. Vous
vous êtes compromis. Vous ne m’avez pas écoutée.
« Regardez les choses en face. Tout le monde a vu vos portraits, partout,
depuis le début. Bande de bourriques, espèces de buses, bougres
d’andouilles. »
Lucie les menace en secouant le poing à hauteur de ses yeux, façon
passionaria. Quelle étrange façon de reprocher aux autres ce qu’elle a fait
elle-même. Sans doute a-t-elle été peu photographiée ou filmée, mais son
implication est tout aussi grande, car si elle n’était pas l’objet de la
propagande, elle était, elle-même, la propagande.
Commenter  J’apprécie          00
Lucie paraissait rationnelle, mais tout en elle était menaçant. D’une voix
assurée, elle lâchait à sa parentèle : « Je vous ai tous tirés d’affaire, vous
feriez bien de vous en souvenir. On ne s’en est pas mal sortis. On n’a pas
tout perdu. Vous vous voyez, vous, le crâne tondu, promenées à travers la
ville ?
« Et toi, Raphaël ? Le Maréchal n’aimait pas les pédérastes, tu le sais.
« Et moi, j’en ai par-dessus la tête de cette vie – femme au foyer, élever
des enfants, cela ne m’intéresse pas. J’en ai plus qu’assez de préparer des
potages de haricots verts, des rôtis de viande rouge et des sauces béchamel.
« J’ai l’air si sage, mais j’ai fait tout ça pour vous ! Je nous ai tous fait
gentiment oublier, le temps que cela se passe et cela s’est tassé.
« Alors que l’on ne vienne pas me raconter des histoires, et patin-
couffin. »
Commenter  J’apprécie          00
Raphaël est ainsi devenu le « juif » de la famille. Lucie a pris sa
revanche. Plus que jamais, mon grand-oncle a passé ses dimanches et ses
Noëls seul. « C’est important, tu sais, la famille. Les gens sont contents de
se retrouver entre eux. C’est normal », me répétait-il, assis dans son
fauteuil, sans arriver à se convaincre lui-même.
Il y eut entre la nièce et l’oncle des épisodes critiques, des phases
aiguës, de brèves ruptures, de faux rabibochages, des moments de latence,
des scènes, des menaces sourdes, des raccrochages brusques, mais en
définitive, il a fait à peu près ce qu’elle disait. De l’un à l’autre, c’était une
sorte d’amour déçu. Lucie la courageuse ne se trouvait pas reconnue pour
ce qu’elle était. Raphaël l’invincible se sentait vulnérable mais la
reconnaissait pour égale.
Commenter  J’apprécie          00
Autour de Raphaël, c’était l’hécatombe ; pour Lucie, plus pragmatique,
seule la perte des biens était une catastrophe. Raphaël avait perdu sa fortune
par où il avait toujours péché, car sa chair était faible. Cet amant du
moment avait su le convaincre et lui avait tout pris. Lucie enrageait, car la
lettre devenait inutile, et ainsi s’effondraient tous ses efforts pour
l’accomplissement de son Grand Double Dessein : le blanchiment de la
famille et l’enrichissement de sa descendance.
Commenter  J’apprécie          00
Pour Raphaël, ces achats n’étaient nullement une question d’usurpation
ou de biens mal acquis, mais une juste rétribution, une sorte de commission
d’apport d’affaires, de l’ordre de 10 ou 15 %, comme toutes les
commissions, ce qui donne une idée du nombre d’appartements tombés
dans l’escarcelle du Commissariat général aux questions juives, c’est-à-dire
de l’État français.
Raphaël et son compagnon étaient ainsi peu à peu devenus agents,
agents de tout le monde. Prenant une commission des deux parties, ils
étaient rétribués des deux côtés car les immeubles revenaient aux Français
tandis que les biens meubles, transportables, étaient destinés aux
Allemands. C’était de toute façon un petit monde, où l’on se croisait
toujours et où, à chaque affaire, l’on touchait une commission.
Commenter  J’apprécie          00
Sa vie durant, il avait su échapper à tous les pièges, se sortir de toutes
les situations délicates ; il avait su afficher haut ce qui était tabou pour
dissimuler d’autres parts sombres. Son grand mot avait toujours été : « La
vérité, tu sais, c’est tellement plus simple. »
Mais sa nièce, ma mère vindicative, attendait son heure. Elle ne se
laissait pas contourner facilement. Plus machiavélique, plus stratège,
