Citations de Elsa Marpeau (233)
Quand j'aurai bien bourlingué, je m'installerai quelquepart. Je poserai mes bagages en Malaisie. De toute façon, j'aurai presque rien gardé. Pas de photos, pas de bibelots. Mes souvenirs seront juste dans ma tête. C'est le seul truc qu'on peut pas nous voler, non?
Les femmes sont, et c’est heureux, plus complexes que leurs chevelures !
Avec tous les mots que je mets les uns à la suite des autres pour t'expliquer, je sais que je n'en viendrai pas à bout. Avec tous les mots du monde, jamais je ne pourrai dire ce que je voudrais dire. Déverser les douleurs, dévider les sentiments, faire comme les romanciers qui dévoilent des grands pans de la vie des gens, qui rendent clairs des événements confus, qui taillent à plein sécateur dans les buissons et les ronces du cerveau pour en faire des jardins domestiqués.
Pour la première fois, je ne ressentais pas le besoin de meubler les silences. Elle avait des manières douces et lentes. Quand elle avait trop chaud, elle sortait de son sac un éventail en tissu orange, qui avait une étrange forme courbée. Elle l’agitait devant elle avec mollesse. Elle enchaînait les cigarettes. La fumée sortait de son nez. Elle arborait sa nonchalance comme une parure.
Qu'est-ce qu'ils y pouvaient, nos paysans du coin, si leurs cultures crevaient quand on ne les abreuvait pas de cochonneries ? Qui aurait acheté leurs légumes pelés et biscornus, leurs tomates en forme de n'importe quoi, leurs pommes tordues ? Ici, la mode du bio nous a toujours fait marrer. Comment le voisin faisait pour avoir des courgettes biologiques quand le champ d'à côté baignait dans le Roundup ? Il ne fallait pas avoir plus de trois neurones et demi pour piger que ça ne voulait rien dire.
Mais Corinne parlait quand même, elle alignait les phrases, elle digressait, elle canardait en flux continu. On aurait dit qu’elle empilait les mots pour ne jamais laisser au silence une chance de s’installer, au silence et à la perte.
L´humour n´a pas de goût, ni bon ni mauvais. Bientôt, on ne pourra plus rire dans ce pays.
Les Parisiennes, pour moi, c'était forcément ça : des filles qui portaient des talons, le menton relevé, et nous considéraient comme des minables. Je ne les aimais pas beaucoup non plus. J'aurais voulu les voir à notre place. Ils fantasmaient sur la campagne, ils venaient nous envahir quand ça les arrangeait. Tout à coup, ça leur paraissait mieux que chez eux mais pour quelques semaines seulement. Après ils se lassaient. Fallait pas déconner non plus.
Ce n'était pas un canon mais elle n'était pas laide non plus. De toute façon, on n'a rien dit : pour Didier, les femmes ne se ramassaient pas à la pelle et ça devait faire dix ans qu'il n'avait rien eu à se mettre sous la queue, sinon la fille du bar, Josée, qu'il se tirait de temps en temps, comme tout le monde, pendant qu'elle pleurait sur le zinc, à moitié folle.
On était machos, on avait été élevés comme ça. Je ne sais pas si c'est une excuse. On aurait pu, on aurait dû sans doute sortir un peu de nos rôles pour aller les aider, nettoyer côte à côte, tous ensemble sans se scinder comme deux mondes sans connexion, mais celui qui aurait initié le mouvement serait passé pour un con, alors personne n'osait. Et les femmes ne se plaignaient pas, elles y trouvaient peut-être leur compte à ne plus voir nos sales gueules.
Emmanuelle exhibait ses formes pleines, fraîches, dans une jupe qui lui arrivait à peine sous la culotte – mon attention s'y était portée malgré moi, et je me suis forcé à détacher mes yeux de l'ouverture de ses cuisses. Corinne portait un pantalon moulant, aux motifs léopard, un haut noir, son visage était bouffi par l'alcool, le fond de teint, les cernes, malgré la beauté envoûtante de ses yeux jaunes.
Tu ne seras pas le premier. Mais moi, j'en suis fier de notre petitesse. Je suis fier de n'être que cela. Et quand je vois la médiocrité des connards qui nous gouvernent, je refuse d'avoir honte. Je me tiens la tête haute, je ne prétends pas savoir ce que j'ignore et je ne crache pas sur les braves gens en leur disant qu'ils n'ont qu'à traverser le trottoir pour trouver du boulot. On voit qu'il n'a jamais rangé des pains sous cellophane dans des cartons pendant huit heures par jour, le jeune président. On voit qu'il n'a jamais été regardé de haut parce qu'il approche de cinquante ans et qu'à cinquante ans, à l'usage, tu es plus périmé qu'une denrée avariée.
Honnêtement, j'aimais mieux rester chez moi que m'entendre dire que je ne valais plus un clou. Je me racontais que j'allais me donner du courage en attendant une semaine de plus. Et les semaines sont devenues des mois, et les mois des années, et plus je reculais, moins je sautais.
Le cours des choses restait immuable, il était cousu d'événements minuscules qui, dans leur alternance même, se répétaient à l'infini. Ma vie était tissée dans ce motif repris à l'identique. Pas de trou, pas d'accroc, rien qui différenciait un jour d'un autre.
J'en ai ressenti un pincement au cœur, le sentiment que rien ne comptait si mon fils continuait à éviter mon regard et à garder les yeux rivés sur sa saloperie de téléphone portable. Je haïssais le progrès, il m'avait volé mon gamin. J'aurais pu en blâmer l'adolescence, les hormones, et c'était en partie vrai.
Et pour être très honnête, il y avait bien des activités qui m'intéressaient davantage que le sexe. La chasse en faisait partie. Elle offrait tellement plus. Du soleil, du vent, de longues périodes de concentration suivies d'une brusque décharge d'adrénaline sauf que, contrairement à la copulation, on pouvait recommencer la séquence indéfiniment.
J'ai commencé à relever sa jupe et à ouvrir son corsage, sortant ses seins de son soutien-gorge mais sans la déshabiller, préférant la prendre comme une fille de ferme, puis, en tirant gentiment sur sa tresse dénouée, je l'ai forcée à s'agenouiller, après quoi je l'ai remise debout, de dos, et je lui ai agrippé les épaules pour la basculer.
Quand ils s’étaient rencontrés, elle avait dix-neuf ans. Elle en aurait quarante dans quelques jours et elle n’imaginait pas comment elle avait vécu ou aurait pu vivre sans lui. Elle aimait la monotonie du quotidien, les bonheurs minuscules, les moments où l’habitude abolissait l’angoisse. Quiconque eût interprété cet amour comme une forme de résignation serait passé à côté de l’essentiel.
Pour faire de la bonne littérature, il faut aimer ses personnages, même les plus haïssables.
Alors, quand on l'aura complètement effacé de nos mémoires, le passé renaîtra de ses cendres.. Et les deux camps se dresseront l'un contre l'autre, prêts à se livrer bataille comme si rien n'était jamais advenu entre eux, leur haine et leur vigueur toutes neuves. et les vaincus se vengeront de leurs humiliations et signeront des triomphes précaires sur des corps faibles. On lapidera des femmes victimes de viol, on décapitera des journalistes, on diffusera à la télévision des images d'un carnage auquel personne ne comprendra plus rien, il y aura d'autres Hiroshima. Et les jours de colère reviendront, les heures sombres, les défaites, la liesse et la cruauté des perdants d'hier.