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Critiques de Daniel Cordier (79)
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Alias Caracalla

Pour la majorité des citoyens, il était un inconnu. Avant que les accents lyriques d'André Malraux ne lui fasse franchir le seuil du Panthéon : Jean Moulin. Pour quelques rares vieux messieurs et les passionnés de la Seconde Guerre Mondiale, il était Rex, Max, Régis et tant d'autres pseudonymes de clandestinité.

Il est un homme pour qui il sera toujours " le patron ". Et cet homme, c'est Daniel Cordier.



C'est le 20 juillet 1942 que le jeune soldat parachuté de Londres fit la rencontre qui allait changer sa vie de jeune homme de 20 ans. Rencontre avec celui qui durant les 18 mois de son action de représentant de la France Combattante allait réussir à unir la Résistance Intérieure. Rencontre avec celui qui après avoir soupé avec ce garçon qui voulait " tuer des boches ", en fit son secrétaire particulier.



Et pourtant..

Pourtant on ne peut avoir que des sentiments contrastés pour ce Compagnon de la Libération.

Le jeune Cordier est d'Extrême-Droite, militant de " L'Action Française ", admirateur de Charles Maurras, antisémite. Mais c'est aussi un des premiers engagés volontaires qui partent rejoindre les Free French de Londres qu'un autre Charles – de Gaulle – tente de fédérer.

Alors qu'une bonne partie de ses compagnons d'arme partent combattre en Afrique du Nord, Cordier devient un " rentier de la guerre " : Nommé officier, il encadre les jeunes arrivants. Rêvant de coups de poings comme aux grandes heures des Camelots du Roi, il se porte volontaire pour le Bureau Central de Renseignement et d'Action – les Services Secrets de la France Libre -. Radio, cryptographe, saboteur, assassin : L’Angleterre lui donne les moyens de ses ambitions...



... Tuées dans l’œuf dès son parachutage. Moulin le prend à son service. Il lui confie la gestion de ses courriers, de ses rendez-vous, mais aussi de la colossale fortune de la Résistance qui arrive tous les mois de Londres.

Avec la rigueur de l'historien qu'est devenu celui à qui on doit une importante littérature sur les enjeux – notamment politiques – de l'action de Moulin, remis en cause dans son action pour fonder le Conseil National de la Résistance, Cordier confie dans ce livre ses souvenirs personnels.

Au jour le jour, démontrant s'il en ai, à contre-courant des idées avancées et avec admiration, que la Résistance s'est construite sur l'abnégation d'une poignée de personnes souvent aussi jeunes et idéalistes que lui...



Ce qu'il reste de ce récit à la chronologique précision ?

Des dates, des lieux, des sommes, mais surtout deux hommes et leur étrange proximité.

L'ancien préfet et le soldat idéaliste, le monarchiste militant et le républicain de cœur et d'âme. L'amateur d'art et le novice. Étrange proximité : Cordier ne connût l'identité de son chef que bien après la guerre. Il l'imaginait ancien ministre, diplomate, artiste.

Et pourtant à son contact, il ne reste rien du Cordier de 1940,sinon le courage, la détermination.

Formidablement bien écrit, ce récit montre la métamorphose du monarchiste en républicain.



D'ailleurs, lui qui voulait tuer du boche ne tira aucun coup de feu de la guerre. Il se fit collectionneur et marchand d'art contemporain...

... Concrétisant l'initiation artistique reçue entre le 30 juillet 1942 et le 21 juin 1943...
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La victoire en pleurant

Ce livre constitue le second tome des mémoires posthumes de Daniel Cordier (1920-2020) et fait suite au premier tome publié en 2009 « alias Caracalla »



Dans cet ouvrage, Daniel Cordier raconte la Résistance après l’arrestation et la disparition de Jean Moulin, il dit ses doutes, ses emportements, mais jamais les regrets de son engagement.

Bénédicte Vergez-Chaignon, l’historienne spécialiste de la Seconde guerre mondiale , qui a travaillé longuement à ses côtés, complète la narration, corrige les quelques erreurs d’une mémoire défaillante (date , lieu…) par des notes en bas de page et un avertissement dans sa préface .

J’avais remarqué ce livre en librairie mais j’en différais son achat et sa lecture, en souhaitant reprendre ces mémoires dans l’ordre chronologique et donc commencer par « Alias Caracalla . »

J’ai dit lors d’un autre commentaire que j’avais fait provision de livres durant les Journées de Lourmarin consacrées cette année à « Albert Camus et le Journalisme. » Le point librairie ( Mot à Mot de Pertuis) qui offre toujours un riche assortiment des ouvrages écrits ou évoqués par les différents intervenants lors de cette manifestation présentait ce livre sur son stand . En le feuilletant j’ai découvert « le pourquoi » : quelques pages étaient consacrées à la rencontre entre Cordier et Camus, journaliste clandestin à Combat, à qui Cordier avait demandé un article destiné à être publié lors de son retour à Londres.

Lecture tout à a fois instructive et émouvante et bien sûr, encore Camus !
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Les feux de Saint-Elme

Bonjour, aujourd'hui je vous présente Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, Compagnon de la Libération...

Mais le fait qu'il soit connu importe peu, il nous raconte son histoire et c'est le principal.

C'est un adolescent qui poursuit ses études dans un internat religieux, alors inutile de vous dire qu'il ne croise pas tous les jours des jeunes filles. Quand les premiers émois de l'adolescence les chatouillent, c'est entre garçons qu'ils découvrent la sexualité dans un milieu où certaines parties du corps ne sont jamais nommées...

Bien sûr, la plupart des garçons deviendront hétérosexuels, surtout dans les années 30 où l'homosexualité est un délit, mais Daniel va s'apercevoir qu'il aime les garçons et plus particulièrement David.

Daniel raconte sa vie en internat, les attouchements, les confessions pour lutter contre ses démons puis sa passion pour David.

Daniel va quitter l'internat et il restera homosexuel, mais toute sa vie il sera obsédé par David, ce bel Apollon qu'il n'a pas réussi à oublier et qui le hante.

Alors, quelle sera sa réaction quand il le reverra enfin soixante ans plus tard ?

Bref, il s'agit d'une belle autobiographie très émouvante, sur les premiers émois amoureux, et l'obsession. Que valent réellement les souvenirs ? Ne sont-ils pas édulcorés au fil du temps ? Ne sommes-nous pas déçus lorsqu'enfin nous pouvons goûter à notre madeleine de Proust ?

À lire dans une cabine de douche (sans eau) ou dans un vestiaire, en dégustant des madeleines avec un café noir. Bonne lecture !
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Jean Moulin. La République des catacombes. To..

