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EAN : 9782362292699
288 pages
Editions Bruno Doucey (02/01/2020)
3.75/5   14 notes
Résumé :
"Pour l'instant, il te faut étudier le terrain, parler avec les soldats. Collecter leurs paroles, leurs mots, surtout ne pas les trahir ― la trahison, les hommes n'en peuvent plus ! Tu voudrais, toi, le poète, que l'on sente la vermine grouiller entre les syllabes. Que l'on voie l'ergot de mort fleurir dans les bouches, la mâle-mort entre les dents. Tu voudrais des mots qu'ont de la gueule. Mots crus, vécus, poussés vent debout. Paroles de soldats dans leur tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Ce livre retrace, de façon originale, un épisode peu connu de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 : celui du cantonnement, à Conlie, d'une "armée de Bretagne" constituée de volontaires et de conscrits. Les autorités civiles et militaires, craignant que cette "armée de Chouans" ne marche sur Paris , pour renverser la démocratie et mettre en place une monarchie - qui sait ? -, avaient désarmé ces soldats, ne leur avaient donné aucune formation au combat, et les avaient juste placés en attente sans leur confier aucun rôle dans la suite des événements (une petite partie de ces hommes combattra quand même, sans ayant eu d'instruction militaire et avec des armes obsolètes par la suite).

L'originalité de ce livre tient au fait que l'auteur raconte cest épisode de l'Histoire à travers le regard d'un poète de l'époque, réformé, et qui choisit de rejoindre le camp pour réaliser un travail journalistique : précisons que Tristan Corbière, puisque c'est de lui dont il s'agit, n'a jamais été présent, dans la réalité, à Conlie.

Deux périodes de L'Histoire se font écho dans le récit et trois personnages marquants échangent, malgré les époques : Tristan Corbière, Max Jacob et Jean Moulin.
Le style du livre est enlevé, rapide, coupé de passages de la poésie de Tristan Corbière et de références littéraires ou artistiques et restituant à merveille les paysages de Bretagne chers au coeur du poète.


Je tiens à remercier Babélio pour la Masse Critique et les éditions Doucey pour leur envoi particulièrement attentionné (un petit mot fait toujours plaisir !).
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Encore un magnifique roman consacré à un grand poète, publié par les Editions Bruno Doucey, après celui d'Ysabelle Lacamp, "Ombre parmi les ombres", qui nous racontait admirablement la vie et la fin tragique, dans le camp de concentration de Theresienstadt, du poète Robert Desnos.


Il s'agit cette fois du poète breton Tristan Corbière, décédé à l'âge de trente ans et auteur d'un seul recueil de poésie "Les amours jaunes", publié à compte d'auteur. Par son dilettantisme, son mépris des conventions et son peu d'acharnement à transformer son talent en production littéraire, il mérite de figurer parmi ces poètes et romanciers peu prolixes ou qui décidèrent subitement de ne plus rien publier, et que Enrique Vila-Matas dénomme les "Barlebys" ou encore les écrivains du Refus dans son ouvrage "Bartleby et Compagnie".


Fabienne Juhel est une spécialiste de l'oeuvre du poète breton et elle nous livre ici un roman truculent et malicieux, très éloigné de tout académisme et tout-à-fait à l'unisson avec le caractère fantasque de son principal protagoniste. L'auteur s'appuie tout particulièrement sur le récit poétique que Tristan Corbière a tiré de l'épisode tragique du Camp de Conlie, où, cantonés sur l'ordre de Gambetta pendant la guerre de 1870, des milliers de soldats bretons, enrôlés ou volontaires, furent abandonnés dans des conditions inhumaines, et où nombre d'entre eux moururent de faim ou de maladies contagieuses.


