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Citations de Charlotte Gingras (38)


Tu aurais aimé leur dire, à tous ceux de l’école et de la
rue, que ton nom était un mensonge, ça oui.
Tu aurais aimé leur dire, à ceux de ta famille, que
tu étais quelqu’un, que tu existais, que tu étais telle-
ment plus belle qu’en personne, que tes seins étaient à
peine nés mais très doux.
Aux jumeaux, tu aurais voulu dire que tu détestais
leur vitalité insolente, à la mère, qu’elle n’en était pas
une, à Fleur, que tu la chérissais et qu’en même temps,
dans le même élan, tu jalousais sa légèreté.
Tu aurais voulu leur dire à tous, tous les êtres hu-
mains de cette planète, tu aurais voulu leur crier que
ton cœur battait, battait, que tu voulais connaître le dé-
sir, l’amour, que tu n’en pouvais plus de solitude.
Mais tu ne savais pas dire ces choses-là parce que
les mots étaient enfouis au plus profond de toi depuis
le début, et même ton cœur qui cognait à mains nues
dans sa cage thoracique ne savait pas comment attein-
dre les autres sans les blesser.

Tu avais quatorze ans, tu faisais preuve de débrouil-
lardise et te taisais la plupart du temps.

On ne se connaissait pas encore, nous deux.
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Dernier jour. Moi et lui, face à face, pendant que nos coeurs brûlaient, on a gardé les yeux ouverts, tout le temps, jusqu'au bout, au coeur de la tempête qui nous secouait. Et j'ai accepté de me perdre, de me liquéfier, de disparaître dans le bleu océan des yeux d'Ulysse. Alors j'ai su que j'étais guérie de mes peurs.
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Cette histoire commence par une catastrophe. Une catastrophe équivalente au choc d’une comète percutant la surface de la Terre, sauf que c’est moi qui ai été percutée. Trois semaines avant le dégel, maman s’est affaissée sur le carrelage de la bibliothèque municipale. Elle s’est éteinte là, très vite et sans souffrance, au milieu de ses chers livres, comme une bougie sur laquelle on aurait soufflé. On est venu me chercher à l’école, j’ai couru vers elle, jambes tremblantes, balbutiant : « Non, maman, je t’en prie, je vais rester avec toi pour toujours, je te le promets. »

Quand je suis arrivée sur place, elle n’était plus vivante. Une rupture d’anévrisme, ils ont dit. En l’espace de quelques secondes, je me suis retrouvée aussi seule au monde qu’une héroïne de Charles Dickens ou des sœurs Brontë. Maman n’avait aucune famille.

