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Citations de Edmond de Goncourt (231)


Aussi n’avait-elle plus qu’une phrase à la bouche, une phrase qui était le refrain de ses pensées : Que voulez-vous ? je suis malheureuse… Je n’ai pas de chance… Moi d’abord rien ne me réussit. Elle disait cela comme une femme qui a renoncé à espérer. Avec la pensée chaque jour plus fixe d’être née sous un signe défavorable, d’appartenir à des haines et à des vengeances plus hautes qu’elle, la terreur était venue à Germinie de tout ce qui arrive dans la vie. Elle vivait dans cette lâche inquiétude où l’imprévu est redouté comme une calamité qui va entrer, où un coup de sonnette fait peur, où on retourne une lettre, en en pesant l’inconnu, sans oser l’ouvrir, où la nouvelle qu’on va vous dire, la bouche qui s’ouvre pour vous parler, vous fait passer une sueur sur les tempes. Elle en était à cet état de défiance, de tressaillement, de tremblement devant la destinée, où le malheur ne voit que le malheur, et où l’on voudrait arrêter sa vie pour qu’elle ne marche plus et qu’elle n’aille pas devant elle, là où la poussent tous les vœux et toutes les attentes des autres.

Chapitre XLVII
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Quand, à ses heures découragées, elle retrouvait par le souvenir les amertumes de son passé, quand elle suivait depuis son enfance l’enchaînement de sa lamentable existence, cette file de douleurs qui avait suivi ses années et grandi avec elles, tout ce qui s’était succédé dans son existence comme une rencontre et un arrangement de misère, sans que jamais elle y eût vu apparaître la main de cette Providence dont on lui avait tant parlé, elle se disait qu’elle était de ces malheureuses vouées en naissant à une éternité de misère, de celles pour lesquelles le bonheur n’est pas fait et qui ne le connaissent qu’en l’enviant aux autres. Elle se repaissait et se nourrissait de cette idée, et à force d’en creuser le désespoir, à force de ressasser en elle-même la continuité de son infortune et la succession de ses chagrins, elle arrivait à voir une persécution de sa malechance dans les plus petits malheurs de sa vie, de son service. Un peu d’argent qu’elle prêtait et qu’on ne lui rendait pas, une pièce fausse qu’on lui faisait passer dans une boutique, une commission qu’elle faisait mal, un achat où on la trompait, tout cela pour elle ne venait jamais de sa faute, ni d’un hasard. C’était la suite du reste. La vie était conjurée contre elle et la persécutait en tout, partout, du petit au grand, de sa fille qui était morte, à l’épicerie qui était mauvaise. Il y avait des jours ou elle cassait tout ce qu’elle touchait : elle s’imaginait alors être maudite jusqu’au bout des doigts. Maudite ! presque damnée, elle se persuadait qu’elle l’était bien réellement, lorsqu’elle interrogeait son corps, lorsqu’elle sondait ses sens. Dans la flamme de son sang, l’appétit de ses organes, sa faiblesse ardente, ne sentait-elle point s’agiter la Fatalité de l’Amour, le mystère et la possession d’une maladie, plus forte que sa pudeur et sa raison, l’ayant déjà livrée aux hontes de la passion, et devant — elle le pressentait — l’y livrer encore ?

Chapitre XLVII
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Une heure arrivait dans cette vie où Germinie renonçait à la lutte. Sa conscience se courbait, sa volonté se pliait, elle s’inclinait sous le sort de sa vie. Ce qui lui restait de résolution, d’énergie, de courage, s’en allait sous le sentiment, la conviction désespérée de son impuissance à se sauver d’elle-même. Elle se sentait dans le courant de quelque chose allant toujours, qu’il était inutile, presque impie, de vouloir arrêter. Cette grande force du monde qui fait souffrir, la puissance mauvaise qui porte le nom d’un dieu sur le marbre des tragédies antiques, et qui s’appelle Pas-de-Chance sur le front tatoué des bagnes, la Fatalité l’écrasait, et Germinie baissait la tête sous son pied.

