Citations de Fabienne Juhel (133)
Des tas de gars continuent d'avancer dans la vie, même s'ils ont du gravier dans leurs godasses. Ce n'est pas comme d'avoir des fers aux pieds, je suppose. Il y a toujours moyen de composer.
Le voyageur continuait de recevoir la visite des membres de la communauté. Ceux-ci défilaient comme pour lui rendre un dernier hommage. Certains hésitaient à se signer. Ils esquissaient le début d’un signe de croix et s’arrêtaient net, conscients de commettre une bêtise, plutôt un genre d’infraction au code du village. Un sacrilège. Ils ne creusaient pas leur intuition, ils n’essayer pas de se formuler distinctement les conséquences que pouvait déclencher un geste aussi symbolique
Atteindre le Ciel, c'est mourir à soi-même. C'est être définitivement privé de tous les sens et des prochains printemps. La femme ne l'ignore pas. Pas de miracle possible. Pas de sauvetage ni d'amplitude du destin. Ordre de l'univers. Même les étoiles meurent.
- Mais un jour, des soldats sont venus à l'école. Le maître a laissé faire. Nous, les gamins, on n'a rien dit non plus. Personne ne pleurait, personne n'a crié. Un camion bâché les attendait dehors.
- Les soldats, c'est le Mal alors? avait demandé l'enfant.
- Le Mal, c'est notre silence à tous.
Chacun se débrouille comme il peut avec sa mémoire.
En attendant, il triture l’aventurine, machinalement . Il se dit qu’il n’a plus rien à en tirer, qu’il serait inutile de la faire rouler sur le sable, elle s’y enliserait. Cristal de roche rendu au sable des origines. Tout ce chemin pour ça. Me voilà au bout du rouleau, il pense. Pourtant, lui, vivant, il ne peut s’empêcher d’espérer un signe. Et ce signe est juste à côté de ses pieds. Cette bouteille de lait que l’homme ne voit toujours pas , par exemple. Depuis le temps qu’il est cet homme qui marche,, il devrait pourtant savoir où il met les pieds
L'homme n'arrive pas à distinguer son chargement dans les plis des ténèbres. La nuit les a enroulés vivants dans son drap noir.
Elle a raison la Mère, c'est plus pareil. Y a pas que le temps qui se détraque, y a la terre qu'on respecte plus. Des parcelles transformées en lotissements. Des puits qu'on bouche, les lavoirs aussi. Et puis les quotas imposés par des bureaucrates, le cul vissé à leur fauteuil en cuir ceux-là. En peau de vachette si ça se trouve, le fauteuil, hein! Et c'est qui qui paye tout ça, hein, c'est qui? C'est Bibi. Ben tiens.
L'homme a ramassé quelques pierres pour se lester les poches tant il se sentait de la légèreté dans les talons. Des pierres dans ses poches...
D'autres s'en servaient pour se noyer, il a pensé.
Il vient souvent ici des hommes comme toi.L’homme n’est pas étonné. Il sait, évidemment il sait, que la mer attire ce genre d’hommes. On peut alors en ramasser sur la jetée, en ramener avec soi pour les longues nuits d’hiver. Marie en trouvera toujours amarrés à un quai, comme suspendus à leur dernier rêve de pierre. Elle les décrochera, coupant un à un les fils de la marionnette piégée par le miroir aux alouettes. Une main passée sur leur front, elle les enlèvera à leur torpeur, balayant une mèche qu’ils ont cessé depuis longtemps d’amadouer. Elle leur donnera l’espace d’une nuit, d’un week-end, le goût d’une petite mer plus facile d’approche. Elle leur offrira un mouillage en zone paisible, et un pull ou deux de son frère après.
Sans doute qu’ils repartiront, car ils repartaient toujours, plus mordus qu’avant, bardés de rêves de coraux, la bouche pleine de sel.
Ève Eckert les appelait les Hommes Sirènes.