Fabienne Juhel prend la liberté de faire rentrer son personnage dans ce camp en prenant la place d'un soldat décédé pour mieux raconter ce que s'y passe et dénoncer l'incurie des autorités transformant notre poète breton en reporter de guerre. Parsemé d'extraits de poèmes, ce portrait plein de vie et d'humour du poète est à la fois une leçon d'histoire et un régal littéraire. Nous y apprenons au passage que le chef de la résistance Jean Moulin, alors en poste dans le Finistère avant la guerre, découvrit l'oeuvre de Tristan Corbière grâce à l'entremise de son ami Max Jacob et qu'il en tomba sous le charme au point de tirer une eau-forte de la "Pastorale de Conlie" (reproduite dans l'ouvrage).


Merci à Fabienne Juhel d'avoir su si bien ressusciter ce poète breton et nous l'avoir rendu si proche !
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– Oh, qu'elle s'en allait morne, la douce vie !...
Soupir qui sentait le remords
De ne pouvoir serrer sur sa lèvre une hostie,
Entre ses dents la mâle-mort !...

Fabienne Juhel propose sous ce titre inspiré d'un vers de Tristan Corbière un roman où le destin du poète breton croise la grande Histoire. Telle est d'ailleurs la ligne éditoriale de la collection Sur le fil proposée par les éditions Bruno Doucey. (Voir autres titres sur le site de l'éditeur.)

Le fait historique, largement méconnu même des Bretons, effroyable, remonte à la guerre de 1870. Les Prussiens menaçant d'assiéger la capitale, Gambetta, ministre de la guerre, décide de faire appel aux hommes valides du pays pour seconder l'armée régulière (inefficace, désorganisée, commandée par des chefs incompétents.) En quelques semaines c'est l'enrôlement de force sur tout le territoire français. Sont réquisitionnés dans la garde nationale des hommes dans la force de l'âge, de 20 à 41 ans, cantonnés dans onze camps, dont celui de Conlie, près du Mans qui formera l'armée de Bretagne dirigée par le général breton Émile de Kératry, une armée forte de 60 000 hommes issus des cinq départements. Forte, c'est beaucoup dire, car les conditions dans le camp de Conlie sont épouvantables : insalubrité, tenues inadaptées, privations, humiliations, froid, maladies, épidémies et pour parfaire le tout des armes absentes ou défectueuses, inutilisables. Pourquoi un tel fiasco ? Parce que tout à coup Gambetta a eu peur des Bretons : et s'ils reformaient une armée de Chouans, s'ils fomentaient un autre soulèvement ? Rien n'y fera, ni les lettres, ni les suppliques, ni les démissions, le général Grand Bêta livrera cette armée bretonne en loques aux lignes prussiennes lors de la bataille du Mans les 11 et 12 janvier 1871 : un massacre orchestré dès le départ, un jeu de dupes, une page honteuse de notre Histoire.
Voilà pour les faits. Mais comment passer de l'Histoire au roman ? C'est là qu'intervient le talent de la romancière qui va faire se croiser les événements historiques et le poète des Amours jaunes. Corbière, réformé pour raison de santé, ne faisait pas partie des enrôlés mais son beau-frère, oui, Aimé Vacher, qui fut engagé volontaire. C'est en grande partie grâce à son témoignage que le poète écrivit La Pastorale de Conlie, un poème fleuve de 22 quatrains où il dénonce dans un style neuf, incisif, mordant, la terrible trahison de l'État français envers les Bretons. Imagination et connaissance en synergie créatrice, Fabienne Juhel, qui est par ailleurs spécialiste de Tristan Corbière, dit « s'être engouffrée dans la brèche » de ce poème dont une strophe accompagne chaque chapitre, et on peut dire que c'est pleinement réussi.
La romancière nous donne à vivre les faits de l'intérieur, au plus près des conscrits, de leur calvaire quotidien. Sa documentation est solide, habilement intégrée à la matière romanesque. On découvre les événements au fur et à mesure, on les vit, on s'émeut, on souffre, on s'indigne, d'autant plus que tout est vu par les yeux du poète, dont la longue silhouette noire jumelle de l'Ankou traverse le désastre. Un tutoyeur d'étoiles plongé en enfer, une sorte de Rimbaud breton doublé d'un Diogène qui met sa plume de journaliste lucide et tranchante au service des sacrifiés.
La fiction ne permet-elle pas d'approcher au mieux la réalité ? Si l'auteur prend des libertés avec l'Histoire et les conventions narratives (anachronismes et échos littéraires…), c'est pour nous faire vivre au plus près et le terrible camp de Conlie et la forte personnalité du poète : « Un artiste. Un bohême / À la marge. Retors, éclectique, excentrique, iconoclaste. ». La rencontre est fertile et riche de sens. Fabienne Juhel a ce don de faire revivre l'écriture du poète à travers la sienne : forte, directe, roborative, caustique, inventive, fantaisiste, comme l'était « l'Indien ». (Nombreux sont par exemple les jeux de mots et autres inventions verbales chers au poète. Au passage, quelle modernité dans l'écriture de Tristan Corbière ! Aujourd'hui il lancerait ses poèmes sur les ronds-points, les places, les terrasses des cafés.)
L'originalité de la narration, son rythme, tiennent aussi au fait que l'auteur mêle judicieusement textes épistolaires donnés en « interlude » − une antiphrase que n'aurait pas reniée le poète − et scènes romanesques bien campées, ponctuées de dialogues plus vrais que nature. de plus, Fabienne Juhel encadre son récit de deux autres périodes historiques (1930 et 1943), en introduisant d'autres personnages célèbres, là encore dans un anachronisme fertile qui se moque des conventions et crée la surprise auprès du lecteur. L'événement raconté se trouve pris dans une chaîne humaine proche de nous, avec un effet de profondeur qui accroît l'interrogation. Ainsi peut-on voir que, depuis le « triste en corps bière », l'Histoire n'a pas fini d'ajouter d'autres strophes à sa fameuse Pastorale de Conlie.
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S'il est un roman que j'attendais en cette rentrée littéraire de janvier 2020, c'est bien le dernier de Fabienne Juhel, "La Mâle-mort entre les dents". Après "La femme murée" et "La chaise n°14" qui m'avaient enthousiasmée, j'étais impatiente de retrouver l'écriture de l'auteure. Je n'ai pas été déçue.

