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Citations de Fernando Pessoa (1993)


LE PASSAGE DES HEURES
Ode sensationniste
(extrait de cet ode inachevée)

Tout sentir de toutes le manières,
Tout vivre de tous les côtés,
Être la même chose de toute les façons possibles en même temps,
Réaliser en soi toute l'humanité de tous les moments
Dans un seul moment diffus, profus, total et lointain.

[...]

Je me suis multiplié pour me sentir,
Pour me sentir, j'ai eu besoin de tout sentir,
J'ai débordé, je n'ai fait que me répandre,
Je me suis mis à nu, je me suis offert,
Et il y a dans chaque recoin de mon âme un autel à un dieu différent.

Les bras de tous les athlètes m'ont enlacé soudainement féminin,
Et rien que d'y penser j'ai défailli entre des muscles inventés.

Sur ma bouche ont été donnés les baisers de toutes les rencontres,
Dans mon cœur ont été agités les mouchoirs de tous les adieux,
Toutes les invites obscènes en gestes ou en clins d’œil
Frappent de plein fouet mon corps tout entier en privilégiant les centres sexuels.
J'ai été tous les ascètes, tous les laissés-pour-compte, toutes les comme on les appelle quantités négligeables,
Et tous les pédérastes - je dis bien tous (pas un n'a manqué).
Rendez-vous en rouge et noir aux fins fonds, enfer, de mon âme !

[...]

Tout sentir de toutes les manières,
Avoir toutes les opinions,
Être sincère dans les contradictions de chaque instant,
Se rebuter soi-même pour sa totale libéralité d'esprit,
Et aimer les choses à l'égal de Dieu.

[...]

J'ai couché avec tous les sentiments,
J'ai été le maquereau de toutes les émotions,
Tous les hasards des sensations m'ont payé d'un coup,
Tous les motifs d'agir et moi nous sommes faits des œillades,
J'a pris la main de tout ce qui pousse à partir,
Incommensurable fièvre des heures !
Angoisse de la fonderie des émotions !
Rage, écume, l'immensité qui ne tient pas dans mon mouchoir,
La chienne qui hurle en pleine nuit,
Le lavoir de la ferme passant et repassant autour de mon insomnie,
Le bois tel qu'il était le soir où nous l'avons traversé, la rose,
L'accroche cœur blasé, la mousse, les pins,
Toute la rage de ne pas contenir tout ça, de ne pas détenir tout ça,
Ô fin faim abstraite des choses, rut impuissant des instants,
Orgie mentale pour sentir la vie !

Obtenir tout par autosuffisance divine -
Les soirées, les accords, les opinions,
Les belles choses de la vie -
Le talent, la vertu, l'impunité.
La propension à raccompagner autrui chez soi,
La condition de passager,
L'obligation d'embarquer sans tarder pour avoir une place,
Et toujours une chose manque, un verre, une brise, une phrase,
Et la vie fait d'autant plus souffrir qu'on en jouit et qu'on l'invente.

Pourquoi rire, rire, rire en y mettant toute la gomme,
Rire aussi fort qu'un verre qu'on renverse,
Dément en absolu rien que de sentir,
Élimé en absolu de me frotter tout contre les choses,
Blessé à bouche rabattue de trop mordre dans les choses,
Le ongles ensanglantés de me cramponner aux choses,
Et après jetez-moi au cachot de votre bon plaisir : je m'y souviendrai de la vie.

(Alvaro de Campos)

(P39-43)
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Si après ma mort, on veut écrire ma biographie...rien de plus simple. Il y a seulement deux dates -celle de ma naissance et de ma mort. Entre l'une et l'autre tous les jours sont à moi.
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C'est une règle de la vie que nous pouvons, et devons, apprendre avec tous ceux qui nous entourent.

Certains des aspects les plus sérieux de la vie, nous pouvons les apprendre de charlatans et de bandits: il est des philosophies que nous enseignent les imbéciles, il est des leçons de loyauté et de constance qui nous viennent par hasard, de rencontres de hasard.
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J'ai fait de moi ce que je n'aurais su faire,
et ce que de moi je pouvais faire je ne l'ai pas fait.
Le domino que j'ai mis n'était pas le bon.
On me connut vite pour qui je n'étais pas, et je n'ai pas démenti et j'ai perdu la face.
Quand j'ai voulu ôter le masque
je l'avais collé au visage.
Quand je l'ai ôté et me suis vu dans le miroir,
J'avais déjà vieilli.
J'étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n'avais pas ôté.
Je jetai le masque et dormis au vestiaire
comme un chien toléré par la direction
parce qu'il est inoffensif -
et je vais écrire cette histoire afin de prouver que je suis sublime.
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Ô nuit, où les étoiles mentent de leur lumière, ô nuit, seule chose à la taille de l'Univers, change-moi, corps et âme, en une partie de ton propre corps afin que je me perde, devenu pure ténèbre, et devienne nuit à mon tour, sans rêves telles des étoiles au fond de moi, sans astre dont l'attente resplendirait depuis l'avenir.