Chapitre XLVII
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L’amour qui lui manquait, et auquel elle avait la volonté de se refuser, devint alors la torture de sa vie, un supplice incessant et abominable.

Chapitre XLVI
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Et pourtant, dans la désespérance où elle s’accroupissait, des pensées la traversaient encore par instants, qui lui faisaient relever la tête et regarder devant elle au delà de son présent. Par instants, l’illusion d’une dernière espérance lui souriait. Il lui semblait qu’elle pouvait encore être heureuse, et que si certaines choses arrivaient, elle le serait. Alors elle imaginait ces choses. Elle disposait les accidents, les catastrophes. Elle enchaînait l’impossible à l’impossible. Elle refaisait toutes les chances de sa vie. Et son espérance enfiévrée se mettant à créer à l’horizon des événements de son désir, s’enivrait bientôt de la folle vision de ses hypothèses.

Chapitre XLV
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Les jours succédaient aux jours pour Germinie, pareils, également désolés et sombres. Elle avait fini par ne plus rien attendre du hasard et ne plus rien demander à l’imprévu. Sa vie lui semblait enfermée à jamais dans son désespoir : elle devait continuer à être toujours la même chose implacable, la même route de malheur, toute plate et toute droite, le même chemin d’ombre, avec la mort au bout. Dans le temps, il n’y avait plus d’avenir pour elle.

Chapitre XLV
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Mademoiselle était penchée avec une sorte d’épouvante sur ce corps abandonné et ne s’appartenant plus, dans lequel le passé revenait comme un revenant dans une maison abandonnée. Elle écoutait ces aveux prêts à jaillir et machinalement arrêtés, cette pensée sans connaissance qui parlait toute seule, cette voix qui ne s’entendait pas elle-même. Une sensation d’horreur lui venait : elle avait l’impression d’être à côté d’un cadavre possédé par un rêve.

Chapitre XLI
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La vague solennité des choses surnaturelles, un souffle d’au delà de la vie s’élevait dans la chambre, avec cette parole du sommeil, involontaire, échappée, palpitante, suspendue, pareille à une âme sans corps qui errerait sur une bouche morte. C’était une voix lente, profonde, lointaine, avec de grands silences de respiration et des mots exhalés comme des soupirs, traversée de notes vibrantes et poignantes qui entraient dans le cœur, une voix pleine du mystère et du tremblement de la nuit où la dormeuse semblait retrouver à tâtons des souvenirs et passer la main sur des visages.

Chapitre XLI
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Se négligeant, elle négligeait tout autour d’elle. Elle ne rangeait plus, elle ne nettoyait plus, elle ne lavait plus. Elle laissait le désordre et la saleté entrer dans l’appartement, envahir l’intérieur de mademoiselle, ce petit intérieur dont la propreté faisait autrefois mademoiselle si contente et si fière. La poussière s’amassait, les araignées filaient derrière les cadres, les glaces se voilaient, les marbres des cheminées, l’acajou des meubles se ternissaient ; les papillons s’envolaient des tapis qui n’étaient plus secoués, les vers se mettaient où ne passaient plus la brosse ni le balai ; l’oubli poudroyait partout sur les choses sommeillantes et abandonnées que réveillait et ranimait autrefois le coup de main de chaque matin. Une dizaine de fois, mademoiselle avait tenté de piquer là-dessus l’amour-propre de Germinie ; mais alors, tout un jour, c’était un nettoyage si forcené et accompagné de tels accès d’humeur, que mademoiselle se promettait de ne plus recommencer. Un jour pourtant elle s’enhardit à écrire le nom de Germinie avec le doigt sur la poussière de sa glace ; Germinie fut huit jours sans le lui pardonner. Mademoiselle en vint à se résigner. À peine si elle laissait échapper bien doucement, quand elle voyait sa bonne dans un moment de bonne humeur : — Avoue, ma fille, que la poussière est bien heureuse chez nous !

