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Citations de Emmanuel Levinas (188)


On peut appeler bonté ce qui se noue dans cette intrigue : sous exigence de l'abandon de tout avoir, de tout pour-soi, je me substitue à l'autre. La bonté est le seul attribut qui n'introduit pas une multiplicité dans l'un. Si elle se distinguait de l'un, elle ne serait plus bonté. Être responsable dans la bonté, c'est être responsable en deçà ou en dehors de la liberté. L'éthique se glisse en moi avant la liberté. Avant la bipolarité du Bien et du Mal, le moi se trouve commis avec le Bien dans la passivité du supporter. Le moi s'est commis avec le Bien avant de l'avoir choisi. Ce qui veut dire que la distinction du libre et du non-libre. Ce qui veut dire que la distinction du libre et du non-libre ne serait pas l'ultime distinction entre l'humain et le non-humain, et pas non plus entre le sens et le non-sens.

Comme s'il y avait dans le moi, toujours irréductible à la présence, un passé en deçà de tout passé, un passé absolu et irreprésentable. Le présent est le lieu de l'initiative et du choix. Mais le Bien n'a-t-il pas, avant tout choix élu le sujet, d'une élection qui est celle de la responsabilité du moi, lequel ne peut s'y dérober et tient d'elle son unicité ? Cette antériorité de la responsabilité par rapport à la liberté signifie la bonté du Bien : le Bien doit m'élire avant que je ne puisse le choisir ; le Bien doit m'élire le premier.

Il y a donc au fond de moi une susception préoriginaire, une passivité antérieure à toute réceptivité – un passé qui ne fut jamais présent. Passivité qui transcende les limites de mon temps et antériorité antérieure à toute antériorité représentable. Comme si le moi, en tant que responsable d'autrui, avait un passé immémorial, comme si le Bien était avant l'être, avant la présence.
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Pour que le savoir sorte effectivement de l'étonnement, pour que l'ignorance soit reconnue comme telle, pour que l'être advienne en tant qu'être, il fallait aussi que la lumière du ciel éclairât la ruse et l'industrie des hommes. La lumière dont les yeux ont admiré la brillance est celle-là même qui dirige ses yeux vers le donné.Et ces yeux, liés à leur convoitise innée, qui visent et perçoivent, ces yeux rusés de chasseurs, apprennent la patience et se font alors regard industrieux. Il y a alors convenance entre la sécularisation de l'idolâtrie devenant ontologie (l'intelligibilité du cosmos, la représentation et la présence se mesurant et s'égalant) et le bon sens pratique des hommes tenaillés par la faim, se tenant dans leur maison, habitant et bâtissant. Toute relation pratique avec le monde est représentation, et le monde représenté est économique. Il y a une universalité de la vie économique qui l'ouvre à la vie de l'être. La Grèce est le lieu de cette jonction, et, malgré la diversité des cultures, Messer Gaster, compagnon de Prométhée, est le premier maître ès arts du monde. Rien n'est ainsi plus compréhensible que la civilisation européenne avec ses techniques, sa science et son athéisme. En ce sens, les valeurs européennes sont absolument exportables.

Nul n'est assez fou pour méconnaître les contradictions de la technique – mais le bilan des pertes et des gains que l'on dresse habituellement ne repose sur aucun principe rigoureux de comptabilité. La condamnation de la technique est devenue une rhétorique confortable. Or la technique, en tant que sécularisation, est destructrice des dieux païens. Par elle, certains dieux sont morts : dieux de la conjonction astrologique et du fatum, dieux locaux, dieux du lieu et du paysage, tous dieux habitant la conscience et répétant dans l'angoisse et la terreur les dieux des cieux. La technique nous enseigne que ces dieux sont du monde, et donc qu'ils sont des choses, et qu'étant des choses ils ne sont pas grand-chose. En ce sens, la technique sécularisatrice s'inscrit parmi les progrès de l'esprit humain. Mais elle n'est est pas la fin.
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La rhétorique introduit dans la signification à laquelle elle aboutit une certaine beauté, une certaine élévation, une certaine noblesse et une expressivité qui s'impose indépendamment de sa vérité ; plus encore que le vraisemblable, cette beauté – que nous appelons effet d'éloquence – séduit l'auditeur. Aristote insistait déjà sur cet embellissement et cet anoblissement par la métaphore. Traits qui étaient précisément essentiels là où la persuasion importait par-dessus tout, où il s'agissait de convaincre des votants : au tribunal, sur la place publique, dans les concours, lieux auxquels précisément les sophistes préparaient leurs élèves payants. Mais ces lieux des discours n'étaient-ils pas dans la société antique séparée d'une vie qui se réservait privée ?