De sa toujours très belle plume, coruscante, bariolée presque, extrêmement travaillée, riche de jeux de mots,

"Toi, tu as juste une gueule, de bois et de travers, la gueule des mauvais jours. Pas la gueule de l'emploi."

d'allusions littéraires,

"Aimé Vacher resserre le col de sa capote. Il manque deux boutons à son vêtement, deux trous au côté droit."

" L'île de Batz est ton indienne d'île. Jamais tu ne verras ton sang ne faire qu'un tour au large d'Ouessant, ni tu ne sentiras ta fin arriver au large de l'île de Sein."

l'auteure, subtile, donne la parole à Tristan Corbière. Il pénètre dans le camp de Conlie, dans la région mancelle, aux côtés de son beau-frère Aimé et rejoint nombre de soldats bretons arrivés là pour former l'armée de Bretagne et arrêter les Prussiens. Hélas, dépourvus d'armes qui n'arrivent pas, affamés faute de ravitaillement, ils pataugent dans la boue. Ils dorment sous la tente, le plus souvent affublés de vêtements mouillés. Et ne résistent guère aux diverses maladies contractées. Elle fait ainsi de ce grand poète breton le témoin d'un épisode peu glorieux de la guerre de 70.

C'était osé de la part de Fabienne Juhel de se lancer un tel défi. C'était osé d'utiliser le poète, en réalité réformé, de faire fi de la chronologie, de lui organiser une rencontre avec Jean Moulin, même si ce dernier fut un temps Sous-Préfet de Châteaulin. C'était osé d'introduire aussi Max Jacob et même Colette Pons la collaboratrice de Jean Moulin dans le cadre de ses activités de camouflage en marchand d'oeuvres d'art. Mais elle y réussit parfaitement. le mélange des petites histoires à la grande fonctionne à merveille. Si je peux reprocher peut-être un manque d'action – mais y en avait-il ? – je me suis laissée transporter dans un passé honteux de ma région natale, passé que j'ignorais totalement. Et surtout, surtout, cet ouvrage m'a incitée à relire les poèmes de Tristan Corbière et notamment la "Pastorale de Conlie". Tristan Corbière, ce fameux poète maudit.