nullement abusée par Mozart, ma mère entreprit alors de faire chanter mon
grand-oncle, une fois veuf, pour le reste de leur vie.
Commenter  J’apprécie          00
Aussi, c’est vierge de tout reproche et blanc comme neige que l’année
suivante Raphaël était revenu benoîtement dans la capitale, pour prendre les
fonctions, en juin 1945, de vice-président du Comité d’épuration des gens
du spectacle, qui tenait séance aux Champs-Élysées, dans l’ancien siège de
la Propaganda – des locaux qu’il connaissait bien.
C’est par le président de ce comité – un chef d’orchestre certes résistant
mais aussi doubleur en français du Juif Süss – que l’impresario Raphaël
avait été coopté. Tous deux étaient officiellement peu compromis. Raphaël
avait vu défiler à la barre du tribunal ses anciennes connaissances du monde
artistique, et arrangé nombre de cas qui se présentaient comme une
promesse d’avenir.
L’épurateur s’était non seulement dispensé lui-même d’épuration, mais
il épurait ses pairs. Il était passé dans le camp des vainqueurs, comme
l’avait fait de son côté sa nièce Lucie. L’« effet caméléon » est une
constante de ma famille.
Commenter  J’apprécie          00
Au moment de la succession des parents de Raphaël, l’argent est allé à
l’argent. Raphaël a été confirmé dans sa richesse, Herminette dans sa demi-
pauvreté. L’un est devenu propriétaire, l’autre est restée locataire. Aussi
Lucie, ma future mère, la fille d’Herminette, est restée pauvre et en a gardé
toute sa vie un vif ressentiment, dissimulé. Pour elle, il était injuste que
Raphaël, qui n’avait pas d’enfant, soit riche et non elle, d’autant qu’il ne
redistribuait rien aux enfants de sa sœur adorée, même s’il privilégiait une
des filles de celle-ci, Zizi, en la sortant dans le monde, tandis qu’il ignorait
Lucie, la petite campagnarde.
Un jour Raphaël paiera, pensait Lucie.
Commenter  J’apprécie          00
De temps en temps, les années s’égrenant, Lucie se retourne brièvement
sur sa vie. Elle a porté tant de masques qui l’ont aussi bien sauvée
qu’entravée, pour effacer méthodiquement ses vies antérieures quand elles
ne s’accordaient plus à son existence ! Mais depuis des décennies, elle est
plutôt en ligne droite, s’autorisant quelques chemins de traverse la rendant
supportable.
Quant aux horreurs de la dernière guerre, « ils », se dit-elle, ont bien fait
quelque chose pour que ça arrive, non ? Et ce terme de « profiteurs de
guerre », quel mot affreux ! Chacun sait que l’appartement de la place des
Pyramides était vacant lorsqu’elle et Friedrich ont pu le louer, et de toute
façon, son locataire avait choisi d’émigrer. Il en avait les moyens. Était-ce
la faute de Lucie ? Le couple cherchait un endroit pour se poser. Pour un
peu, elle aurait posté une annonce : « Particulier cherche à chiper
appartement. » Elle avait tant travaillé ! Cela valait bien une récompense.
L’appartement parisien de la place des Pyramides – le bien nommé ; celui
du quai de l’Archevêché – le mal nommé –, attribué au mari de sa sœur,
autant de remerciements pour services rendus.
Et puis Lucie n’a pas vraiment d’intérêt pour ce qu’elle appelle les
« choses ». « Ce ne sont que des choses », dit-elle en parlant des biens
« confisqués » – une épithète qu’elle emploie souvent. Pour se justifier, elle
brandit un terme juridique. Fidéicommis. Cela signifie : « remis à la bonne
foi de quelqu’un ». Lucie aime bien le terme « bonne foi ». Quelqu’un
donne un bien à quelqu’un, pour qu’il le remette à un autre. Le véritable
propriétaire est la « communauté du peuple ». Ce n’est pas encore autorisé
en France, mais cela va venir.
Lucie aime aussi citer l’adage latin Uti possidetis juris, qui doit signifier
quelque chose comme « Vous posséderez ce que vous possédez déjà ».
Avec Lucie, il est toujours beaucoup question de possession.
Elle qui, avec une extraordinaire habileté, donne à l’un, reprend à
l’autre, redonne ou échange, fait vendre, rachète ou réattribue, dispose à sa
guise des « choses », des siennes comme de celles d’autrui. En arrivant