Je ne me rappelle à peu près rien des jours qui ont suivi. Au début, les voisins et les enseignants venaient me porter de la nourriture chaude et s’inquiétaient de moi. Ils voulaient que j’aille habiter chez l’un ou chez l’autre, mais je refusais. Je ne voulais pas non plus retourner à l’école. « Avril est en état de choc, murmurait-on autour de moi. Il faut la laisser tranquille. La surveiller discrètement.
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Toi qui étais prof d’éducation physique à la polyvalente, que toutes mes copines de troisième secondaire trouvent aussi beau qu’un athlète olympique, que jamais je n’aurais échangé pour un autre père, tu as décidé de reprendre du service dans les Forces armées. De partir en mission en Afghanistan pour six mois. De laisser ta famille. De me laisser, moi, ta fille Laurence.
Je ne sais pas pourquoi tu as pris cette décision. C’est vrai qu’entre toi et Karine, notre mère, ça ne va pas très fort, et je vois bien qu’elle est en désaccord avec toi. La plupart de mes copines, leurs parents sont divorcés, et elles trouvent que les familles reconstituées, c’est pas génial. Moi, je trouve que la vie avec Karine n’a jamais été vraiment géniale, si tu veux savoir. Et depuis la naissance de Mathilde, c’est pire.
Tu es revenu de l’entraînement la semaine dernière pour passer tes vacances avec nous avant ton départ. Je te trouve bizarre, je trouve Karine plus bizarre que d’habitude, et Luka me tombe sur les nerfs avec sa manie de te suivre partout, te posant sans relâche ses questions déconcertantes, comme si tu allais lui donner les bonnes réponses et qu’il redeviendrait comme avant, un petit garçon insouciant, gâté pourri et exaspérant. Seule Mathilde babille et gigote de plaisir dans nos bras, trop petite pour se rendre compte de ce qui se passe. Elle n’a que dix mois.
Tu te retires souvent en toi-même, comme absent. Et tout d’un coup, sans prévenir, tu me serres dans tes bras et chuchotes des mots de tendresse, « ma princesse, mon cœur ». Tu ébouriffes les cheveux de ton fils, lui murmures des paroles un peu bébêtes, « mon champion, mon grand petit garçon ». Avec Mathilde, c’est encore pire, tu atteins des sommets, « ma merveille, mon lapin doré, mon trésor à moi ». Mathilde en profite pour roucouler dadada, sa manière à elle de t’appeler papa, et pour te donner des baisers pleins de bave. Tu adores ça. Mais ça ne t’empêchera pas de partir
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- Ça commence comme ça, l'écriture, la peinture, la musique. Toujours. Par un manque intolérable.
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Il n’y a pas de cadenas sur la porte, il y a un cadenas dans ma tête. Ma mère l’a inventé, j’y ai cru.
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Le bruit sec d’une canette qu’on décapsule. J’ouvre les
yeux. Je ne veux pas dormir. Nous traversons une zone
de forêt brûlée. Sur le sol noirci se dressent des
squelettes d’arbres calcinés. Nashtash, sur la banquette
en face de moi, boit une grande goulée de cola. D’un
geste, elle m’invite à prendre une gorgée. Je fais non de
la tête, mais l’envie de parler revient. Quand je parle, les
serres lâchent prise. Un peu.
— Il y a beaucoup d’habitants, là-haut?
— Non, pas tellement, répond Nashtash, de sa voix
étale, en haussant légèrement les épaules. Avant, il y avait la
mine de fer, et beaucoup de travailleurs venus de loin. Main-
tenant,il y a encore quelques Blancs qui gèrent des commer-
ces et des pourvoiries. Nous autres, les Innus, on est restés.
— Moi, j’y vais à cause du carnet.
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Nous entrons dans un grand magasin, plein de
lumières et d’objets de convoitise. Dans mes chaussures,
soudain, j’ai les pieds qui frétillent, on dirait des poissons
rouges. Je détache ma main, m’élance vers les oursons de
peluche, les canards de plastique jaune vif, les poupées en
combinaison d’astronaute, les cubes de toutes les
couleurs.
Je me retourne et qu’est-ce que je vois?
Rien. Plus de maman.
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J’en sors un carnet rouge et noir à la couverture car-
tonnée, de ceux qu’on trouve dans les magasins à un dol-
lar. Abîmé, taché, avec une odeur de moisi. Je l’ouvre. Sur
la page de garde, écrits en lettres déteintes, effacées par
endroits, quelques mots. Une écriture tremblée.
J’arrête de respirer. Je vacille. Cela ne se peut pas. Je
connais cette écriture. Je la reconnaîtrais entre mille mil-
liards.
— Tu es bien pâle. Qu’est-ce que c’est? marmonne
tante Évelyne.
Mon nom. Avant mon nom, le mot fille, le mot ma,
le mot à.
Remettre à ma fille Viola
. Dessous, l’adresse.
Mes mains prises de panique. Je réussis à glisser l’objet
dans le sac à bulles.
— Rien. Ce n’est rien.
Je ne connais pas cette voix rauque qui sort de ma
gorge. Je ne sais plus de quelle manière on s’y prend pour
remonter les marches. Mais je les remonte. J’entre dans
ma chambre, me laisse tomber sur le lit, jambes fauchées.
Je regarde fixement le colis, je vois le nom de ce vil-
lage perdu estampillé dans le coin droit, à côté des tim-
bres, une série de reines identiques avec une couronne sur la tête. Comment c’est possible, ça? L’univers a viré fou, des points brillants et argentés virevoltent devant mes yeux. Respire, Viola, respire, ça va passer.
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Extrait de la rencontre entre un auteur et des jeunes :

