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Citations de Fanny Taillandier (67)


L'amour était une sorte de hululement sur des accords de piano qui répétait toujours le même discours (l'espoir avant, le désespoir après), et des promotions sur la lingerie, le chocolat et les billets d'avion à la mi-février. C'était une bonne raison pour souscrire un crédit et en parler à son conseiller financier.
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Nous somme d'un siècle où la puissance conférée au tueur est telle qu'il est facile à celui-ci de se prendre pour un dieu.
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On entendit quelque chose qui ressemblait à une lutte, des grognements brefs et le claquement sec de bâtons de bois mort cassés.
Jean sauta sur ses pieds, tapa dans ses mains et cria hé ! hé ! ho !
Une cavalcade lui répondit, suivie d'un éboulement de pierres dégringolant dans un roulis sourd. Il alluma la torche de son téléphone et la braqua vers le muret de la restanque.
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Deux corneilles réveillées se sont mises à tournoyer, formes noires et légères dans un monde encore bleu, et jettent leur cri perçant vers le voile de brume matinale suspendu sur les eaux, que le soleil n’a pas encore déchiré. Plus loin sur la berge se détachent les silhouettes droites des pins sur le miroitement huileux de l’eau calme qui dépasse au-dessus des hautes herbes, jusqu’à perte de vue. Souvent il y a du vent ici, mais ce matin à peine un souffle.
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C'est étrange, cette importance parfaitement démesurée que l'on accorde aux "premières fois" : première dent, premier coït, premier emploi, cela ne s'arrête jamais.
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Les gens désirent tellement le spectacle qu'ils s'en offrent à eux-mêmes de copieux, avec des élucubrations invraisemblables, des histoires à dormir debout. Ô l'amour du mensonge !
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Le monde n'est plus que le théâtre des évènements. Une scène.
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Soudain tout ce que le mot "vie" signifiait disparaît, englouti dans l'effort désespéré pour ne pas la perdre.
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L'homme agit toujours comme s'il maîtrisait sa vie et le monde ; il en est fermement convaincu aussi longtemps qu'il n'y pense pas ; et comme il ne pense jamais, il est convaincu de son mensonge sans même savoir qu'il a menti.
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Cela n'est un mystère pour personne : le châtiment n'existe plus.
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La vie est un long affrontement de choses perpétuellement contraires.
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Une barrière qu'on monte, c'est tout de même un chemin qu'on ferme.
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La mer irradiait de lumière. L’horizon s’étendait. On n’entendait que le vent.
Quand ils venaient ensemble avec Jean, ils se plongeaient dans l’observation du paysage en contrebas. La voie de chemin de fer avec son viaduc et son tunnel, où passaient des trains de marchandises et des TER. Le golf, sur une autre colline. Les deux domaines viticoles dont le très bel amphithéâtre de vigne, qui organisait des apéritifs chic en début d’été où Jean et Baya allaient parfois pour flamber un peu. Ces observations leur procuraient un discret contentement qui les rendait joyeux, blagueurs.
Quand Baya était seule, ce contentement se traduisait par une immense et très floue gratitude envers la création, les astres, la terre et la mer, les bêtes qui rampent, marchent et volent, les fleuves et les jardins, l’homme et la femme avec leur puissante raison et leurs astuces techniques qui, de cette zone anciennement sauvage, avaient fait, au cours des siècles, un joyau de civilisation. La Ligurie, patrie de hordes sans culture ni villes, tout juste bonnes à chasser le gibier dans les collines et à pêcher la sardine, avait été mise en coupe réglée par les Romains, avec leurs soldats, leurs routes, leurs techniques de construction, leur droit du sol et leurs écritures commerciales. Et deux millénaires plus tard, Baya trouvait le résultat franchement pas dégueu.