quelque part, elle voit toujours ce avec quoi elle pourrait repartir ou ce
qu’elle pourrait troquer. Ce peut être un vêtement, mais aussi un ensemble
de maisons. Ses possessions sont toujours renommées, si tant est qu’un jour
on puisse retrouver leur trace par leur dénomination d’origine, tel ce
« balcon à la perle » (balcon Louis XVI – on aime beaucoup l’Ancien
Régime, à Vichy) – de toute façon, balcon d’appartement spolié.
Non, décidemment, il n’y a rien à regretter. Au contraire. Si tous les
Français avaient été du bon côté, l’Allemagne aurait gagné la guerre. Il n’y
a qu’à voir, c’est à nouveau un pays prospère. Friedrich est absent, mais il
va revenir. Ils doivent rester les mêmes l’un pour l’autre. Ils ont fait tout ce
qu’il fallait. Tout cela est un mauvais moment à passer. Le Reich va
renaître, sous une forme ou une autre. Vichy va continuer. L’Histoire nous a
joué un sale tour. Heureusement, nous sommes nombreux, inchangés,
invaincus. Friedrich, avec son emphase un rien doctorale, l’a bien écrit à
Lucie : « Nous pouvons marcher vers l’avenir, nos consciences claires et la
tête haute, fidèles à notre conception du monde et à cette vie. »
Maintenant, Lucie s’adresse à Friedrich. Mon honneur s’appelle fidélité.
Vae victis, malheur aux vaincus. L’histoire est toujours écrite par les
vainqueurs. Et au vainqueur va le butin.
Les choses sont simples. Ce sont les gens qui les compliquent.
Commenter  J’apprécie          00
La nuit est en train de tomber, il est temps d’allumer les phares.
Friedrich dirait que c’est l’heure entre chien et loup, quand le chien rentre et
que le loup n’est pas encore sorti. L’heure des chiens-loups, en somme.
Lucie se penche sur son volant et scrute la route. C’est comme le black-out.
Bientôt, la nuit sera noire, éclairée par les maigres phares jaunes de la
voiture. Elle reprend son monologue à mi-voix, enfermée dans son passé,
parfois à la limite de la folie.
Pourtant, Lucie n’est pas sans repères. Il y a bien sûr toujours sa famille,
celle du premier cercle, le gynécée, qui s’agrippe à elle comme l’arapède au
rocher. Ils constituent son cadre de vie, parfois son boulet, mais ils ont le
mérite d’être là, de faire partie des meubles, éléments du décor, garants de
ses souvenirs. Ils ont partagé cette époque, connu le même style de vie. Ce
sont les témoins privilégiés. La ruche est à peu près sous contrôle. Ils se
connaissent si bien.
Il y a aussi la belle-famille – la famille de Friedrich, le premier mari,
s’entend – qui reste l’éternelle, la seule vraie. Parmi eux, la sœur de
Friedrich est une belle-sœur aux convictions nazies demeurées intactes et
qui les porte haut – on n’ose pas écrire une alliée –, avec laquelle Lucie
restera en contact toute sa vie. Elle a épousé en mésalliance, à vingt-neuf
ans, vêtue d’un tailleur foncé qui ressemble à celui des « souris grises »
pendant l’Occupation, un homme pâle, un bon séraphin un peu falot,
presque déjà monté aux cieux. On est en 1950 et six ans ont passé depuis la
mort de Friedrich. Sa sœur est encore comme une veuve, veuve de son
propre frère, les traits durs. Elle a repris le flambeau. Car c’est elle, la vraie
nazie, de plus en plus insensible à tout.
C’est sûr, il n’y a pas si longtemps, des mères donnaient leurs fils au
Führer, mais tout de même, Lucie est un peu ébranlée par sa dureté.
Il y a enfin la nouvelle belle-famille de Lucie, issue de son remariage.
Elle n’apporte qu’ennui insondable. Hormis « les petits cousins » qui n’ont
rien – ou rien encore – à voir avec ces bourgeois mesquins et rances, quels
bavardages inutiles, quels récits interminables venus d’un esprit provincial,
étroit et borné ! Son autoritaire belle-mère, que Lucie appelle « Madame »,
est déconcertée. Sa bru ne se plie pas aux convenances. Brusque,
expéditive, à la limite de l’impolitesse, Lucie peine à dissimuler son
impatience. La bigoterie catholique fait décidément des ravages. Même leur
antisémitisme est triste. Aucun idéal. Au moins, Lucie a l’antisémitisme
conquérant. Ses manières surprennent sa belle-famille. On les met sur le