Comment décrire le panel des sentiments, des émotions qui m'ont animé, traversé à l'issue de la lecture du premier tome de "Jean Moulin, la République des catacombes". Je suis sans voix, sans mots ou presque. Daniel Cordier a, aujourd'hui, 97 ans et il est l’un des dix derniers compagnons de la Libération en vie, sur les 1 038 que comptait l’ordre fondé par le général de Gaulle en novembre 1940. Dans "Alias Caracalla" (Gallimard, 2009), Daniel Cordier nous racontait ses mémoires, lui qui fût un témoin privilégié de l'histoire de la résistance puisqu'il fût le secrétaire de Jean Moulin. Cet ouvrage m'avait profondément marqué mais la somme en deux tomes de "Jean Moulin, la République des catacombes" m'a éprouvé et c'est inscrite de façon indélébile dans ma vie d'homme et de citoyen du XXIème siècle. Daniel Cordier signe ici deux ouvrages qui font date dans l'historiographie de la résistance en France sous l'occupation allemande. Ecrit à l'occasion du centenaire de la naissance de Jean Moulin, il offre au lecteur une synthèse presque exhaustive des connaissances acquises sur "l'Inconnu du Panthéon" : Jean Moulin. Nul mieux que Jean Moulin n'incarne, par son héroïsme, son courage, la fidélité à ses convictions, à ses idées profondément humanistes, la résistance, le combat pour la démocratie, pour la liberté face à la barbarie nazie. Il est la plus grande figure de la résistance avec le Général de Gaulle, un symbole, un point d'ancrage où l'on peut s'arrimer en ces temps troublés où une nouvelle peste à l'idéologie mortifère c'est emparée des esprits en vue d'abattre la démocratie, les valeurs de liberté et de tolérance défendu jusqu'au sacrifice de sa vie par Jean Moulin et tant d'autres qui sont eux restés anonymes, périssant sous la torture, les balles où dans des camps de concentration durant la Seconde guerre mondiale. L'universalité des valeurs défendues par Jean Moulin et la résistance derrière de Gaulle et la France libre, le pluralisme, la mosaïque de tendances, de caractères, d'ambition ou de volonté désintéressé chez ces hommes qui un jour se levèrent pour dire non à la compromission de Pétain, non aux lois iniques contre les Juifs, non à Hitler, non à la peste brune s'abattant alors sur l'Europe. Se souvenir est essentiel et lire les ouvrages de Daniel Cordier participe à cet effort juste et nécessaire pour ne pas oublier et pourquoi pas en tirer des leçons quand à notre rapport personnel au monde qui nous entoure. On découvre grâce à la plume remarquable de Daniel Cordier, la complexité d'une résistance que De Gaulle souhaitait "une et indivisible" et qui en réalité était protéiforme. Le résumé de l'éditeur au dos du livre exprime parfaitement cela :

"La mission de Jean Moulin dura dix-huit mois, entre sa nomination et sa mort : dix-huit mois au cœur des cinquante mois d'occupation. L'intérêt et l'originalité du présent volume résident dans la mise en perspective de cette mission, rattachée pour la première fois à tout ce qui la précède et la fonde, et surtout à ce qui la prolonge, depuis le drame de Caluire jusqu'à la Libération - et bien au-delà. Le premier tome analyse la nature et le déroulement de la mission du délégué personnel du général de Gaulle en France. Chargé d'unifier une résistance intérieure encore éclatée et balbutiante, il lui faudra aussi tenir compte de tout ce qui sépare ces mouvements disparates de la France Libre, constituée en force politique et militaire à Londres. Dissensions idéologiques, luttes d'influence, conflits personnels : déjà l'après-guerre se prépare. Daniel Cordier, acteur devenu historien, éclaire cette période de façon inédite, faisant ressortir des figures légendaires comme celles de Pierre Brossolette ou du colonel Passy dans leur conflit avec Moulin, ou celle, obscure, de René Hardy, dont le procès, minutieusement analysé ici, révèle a posteriori les enjeux de la Résistance."

Le second tome de "Jean Moulin, la République des catacombes"est consacré : "à l'héritage de Jean Moulin, pour la première fois révélé à travers les violentes querelles qu'il suscita au sein de l'état-major de la Résistance et de la France Libre. Pourquoi Brossolette, par exemple, fut-il éliminé de la succession de Moulin? Cette énigme trouve ici sa réponse. D'autres figures essentielles mais moins connues apparaissent dans toute leur grandeur : celle d'André Philip ou encore celle de Jacques Bingen, qui illustre par son action et son martyre les déchirement de l'après-Moulin. Enfin, un long «Post-scriptum» apporte une réplique vigoureuse et documentée aux récentes polémiques."

On y découvre un Jean Moulin né le 20 juin 1899 à Béziers. Les idées d'ouverture, de respect de la dignité et des droits de l'homme de son père (professeur d'histoire et conseiller général radical-socialiste de l'Hérault) forgeront l'esprit du jeune homme puis de l'homme Jean Moulin. Je vous rappelle ici quelques éléments importants de sa biographie : "Licencié en droit, il entre très tôt dans la carrière préfectorale : d'abord secrétaire général de Préfecture à Montpellier, il est en 1925 le plus jeune sous-préfet de France, à Albertville en Savoie. Il est successivement sous-préfet de Châteaulin (1930-1933), de Thonon (1933) puis secrétaire général de la Somme (1934-1936). Il a également appartenu à plusieurs cabinets ministériels et notamment celui de Pierre Cot, Ministre de l'Air dans le gouvernement du Front populaire d'où il s'engage dans l'aide clandestine à l'Espagne républicaine. Nommé préfet en mars 1937, il est, là encore, le plus jeune préfet de France et est nommé à Rodez en 1938 puis à Chartres l'année suivante."

