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Citations de Dima Abdallah (152)


La peur de chacun sera légitime, elle aura un objet précis, elle sera logique. Dans l'urgence de la situation, les angoisses de chacun s'effaceraient, on mettrait chacun toutes nos peurs intimes de côté pour, l'espace d'une nuit, avoir une peur commune, la même que celle de tous les autres gens. Pour une fois, on serait comme tous les autres gens. Les bombes, ça me fait moins peur que les fantômes.
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Partir n’est pas une histoire de géographie. Douze ans de checkpoints, douze ans de fermeture d’école, douze ans d’égouts à même la rue. Douze ans de barricades, douze ans de gare-toi sur le côté, douze ans d’ouvre ton coffre, douze ans de donne tes papiers. Douze ans de crépuscule, douze ans de décadence, douze ans de déchéance, d’anéantissement de tout. p.102
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Je tiendrai le temps qu’il faudra, je tiendrai bon. Si ma boule devient trop grande et menace d’exploser, je tasserai tout plus fort tout au fond de ma gorge, puis jusque dans mes poumons s’il le faut, puis, si j’y arrive, dans mon ventre. Rien ne sortira. Je ferai comme d’habitude, je garderai tout ça verrouillé à double tour en moi, dans le contenant de mon corps, mon corps qui sera une forteresse. J’ai l’habitude. J’y arriverai, il le faudra bien. p.88
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Je me fais l’impression d’un cube qu’on essaye de faire entrer dans un moule rond et étroit. On a beau essayer le cube dans tous les sens, ça n’entrera pas, on a beau en limer même un peu les coins pour les arrondir, ça reste un cube. Je suis un cube qu’on essaye de faire entrer dans le moule rond du matin au soir. Mes angles droits sont martelés à longueur de temps. La chair de mes coins est écrasée, mutilée, contusionnée, meurtrie, coup après coup. Il ne sait pas lui, je ne veux pas lui dire. Il ne sait pas ce que c’est pour moi, de le laisser. p 66 et 67
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D’un jour à l’autre, il faudra bien que cette guerre finisse, ce n’est qu’une affaire de quelques semaines, quelques mois tout au plus. Il ne peut pas en être autrement, je n’ai pas le courage qu’il en soit autrement. Parce qu’elle ne grandira pas dans ça, ce n’est pas une option. Parce que six ans dans ça, c’est déjà trop. Je vais continuer à lui dire que rien de tout ça n’est grave, qu’elle a bien raison de ne pas pleurer, qu’on ne risque rien et que ça ne nous regarde pas, ce vaste bordel. Je me dis qu’il n’y a pas besoin d’en parler, demain, on ira acheter un pot de marjolaine pour remplacer celui qui a fané et on mangera une glace. p.33
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Pendant douze ans, je les ai vus tous deux naître et pousser dans cette ruine, l’un après l’autre. Pendant toutes ces années, je les ai regardés faire semblant de ne pas avoir peur. Pendant douze ans, je les ai vus s’acharner à vouloir respirer ce qui restait d’oxygène. Au diable la patrie. Au diable les racines. Douze ans de cages d’escalier. Douze ans d’eau salée, douze ans de baissez vos têtes. Douze ans à me regarder, moi, m’écrouler comme une tour, une pierre après l’autre, m’effondrer lentement et inexorablement. M’effondrer sur eux. Douze ans à me regarder me morceler, me défragmenter. Ma chute était synchronisée avec celle du pays. Des morceaux de moi se détachaient sur le rythme où les immeubles s’écroulaient. Je devenais aussi toxique que cette ville. Je sentais le soufre et le sang coagulé. De moi coulait la même pollution que celle qui se déversait dans la mer, chaque jour. Je me désagrégeais sur le même tempo que cette ville. Les cris de ceux qu’on torturait jaillissaient de ma bouche et transpiraient de tous les pores de ma peau.