(Texte n°280 P 308)
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Ces trois jours de canicule sans répit, d'orage latent et de malaise sous-jacent à la quiétude ambiante, ont apporté, comme l'orage avait filé ailleurs, une agréable, légère et tiède fraîcheur, à la surface limpide des choses. De même, au cours de notre existence, il arrive parfois que notre âme, ayant souffert du poids de la vie, éprouve soudain un soulagement qu'aucun événement ne peut expliquer.
J'imagine que nous sommes des sortes de climats, sur lesquels pèsent des menaces de tempêtes qui vont se concrétiser ailleurs.
L'immensité vide des choses, le vaste oubli qui règne dans le ciel et sur la terre...

(Texte n° 192 P 222)
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Parfois je songe, avec une volupté triste, que si un jour, dans un avenir auquel je n'appartiendrai plus, des louanges viennent prolonger la vie de ces pages, j'aurai enfin quelqu'un qui me "comprenne", une vraie famille où je puisse naître et être aimé. Mais, bien loin d'y naître, je serai mort depuis longtemps. Je ne serai compris qu'en effigie, quand l'affection ne pourra plus compenser, pour le mort, la désaffection qu'il aura seule connue de son vivant.
Un jour peut-être on comprendra que j'ai accompli, comme nul autre, mon devoir - de naissance, dirai-je - d'interprète d'une bonne part de notre siècle ; et quand on le comprendra, on écrira qu'à mon époque j'ai été un incompris, que j'ai malheureusement vécu au milieu de l'indifférence et de la froideur générales, et qu'il est bien dommage que cela me soit arrivé. Et celui qui écrira tout cela péchera, à l’époque où il l'écrira, par incompréhension envers mon homologue de cette époque future, tout comme ceux qui m'entourent aujourd'hui. Car les hommes n'apprennent jamais qu'à l'usage de leurs ancêtres, déjà morts. Nous ne savons enseigner qu'aux morts les vraies règles de la vie.

(Texte n°191 P 221)
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Nous sommes tous myopes, sauf vers le dedans. Seul le rêve peut voir avec le regard.

(Texte n°138 P 170)
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Il est une érudition de la connaissance, qui est ce que l'on appelle proprement l'érudition, et une érudition de l'entendement, qui est ce que l'on appelle la culture. Mais il y a aussi une érudition de la sensibilité.
Cette érudition de la sensibilité n'a rien à voir avec l'expérience de la vie. L'expérience de la vie n'enseigne rien, de même que l'histoire ne nous informe sur rien. La véritable expérience consiste à restreindre le contact avec la réalité, et à intensifier l'analyse de ce contact. Ainsi la sensibilité vient-elle à se développer et à s'approfondir, car tout est en nous-mêmes ; il suffit de le chercher, et de savoir le chercher.
Qu'est-ce que voyager, et à quoi cela sert-il ? Tous les soleils couchants sont des soleils couchants ; nul besoin d'aller les voir à Constantinople. Cette sensation de libération, qui naît des voyages ? Je peux l'éprouver en me rendant de Lisbonne à Benfica, et l'éprouver de manière plus intense qu'en allant de Lisbonne jusqu'en Chine, car si elle n'existe pas en moi-même, cette libération, pour moi, n'existera nulle part.

(Texte n°138 P 168-169)
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Nous n'aimons jamais vraiment quelqu'un. Nous aimons uniquement l'idée que nous nous faisons de ce quelqu'un. Ce que nous aimons, c'est un concept forgé par nous - et en fin de compte, c'est nous-mêmes.

(Texte n°112 P146)
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Étant donné que la vie est essentiellement un état mental, et que nos actes ou nos pensées n'ont d'autre valeur à nos yeux que celles que nous leur attribuons nous-mêmes, la valorisation ne dépend que de nous. Le rêveur, en somme, est un fabricant de billets, et les billets qu'il émet ont cours dans la cité de son esprit tout comme ceux de la réalité. Que le papier-monnaie de mon âme ne soit pas convertible en or m'importe peu, puisqu'on ne trouve jamais d'or dans l'alchimie factice de la vie.

(Texte 91 P126)
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Dire ce que l'on éprouve exactement comme on l'éprouve - clairement si c'est clair ; obscurément si c'est obscur ; confusément si c'est confus ; et bien comprendre que la grammaire n'est jamais qu'un outil, et non pas une loi.