Chapitre XXXIX
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Dans la rue, elle n’avait plus l’air d’appartenir à quelqu’un de propre. Elle ne semblait plus la domestique d’une personne honnête. Elle perdait l’aspect d’une servante qui, se soignant et se respectant dans sa mise même, porte sur elle le reflet de sa maison et l’orgueil de ses maîtres. De jour en jour elle devenait cette créature abjecte et débraillée dont la robe glisse au ruisseau, — une souillon.

Chapitre XXXIX
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Son intelligence allant ainsi en s’affaissant, son corps aussi s’abandonnait et se délaissait. Elle renonçait à la toilette, à la propreté même. Dans son incurie, elle ne gardait rien des soins de la femme ; elle ne s’habillait plus. Elle portait des robes tachées de graisse et déchirées sous les bras, des tabliers en loques, des bas troués dans des savates avachies. Elle laissait la cuisine, la fumée, le charbon, le cirage, la souiller et s’essuyer après elle comme après un torchon. Autrefois, elle avait eu la coquetterie et le luxe des femmes pauvres, l’amour du linge. Personne dans la maison n’avait de bonnets plus frais. Ses petits cols, tout unis et tout simples, étaient toujours de ce blanc qui éclaire si joliment la peau et fait toute la personne nette. Maintenant elle avait des bonnets fatigués, fripés, avec lesquels elle semblait avoir dormi. Elle se passait de manchettes, son col laissait voir contre la peau de son cou un liseré de crasse, et on la sentait plus sale encore en dessous qu’en dessus. Une odeur de misère, croupie et rance, se levait d’elle. Quelquefois c’était si fort que Mlle de Varandeuil ne pouvait s’empêcher de lui dire : — Va donc te changer, ma fille… tu sens le pauvre…

Chapitre XXXIX
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Ce fut alors que les abaissements, les dégradations de Germinie commencèrent à paraître dans toute sa personne, à l’hébéter, à la salir. Une sorte de sommeil gagna ses idées. Elle ne fut plus vive, ni prompte à penser. Ce qu’elle avait lu, ce qu’elle avait appris parut s’échapper d’elle. Sa mémoire, qui retenait tout, devint confuse et oublieuse. L’esprit de la bonne de Paris s’en alla peu à peu de sa conversation, de ses réponses, de son rire. Sa physionomie, tout à l’heure si éveillée, n’eut plus d’éclairs. Dans toute sa personne on aurait cru voir revenir la paysanne bête qu’elle était en arrivant du pays, lorsqu’elle allait demander du pain d’épice chez un papetier. Elle n’avait plus l’air de comprendre. Mademoiselle lui voyait faire, à ce qu’elle lui disait, une figure d’idiote. Elle était obligée de lui expliquer, de lui répéter deux ou trois fois ce que jusque-là Germinie avait saisi à demi-mot. Elle se demandait, en la voyant ainsi, lente et endormie, si on ne lui avait pas changé sa bonne. — Mais tu deviens donc une bête d’imbécile ! lui disait-elle parfois impatientée.

Chapitre XXXIX
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Elle finit par atteindre ainsi à des moitiés de journée d’anéantissement, dont elle ne sortait qu’à demi éveillée avec une intelligence stupéfiée, des perceptions émoussées, des mains qui faisaient des choses par habitude, des gestes de somnambule, un corps et une âme où la pensée, la volonté, le souvenir semblaient avoir encore la somnolence et le vague des heures confuses du matin.

Chapitre XXXIII
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Là, dans ce verre, qu’elle se forçait à boire et qu’elle vidait avec frénésie, ses souffrances, ses douleurs, tout son horrible présent allait se noyer, disparaître. Dans une demi-heure, sa pensée ne penserait plus, sa vie n’existerait plus ; rien d’elle ne serait plus pour elle, et il n’y aurait plus même de temps à côté d’elle. « Je bois mes embêtements, » avait-elle répondu à une femme qui lui avait dit qu’elle s’abîmerait la santé à boire. Et comme dans les réactions qui suivaient ses ivresses, il lui revenait un plus douloureux sentiment d’elle-même, une désolation et une détestation plus grandes de ses fautes et de ses malheurs, elle cherchait des alcools plus forts, de l’eau-de-vie plus dure, elle buvait jusqu’à de l’absinthe pure pour tomber dans une léthargie plus inerte, et faire plus complet son évanouissement à toutes choses.