Lorsque la Seconde guerre mondiale éclate, Jean Moulin "veut rejoindre les troupes, mais il est maintenu en affectation spéciale à Chartres où il fait face à l'exode de la population." Il se distingue immédiatement par son courage face à l'ennemi. "Le 17 juin 1940, il reçoit alors les premières unités allemandes ; les autorités d'occupation veulent lui faire signer une déclaration accusant des unités de tirailleurs africains d'avoir commis des atrocités envers des civils à Saint-Georges-sur-Eure, en réalité victimes des bombardements allemands. Maltraité et enfermé parce qu'il refuse de signer, il se tranche la gorge. Soigné in extremis par les Allemands, il reste à son poste avant d'être, comme préfet de gauche, révoqué par Vichy début novembre ; il part pour la zone sud, s'installe dans la maison familiale de Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône) et prend contact avec les principaux mouvements de résistance de zone sud." Cet acte de pur héroïsme est celui d'un homme intransigeant face à la barbarie nazie. "En septembre 1941, il quitte la France par ses propres moyens pour rejoindre l'Angleterre depuis le Portugal après avoir traversé l'Espagne. A Londres, il est reçu par le général de Gaulle auquel il fait le compte-rendu de l'état de la résistance en France et de ses besoins. Rapidement convaincu de l'intelligence et des capacités de son interlocuteur, le chef des Français libres renvoie Moulin en métropole avec pour mission de rallier et d'unir les mouvements de résistance. Il doit également créer une Armée secrète en séparant le militaire du politique." Une tâche que dis je, un fardeau que cet homme hors norme va porter avec abnégation, force et courage jusqu'au sacrifice de sa vie. "Avec des moyens financiers et de transmission, Jean Moulin est parachuté sur les Alpilles le 2 janvier 1942 à 3h30 du matin. Il installe son Q.G. à Lyon.Délégué général du général de Gaulle, "Rex", alias Moulin, commence à mener à bien sa tâche complexe et délicate en zone sud. Il rencontre Henri Frenay, Emmanuel d'Astier et Jean Pierre Levy, respectivement responsables des trois principaux mouvements de la zone sud Combat, Libération et Franc-Tireur, leur apporte une aide financière, parvient, non sans mal, à aplanir leurs différends. Son action aboutit, en octobre 1942 à la création de l'Armée secrète (AS), fusion des groupes paramilitaires de ces trois grands mouvements, dont le commandement est confié au général Delestraint puis, au début de l'année 1943, à la création des Mouvements unis de Résistance (MUR) rassemblant Combat, Libération et Franc-Tireur."

"En février 1943, Jean Moulin se rend à nouveau à Londres où il rend compte de sa mission et est décoré par le général de Gaulle de la Croix de la libération. De retour en France le 20 mars par une opération Lysander, "Rex" devenu "Max" est le seul représentant du général de Gaulle pour la Résistance. Ses efforts dans toutes les directions, malgré certaines réticences, aboutissent bientôt à la constitution du Conseil national de la Résistance (CNR) dont la première réunion se tient sous sa présidence au 48 de la rue du Four à Paris, le 27 mai 1943. Il s'agit d'un conseil réunissant les responsables de mouvements de résistance des deux zones mais aussi des responsables politiques et syndicaux. Important politiquement car il symbolise aux yeux du monde - et surtout des Alliés - l'unité française, le CNR adopte lors de sa première réunion une motion reconnaissant le général de Gaulle comme le seul chef politique de la France combattante." C'est l'aboutissement de mois d'efforts pour unifier une résistance secouée par les divisions politiques et les querelles personnelles.

Mais déjà, l'étau se resserre pour la résistance et ces chefs traqués par la Gestapo et les hommes de Pétain. Le général Delestraint tombe le premier. Son arrestation, à Paris, décapite l'Armée secrète, la privant de son chef. Dans le but d'organiser rapidement la relève à la tête de l'Armée secrète, Moulin en convoque les responsables pour le 21 juin 1943 à Caluire, dans la banlieue de Lyon, chez le Docteur Dugoujon. A ce moment précis, l'histoire rejoint le mythe. Jean Moulin est dénoncé suite à une succession de faits qui, s'enchainant les uns aux autres, provoque la catastrophe. Il le savait, le pressentait. La police de sécurité allemande (SIPO-SD) menée par Klaus Barbie intervient : tous sont arrêtés et emmenés à la prison du Fort Montluc. Une large place est réservée à la tragédie de Caluire dans l'ouvrage de Daniel Cordier. Comment oublier, c'est impossible. La violence de ces bourreaux nazis ne le fera pas parler. Interrogé par Klaus Barbie, Jean Moulin ne dit rien. Le calvaire de Jean Moulin entre en résonance avec celui de nombreux résistants qui, anonymes, ont subis les pires outrages avant de succomber sous les coups, les balles, des Allemands. "Il est transféré début juillet avenue Foch à Paris puis dans une villa de Neuilly, où la Gestapo avait coutume "d'interroger" des personnalités importantes ; sans que l'on sâche réellement si c'est à cause des tortures subies ou parce qu'il a tenté de se suicider, son état de santé est désespéré. C'est vraisemblablement pour tenter de le soigner et de le conserver comme otage qu'il est transféré en Allemagne. C'est dans le train, quelque part entre Metz et Francfort, alors qu'il n'a déjà plus figure humaine, qu'il meurt le 8 juillet 1943." Il avait 44 ans. Il laisse derrière lui, le souvenir d'un homme d'un courage inouï aux convictions humanistes profondes, attaché viscéralement à la France et à De Gaulle. Klaus Barbie, son bourreau ne sera jugé qu'en 1987.. Le transfert de ses cendres au Panthéon, le 19 décembre 1964, est l'occasion pour André Malraux de signifier la reconnaissance de la France pour le sacrifice de Jean Moulin et de tant d'autres victimes de la barbarie nazi. « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé » Daniel Cordier, lui rend à son tour un vibrant hommage. Un livre marquant que je vous recommande chaudement.

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Les feux de Saint-Elme

Ce récit autobiographique que Daniel Cordier a commencé à rédiger dès 1990 et qui devait faire partie de ses Mémoires publiées en 2009 (Alias Caracalla), relate l'histoire de ses années de pension au Collège Saint-Elme, sur les bords du bassin d'Arcachon entre 1928 et 1936, après le divorce de ses parents. Travail mis de côté alors par son éditeur qui le convainc aujourd'hui malgré les réticences de l'auteur de publier. Les premières pages d'Alias Caracalla qui se faisaient l'écho douloureux de ce qu'il a nommé son "internement" à Saint-Elme en évoquant l'éclatement de sa famille et "sa nostalgie de l'amour perdu", peuvent enfin plus clairement s'expliquer.



L'incipit des Feux de Saint-Elme fera peut-être date on ne sait jamais : "J'avais treize ans, lorsque je lus un ouvrage qui bouleversa ma vie". Car les grands désarrois de l'élève Cordier dans l'entre deux-guerres, tiraillé entre sa libido et une quête d'idéal fondé sur la morale catholique inculquée par les Dominicains, trouvent un exutoire dans la littérature. Dans le "kaléidoscope céleste" de ses lectures où viendront se bousculer Bossuet, Pascal, Céline et Saint Augustin, la libraire d'Arcachon madame Gauthereau lui propose d'ajouter un soir de l'automne 1935, tandis que ses tourments l'assaillent, Les Nourritures terrestres : "Peut-être est-ce l'ami dont vous avez besoin ce soir !"



Quant au phénomène atmosphérique lié à la foudre visible en haut des mâts des bateaux, si souvent décrit par les marins, auquel le titre fait allusion de manière métaphorique il illustre assez joliment ce printemps de 1936 que Daniel Cordier n'oubliera pas de sitôt. C'est en effet un champ magnétique puissant qui s'abat sur Daniel âgé de quinze ans provoquant une attirance absolue, comme seule l'adolescence en produit, pour son jeune ami David de deux ans son cadet. Coup de foudre dont le récit s'attache à rendre compte sans faux-fuyants par une écriture directe et sans fard où l'intensité du souvenir prévaut sur l'analyse.