"Et là, au milieu de ce vide, un gars trop gros, un nouveau, a levé la main.
- Moi, l'été passé, je me suis écrit des cartes postales quand je suis allé en vacances au bord de la mer.
Le troupeau s'est esclaffé. Étranglés de rire, ils étaient. Lui, il a rougi violemment. Il ne pouvait pas disparaître. Son corps prenait trop de place.
- Moi aussi, as-tu répondu, le regardant comme si vous étiez les deux seules personnes sur la planète Terre. Moi aussi je me suis déjà envoyé des cartes postales. Quand j'étais revenue à la maison, j'avais eu l'impression que quelqu'un avait pensé à moi.
La classe de débiles s'était figée. Moi, en arrière, je hurlais dans ma tête: Allez! Continue! Aide-le si tu en es capables. Es-tu capable, l'écrivaine?"
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Je plaque ma main sur la bouche. Ferme les
paupières serré. Les griffes me broient le ventre.
— Je connais cette histoire, murmure Nashtash. Ma
grand-mère me l’a racontée. De l’autre côté de la ligne de
partage des eaux, ils descendaient une rivière aux rapides
dangereux quand le canot a versé. Lui, on a retrouvé son
corps. Mais la femme est partie seule dans la toundra. Elle
avait laissé une note disant qu’elle tentait d’atteindre
notre village. On ne l’a jamais retrouvée.
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C’est le carnet de voyage de ma
mère. Elle et son amoureux étaient partis en expédition
de canot, il y a deux ans. Ils avaient voyagé dans ce train,
eux aussi, leur canot dans le fourgon à bagages, et des
boîtes de provisions, une tente, des sacs de couchage.
Ensuite, ils ont pris un hydravion, le canot attaché sur les
flotteurs. Le pilote a amerri sur un lac, les a laissés avec
leur matériel sur une plage de sable. Ensuite...
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Le train a quitté les abords de la ville portuaire. De
l’autre côté de la fenêtre, une rivière coule en sens
inverse. Elle s’en va au fleuve. Le train, lui, monte vers
le Labrador. Autour de moi, les autres passagers parlent
entre eux une langue chantante et bruissante. Ils parlent
innu.
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Toujours les serres griffues au milieu du plexus. Je
ne peux plus reculer.
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La nuit entière, pour ne pas dormir, la fille à l’anorak
bleu s’est imaginé des marmottes, des mouffettes et des
ratons laveurs écrasés sous les roues de l’autobus, leurs
tripes rougies au milieu de l’asphalte noir. Elle ne sait pas
que les oies blanches dorment dans les battures entre la
route et le fleuve, qu’elles ont entrepris leur migration de
la terre de Baffin jusqu’au golfe du Mexique.
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Après sept nuits, je fouille dans les affaires de tante
Évelyne, quatre cents dollars en billets de vingt, lui laisse
un mot «Inutile de me chercher», et je pars. Ce n’est pas
la première fois que je fugue. Depuis la disparition, c’est
devenu ma spécialité.
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Toute la semaine, depuis l’arrivée du carnet, je résiste.
Je fais la morte. Chaque matin, je me lève, m’habille,
descends, pars pour l’école. Je longe les rues du quar-
tier sans voir les érables flamboyer dans la lumière ra-
sante. J’ai l’air d’un automate, d’un zombie. Le soir, je
reviens à la maison de tante Évelyne. Je me couche. Fixe
le plafond de la chambre. Des fois, je m’endors vite, des
fois, c’est long. Le lendemain, le zombie se relève.
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Un dimanche. Deux ans plus tôt, en août. Un homme et
une femme en uniforme à la porte d’en avant, et tante
Évelyne qui me regarde, soupçonneuse. «La police,
lance-t-elle. As-tu fait une sottise de trop, Viola?»
J’ai quatorze ans et je déteste tout le monde. La
planète entière. Moi, surtout, mais je ne le sais pas encore.
Alors j’aboie, comme d’habitude:
— Je n’ai rien fait! Qu’est-ce qu’ils veulent?
— Nous parler.
Je m’avance, méfiante. Cette visite n’augure rien de
bon.
Les policiers entrent et s’assoient au salon, mal à
l’aise, sur les fauteuils recouverts de tartan. Les deux
chiens grognent dans leur coin, babines retroussées.
— Ça suffit, les enfants, dit ma tante en prenant
place dans un fauteuil à oreillettes recouvert du même
tartan.
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Ce voyage que j’ai fait, ce voyage étrange, mystérieux, il
commence un matin comme les autres. Le réveil sonne,
j’ouvre un œil, me lève d’un coup. Pieds nus, face à la
fenêtre, je fais mes exercices de réchauffement. Dehors,
les feuilles des grands érables ont tourné au rouge ces
derniers jours.
Je cours sous la douche, m’habille pour l’école,
dévale l’escalier, mon sac sur l’épaule et la crinière ébourif-
fée. Tante Évelyne, accompagnée de ses deux imbéciles de
chiens, m’intercepte en bas des marches. Elle tient un verre
de jus d’orange d’une main. Dans l’autre, un petit colis.
— Veux-tu bien me dire, Viola, pourquoi tu traînes
encore ce vieux sac à dos en forme de nounours? Tu n’as
plus cinq ans depuis longtemps.
Je ne réponds pas. Je pense à part moi qu’elle com-
mence à boire de plus en plus tôt dans la journée, que son
jus d’orange dégage une odeur de vodka. Et que je m’en
fous.
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« Au réveil, Justine raconta ses peurs. Elle avait peur de tellement de choses. Peur de la maîtresse d’école, peur des lettres de l’alphabet qui s’emmêlaient dans sa tête, peur de la mère et de son autorité souveraine, peur des garçons qui lui tiraient les nattes et lui criaient des noms d’oiseau, peur des coups. Elle était née comme ça. Pleine de peurs. Juste des peurs. Dans les yeux noirs du poney, elle vit la dureté du maître, les coups de bâton, la caisse de bois qu’il transportait sur son dos, si lourde, et que ça durait depuis des années. Elle vit la cruauté des enfants, parfois. «
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