Citations de Delphine Minoui (327)
- A vrai dire, concède Shadi, les gens sont moins intéressés par l'apprentissage d'une langue à proprement parler que par le fait d'être là, tout simplement. Quel infini plaisir que de discuter d'autres choses que de la guerre. De tenir un crayon. De remplir un carnet de notes. Un sentiment de normalité. (p. 71)
Les livres, un exutoire. Une mélodie de mots contre le diktat des bombés. La lecture, ce modeste geste d'humanité qui les rattache à l'espoir fou d'un retour à la paix.
Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive.
La vie humaine, c'est comme les racines d'un arbre. Le reste, ce sont les branches. Si vous les arrosez bien, il n'en sortira que du bon.
Elle perçoit aussi le risque du naufrage. Elle sent que Göktay est à deux doigts de flancher.Pourtant, il s'accroche. Elle lit tout ça entre les lignes. Elle le comprend et elle l'admire.Pour son refus de se taire.Pour sa capacité à composer un alphabet imaginaire quand il n'a plus la force de rien.
Et Elle se dit que c'est ça, la liberté : vivre jusqu'au bout des mots.
( p.238)
Les jours suivants, la collecte se poursuit à travers les ruines.
En une semaine, ils sauvent six mille ouvrages. Un exploit ! Un mois plus tard, la récolte atteint les quinze mille exemplaires.
Il se présente. Ahmad, 23 ans, enfant de Daraya, issu d’une famille de huit rejetons. Avant la révolution, il étudiait le génie civil à l’université de Damas. Avant la révolution, il aimait le football, les films, et la compagnie des plantes dans la pépinière familiale. Avant la révolution, il rêvait de journalisme. Son père l’en avait dissuadé après avoir connu douze mois de prison pour un simple commentaire glissé à l’oreille d’un ami. « Insulte au pouvoir », avait tranché le tribunal. C’était en 2003. Ahmad avait 11 ans. Un souvenir sombre, blotti au fond de son coeur.
Ecrire, c'est recoller des bouts de vérité pour faire entendre l'absurde.
- Le livre ne domine pas. Il donne. Il ne castre pas. Il épanouit (p. 25).
Un journaliste, ça ne s'achète pas. Ça se subit.
Combien d'étudiants avaient disparu ? Des dizaines, des centaines, des milliers ? Soumise au diktat de l'actualité, j'ignorais leurs noms, leur âge, la couleur de leurs cheveux. Ça fait moins de bruit un mort qui n'a pas de nom.
Il aime flâner entre les pages. Feuilleter sans fin. Se perdre entre les points et les virgules. Naviguer sur des territoires inconnus.
- Le livre ne domine pas. Il donne. Il ne castre pas. Il épanouit.
Ici, sur les pentes des collines, face au couchant
Et à la béance du temps,
Près des vergers à l’ombre coupée,
Tels les prisonniers,
Tels les chômeurs,
Nous cultivons l’espoir.
(extrait d’un poème du poète palestinien Mahmoud Darwich, cité dans le roman)
Les livres, ces armes d’instruction massive qui font trembler les tyrans.
A pleine voix une femme a chanté : "n'ayez pas peur, n'ayez pas peur. Nous sommes tous ensemble"
« Bachar Al-Assad avait fait le pari de les enterrer tous vivants. D'ensevelir la ville, ses derniers habitants. Ses maisons. Ses arbres. Ses raisins. Ses livres.
Des ruines, il repousserait une forteresse de papier. La bibliothèque secrète de Daraya. »
« Les livres, un exutoire. Une mélodie de mots contre le diktat des bombes. »
Malgré ses ecchymoses, Daraya s'obstine à célébrer la vie.
(Le 12 juin 2016 , 5 heures du matin, Delphine Minoui, journaliste installée à Istanbul, ne parvient plus à établir la connection quotidienne avec la quarantaine de jeunes révolutionnaires syriens de Daraya, qui ont décidé de résister à la violence du régime de Bachar al-Assad)
Et moi qui avais finir par croire que le lien tissé sur la Toile leur offrait un gage de sécurité, une brèche salutaire dans cette fortification qui ne cessait de se consolider autour d'eux. La Toile s'est refermée sur leurs espoirs. La terre entière est désormais complètement sourde aux appels de détresse, aux chants esseulés des survivants. Il fait noir entre eux et nous. Une nuit sans fin qui a englouti les derniers mots
Comme les cailloux du Petit Poucet, un livre mène à un autre livre. On trébuche, on avance, on s’arrête, on reprend. On apprend. Chaque livre dit il, renferme une histoire, une vie, un secret.