J'attribue aussi un bon point aux Editions Bruno Doussey pour le format de l'ouvrage, peu commun et la couverture striée, couleur du feu, qui donne au visage du poète un magnifique éclat.

Lien : https://memo-emoi.fr
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Dans ce très bon livre, l'écrivaine met un coup de projecteur sur un évènement peu connu et peu glorieux de la guerre franco-prussienne de 1870 : l'armée bretonne du camp de Conlie. Des milliers d'hommes mobilisés dans des conditions inhumaines, sans matériel et sans instruction militaire notamment car Gambetta se méfie de cette armée bretonne. Toute cette histoire se soldera par un massacre.

Tristan Corbière, poète, créera "la pastorale de Conlie", vraisemblablement grâce au témoignage de son beau frère. Là commence le roman puisque l'auteur imagine que ce poète réformé va en fait se faire passer pour un soldat afin de vivre en immersion dans ce camp dans le but de denoncer ce qu'il s'y passe dans la presse.

Ce roman, qui mêle donc habilement la vraie Histoire et un aspect un peu plus romanesque qu'est l'immersion de Corbière, est intéressant et bien écrit. On y croisera même Jean Moulin dans des passages peut-être un peu moins intéressant où il verra le fantôme de Corbière. Cela vient un peu encadrer l'histoire mais finalement ça n'apporte pas grand chose. Ce n'est qu'un détail cependant, car l'ensemble est de grande qualité.

Une belle surprise donc que ce roman à l'écriture soignée qui m'a fait connaître ce fait historique tout en y apportant un souffle romanesque par l'immersion du poète au coeur de cet enfer. Une lecture fort instructive que je conseille !
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Tristan [Corbière] a toujours fait à son idée. Il suffit de voir comment il conduit sa barque contre vents et marées. Comment il s'habille en porte-à-faux des modes, comment il porte le chapeau, la blouse de peintre, le caban du matelot, ensemble et indistinctement; comment il monte à cheval, fait du canot, de la musique, peint, rime, chante; comment il fait plus de cas d'une araignée et d'un crapaud, des bestioles pour lesquelles il a de l'estime, quand d'autres se piquant de lettres se prennent pour des loups, des cygnes ou des albatros.

Tout à l'envers, et toujours là où on ne l'attend pas, où on ne l'espère plus. Et dans la plus sublime dissonance. [...]

Une espèce de Diogène breton se plaisant dans son hamac comme l'autre dans son tonneau. Et qui a dû prendre au pied de la lettre la devise de la ville de Morlaix pour mordre les chevilles des bourgeois contents d'eux, enflés d'orgueil, posant en famille entourés de leurs garnitures de mioches.

Voilà, l'Indien !
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"Maudit...mal dit et , par conséquent, mal lu."


( Propos entre jean Moulin et Max Jacob, à propos de Tristan Corbière.)
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- Vous m'avez l'air d'être un drôle de soldat...Que faites-vous dans la vie ?
- Je tutoie les étoiles.
-Vous êtes poète ?
- Prophète in partibus par kilo d'âme . Une espèce de ce genre-là ,oui, rossignol de la boue pour rossignoler le coeur des filles.
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On vient de dépasser Saint-Brieuc, et déjà la petite gare d'Yffiniac. Un triangle de mer apparaît, et, au loin, l'îlot du Verdelet. On dirait une miniature de volcan plantée sur une plaque de métal clair.

Ton petit Vésuve breton.
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- Moi je suis le maigre coucou...
Ma patrie ... elle est par le monde ;
Et puisque la terre est ronde, Je ne crains pas d'en voir le bout... Tristan Corbière
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