Chrys Galia

Je n’ai pas ce souvenir de la famille Desmaret. J’ai beau les haïr d’avoir fait basculer mon existence et celle de mes proches, ils étaient solidaires, semblaient aimants avec leurs enfants. Derrière les apparences… Je suis quand même sidéré. Si j’avais ce type en face de moi, je lui rendrais ses coups au centuple.

Il est… il est juste sublime. Grand, brun, les épaules larges et un visage d’une rare beauté. Tu rajoutes à ça son côté sauvage et tu comprendras dans quelle merde je me trouve ! Il est craquant ! Quelle femme pourrait lui résister ? tenté-je de me déculpabiliser. Ce genre de type a toutes les filles qu’il désire, c’est un séducteur, c’est certain ! Quand je vois la façon dont il m’a bouleversée juste en m’offrant une glace, je redoute le pire s’il me propose un dîner complet.

Je m’avance, conquérant, regard brûlant, jusqu’à ce qu’elle se retrouve collée au mur de la bâtisse. Je pose une main de chaque côté de sa tête, approche doucement de ses lèvres, clos sa remarque d’un baiser enivrant. Elle soupire, se laisse aller contre moi, tremblante. Piégé par mon propre emportement, j’éprouve un plaisir plus intense que je ne le souhaiterais.

C’est quoi le problème ? Elle a une heure limite ? Un couvre-feu imposé ? J’ai encore dit quelque chose de travers ? Par pitié, qu’on me donne les codes pour amadouer cette fille ! J’ai l’impression de me trouver devant un petit animal sauvage prêt à fuir dès qu’on l’approche un peu.

Je m’en veux si je vous ai heurté, simplement, chaque individu a sa propre histoire et… enfin, c’est difficile de se mettre à la place de l’autre c’est tout.

Ce baiser se prolonge, encore et encore, il a un goût de barbe à papa et de fête foraine, de premiers émois et d’insouciance. Cette glace a des effets magiques qui me ramènent à mes années bonheur… Putain, mais qu’est-ce que je suis en train de faire ? Elle a réussi à m’attendrir. Je me fais violence pour mettre fin à cette étreinte qui me laisse sonné. Elle semble aussi décontenancée que moi, ses larmes ne coulent plus.

Elle semble si pure, si vulnérable, comme un vase en cristal prêt à tomber en mille morceaux. Je ne sais plus quoi faire. Je cherche une issue, me sens tellement hypnotisé par ce regard que j’en oublie un instant qui elle est, ce qui nous oppose.

Ça ne devait pas se passer comme ça, je ne supporte pas de voir une femme pleurer. Merde, elle va toucher la corde sensible. C’est pas vrai, il ne manquait plus que ça.

J’ai l’impression de perdre mon temps. Une nuit à me morfondre devant une vodka m’apporterait plus de plaisir. Elle ne plante toujours pas sa cuillère dans la glace. Je décide de l’aider à se décoincer.

Nos regards se sont rivés l’un à l’autre, ne se lâchent plus. Impression étrange, comme si chacun de nous tentait de décrypter l’âme de l’autre. Nous avons l’air tellement écorchés, elle et moi, qu’au lieu d’y chercher du réconfort, j’ai la sensation que nous tentons au contraire d’y déceler la moindre, l’infime trace de noirceur. Soudain, c’est autre chose, une lueur, un éclat différent, une sorte d’espoir. Je laisse retomber ma main, surpris moi-même de cet échange bouleversant.
C’était rien, mais c’était trop !

Je ne peux m’empêcher d’avoir de la peine pour elle, ce violet autour de son œil, qu’elle a vainement tenté de dissimuler, la rend fragile à mes yeux. J’ai beau être dur, je sens ma carapace se fendiller. Je lui propose mon aide, joue au tendre, au gentil, elle me renvoie dans les dix mètres, ça m’exaspère ; j’ai encore plus envie de la convaincre. Je ne reviendrai pas en arrière. Si je dois attendre pour m’exécuter, ce soir, l’inspecteur que je suis a besoin de savoir qui se trouvait au bout du poing qui a coloré son arcade.