Ce retour en arrière n'est pas pour l'auteur, encore moins pour le lecteur, un exercice d'écriture ou de lecture banale, une sorte de rétrospective sentimentale ou fondatrice. Au-delà de l'aspect narratif c'est à une épreuve de vérité intime que se soumet Daniel Cordier qui, n'ayant jamais refermé totalement la porte sur une blessure qu'il s'infligea lui-même, nous donne à entrevoir en même temps, dans le manque affectif abyssal né d'une promesse entrevue et jamais aboutie, une partie insoupçonnée de sa nature entière, passionnée et exclusive. Celle qui font les rebelles. Il se donne ici une possibilité de se délivrer de tous ses démons.



Livre très attachant au dénouement étonnant qui ne peut selon moi être détaché du reste de ce que l'on sait de la vie de Daniel Cordier qu'on n'imagine pas faire cet aveu bouleversant : "Ne jamais oublier que le regret de ma vie est celui de cette histoire que je n'ai pas vécue, alors que mes plus brûlantes et mes plus douloureuses aventures me laissent aujourd'hui sans souvenir, sinon sans traces."

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Alias Caracalla

Alias Caracalla-au titre énigmatique et plutôt mal choisi car rien dans ce gros pavé de 900 pages ne vient nommément l'expliquer- est un trésor pour qui s'intéresse à l'obscure et passionnante période de la Résistance.

Daniel Cordier avait vingt ans quand il s'embarque, le 21 juin 1940, pour rejoindre De Gaulle en Angleterre. Rien ne prédispose le jeune homme à une telle décision: il est maurrassien, milite à l'Action française et Pétain, jusqu'à son discours de l'armistice, est son héros.



Il va se former en Angleterre, à la guerre de l'intérieur qui l'attend sitôt son parachutage effectué deux ans plus tard en métropole.



Quelle longue attente, quelle longue patience aussi pour ce bouillant activiste qui rêve d'en découdre..sa formation va se faire sur deux plans: celle du guerrier de l'ombre et celle de l'humaniste. .Il va rencontrer des gaullistes bien sûr mais aussi des juifs, des communistes- aussi patriotes et déterminés que lui- . Le jeune homme d'extrême droite commence à se fendiller.



Mais c'est un quotidien presque décevant pour lui qui rêvait de faits d'armes et de gloire qui l'attend à Lyon. Le voilà secrétaire et homme de confiance de Jean Moulin que De Gaulle a chargé d'unifier la Résistance‚ minée par la guerre des chefs et les rivalités d'égo....



Journal /essai reconstitué sans fioritures ni romanesque , Alias Caracalla est un double témoignage, dans les deux cas, inestimable.



Le premier sur le quotidien faussement banal d'un réseau clandestin où on a l'impression de passer plus de temps à donner rendez-vous au restaurant ou à changer d'appartement qu'à commettre des attentats ou abattre des cibles. Et pourtant le danger est là, toujours, et les arrestations pleuvent, consignées avec un laconisme saisissant par le jeune Cordier. Il faut,chaque fois qu'un maillon tombe, brouiller les pistes, changer les hommes, prendre de nouveaux rendez vous au restaurant, rechercher de nouveaux appartements... La routine, en somme.



Le deuxième témoignage est celui que nous donne, presque malgré lui et comme en passant, Cordier sur lui-même.



Là non plus, rien de sensationnel, pas de crise de conscience ni de conversion radicale. Juste des déplacements , des questionnements, des étonnements et des hontes. Le jeune fasciste, pièce à pièce, se défait. Un homme neuf, ouvert,tolérant (mais toujours secret) est en train de naître.



Un gros pavé, certes, mais qui ne se lâche pas.

D'une grande honnêteté intellectuelle, ce témoignage de premier plan est à lire absolument.
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Alias Caracalla

C'est un témoignage d'une valeur exceptionnelle sur la Résistance française, pendant l'occupation nazie. D. Cordier est un jeune homme d'extrême-droite, devenu brusquement gaulliste après la débâcle de 1940, puis formé en Angleterre à la guerre de l'ombre et , revenu en France, finalement propulsé à une fonction très dangereuse: secrétaire de Jean Moulin (alias "Rex") à Lyon. Cet homme a ainsi joué un rôle de toute première importance pendant la guerre.

Dans son livre extrêmement détaillé, D. Cordier ne cache rien au lecteur. En particulier, il stigmatise l'amateurisme de nombreux résistants qui négligeaient sans vergogne les consignes de sécurité, mettant en danger par leur imprudence d'autres combattants de l'ombre. Il critique aussi les rivalités incessantes entre les diverses composantes de la Résistance (que Moulin a péniblement unifiées) et les "combats de chefs" qui affaiblissait l'opposition aux nazis. A ce sujet, je trouve qu'il est bon d'évoquer enfin, sans langue de bois et sans manichéisme, cet épisode particulièrement terrible dans l'Histoire de France. Le sujet principal, la vie clandestine dans la capitale de la Résistance, décrite presque jour après jour, me semble très bien rendu.

En conclusion: dans ce livre, tout est captivant pour le lecteur vraiment intéressé par cette période. Les autres lecteurs potentiels risquent de trouver trop gros ce "pavé" de 900 pages.
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Jean Moulin. La République des catacombes

Suite à la disparition récente de Daniel Cordier, ce grand monsieur qui eut plusieurs vies, résistant héroïque, peintre et galeriste, grand collectionneur d'art, historien de la deuxième guerre mondiale, et enfin, défenseur de la cause homosexuelle, j'ai voulu en savoir un peu plus sur Jean Moulin dont Cordier fut pendant près de deux ans (1942-1943) le collaborateur le plus proche.

Ce livre remarquable décrit de façon exhaustive l'action de Jean Moulin, avant et pendant la seconde guerre mondiale, et montre son rôle éminent, malheureusement interrompu par sa mort tragique, dans l'organisation de la Résistance Française.



Jean Moulin, figure mythique d'une période capitale de notre histoire récente, du plus grand drame vécu par notre pays il y a 80 ans.

Cette période reste pour moi une énigme. Né juste après la guerre, j'ai d'abord été nourri par mes parents et par les années "De Gaulle", et ceci comme beaucoup de français de cette époque, par le mythe de la France résistante; et puis sont venues ces années de dénigrement, où livres et films ont voulu nous faire croire le contraire, une France de 40 millions de Pétainistes, une France de la collaboration. La vérité est sans doute entre les deux, mais il me paraît important d'essayer de la saisir, de comprendre comment notre nation est capable de se comporter face à la répression de ses valeurs profondes. Et cela fait sens à l'heure actuelle, je trouve, face aux attaques diverses dont nous sommes l'objet.



