Citations de Edmond de Goncourt (231)
Elle prit des poses muettes et désolées, des attitudes d'enterrement, de ces airs avec lesquels le corps d'une femme dégage de la tristesse et fait un ennui de son ombre. Avec sa figure, son regard, sa bouche, les plis de sa robe, sa présence, avec le bruit qu'elle faisait en travaillant dans la pièce à côté, avec son silence même, elle enveloppait mademoiselle du désespoir de sa personne.
Elle sentait cette première atteinte de l'épidémie, la croyance de lui appartenir et l'impression d'en être déjà à demi possédée. Sans se résigner, elle abandonnait. A peine si sa vie vaincue d'avance, faisait encore l'effort de se débattre.
[...] elle portait presque fièrement, sous les regards de la rue, sa honte de femme dans l'orgueil et le rayonnement de la mère qu'elle allait être.
Ceux qui voient la fin de la religion catholique dans le temps où nous sommes, ne savent pas quelles racines puissantes et infinies elle pousse encore dans les profondeurs du peuple.
Les épreuves de toute son existence, le mal de vivre, les éternelles souffrances de son corps, une si longue torture physique et morale l'avaient comme détachée et mise au-dessus de la vie. Son éducation, ce qu'elle avait vu, le spectacle de l'extrémité des choses, la Révolution l'avaient formée au dédain des misères humaines.
Sourdement, silencieusement, dans le ma!heur, l'isolement, la dureté des choses et des gens autour d'elle, la jeune fille s'était formé une âme droite et forte ; les larmes l'avaient trempée au lieu de l'amollir. Sous la docilité et l'humilité filiales, sous l'obéissance passive, sous une douceur apparente, elle cachait un caractère de fer, une volonté d'homme, un de ces coeurs que rien ne plie et qui ne fléchissent pas.
Elle commençait à souffrir du vide et du froid que fait autour d'une femme une jeunesse qui n'attire pas et ne séduit pas, une jeunesse déshéritée de beauté et de grâce sympathique.
Elle demeurait comprimée et rabaissée, isolée auprès de son père, écartée de ses bras, de ses baisers, le coeur gros et douloureux de vouloir aimer et de n'avoir rien à aimer.
Son enfance s'était passée dans une anxiété de tous les instants, dans les privations qui rognent la vie, dans la fatigue d'un travail épuisant ses forces d'enfant malingre, dans une attente de la mort qui devenait à la fin une impatience de mourir : il y avait eu des heures où la tentation était venue à cette fille de treize ans de faire comme des femmes de ce temps, d'ouvrir la porte de l'hôtel et de crier dans la rue : Vive le Roi ! pour en finir.
On avait vécu tout ce dur temps de la Révolution, on n'allait vivre tout le misérable temps du Directoire qu'avec une ressource bien inattendue, un argent de la Providence envoyé par la Folie.