Ce mec me fait craquer. Ce n’est pas possible ! Je déteste son arrogance, alors pourquoi m’attire-t-il autant ? Je retire vivement mon bras pour ne plus sentir la brûlure de ses doigts sur ma peau. Je déteste cette sensation de bien-être qui m’a tout à coup envahie à son contact. Je n’ai pas ressenti cela depuis très longtemps. En fait, depuis mes premières années avec Lucas, avant qu’il ne sombre dans l’alcool. Je ne reperdrai pas le contrôle de ma vie.

Désolée, beau gosse, je ne suis pas à la hauteur de vos attentes ! Autant déguerpir tout de suite et nous éviter de perdre du temps ! À ma grande surprise, il m’adresse un sourire qui ferait fondre un iceberg.

Cette robe dévoile un peu mes jambes et me donne de l’assurance. J’essaie de jouer à fond la carte Milie pour mon plaisir. Pourquoi voudrais-je séduire un homme que je vais éconduire ? J’ai une mine atroce ; il y a de grandes chances qu’il se sauve en me voyant.

Cet homme me dégoûte, j’ai parfois du mal à admettre qu’il est mon géniteur. Il me répugne. Je me demande comment ma mère a pu tomber amoureuse de lui. Peut-être que jeune, il était sobre et séduisant. J’ai failli faire la même erreur avec Lucas. Je marche dans la nuit, décide de ne pas prendre le bus. Un peu d’activité devrait m’aider à me détendre, à évacuer les envies de meurtre que j’ai au fond de moi. C’est horrible de souhaiter la mort de quelqu’un, mais en cet instant, je ne peux contenir cette haine qui me ronge.

C’est excitant, elle sait que j’aime avoir le pouvoir, mais nous avons conscience tous les deux qu’en cette minute, elle seule décide. Elle est douée. Vraiment douée. Ce soir, je n’ai pas envie d’éterniser les préliminaires, je me libère de l’écrin chaud de sa bouche, la soulève, la colle contre le mur derrière nous, fais voltiger sa nuisette à travers la pièce. Elle est nue.

Elle est superbe. Je n’ai pas résisté longtemps. Lorsqu’elle m’a expliqué qu’elle ne vivait que pour son job et qu’il était inenvisageable de considérer le moindre engagement, je me suis dit que j’avais trouvé la compagne parfaite !

Sa langue est déjà dans ma bouche, s’enroule autour de la mienne comme si on se retrouvait après des années de désert charnel. Je la débarrasse de sa robe légère, sans rompre notre baiser. Le tissu glisse sur sa peau en une douce caresse, révélant un déshabillé de satin noir. Je libère ses longs cheveux bruns retenus par un stylo. Ils s’affolent sur ses épaules. Nous n’avons pas échangé un seul mot, nos rapports se limitent à des ébats passionnés, occasionnels et toujours improvisés.

La bouteille, c’est une très mauvaise idée, en fait. Ce dont j’ai réellement besoin ce soir, c’est d’une fille dans mon lit. Les réactions de mon corps sont très claires : je suis en manque. Je lâche la vodka, trace droit vers la sortie, non sans jeter un œil dans les maigres rayons pour l’apercevoir une dernière fois. Je regagne bredouille le siège de ma voiture, souffle un grand coup, dégaine mon portable, cherche le répertoire, et appelle une de mes relations épisodiques.

Ça me dégoûte, c’est tout, j’ai l’impression d’être entourée de personnes qui se noient dans l’alcool. C’est tellement triste, et glauque ! Enfin, ça ne me regarde pas après tout, c’est votre vie. Mais si vous êtes inspecteur de police, vous devriez montrer l’exemple, m’assène-t-elle.
Est-ce que j’accepte de recevoir des leçons de la sœur du meurtrier de ma sœur ? Non !
Est-ce que je le supporte ? Pas plus !
Est-ce que j’ai du mal à ne pas la bâillonner tout de suite pour lui faire regretter ses mots ? Oui ! Un mal fou ! Pourtant, c’est ce que je fais, je lui renvoie un petit sourire contrit.