(Texte n°84 P118)
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Le gardeur de troupeaux

Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau, ce sont mes pensées
Et mes pensées sont toutes sensations.
Je pense avec les yeux et avec les oreilles
Et avec les mains et les pieds
Et avec le nez et la bouche.

Penser une fleur c'est la voir et la respirer
Et manger un fruit c'est en savoir le sens.

C'est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
Je me sens triste d'en jouir à ce point,
Et que je m'étends de tout mon long dans l'herbe,
Et que je ferme mes yeux brûlants,
Je sens mon corps entier étendu dans la réalité,
Je connais la vérité et suis heureux.
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On le dit ?
On l'oublie.
Ne le dit ?
L'aurait dit ?

On le fait ?
C'est fatal.
Ne le fait ?
C'est égal.

Pourquoi donc
Espérer ?
- Car tout n'est
Que rêver.
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La côte mène jusqu’au moulin, certes, mais l’effort ne nous mène à rien.
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Mieux vaut écrire que risquer de vivre, même si vivre se réduit à acheter des bananes au soleil, aussi longtemps que dure le soleil et qu’il y a des bananes à vendre.
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Ce qu’il y a de véritable dans la cathédrale de Reims, ce n’est ni la cathédrale, ni la ville de Reims, mais la majesté religieuse des édifices voués à la connaissance des profondeurs de l’âme humaine.
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Seule l'inconscience et l'ignorance permettent à l'homme d'être heureux.
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Nous prîmes place, en contenant une excitation qu'alimentaient notre impatience, nos doutes, notre défiance intellectuelle. Il devait s'agir, chacun s'en souvenait, d'un dîner très original. Et un défi nous avait été lancé: il fallait découvrir en quoi résidait, précisément, l'originalité du dîner. Là était la difficulté. L'originalité serait-elle à chercher dans quelque chose d'invisible ou d'évident? Dans un plat, dans une sauce, dans une présentation? Allait-elle se trouver dans quelque détail trivial? Ou bien, finalement, dans ce qui caractérisait le banquet d'une manière générale?
Naturellement, dans la mesure où nous étions tous dans cet état d'esprit, tout ce qui était possible, ou vaguement probable, ou encore raisonnablement improbable, impossible, suscitait en nous suspicion, interrogation, perplexité. Était-ce en cela qu'il fallait voir de l'originalité? Était-ce en cela que consistait la plaisanterie?
Ainsi, tous autant que nous étions, les invités, à peine avions-nous pris place pour dîner que nous commençâmes à examiner minutieusement , attentivement, toutes les décorations et compositions florales se trouvant sur la table, mais aussi bien les motifs sur les assiettes, la disposition des couteaux et des fourchettes, les verres, les bouteilles de vin. Certains avaient déjà examiné les chaises. Un nombre non négligeable de convives, l'air détaché, avaient fait le tour de la table, de la salle. L'un d'eux avait même regardé sous la table. Un autre avait parcouru de ses mains, rapidement et prudemment, le dessous de son plateau. Un membre avait laissé tomber sa serviette et s'était penché pour la ramasser, en exagérant à un point frôlant le grotesque la difficulté de l'opération; il avait voulu voir, m'expliqua-t-il plus tard, s'il ne se trouvait pas là une trappe destinée, à un moment du banquet, à nous engloutir, ou à engloutir seulement la table, ou la table et nous du même coup.
Je ne puis à présent me remémorer avec précision quelles étaient mes suppositions, mes conjectures. Je me souviens clairement, en revanche, qu'elles étaient à peu près aussi ridicules que celles des autres que je viens d'évoquer. Des pensées fantasques et extraordinaires se succédaient dans mon esprit par association d'idées, de façon purement mécanique. Tout était à la fois suggestif et insatisfaisant. Tout bien considéré, la singularité était partout (de même qu'elle est en toute chose en tout lieu). Mais il n'y avait rien qui semblât clairement, nettement, indubitablement, renfermer la clé du problème, le fin mot de l'énigme.
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Les chats se frottent à mes jambes et ils se sentent tigres jusqu'au sexe. Les oiseaux qui chantent se taisent sur mon passage, et les roses à haute tige effleurent mon visage parce que j'ai le privilège des chemins. Amenez vos rêves sur cette terrasse d'où l'on voit la mer. Je veux rêver avec vous à haute voix, que ma voix tisse avec les vôtres une histoire où nous puissions nous défendre de la vie comme dans un cocon. (...) Je veux que nous rêvions ensemble. Si certains vivent ensemble, pourquoi d’autres ne rêveraient-ils pas ensemble ? Y a-t-il une différence certaine entre le rêve et la vie ?
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