Disons-le tout de suite, l'ouvrage est imposant, près de 1000 pages.



Il présente la vie et l'action de Jean Moulin pour fédérer les mouvements de la Résistance française sous l'égide du Général De Gaulle, jusqu'à son arrestation à Caluire le 21 juin 1943, et sa mort sous la torture.



Puis, le devenir difficile et divisé de la Résistance française après sa mort, et jusqu'à la Libération et au delà.



Il revient aussi longuement sur l'arrestation de Jean Moulin, et sur les deux procès de René Hardy, celui qui fut présumé avoir trahi, mais qui ne fut finalement pas accusé. Et il nous donne, dans un chapitre émouvant "En mon âme et conscience", son avis argumenté sur la culpabilité de Hardy.



Enfin, il répond d'une façon incroyablement détaillée aux accusations d'autres responsables de mouvements de résistance, principalement de Henri Fresnay, qui avait accusé Moulin d'être un agent crypto-communiste, ainsi qu'aux ouvrages à sensation reprenant cette thèse, notamment celui de Thierry Wolton.



Ce livre est un ouvrage d'historien, et tout le contraire d'une biographie romancée, ou d'une apologétique. Vous n'y trouverez pas non plus d'épanchements personnels de l'auteur, qui fut pourtant si proche de Jean Moulin.

Daniel Cordier décrit de façon méthodique, en citant d'innombrables sources, l'action de Jean Moulin, celle des autres protagonistes de la Résistance et de la France Libre (au premier rang le Général De Gaulle), puis celle de ses successeurs, qui n'eurent pas la "carrure" de Moulin.

Malgré le luxe de détails qui rend parfois la lecture ardue, l'ensemble est d'une grande clarté et d'une grande rigueur.



Cet ouvrage m'a mieux fait comprendre l'incroyable talent d'organisateur de Jean Moulin, qui était un Préfet de la République. Et surtout l'esprit qui l'animait, partagé avec De Gaulle, bien sûr. On l'oublie trop, leur but, c'était tout autant que de résister à l'ennemi, c'était de garder, malgré l'adversité, la République Française intacte et en mouvement, pour qu'elle soit immédiatement prête à fonctionner, sur des bases renouvelées, à la Libération du pays.

Cette démarche a permis à l'Etat français de redémarrer tout de suite, avec notamment toutes ces grandes réformes emblématiques de l'après-guerre, vote des femmes, création de la Sécurité Sociale, nationalisations etc...



Et puis, on est saisi par le courage et l'abnégation de ce grand serviteur de l'Etat qui ira jusqu'au sacrifice de sa vie,...sans avoir parlé sous la torture.



Un admirable ouvrage de référence sur Jean Moulin et la Résistance.





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La victoire en pleurant

Quel beau titre... Pas de triomphalisme, mais au contraire, une émotion douce-amère. Car la victoire est là, oui, la Libération est enfin arrivée. C'était l'objectif de Daniel Cordier, Alain, Caracalla, Bip W ... depuis le premier jour, depuis ce 17 juin 1940 et ce refus de l'Armistice. C'est ce désir qui le pousse à s'engager, à quitter la France pour continuer le combat, à rallier la France Libre. Il s'était engagé avec une fougue, mais aussi une naïveté d'un jeune presque encore adolescent.

Mais a-t-il vraiment participé à la victoire ? Pour lui, n'ayant pas combattu, n'ayant même pas tenu en main en fusil, il a l'impression de n'avoir eu qu'un rôle secondaire. L'armée de l'ombre n'est donc pas, dans l'opinion du jeune Daniel Cordier, une véritable armée ; ou, en tout cas, il ne se considère pas, lui, comme un véritable combattant, n'ayant exercé « que » des fonctions de secrétariat. Il n'évoque ainsi qu'en passant sa décoration de Compagnon de la Libération, comme s'il estimait de pas la mériter.

Et peut-on même parler de victoire quand elle s'obtient au prix de tant de larmes et de tant de morts ? Daniel Cordier avait prévu d'arrêter ses mémoires après le premier tome, qui se conclut à la mort du « Patron », « Rex », Jean Moulin. Comme si ce qui lui était arrivé après était de moindre importance, et même de moindre valeur pour la Résistance... Ce tome est donc un tombeau, un hommage à cet homme exceptionnel. Cordier continue à travailler pour la Résistance pour que leur travail en commun n'ait pas été vain, en séjour à Madrid, il va visiter le musée du Prado parce que Jean Moulin lui en avait parlé et il admire les mêmes tableaux que lui, il prépare un rapport sur les activités de la Résistance pour mettre en avant le rôle de son patron... On retrouve sa jeunesse naïve, il n'imagine pas le pire, pour lui Jean Moulin va revenir avec les autres prisonniers, il sera fatigué et un peu amaigri, mais c'est tout. Ces quelques phrases sur le retour des déportés des camps sont tragiques, personne n'imaginait de telles horreurs. Pour reprendre les mots de Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin, comment ces hommes pourront-ils revenir à la vie, « tous ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses [...] le peuple né de l'ombre et disparu avec elle – nos frères dans l’ordre de la Nuit… ». Ce tome des mémoires de Cordier est donc un tombeau à tous ses frères, tous ces résistants tombés.

Le prix à payer a été lourd, et la victoire elle-même n'est pas une libération ; Daniel Cordier pleure, il n'arrive pas à faire la fête. Car les divisions politiques sont plus fortes que jamais, la France est au bord de la guerre civile, les vichystes s'accrochent au pouvoir, une nouvelle guerre semble se profiler avec l'URSS...

Ces mémoires sont donc d'un intérêt historique et mémoriel. Mais il faut aussi les lire pour l'humanité de Daniel Cordier, sa foi en l'homme, sa culture. Son écriture est sensible, émouvante, car il retrouve les émotions, les emportements de la jeunesse, même s'il écrit déjà âgé. Ce n'est pas grave s'il y a quelques erreurs de dates ou de lieux, il n'a pas pu finaliser le texte comme il le souhaitait. Mais il y a bien tout le cœur de ses vingt ans, avec pudeur et franchise. Il nous fait rire avec lui, ressentir la beauté d'un tableau, pleurer à la mort de son père, être charmé par une pièce de théâtre... Il a la chance de rencontrer de nombreux intellectuels, Sartre, Malraux... Et il présente avec honneteté son cheminement intellectuel, ses convictions et ses doutes.

Un texte historique, mais aussi un texte humaniste d'un grand homme.
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Alias Caracalla

C’est un livre terrible, si les mots ont encore un sens, sur la Résistance et sur les Français.