Sans doute, de notre temps, les effets d'éloquence entrent-ils partout et commandent-ils toute notre vie. On n'a peut-être pas besoin de dérouler ici toute la sociologie de notre société industrielle. Les moyens d'information, sous toutes leurs formes – écrites, verbales et visuelles – pénétrant dans tous les foyers, tiennent les hommes à l'écoute d'un permanent discours, les soumettent à la séduction d'une rhétorique qui n'est possible que comme éloquente et qui persuade en signifiant idées et choses, trop belles pour être vraies. Et déjà on dénonce le discours éloquent et déjà on soupçonne sous toutes cette littérature fleurie, politique et propagande et déjà "tout le reste est littérature". Tout le reste, c'est-à-dire les pensées les plus hautes, religieuses, politiques et morales. On recourt au langage quotidien pour rabaisser et profaner les hauteurs où se tiennent l'éloquence et le sacré verbal qu'elle suscite. On trouve le langage quotidien insuffisamment quotidien, insuffisamment droit. Il faut démystifier la décence des mots, le noble ronronnement des périodes : la respectabilité des livres et des bibliothèques. Il faut le mot ordurier, l'interjection, le graffiti – il faut faire crier les murs des villes.
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C'est à une société qui perd le contact vivant de son vrai idéal de liberté pour en accepter les formes dégénérées et qui, ne voyant pas ce que cet idéal exige d'effort, se réjouit surtout de ce qu'il apporte de commodité – c'est à une société dans un tel état que l'idéal germanique apparaît comme une promesse de sincérité et d'authenticité. L'homme ne se trouve plus devant un monde d'idées où il peut choisir par une décision souveraine de sa libre raison sa vérité à lui – il est d'ores et déjà lié avec certaines d'entre elles, comme il est lié de par sa naissance avec tous ceux qui sont de son sang. Il ne peut plus jouer avec l'idée, car sortie de son être concret, ancrée dans sa chair et dans son sang, elle en conserve le sérieux.

Enchaîné à son corps, l'homme se voit refuser le pouvoir d'échapper à soi-même. La vérité n'est plus pour lui la contemplation d'un spectacle étranger – elle consiste dans un drame dont l'homme est lui-même l'acteur. C'est sous le poids de toute son existence – qui comporte des données sur lesquelles il n'y a plus à revenir – que l'homme dira son oui ou son non.