Elle admirait le mariage parfait entre les ressources de la terre et de la mer d’une part et d’autre part l’industrie humaine, avec le port de pêche, le chantier naval, les routes et chemins de fer pour relier les villes, les espaces agricoles, les lieux de plaisance. Tout ça si bien organisé, vu d’ici. C’était apaisant. Baya n’aurait pas été capable de dire au juste de quoi elle avait besoin d’être apaisée. Et puis, d’ici, on avait le sentiment qu’on pourrait défendre la colline contre n’importe quelle invasion ; elle rêvassait parfois à des maquis, des guerres civiles, des mitrailleuses brûlantes. Elle n’aurait pas non plus pensé à le raconter si on lui avait demandé à quoi elle rêvassait.
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La silhouette de la femme se découpait à contre-jour sur le paysage de la baie vibrant de soleil. La mer immobile ; l’horizon flou. Tout était bleu, vert-jaune et blanc, excepté son cou, ses épaules et son dos légèrement penché vers la gauche, dans la continuité sinueuse de sa nuque qui pivotait lentement sous les cheveux relevés : un corps quasi noir, avec seulement parfois l’éclat de son collier dans un mouvement de tête. Elle semblait scruter quelque chose.
Mais peut-être que non, peut-être que je l’imaginais seulement.
À ses pieds, la baie s’ouvrait en un paresseux demi-cercle, fermé d’un côté par une avancée de terre couverte de forêt, qui plongeait dans la mer en roches blanches et brumeuses, de l’autre par les installations gigantesques de l’ancien chantier naval de Liguria, dont les grues se dressaient dans le lointain. Vers la ville, invisible depuis la colline, les sillons des bateaux laissaient dans l’eau de longues traînées blanches. Sur la gauche, à une centaine de mètres à vol d’oiseau de la maison, une falaise blanche s’avançait vers la mer et s’interrompait brusquement, à pic, tranchant par sa netteté avec la brume de chaleur qui s’épaississait au loin.
Baya arriva dans le jardin en tenant précautionneusement un plateau sur lequel trônaient du rosé dans un seau et une bouteille de Ricard. Ses bracelets frémissaient sur sa peau bronzée, lavée, huilée. Elle le posa sur la table. La femme n’avait pas bougé.
– Jean, tu prends les verres ?
Jean apparut sur le perron de la maison et s’arrêta une seconde près des aloès qui bordaient les trois marches de l’escalier de pierre. Il rentra dans la pénombre de la cuisine et ressortit chargé d’un second plateau sur lequel, en plus des verres, se trouvaient divers amuse-bouches disposés dans des assiettes de couleur. Il s’approcha de la table avec son bon sourire de bête tranquille.
L’un et l’autre regardèrent le dos de la femme, parcouru d’imperceptibles mouvements comme ceux de certains fauves au repos. Le soleil descendant augmentait le contre-jour ; les cheveux relevés avaient des reflets scintillants. Elle ne semblait pas envisager de quitter son poste, toujours debout au bord du jardin étagé en terrasses, les mains posées sur les hanches.
– Vous préférez du vin ou du pastis ? finit par demander Jean d’une voix forte.
La femme pivota sur ses pieds et s’approcha d’eux. Son visage très allongé n’exprimait aucun sentiment. Elle jeta un regard bref à Jean, et un autre à Baya.
– Du rosé, merci, dit-elle d’un ton détaché en se dirigeant vers la chaise qui, dos à la maison, permettait d’embrasser du regard le jardin et la vue sur la baie. Sa robe se plia docilement sur son corps lorsqu’elle s’assit.
Jean lui servit un verre et en emplit un second pour Baya.
– C’est la cuvée des producteurs du chemin des Roquettes, dit-il.
Personne ne releva. Il attrapa agilement deux glaçons dans un bol à l’aide d’une pincette métallique et se servit une rasade d’anis. Il s’assit à son tour et croisa ses deux jambes musclées avec un geste d’adolescent.