Au commencement était un beau jeune homme de la grande bourgeoisie du Sud Ouest, élevé chez les Pères de Saint Elme d’Arcachon, choyé par une famille recomposée, mais aimante, bourré des préjugés de son époque (l’Action française, et hélas l’antisémitisme), mais bon fils de la France, et qui se lève sans hésiter pour la défendre quand elle est dans l’abîme. Avec quelques autres gamins, il s’embarque « tout naturellement » sur un rafiot belge le 21 juin 40, et se retrouve près de Londres dans l’unique bataillon des soldats de la France libre.



Accueillis fraternellement par les Britanniques – l’inspection du Roi George VI devrait faire taire pour l’éternité les anglophobes - nos cadets se forment vite, à commander une section, ou, comme Cordier, à être parachuté en France.



En juillet 42, il rejoint à Lyon un chef de la Résistance, dont il ne connaîtra l’identité qu’après la guerre. Il est son secrétaire, à la fois transmetteur, chiffreur, officier de liaison et chef de cabinet, au sens que prend cette fonction dans le corps préfectoral – mais ici, le préfet et sa préfecture sont clandestins !. Très vite, il se dévoue à ce patron organisateur et lucide, qui poursuit un seul but : unifier les mouvements de Résistance autour du Général de Gaulle (à l’époque contesté par les Américains, qui lui opposent l’évanescent général Giraud). L’essentiel du livre est consacré à cette période allant de l’été 42 à l’été 43, où Jean Moulin monte le Conseil de la Résistance.



On sait combien il est difficile de rassembler des Français, mais on est indigné, en lisant Cordier, par le comportement de certains chefs des réseaux. Leur ambition personnelle l’emporte sur toute autre considération, y compris le but de guerre (chasser les Allemands). Au mépris de la sécurité de centaines de jeunes résistants de base, ces chefs « clandestins » passent leur temps en intrigues et conciliabules pour savoir s’il faut attribuer 2 ou 3 sièges à telle tendance, et s’il faut ou non admettre les anciens partis politiques au Conseil de la Résistance. Ces allées et venues font la joie de la Gestapo, tout juste réorganisée, qui n’a plus qu’à tendre ses pièges. Or justement, ce sont les deux patrons nommés par le Général de Gaulle, le général Delestraint, et Jean Moulin, qui se feront prendre et assassiner. Hasard ? Erreurs techniques ? Trahison de voyous infiltrés par les Allemands ? ou pire ? Nul ne saura jamais, le Général ayant à juste titre décidé de jeter le manteau de Noê sur toutes ces vilenies, mais la lecture du livre laisse un goût amer.
Lien : http://www.bigmammy.fr
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Alias Caracalla

Oui, d'abord, en tant qu'historienne, il y a cet intérêt scientifique de lire le récit d'un homme qui est à la fois témoin, acteur et historien. Daniel Cordier a "le goût de l'archive", parce qu'il a soif de vérité. Quand il ne peut se fier à sa mémoire seule de témoin pour retranscrire des réunions, des procès-verbaux, des entretiens..., il cite ses sources, des lettres, brouillons, rapports ect. qu'il a retrouvés dans les archives ; quand il a peur d'oublier des détails ou de se tromper en tant que témoin, il invoque d'autres personnes, d'autres témoignages. Il recherche la rigueur historique objective, pour prouver ce qu'il avance, le rôle décisif de Moulin, son engagement sans faille dans la Résistance gaulliste. Cette rigueur de l'historien s'allie de façon bouleversante au témoignage subjectif, à une mémoire personnelle de celui qui voue, de son vivant, un hommage voire à culte au "Patron", décrit à la fois comme un chef inflexible, comme un brillant politique, mais aussi à titre personnel comme un mentor, voire comme un père. Pour moi, ce sont les passages sur les relations personnelles entre Rex et Alain qui m'ont le plus touchés, ceux où l'homme apparaît derrière le Chef ou derrière le héros : quand Rex sourit devant un tableau, quand Alain lui apporte un croissant obtenu difficilement au marché noir, quand il offre lui-même à Alain une écharpe... Oui, on voit un homme, l'homme et non le mythe. Cordier l'écrit plusieurs fois, la simple mention "amitiés" sur un télégramme le bouleverse.

Ensuite, en tant que lectrice de roman historique, c'est le rappel du contexte que j'ai particulièrement apprécié. Cordier l'écrit, la Résistance n'est pas "romanesque". Il n'est question que de déjeuners ou de dîners, de rapports tapés à la machine, de boîtes aux lettres, d'envois de télégrammes. Non, a priori, rien d'épique, mais un travail de bureau concret, harassant, répétitif même. Oui, à distance, avec nos moyens modernes, on ne se rend pas compte des difficultés énormes à simplement communiquer entre personnes de la même ville, encore plus avec Londres, si loin. Que de temps perdu, d'hommes ou de femmes sacrifiés, de missions non remplies... à cause de problèmes matériels, de communication.

Enfin, cette oeuvre dessine en creux le portrait émouvant de Daniel Cordier, lui qui se dépouille progressivement ses identités d'emprunt. "Dany", pétri de royalisme, d'antisémitisme, de désir de revanche, de sens de l'honneur, de patriotisme maurassien, s'engage à vingt ans pour "combattre et tuer des boches". Devenu un Frenchman, il voue une admiration à De Gaulle et s'entraîne militairement. Arrivé en France en tant qu'Alain, secrétaire de Rex, il regrette de ne pas faire de service actif, ayant l'impression qu'il n'est pas sur le bon champ de bataille. Ce jeune bourgeois privilégié découvre peu à peu le froid, la faim, la débrouille, rencontrant aussi des membres de la classe ouvrière dont il ignorait tout. Oui, toutes ses rencontres le transforment progressivement, il délaisse peu à peu ses convictions maurassiennes, royalistes, son antisémitisme - une scène très émouvante lorsqu'il rencontre un homme porteur de l'étoile jaune. Au contact de Rex, il développe aussi un goût pour l'art contemporain, avouant qu'au départ il ne considère ce sujet que comme une couverture dans la rue, mais que, voulant plaire au "Patron", il s'y intéresse. Ses idées politiques, ses goûts changent, tout comme sa vision de lui-même : il ose se dire son homosexualité, il la comprend.

Un livre remarquable, sur un grand homme, écrit par un grand historien lui-même un homme remarquable.
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Les feux de Saint-Elme

De Daniel Cordier, je ne connaissais que son passé de résistant, mais après l'avoir entendu à la radio, je m'étais noté que la lecture des feux de St-Elme pourrait être intéressante. Et j'y ai repensé en voyant cet ouvrage sur les rayonnages de la médiathèque de ma ville.

Effectivement, Daniel Cordier livre un témoignage émouvant sur son adolescence dans un pensionnat religieux et sur son amour pour l'un de ses camarades, David Cohen. Son récit est très courageux, étonnamment sincère tant il se livre et se met à nu.