Douze ans à assister à la ruine de tout. Douze ans à regarder tout chanceler et puis tomber. C’est bien qu’ils soient partis. Peut-être qu’avec le temps ils pourront se reconstruire, se construire, ils sont encore si jeunes. Douze ans dans mille maisons sans jamais être à la maison. Douze ans de maison dans le coffre de la voiture. Douze ans à se demander la salle de bains, la cage d’escalier ou l’abri? Douze ans d’aucun parti, d’aucun bord, d’aucune milice, d’aucun groupe, d’aucune appartenance, d’aucune confession. Douze ans d’errance. p. 101
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Je vais continuer à lui dire que rien de tout cela n'est grave, qu’elle a bien raison de ne pas pleurer, qu’on ne risque rien et que ça ne nous regarde pas, ce vaste bordel. Je me dis qu’il n’y a pas besoin d’en parler, demain on ira acheter un pot de marjolaine pour remplacer celui qui a fané et on mangera une glace.
Chaque soir, on trouvera la force d’oublier ce qui s’est passé pendant la journée et chaque matin on trouvera une parade pour oublier la nuit passée. Je crois que l’oubli est la meilleure des solutions, je suis en train de développer une sorte de superpouvoir pour ce qui est de l’oubli. je travaille à effacer de ma mémoire toutes les images qui dérangent, que je ne supporte plus de voir. Je ne garde que les souvenirs d’avant, avant que tout cela n’arrive. Je travaille ma mémoire au corps. p. 33
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Il y a une logique à tout ça. Ils doivent être plus intelligents, ils savent faire mille et une choses que je ne sais pas faire, ils savent mieux parler, ils savent mieux bouger, ils savent mieux penser, ils savent mieux s’habiller, mieux se coiffer, ils savent s’amuser. Je suis sûre qu’ils n’ont pas peur de la nuit, qu’ils ne font pas de cauchemars et que, le matin, ils n’ont pas de boule au ventre. Je les imagine dans de belles maisons avec de beaux parents, des chambres bien décorées et bien rangées.
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Le géant est une gigantesque étoile qui illumine tout et un trou noir qui avale tout ce qui se trouve à proximité. Ce n’est pas que les autres personnes autour de lui sont moins importantes, c’est seulement que le trou noir a un tel poids, une telle force gravitationnelle, qu’il engloutit tout.
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C’est les caïds qui me fascinent le plus. J’observe à chaque fois avec émerveillement ces petits durs sangloter dans les jupons de la maîtresse. Je les dévisage, subjuguée par les larmes, la sueur et la morve qui coulent à flots. C’est peut-être parce que je suis la seule à ne pas pleurer que la maîtresse ne m’aime pas.
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Je marche sur un fil. Je suis le funambule sur le fil tendu au-dessus des abysses de la mémoire. Il ne faut pas que je tombe. Je suis sur le fil qui menace de rompre au moindre faux pas.
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Carnet
Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l’air de rien les mots, pas l’air de dangers bien sûr, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu’ils arrivent par l’oreille par l’énorme ennui gris mou du cerveau. On ne se méfie pas d’eux des mots et le malheur arrive.

Tout a commencé par un petit son de bouche, ni chaud, ni froid
Cinq mots. Une petite phrase de rien du tout
Un petit vent
Facilement repris
Une brise devenue tempête
Je fragmenterai si bien chaque lettre, j’enterrerai si bien ce petit son de bouche
Que du malheur il ne restera plus rien
J’étranglerai chaque mot
La voix fantôme ne sera plus qu’un son ridicule étouffé, un souffle court à l’agonie
On ne se méfie pas d’eux des mots et le malheur arrive.
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Il est trop tard
Il a vite été trop tard
Ce qui est perdu est perdu depuis la nuit des temps
Ce qui est perdu doit se résoudre à sombrer
J’alimente le feu sacré où tout doit tomber en cendres
Un jour on comprend beaucoup de choses, mais ça ne change rien
Comprendre ne fait aucune différence
Comprendre est pire que tout
Il a vite été trop tard
Une époque où on ne savait rien
Je ne savais rien
Rien de rien.