Chapitre XXXIII
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Dormir de ce sommeil écrasant, rouler, le jour, dans cette nuit, cela était devenu pour elle comme la trêve et la délivrance d’une existence qu’elle n’avait plus le courage de continuer ni de finir. Un immense besoin de néant, c’était tout ce qu’elle éprouvait dans l’éveil. Les heures de sa vie qu’elle vivait de sang-froid, en se voyant elle-même, en regardant dans sa conscience, en assistant à ces hontes, lui semblaient si abominables ! Elle aimait mieux les mourir. Il n’y avait plus que le sommeil au monde pour lui faire tout oublier, le sommeil congestionné de l’Ivrognerie qui berce avec les bras de la Mort.

Chapitre XXXIII
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Dans la torture de cette vie, où elle souffrait mort et passion, Germinie, cherchant à étourdir les horreurs de sa pensée, était revenue au verre qu’elle avait pris un matin des mains d’Adèle et qui lui avait donné toute une journée d’oubli. De ce jour, elle avait bu. Elle avait bu à ces petites lichades matinales des bonnes de femmes entretenues. Elle avait bu avec l’une, elle avait bu avec l’autre. Elle avait bu avec des hommes qui venaient déjeuner chez la crémière ; elle avait bu avec Adèle qui buvait comme un homme et qui prenait un vil plaisir à voir descendre aussi bas qu’elle cette bonne de femme honnête.

Chapitre XXXIII
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C’était bal à la Boule-Noire, un jeudi. On dansait.

La salle avait le caractère moderne des lieux de plaisir du peuple. Elle était éclatante d’une richesse fausse et d’un luxe pauvre. On y voyait des peintures et des tables de marchands de vin, des appareils de gaz dorés et des verres à boire un poisson d’eau-de-vie, du velours et des bancs en bois, les misères et la rusticité d’une guinguette dans le décor d’un palais de carton.

Chapitre XVI
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L’ironie, — l’ironie basse, lâche et mauvaise du bas peuple, — c’était tout ce garçon. Il incarnait le type de ces Parisiens qui portent sur la figure le scepticisme gouailleur de la grande ville de blague où ils sont nés. Le sourire, cet esprit et cette malice de la physionomie parisienne, était toujours chez lui moqueur, impertinent. Jupillon avait la gaieté de la bouche méchante, presque de la cruauté aux deux coins des lèvres retroussées et tressaillantes de mouvements nerveux.

Chapitre XV
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Se séparer de sa nièce, cela coûtait beaucoup à Germinie. Elle avait mis un peu de son existence sur cette enfant. Elle s’y était attachée par les inquiétudes et les sacrifices. Elle l’avait disputée et reprise à la maladie : cette vie de la petite fille était son miracle. (...)
Ce départ fut un déchirement pour Germinie. Elle se trouva isolée et inoccupée. N’ayant plus cette enfant, elle ne sut plus quoi aimer ; son cœur s’ennuya, et, dans le vide d’âme où elle se trouvait sans cette petite, elle revint à la religion et reporta ses tendresses à l’église.

Chapitre VI
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Germinie n’eut plus alors qu’une pensée : sa nièce. Elle voulait la faire revivre, et l’empêcha de mourir à force de la soigner. Elle s’échappait à tout moment de chez mademoiselle, grimpait quatre à quatre au sixième, courait embrasser l’enfant, lui donner de la tisane, l’arranger dans son lit, la voir, redescendait essoufflée et toute rouge de plaisir. Les soins, les caresses, ce souffle du cœur dont on ranime un petit être prêt à s’éteindre, les consultations, les visites de médecin, les médicamentations coûteuses, les remèdes des riches, Germinie n’épargna rien pour la petite et lui donna tout.

Chapitre VI
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