J'ai préféré la première partie aux suivantes, notamment les passages où il explique l'influence qu'ont pu avoir certains livres sur son parcours et sur la compréhension de ses sentiments.

Ce roman autobiographique est par ailleurs très bien écrit et m' a donné envie de lire Alias Carracala, ouvrage dont il était prévu qu'il fasse partie au départ.
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Alias Caracalla

Nous sommes en 1977. Dans l'émission "Les Dossiers de l'Ecran", Henri Frenay, le chef de "Combat", l'un des trois grands mouvements de résistance en zone sud, affirme soupçonner Jean Moulin d'avoir été un cryptocommuniste au service de l'URSS. Face à lui Daniel Cordier, ancien secrétaire de Jean Moulin, qui s'est désintéressé de tout ce qui a été publié au sujet de la Résistance depuis la fin de la guerre, bafouille maladroitement quelques mots de défense pour son patron. Frustré de n'avoir pas su le défendre au moment de cette émission, il décide de consacrer la suite de sa vie à des recherches sur Jean Moulin afin d'établir la vérité.

Suivront plusieurs biographies sur Jean Moulin ainsi que ses mémoires.

A la différence de maintes autobiographies écrites à la gloire de leurs auteurs, les mémoires de Daniel Cordier brillent par leur précision, leur franchise et leur humilité. Après son ralliement à la France Libre, cet ancien disciple de l'Action française et de Charles Maurras, dont le ralliement à Pétain et à l'armistice le révoltent, raconte son exode vers Londres, sa formation comme radio et saboteur pendant deux ans, et son engagement dans les renseignements. Parachuté à Montluçon en juillet 1942, il travaille pendant onze mois au service du chef de la France Libre en France, d'abord à Lyon, puis à Paris. Chargé du secrétariat de Moulin, de "l'intendance" comme le lui assène avec mépris Frenay, il assure la liaison entre Moulin et Londres et les mouvements de résistance, fournissant radios, opérateurs, boites aux lettres, appartements, dactylos pour la France Libre.

Pendant ces onze mois, il assiste à l'affrontement entre Moulin et les 3 principaux chefs de la Résistance en zone sud, le premier cherchant à imposer l'autorité de De Gaulle, les autres à conserver leur liberté tout en acceptant les subsides de De Gaulle.

Au moment où De Gaulle doit intégrer les partis politiques pour renforcer sa légitimité auprès des Américains, les mouvements se cabrent.

Moulin doit aussi faire face aux ambitions de Brossolette quand il doit prendre obtenir l'allégeance des mouvements de la zone Nord.

Ces mémoires fondés à la fois sur l'expérience d'un résistant et la connaissance de l'historien qu'il est devenu, sont sans doute les plus intéressants et les plus soucieux de vérité que j'ai pu lire.

Certes, Cordier défend son ancien patron. Mais il met également en exergue le dévouement de tous ces résistants de l'ombre, de toutes ces petites mains qui ont travaillé à la libération de la France. Ainsi, de Mado, cette dactylo qui a tapé tous les courriers avant qu'ils ne soient codés et qui disparut comme bien d'autres sans laisser de trace, comme les pas sur l'eau.
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La victoire en pleurant

Qui a lu 'Caracalla", retrouvera ici la même sensibilité, la même modestie.

Daniel Cordier poursuit la relation de ses mémoires après l'arrestation de Jean Moulin dont il fut le secrétaire.

Les rivalités entre groupes de résistants, entre résistants et Londres, la filière partant de France pour rejoindre Londres en passant par l'Espagne et Gibraltar, le moment de la Libération de la France, le retour et l'absence des compagnons résistants (d'où le titre du livre) et les questions politiques qui se posent sur l'organisation de la République, la fascination communiste, l'URSS apparaissant comme le principal vainqueur d'Hitler : l'auteur nous plonge dans un quotidien riche de rencontres (Malraux, Raymond Aron) avec la conscience que le passé et ses émotions sont incommunicables. Et puis toujours cette foi aveugle envers De Gaulle qui participe d'une certaine ingénuité de l'auteur.

Un livre passionnant et d'une belle sensibilité.
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Alias Caracalla

Un témoignage exceptionnel.



Daniel Cordier a 3 casquettes :

Il est à la fois témoin, acteur, et historien.



Quel témoin… puisqu’il était le secrétaire de Jean Moulin jusqu’à sa mort.

Quel acteur… un résistant, qui a pourtant été élevé dans la haine du Juif, et dans l’adoration de Pétain.

Quel historien… qui n’a qu’une seule obsession : la vérité.



Et c’est au nom de cette vérité qu’il a repoussé jusqu’à la limite du possible l’écriture de ses mémoires de la Seconde Guerre Mondiale, puisqu’il est décédé quelques années après les avoir achevées, à l’âge de 100 ans.

Comme il le dit lui-même :

« J’ai trop critiqué les souvenirs des autres pour être dupe de mes certitudes ».

Pour parer aux transformations du passé par la mémoire, il s’est appuyé sur ses archives personnelles, son journal qu’il a conservé tout ce temps, ainsi que sur de nombreuses sources extérieures lorsqu’il a eu des doutes.

Mise à part les dialogues, qu’il tire de ses souvenirs, tout le reste est donc « vrai ».



Si vous vous attendez à un portrait romancé de la résistance, passez votre chemin.

Ici pas de mensonges :

Non, toute la France n’était pas résistante,

Non, tous les résistants n’étaient pas prudents, et certains, faisaient fi de toute consigne de sécurité,

Non, tout le monde était loin d’être uni au sein même de la résistance.



Ces rivalités incessantes entre les différentes parties de la résistance, sans parler de la guerre des chefs, ont eu de véritables conséquences, puisqu’elles ont notamment affaibli l’opposition aux nazis.



Un témoignage comme je n’en ai jamais lu,

Qui démontre finalement qu’au sommet,

Qu’importe le côté duquel on se trouve,

La même chose est toujours convoitée :

Le pouvoir.




Si vous pensiez avoir tout lu sur la Seconde Guerre Mondiale, il se peut que ce ne soit pas le cas !
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Alias Caracalla

la Résistance au quotidien, l'engagement de Cordier adolescent révolté par la reddition de Pétain, la formation à Londres, le parachutage en France, la personnalité énigmatique et fascinante de Rex-Jean Moulin dont Cordier fut le secrétaire, la "vie" à Lyon, les conflits terribles entre les différents réseaux de la Résistance et aussi, pour ceux qui connaissent par ailleurs Daniel Cordier comme grand collectionneur, comment Jean Moulin l'a initié à l'art moderne en lui rapportant notamment de l'un de ses séjours à Londres un livre sur Kandinsky, auquel il ne connaissait rien (Daniel Cordier a fait une donation de sa collection au centre Pompidou).