compte d’un caractère singulier. « Mais Lu-cie… »
De temps en temps, les années s’égrenant, Lucie se retourne brièvement
sur sa vie. Elle a porté tant de masques qui l’ont aussi bien sauvée
qu’entravée, pour effacer méthodiquement ses vies antérieures quand elles
ne s’accordaient plus à son existence ! Mais depuis des décennies, elle est
plutôt en ligne droite, s’autorisant quelques chemins de traverse la rendant
supportable.
Commenter  J’apprécie          00
Adolescente, j’ai toujours été fascinée par l’histoire d’une jeune femme
allemande au visage rond et boudeur, Susanne Albrecht, « terroriste » des
années 1970. Fille d’un avocat de Hambourg, elle avait rejoint la RAF
(Fraction Armée rouge) et contribué à assassiner un grand banquier lié à sa
famille, Onkel Jürgen, oncle Georges. Elle lui avait porté des fleurs, il lui
avait ouvert sa porte avec confiance. En fuite, la jeune femme avait refait sa
vie de l’autre côté du rideau de fer, en RDA, sous un autre nom, Ingrid
Jäger, protégée par la Stasi, la police secrète d’État. Pendant treize ans,
Susanne de la-Bande-à-Baader était devenue une Berlinoise de l’Est,
menant la vie tranquille d’une traductrice. Elle avait épousé un ingénieur
physicien du nom de Becker qui ignorait tout de son passé et eu un petit
garçon. À la chute du mur de Berlin, « Ingrid Becker » avait révélé son
passé à son mari. Le couple avait alors attendu la suite des événements, à
son domicile des faubourgs de Berlin-Est, où la police était venue l’arrêter.
Ce n’est que bien plus tard que je ferai le lien entre la vie de
l’Allemande Susanne Albrecht et celle de ma mère, Lucie, qui, par ses
mariages successifs, avait changé deux fois de patronyme. Qui sait si elle
n’avait pas eu des pseudonymes, elle aussi ?
Commenter  J’apprécie          00
En 1948, revenue à Paris, Lucie trouve le clan recasé, pour ainsi dire
recyclé dans la grande lessive qui suit la Libération. Ses oncles sont
désormais installés dans leur nouvelle vie à la blancheur Persil. L’honneur
de la famille est sauf.
L’oncle aîné, Gaston, le « grand journaliste », s’abrite principalement à
Genève.
L’oncle cadet, le pharmacien, est resté à Vichy derrière son officine.
C’est encore là qu’on l’inquiétera le moins.
Le benjamin, petit oncle aux yeux bleus, s’est retiré dans un joli village
au bord de la Manche. Avec sa voix douce qui roule les « r » comme
l’écrivain Colette, il y fait oublier son passé de rédacteur en chef de la
presse de charme, un magazine consacré aux vedettes de cinéma et à
l’actualité des films, version collabo, une publication orgueilleusement
logée à l’adresse même de la Propaganda.
Sous couvert de potins innocents, la publication est un organe de
promotion des films de la Continental, puissante maison de production sous
contrôle nazi, installée en France en 1940 et filiale de l’allemande UFA
(Universal Film Aktiengesellschaft).
Les articles de presse endorment les lectrices afin d’accepter des
réalisations, certes françaises, mais produites par l’occupant. Ce n’est pas
de la politique, c’est du divertissement !
L’oncle a été heureux de ce métier qui lui a permis de multiplier les
maîtresses, allant même jusqu’à vendre la maison de famille en Bourgogne
– la maison natale de Lucie – au moment de la succession de ses parents, en
1943, pour s’acheter une belle voiture de parade avec sa dernière conquête
– dont le clan murmurait qu’elle était juive.
Poussé par Lucie venue lui rendre visite, l’ancien journaliste m’a laissée
feuilleter, enfant, des magazines aux couvertures pâlies. Des visages de
« vedettes du grand film français », vues de trois quarts, au menton levé et
aux sourcils très épilés, attendaient toujours leur heure de gloire.
Commenter  J’apprécie          00



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Cécile Desprairies (302)Voir plus

Quiz Voir plus

Oh, Antigone !

Comment se prénomme la sœur d'Antigone ?

Sophie
Hermine
Ismène

10 questions
3219 lecteurs ont répondu
Thème : Antigone de Jean AnouilhCréer un quiz sur cet auteur

{* *}