L’eau attire l’homme. Elle lui renvoie son image fragile, chahutée par les frisures de l’onde que parcourent les grandes pates fébriles des araignées d’eau. Sa course lui a asséché la gorge. Du sable roule contre l’émail de ses dents. L’homme s’accroupit, lorsque le puma saute sur la berge et lui adresse la parole…
- Ca t'occupera, a dit Maryse.
Occupé, ce mot le fait toujours penser à des W-C, au fond d'un jardin de grand-mère, une petite guérite en brique ou s'entortillent les lierres. Une tondeuse rouge ronronne au ralenti dans l'allée blanche de gravier; les graviers, on dirait des petits bouts d'os humains. Très propres. Léchés par les bêtes. L'homme observe les grandes mains des arbres. Il rêve d'étrangler un oiseau.
Parce que le Sorcier n’ignorait pas qu’il suffisait de quelques convulsions du cerveau pour que le tracé s’arrondisse, se délie, que des boucles se forment,que les lignes se verticalisent. Il savait le sillon de l’enfant sécable.Quand l’enfant eut noirci une page entière, les premiers mots avaient commencé à vouloir naître, reliés encore au cordon ombilical de la ligne brute. Cela parlait d’épis de maïs, de tiges oubliées parles machines d’octobre. Plantées à l’oblique dans le sol meuble, elles ressemblaient à des lances d’Indiens
"Maudit...mal dit et , par conséquent, mal lu."
( Propos entre jean Moulin et Max Jacob, à propos de Tristan Corbière.)
Alban m'a demandé de donner le change aux enfants
- Ils ne comprendraient pas, Lola surtout.
Non, Lola ne comprendrait pas qu'on puisse aimer à la fois un Prince et une Princesse. Un beau ténébreux de l'aube et une lune au teint de pain d'épices C'est vrai que ce n'est pas écrit dans les livres pour enfant. Dieu sait pourquoi qu'on y conte des inepties : des lapins qui parlent; des ogres qui mangent des enfants, des sirènes qui ont mal au pied, des citrouilles transformées en carosses...alors qu'on explique jamais assez aux enfants la géométrie variable de l'amour.
Cent sept ans, ça voulait dire l’éternité.Pourtant l’ancêtre avait bien fini par mourir. Donc, tu vois que la Mort ne l’avait pas oublié, avait dit l’homme calmement.Brian lui avait répondu qu’il était bien difficile d’évaluer la part de responsabilité de chacun. Parce qu’un jour de l’été 2003, le vieux avait piqué une tête à la pointe de l’Arcouest.Il était si sénile qu’il avait oublié qu’il ne savait pas nager.La Mort avait dû sauter sur l’occasion…
Le soleil était un jeton blanc sur l'échiquier du ciel et les chants d'oiseaux appartenaient encore à l'hiver. Les trilles des étourneaux surtout. Elles sonnaient comme des clés sur les poutrelles en haut d'un pont. On aurait dit que les chants dégringolaient dans l'air frais.
Mais s'ajoutait à la sensation de froid, plus fort que tout, la marque d'une brûlure : quelqu'un, Firmin, le frère d'Antoine, avait tracé une croix gammée sur son crâne.
Une croix gammée !
Le pire qu'elle est qu'elle eut à endurer même si personne n'avait ri devant le résultat. Personne n'avait craché non plus.
Une croix gammée alors qu'elle était innocente de tout le sang versé ! Qu'elle avait en abomination la guerre, la haine et le fanatisme ! Quel rapport y avait-il entre donner de l'amour, en recevoir et ça ? Aucun. Aucune correspondance. Aucune passerelle possible. L'amour n'était pas la guerre.
Tenez-vous-le pour dit : tout homme qui conserve de son enfance le goût du lait sur ses lèvres, tout homme qui sent reposer en son sein l'enfant d'autrefois, est un poète.
-L'amour vient quand tu ne t'y attends pas. Il ne faut pas l'effrayer avec des prières ou des plantes, il faut sourire à la vie. Alors, il vient, happé par ton sourire.
Le sourire est l'appeau. Tous les oiseaux s'y laissaient prendre.