Ce livre est absolument poignant !
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La victoire en pleurant

Il n'est pas indispensable de lire ce second tome des mémoires de Daniel Cordier. Le premier tome, écrit sous la forme de journal et consacré notamment à la période où Daniel Cordier fut le secrétaire de Jean Moulin jusqu'à son arrestation le 21 juin 1943, portait la marque d'un travail rigoureux, basé sur les biographies de Jean Moulin que l'auteur lui avait précédemment consacrées. Dans cette ultime partie, dont la chronologie est d'ailleurs largement corrigée par une historienne, les chapitres sont organisés par thèmes et par personnages : la France Libre étant décapitée par une succession d'arrestations consécutives à celle de "Rex", l'ex secrétaire de Jean Moulin, désormais isolé et "brûlé", est contraint de rejoindre Londres.

Dans cette dernière partie crépusculaire, où la joie de la Victoire est ternie par les deuils de Jean Moulin et de nombreux résistants, surnagent tout de même quelques passages émouvants : le retour des camps de concentration de plusieurs camarades, plus morts que vifs ; les retrouvailles avec la famille, emprunts de pudeur et d'incompréhension mutuelle, et la frustration de Cordier, qui peut nous sembler incompréhensible aujourd'hui, de n'avoir pas vraiment combattu comme un soldat, les armes à la main. Soldat pourtant il le fut.
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Alias Caracalla

Daniel Cordier a quitté récemment ce monde après une existence hors norme. Après des études historiques sur la très controversée résistance française, motivées par son affection pour Jean Moulin, il a livré une histoire plus personnelle de son entrée en résistance. Elle est passionnante et, avec toute la réserve qui s'impose à celui qui n'a pas traversé cette redoutable époque, criante de vérité. La Résistance n'en sort sûrement pas idéalisée, et l'on sait bien que l'histoire de Jean Moulin et de son tout jeune secrétaire ne se termine pas bien. Ce dernier ne cache pas avoir parcouru beaucoup de chemin avant d'être frappé en plein cœur par la vue d'un vieil homme portant l'étoile jaune. Il n'occulte rien de son désappointement à constater que son rôle se cantonne finalement à l'intendance, comme le rappellera avec une pointe de mépris un grand nom de la résistance armée. Il fait connaître sa désolation devant les interminables discussions et les intérêts de chapelles qui freinent l'œuvre d'unification de cette résistance. Mais à le suivre dans les détails plus ou moins glorieux de son périple, à découvrir son cheminement personnel, sa fidélité mêlée d'interrogations et de scrupules à un homme qui aimait les plaisirs de la vie et en a fait courageusement le sacrifice, on ne peut douter de sa sincérité. L'émotion laissée par cet homme droit, dans son récit d'une histoire terrible, est immense.
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La victoire en pleurant

On ne peut pas lire ce livre sans avoir lu auparavant Alias Caracalla, et qui a beaucoup aimé Alias, comme moi, retrouvera avec émotion cet homme très sensible, entier, un peu ingénu, téméraire, courageux. le récit de cette époque qui suit l'arrestation de Jean Moulin, son patron vénéré, jusqu'à la démission de l'armée de Cordier en 1946 est parcouru des moments tous plus forts les uns que les autres qu'a vécus ce très jeune homme de 25 ans. Quel parcours de vie incroyable pour un si jeune homme. Qu'avais-je fait à cet âge là ? Voilà qui m'impressionne plus que tout. Pour moi, le temps le plus fort d'entre tous est celui du retour des camps de ses camarades déportés.

Daniel Cordier ne voulait pas être enterré au mont Valérien, honneur réservé au dernier membre de l'Ordre des Compagnons de la Libération. Son voeu est exaucé puisqu'il était l'avant dernier survivant de l'Ordre à sa mort…

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Alias Caracalla

C’est par hasard, d’abord, que j’ai acheté Alias Caracalla. Au détour de quelques recherches internets ou d’un documentaire, j’ai découvert ce livre, dont le titre m’a intrigué, et je me suis décidé à l’acquérir. J’étais loin de me douter de la révélation qu’il allait être pour moi.



Pour le garçon de 18 ans que je suis encore, il est intéressant de lire le récit de quelqu’un d’à peu près du même âge qui, 80 ans plus tôt, a décidé de s’engager contre ce qu’il considérait être une honte et un déshonneur pour sa patrie: la signature de l’armistice. On suit d’abord les espoirs, les illusions, les joies et les déceptions qui animent la vie de Daniel Cordier, jeune militant de l’Action Française, fervent maurassien, jeune Camelot du Roi et antisémite assumé, lorsqu’il arrive à Londres en Juin 1940. Pendant deux années, son entraînement au sein des FFL et sa formation auprès du BCRA vont rythmer sa vie. Il rêve d’action, d’aventure, de gloire peut-être, mais il est lucide: il sait qu’il s’engage dans une voie dont il ne reviendra sûrement pas.



Au final, son destin et sa guerre furent tout autres. Parachuté en France en Juillet 1942, il rencontre rapidement Rex*, alors chargé par le Général de Gaulle d’unifier les différentes Résistances qui existent en France. De cette rencontre, qui aurait pu être anodine, va naître une relation forte entre ces deux hommes puisque Rex va faire de Cordier son secrétaire personnel jusqu’à son arrestation. Daniel Cordier vient de rencontrer, comme il le dit lui-même, « l’homme qui allait hanter sa vie ». S’ensuivent dix mois de proche collaboration, de travail acharné (quatorze à seize heures par jour!), de risques permanents (venant de la Gestapo et de la Milice), de rencontres quotidiennes avec des responsables majeurs de la Résistance et de communications laborieuses. Pendant ces dix mois, le jeune homme d’extrême-droite qu’était Daniel Cordier va devenir Républicain puis un homme de gauche, rencontrer les hommes qui ont permis à la France de sauver son honneur pendant la guerre, côtoyer des intellectuels, des artistes et, surtout, gérer une bonne partie de l’argent et des communications radios de la Résistance Française. C’est le récit au jour le jour d’un homme qui, à sa façon, a contribué à la victoire finale, même si ses désirs d’action ne furent jamais satisfait. Mais par-dessus tout, c’est le récit de l’éveil d’un homme, de son changement, de sa naissance presque. Le Daniel Cordier qui revient vainqueur en 1945 est bien différent du Daniel Cordier qui a quitté la France en 1940.



Plein d’humilité, d’honnêteté, et d’enseignements, Alias Caracalla est de ces livres qui vous hantent et vous accompagnent pour toute la vie, vous faisant vous questionner: « qu’aurais-je fait à sa place »? Un grand livre, écrit par un grand homme, pour raconter un des plus beaux moments de l’Histoire moderne de la France (la Résistance), et ce avec l’innocence, la naïveté et la pureté du regard d’un jeune plein d’espoir, voici Alias Caracalla. À lire absolument, surtout quand on a autour de vingt ans.
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