Denise Bombardier

J'estimais que cette femme ne pouvait à la fois rejeter son mari et ses enfants et vivre en femme entretenue. Si pathétique que fût le brusque réveil de la conscience de son inutilité, cela n'excluait pas le courage. J'avais trop lutté pour rompre avec la loi de ma mère soumise pour accepter un tel exemple.

Elle et moi ne nous ressemblons guère. Pourtant, elle seule me rassure sur mes peurs. Sans doute parce que les siennes sont encore plus fortes.

La maîtresse vivait, à sa façon, le calendrier lithurgique. La préparation de la Toussaint fut l'occasion de nous pencher plus avant sur notre propre mort. Afin de prendre pleinement conscience de notre fragilité, de notre état de gouttes d'eau dans l' océan,la soeur nous suggéra, comme réflexion spirituelle : notre cercueil. Nous devions nous imaginer étendues sur le taffetas blanc, les mains jointes, un chapelet entre les doigts. Elle nous proposa même un sujet de composition inusité : 《Vous êtes couchée dans votre cercueil, au salon mortuaire ,et vous pouvez entendre les propos des visiteurs qui viennent vous rendre un dernier hommage. Que disent-ils de vous ?.》Mais je devais composer cet éloge nécrologique sur moi-même ,sans protester. Car j'avais besoin de mes points, tous mes points, pour entrer au cours lettres-sciences.

La partie débuta ,la carte de Gloria se remplissait de jetons. 《Maudite chanceuse, souffla Rose,y t'en manque qu'un.》Gloria sourit sans la regarder, concentrée qu'elle était sur son jeu. 《 B14》 ,annonça le meneur de jeu. 《 BINGO》 ,cria Gloria, rayonnante. Elle leva le bras et s'effondra. Son coeur trop heureux venait d'éclater.

Les trois soeurs n'avaient pu se passer les unes des autres. S'étaient- elles aimées? Rien n'est moins sûr. Dans leur famille, l'amour était secondaire. Avaient-elles été aimées ? Sans aucun doute. Mais pour Edna, Irma et Gloria, être aimé ne résumait pas une vie.

Louis-philippe revint au pays,les mers étant devenues trop risquées pour y gagner sa vie.Il demanda à Ubald de l'héberger le temps de se dénicher un logement car il s'était rapidement trouvé un travail d'électrotechnicien à la compagnie 'de téléphone. Edna hésita ,l'idée que son beau-frère passe ses nuits sur son sofa neuf dans le salon lui souriait peu mais Ubald semblait y tenir.Ellr ignorait que son mari se mourait de conduire une Hudson décapotable, l'automobile flambant neuve que Louis-philippe s'était empressé d'acquérir. Il rapportait de ses années d'officier de navigation dans la marine marchande des goûts de luxe, des idées sulfureuses et des économies substantielles. Curieusement ,il ne souhaitait pas se retrouver seul entre quatre murs, ce qui expliquait sans doute la demande à son jeune frère. Car Louis-philippe approchait de la quarantaine ,sans attaches connues.

À vrai dire, le goût du livre, de la culture, le plaisir de la découverte, vivre ailleurs et autrement par procuration m’habitaient. Hélas ! le règlement de la bibliothèque interdisait de louer plus de trois livres par semaine. Or, une journée et demie suffisait pour que je termine les trois titres. En dépit des imprécations de ma mère, qui m’intimait d’aller jouer avec les enfants dans la rue, la ruelle ou sur les perrons, je préférais m’isoler avec ces adolescents fabuleux, le Prince Éric et ses camarades capables de risquer leur vie par amour de Dieu et de leur patrie.

« Faut lire des livres de son âge », rechignait parfois ma mère en me voyant plongée dans ces pavés. Je levais le nez de mes pages, la regardais et songeais que malgré ses dix années de scolarité elle ne dévorait que des magazines américains de romance comme True Story. Je repartais dans mon monde aux héros si complexes et aux mots si lumineux même lorsque je ne les saisissais pas.