Mais à quoi oblige cette sincérité ? Toute assimilation rationnelle ou communion mystique entre esprits qui ne s'appuie pas sur une communauté de sang, est suspecte. Et toutefois le nouveau type de vérité ne saurait renoncer à la nature formelle de la vérité et cesser d'être universel. La vérité a beau être ma vérité au plus fort sens de ce possessif – elle doit tendre à la création d'un monde nouveau. Zarathoustra ne se contente pas de sa transfiguration, il descend de sa montagne et apporte un évangile. Comment l'universalité est-elle compatible avec le racisme ? Il y aura là – et c'est dans la logique de l'inspiration première du racisme – une modification fondamentale de l'idée même de l'universalité. Elle doit faire place à l'idée d'expansion, car l'expansion d'une force présente une toute autre structure que la propagation d'une idée.
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Je me méfie du mot "amour" qui est galvaudé, mais la responsabilité pour autrui, l'être-pour-l'autre, m'a paru dès cette époque arrêter le bruissement anonyme et insensé de l'être. C'est sous la forme d'une telle relation que m'est apparue la délivrance de l'"il y a".
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Je parlais donc de l'étant ou de l'existant déterminé, comme d'une aube de clarté dans l'horreur de l'"il y a", d'un moment où le soleil se lève, où les choses apparaissent pour elles-mêmes, où elles ne sont pas portées par l'"il y a", mais le dominent.
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J'insiste en effet sur l'impersonnalité de de l'"il y a"; "il y a", comme "il pleut", ou "il fait nuit". Et il n'y a ni joie ni abondance : c'est un bruit revenant après toute négation de ce bruit. Ni néant, ni être. J'emploie parfois l'expression : le tiers exclu. On ne peut dire de cet "il y a" qui persiste que c'est un événement d'être. On ne peut dire non plus que c'est le néant, bien qu'il n'y ait rien. De l'existence à l'existant essaie de décrire cette chose horrible, et d'ailleurs la décrit comme horreur et affolement.
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Emmanuel Levinas
On peut partager ce que l'on a. On ne peut partager ce que l'on est.
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Les modes de la conscience accédant aux objets sont essentiellement dépendants de l'essence des objets. Dieu lui-même ne peut connaître une chose matérielle qu'en tournant autour d'elle.
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Nous sommes tous responsables de tout et de tous devant tous, et moi plus que tous les autres.

Dostoïevski
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Emmanuel Levinas
L'avenir c'est l'autre.
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Regarder un regard, c'est regarder ce qui ne s'abandonne pas, ne se livre pas, mais qui vous vise: c'est regarder le visage.
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Est violente toute action où l'on agit comme si on était seul à agir: comme si le reste de l'univers n'était là que pour recevoir l'action; est violente, par conséquent, aussi toute action que nous subissons sans en être en tous points les collaborateurs.
Presque toute causalité est dans ce sens violente: la fabrication d'une chose, la satisfaction d'un besoin, le désir et même la connaissance d'un objet.
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La guerre ne se range pas seulement – comme la plus grande – parmi les épreuves dont vit la morale. Elle la rend dérisoire. L’art de prévoir et de gagner par tous les moyens la guerre – la politique – s’impose dès lors, comme l’exercice même de la raison. La politique s’oppose à la morale, comme la philosophie à la naïveté.
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L’être est toujours à-être, il est tâche d’être, c’est-à-dire possibilité de (se) saisir ou de (se) manquer.
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Au cinéma, un thème commun est proposé à l'écran, au théâtre, sur la scène; au café, il n'y a pas de thème. On est là, chacun à sa petite table, auprès de sa tasse ou de son verre, on se détend absolument au point de n'être l'obligé de personne et de rien; et c'est parce qu'on peut aller au café se détendre qu'on supporte les horreurs et les injustices d'un monde sans âme. Le monde comme jeu d'où chacun peut tirer son épingle et n'exister que pour soi, lieu de l'oubli - de l'oubli de l'autre -, voilà le café.
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La relation au visage est d'emblée éthique.
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Emmanuel Levinas
Autrui en tant qu'autre n'est pas seulement un alter ego ; il est ce que moi, je ne suis pas. Il l'est non pas en raison de son caractère, ou de sa physionomie, ou de sa psychologie, mais en raison de son altérité même.
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L'idée de l'infini est le mode d'être - l'infinition de l'infini. L'infini n'est pas d'abord pour se révéler ensuite. Son infinition se produit comme révélation, comme mise en moi de son idée. Elle se produit dans le fait invraisemblable où un être séparé fixé dans son identité, le Même, le Moi contient cependant en soi - ce qu'il ne peut ni contenir, ni recevoir par la seule vertu de son identité. La subjectivité réalise ces exigences impossibles : le fait étonnant de contenir plus qu'il n'est possible de contenir.
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Visage, déjà langage avant les mots, langage originel du visage humain dépouillé de la contenance qu'il se donne - ou qu'il supporte - sous les noms propres, les titres et les genres du monde.
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