Maintenant oublier tout
Brûler tout
Mourir pour de bon pour pouvoir renaître
Renaître propre de tout ce qui est perdu.
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La rue a ce pouvoir magique, elle vous débarrasse de tous les murs et de tous les fantômes qui y logent, de tous les prénoms qui s’accrochent. Je me débarrasse petit à petit des murs de ma mémoire comme on extrait des tumeurs. J’arrache chaque brique comme on arrache une épine enfoncée dans la chair. J’enterre tous les tics et toutes les convulsions. Je me purge petit à petit des cinquante-trois années de mon existence. Elles s’évanouissent chacune à son tour. La rue est une petite mort où le passé et le temps se disloquent à une vitesse vertigineuse. Les journées et les nuits se succèdent en vous glissant sur la peau, sans jamais vouloir s’accrocher. Les dates se morcellent et meurent sur le trottoir. Il n’y a que les saisons qui persistent.
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Incipit :
C’était le 21 mars 2013. La date est gravée dans ma tête. C’est bien la seule. Ça et ma date de naissance. Il y a quelques autres dates qui font encore de la résistance de temps en temps, qui remontent depuis les abysses de la mémoire pour venir toquer à la porte, mais j’ai développé depuis des années une tripoté de techniques bien à moi pour les renvoyer d’où elles viennent. J’y ai travaillé dur. J’ai mis tout ce que j’ai d’énergie, tout ce que j’ai en réserve d’astuces et de formules magiques. J’ai développé un savoir-faire bien à moi à force de labeur pour faire mourir ce qui doit mourir. Je tue ce qu’il faut tuer. Quand ce qui est mort et enterré veut remonter depuis les enfers, je sais exactement ce que j’ai à faire. Je tolère deux dates : le 25 octobre 1961, celle-ci est marquée noir sur blanc sur mes papiers d’identité après tout, et le 21 mars 2013.
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Tu sais ma nuit, Milan Kundera dit qu'il existe dans notre cerveau une zone tout à fait spécifique qu'on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre tout ce qui nous a charmés, ce. qui nous a émus et ce qui donne à notre vie sa beauté. Je crois que cette zone du cerveau est on ne peut plus perméable et communique en permanence avec toutes les autres zones de la mémoire. Je crois que cette mémoire poétique est la plus puissante de toutes. Elle est invincible. Elle est faite de tout ce qu'on a ressenti. Ce qu'on a vécu et ce qu'on fait a senti ne peuvent être séparé. Je dirais même plus, ce qu'on a vécu est avant tout ce qu'on a senti.
(page211)
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Les madeleines sont ont un goût rance et amer, mon cher Marcel. Un arrière goût métallique de sang que je porte sur la langue en permanence. Je ne le recherche pas, le temps perdu, je le terrasse.
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J'habitais le 20ème arrondissement depuis des années, mais je n'y avais jamais vécu. J'habitais une cellule, un donjon coupé du monde et entouré de douves infranchissables.
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Dima Abdallah
Je travaille à effacer de ma mémoire toutes les images qui dérangent, que je ne supportent plus de voir. Je ne garde que les souvenirs d'avant, avant que tout cela n'arrive. Je travaille ma mémoire au corps.
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Un poème ce n'est pas une comptine. Un poème c'est une affaire sérieuse. (...)
J'ai huit ans, je sais qu'un poême, ce n'est pas joli. Ce n'est pas le mot qu'il faut pour parler d'un poème sur la mer la nuit. Je ne sais pas bien quels mots il aurait dû employer mais ce n'était pas le mot qu'il fallait. Ou sinon il fallait en dire d'autres. Dire pourquoi on l'a trouvé joli. Un poème c'est de l'émotion, un poème c'est une sorte de cri, je crois. Mon poème c'est un hurlement. La mer la nuit , ce n'est pas joli, c'est triste et ça fait un peu peur. On a l'impression que les vagues inspirent quand elles se forment et qu'elles expirent en soupirant de chagrin quand elles viennent s'écraser et mourir sur le sable. Les humains ne comprennent pas grand chose à toutes ces choses je trouve.
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