Une enfance difficile forme le caractère. Ma vie ne s’explique pas si on ignore la lutte quotidienne que j’ai dû mener pour contrer la violence paternelle. Instinctivement, j’ai cru que l’homme dont je porte le nom était un fou, un impulsif capable de cogner pour une contrariété, et que tous les autres hommes se révélaient meilleurs que lui. Bien que mon père ait compliqué par son attitude mes relations avec eux, il n’est pas parvenu à me briser ou m’en dégoûter. Et j’ai su aimer les hommes qui m’ont aimée, valorisée, admirée, protégée, ceux qui ont illuminé ma vie.

Enfin, elle m'assura que la fabrication d'un enfant commençait par un long baiser mouillé, dont la suite lui échappait encore.

Nous étions une bande de joyeuses folles, nos extravagances frôlaient parfois le précipice,nos conduisons nos vies de femmes plus que libérées le pied sur l'accélérateur et la tête dans le vent et voilà qu'une de nous, celle qui accumulait les aventures avec des hommes plus jeunes qu'elle,qui leur ouvrait les bras, ses cuisses et son portefeuille pour rajeunir, Marie,s échouait faute de d'oxygène et de repères lui permettant de s'apaiser.

Je n'avais pas l'intention cde coucher avec lui tant je sais qu'avec l'âge le corps à besoin de préparation, d'un decor adéquat et d'un éclairage qui masque les outrages - même limités- du cumul des années,mais quand même : sa fausse indifférence finissait par l'irriter.

Tous les instants de ma grossesse me comblerent tellement que j'en étais arrivée à envier l'éléphante qui porte son petit trois cent quarante jours!

Cette scène, nous en rions encore chaque fois que l'occasion se présente. Marie estime même qu'ayant échappé aux sodomites pour la plupart, nous avions peut-être raté une expérience excitante, voire enrichissantes. Mais comme dit Pauline ; "Y a des moyens plus agréables de s'enrichir"

Mais je l'ai mis en garde: " Je connais des femmes dont la figure est si tirée qu'elles ont le clitoris sous le menton. Je préférerais que le mien ne bouge pas.

0n est moderne jusqu'à ce que l'on soit dépassé. (p. 28)

On répétait autour de moi que j'avais l'air plus jeune que mon âge, ce qui me paraissait une preuve indéniable que j'avais atteint un âge certain

Philip appartenait à une race d'hommes que je n'avais jamais rencontrée. Il avait imaginé une femme qui lui était destinée et que le hasard mettrait un jour sur sa route. Sa patience avait été mise à l'épreuve avec l'âge, les femmes ayant exprimé de l'intérêt pour lui ne correspondant jamais à ses attentes. Il vivait hors de son époque. La révolution des mœurs n'avait pas abîmé son rêve. Le sentiment amoureux qui s'imposait enfin à lui le confirmait enfin dans sa quête de folie sentimentale et faisait éclater toutes ses réserves. Philip n'était pas dans la séduction mais dans la vérité.

L’alcool est un coupe-faim certes, mais ses calories circulent dans le corps et, avec l’âge, ont tendance à stationner dans le bas-ventre. Les armures en Spandex, nylon et élasthanne de Sara – qui nous ruinent – sont devenues notre arme à toutes car elles estompent savamment nos rondeurs… En tout cas jusqu’au moment où l’on doit se dénuder devant un nouvel amant ! D’où l’anxiété des sexagénaires à faire l’amour avec un inconnu ! Dans ce cas, une femme a intérêt à être athlétique et à adopter des positions qui camouflent ses débordements de chair. J’en connais qui préfèrent refuser ce moment délicat et ne font l’amour qu’avec leurs ex ; c’est moins stressant et, au final, plus confortable. Comme quoi, le recyclage amoureux possède des avantages indiscutables.

Je m’ennuie. Je crois même que c’est le sentiment permanent de ma vie. Je suis une forcenée du travail qui carbure à l’ennui. Et, contrairement à la plupart de mes amies en couple ou seules, je l’admets. Quand elles me suggèrent de me reposer, je deviens enragée !

En anglais, il existe une expression d’une extrême vulgarité pour désigner ces femmes qui accèdent au pouvoir: « They fucked their way to the top. » En France, une formule, tout en euphémisme, évoque la « promotion canapé ».