On trinqua. Baya sortit une longue cigarette d’un étui en argent. Le silence qui suivit était un peu plus long que le silence moyen constaté dans ce genre de contexte.
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Car tout comme les radios, attestent les textes sacrés des lois très saintes validées par le Prophète que la paix soit sur Lui, mais en pire, les télés sont la porte d'entrée des démons dans les esprits, dans les sens, dans les foyers.
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Il nous faut prendre en compte ce fait très simple : les pavillons du Lotissement Grand Siècle s’érigèrent dans le vide. À l’écart de tout centre, avec leurs rues ne menant nulle part, ils se dressèrent comme quelques années plus tôt s’étaient creusés les abris atomiques : hermétiques. Et il nous faut du coup faire ce constat très évident : choisir d’habiter là, sur un lopin perdu et lointain, dénote un désir strident, non de participer, mais bien de s’extraire le plus possible du réseau de la représentation sociale et des affirmations historiques.
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Le promoteur-constructeur William Jaird Levitt (1907-1994) est à l’origine de l’invention, puis de la transplantation en Europe et en France, d’un modèle nord-américain d’urbanisme, celui du nouveau village. Sa stratégie représentait une double innovation : d’une part, il fut le premier à avoir l’idée d’acquérir des sur- faces vierges de plusieurs hectares, lui permettant de concevoir l’ensemble du village d’un coup. D’autre part, il appliqua à la construction les grands principes du fordisme: standardisation des constructions et chaîne de montage (les ouvriers des différents corps de métiers passant d’une parcelle à l’autre) de façon à pou- voir terminer jusqu’à quatre ou cinq maisons la même semaine.
Comme lors de sa première et plus célèbre réalisation, à Levittown (NY), il proposa en France et particulièrement dans le bassin parisien des maisons monofamiliales d’un excellent rapport qualité-prix à une clientèle choisie parmi les cadres. Aux États-Unis, à la même époque, il fut accusé de favoriser une ségrégation raciale, ce qu’il ne nia pas et justifia par les aspirations de sa clientèle.
Les résidences, organisées en boucles de voirie autour d’une école et d’un centre de loisirs avec piscine et terrains de sport, popularisèrent la formule du nouveau village, où les éléments des « suburbs » comme, du côté de la rue, des pelouses ininterrompues, des « driveways » perpendiculaires à la rue, des garages incorporés ou des porches, s’adaptaient aux dimensions plus modestes des territoires européens et au niveau de vie de la bourgeoisie parisienne tout en conservant leur affinité physique et symbolique avec la société de consommation d’outre-Atlantique.
Il commença par une opération achevée en mai 1968, à 16 kilomètres de Versailles, qui deux siècles auparavant avait été la première ville nouvelle. Le Lotissement Grand Siècle lui ressemble. Ce fut le premier nouveau village français, le modèle d’une longue série.
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Je possédais le passé, je déterminais l'avenir, j'étais le présent tout entier.
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Trois jours après, il passe à Wytschaete ; vingt-cinq mille morts rien que la journée du 7 juin 1917, sachant qu’on s’y bat jusqu’au 14. Victoire alliée. Gadmer vient photographier les victoires alliées. Il vient sur le lieu des vingt-cinq mille morts et de ceux des jours suivants. Voici le déroulé de la bataille : elle commença par trois semaines de bombardements quotidiens, de l’aube au crépuscule. Les soldats allemands avaient l’ordre d’aller se cacher dans les cahutes du no man’s land la journée, avant de rentrer le soir dans leurs fortifications, tant qu’elles étaient debout. Quand elles ne le furent plus, ils restèrent dans le no man’s land. Puis, lors de l’assaut, on alluma des mines sous leurs positions. Elles tuèrent presque tous les Allemands.

Orage sur le village, s’appelle l’image. On voit quelques maisons dans le lointain, et le ciel noir.

Le surlendemain, il est dans la forêt d’Houthulst. Ça ne dit rien à personne de nos jours, mais ici, fin septembre 1918, mille huit cents hommes sont morts en une journée du seul côté allié. Certes, ce ne fut pas le pire moment de la campagne alliée qui fit reculer le front d’Amiens à Mons, et qui tua plus d’un million d’hommes en trois mois, de chaque côté de ce trait sur la carte que l’on gommait chaque jour pour le redessiner. Ni le pire ni le meilleur moment. Ce jour-là, il fallait reprendre ce petit bois où les Allemands avaient leur camp, truffé de mitrailleuses, ceint de barbelés et de mines. Alors on pilonna en pleine nuit durant trois heures, pour assouplir le Boche ; puis, à cinq heures du matin, sous la pluie, l’assaut fut donné. On s’entretua jusqu’au soir. Ce qu’on appelle une victoire. On voit du bois mort, debout, c’est tout. On dirait que la foudre est tombée là, mais non, ce sont les hommes qui ont fait ça. On dirait un de ces cimetières militaires qui vont fleurir ici dans les années à venir mais non, c’est la forêt. On ne dirait pas une forêt. Un orage. Frédéric dit : orage. Il photographie car c’est son travail.

Orage. Qu’est-ce que tu veux dire d’autre ? Qu’est-ce que tu veux montrer ? La photographie est peut-être une impuissance.

Ensuite, Passchendaele. Sur les photos aériennes de l’armée, le village lui-même est gommé, avant, après, par les impacts d’obus. Les bombardements intensifs ayant détruit les systèmes de drainage, l’immense champ de bataille se transforma en un bourbier encore augmenté par des pluies continuelles. Entre deux et quatre cent mille morts de chaque côté, en trois mois. Bon. Les photos aériennes ont montré la guerre ; lui, venu sur place, il montre le ciel. Orage. 9 juillet 1922. Carency. Rien à voir. Un champ d’avoine, un orage. Pourtant Gadmer est là pour photographier la reconstruction. Carency a été tout bonnement rayée de la carte dès 1915 : rien n’est resté debout. On ne voit rien, à part un champ d’avoine. Et puis l’orage.

Pourquoi il fait ça ? Les Archives de la Planète, c’est aussi la météo ? Ou alors c’est à cause du temps de pose des autochromes, tiens, voilà qu’il se passe quelque chose là-haut tandis que lui, tout seul le plus souvent, attend l’impression sur la plaque, debout devant le désastre, la terre dégorgeant de morts en charpie, d’obus encore vifs, et lui qui voulait voir la beauté de la création, les infinies variétés de la civilisation humaine, il se retrouve à consigner des tas de ruines.
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Jean revint vers la table à ce moment-là, accompagné d’un jeune homme en tenue de ranger, svelte et petit, à la peau mate comme beaucoup de Ligures. Jean lui racontait quelque chose qui le faisait sourire. Baya le regarda, il la salua. Jean attrapa son portefeuille sur la desserte, sortit sa carte d’identité, la tendit à l’agent qui la lui rendit, s’excusa pour l’interruption, salua de nouveau et tourna les talons.
– C’était l’entreprise de surveillance ! annonça-t-il. Une ronde aléatoire dans notre colline. Moi qui n’avais pas été contrôlé depuis vingt ans, je viens de donner mes papiers à un gamin à peine majeur.
Et Jean rit, puis but la moitié de son verre d’un coup.
– Vous avez souscrit ? demanda Baya à la femme. Presque tout le monde sur la colline a souscrit.
– Non, répondit la femme.
– Tenez, voici leur carte, justement il vient de me la donner, dit Jean. Ils sont efficaces. Ils interviennent sur toute la Ligurie, de Gênes à Marseille. Tous bilingues. C’est leur univers, ce bout de côte. Ils le connaissent comme leur poche. Le gosse avait une liste d’adresses, il patrouille toute la nuit. Efficaces.
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