Citations de Franck Bouysse (2469)
Ça me fait toujours marrer, les cellules psychologiques. Je pense que ce n'est pas ce qui aide à comprendre, juste à se donner bonne conscience, à montrer qu'on s'occupe bien de la progéniture de l'humanité et de son avenir. Et, accessoirement, à faire culpabiliser les autres gamins, ceux qui voyaient Muriel chaque jour, qui auraient dû se rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond chez elle. Sales petits égoïstes ! Ce que je pense aussi, c'est que la psychologie a toujours un coup de retard sur l'échiquier des drames humains.
C'est toujours ce qui se passe avec les mots nouveaux, il faut les apprivoiser avant de s'en servir, faut les faire grandir, comme on sème une graine et faut bien s'en occuper encore après, pas les abandonner au bord d'un chemin en se disant qu'ils se débrouilleront tout seuls, si on veut récolter ce qu'ils ont en germe.
La grand-mère lui avait toujours dit que le bonheur était comme la promesse de l'aube, si l'on s'en tient à la promesse sans s'obstiner à vouloir deviner ce qu'on aurait envie qu'elle révèle à l'avance.
Mis à part les désagréments qu’elle pouvait occasionner, il ne détestait pas la neige : elle cachait la saleté et le désordre pendant un temps et il devait avouer que c’était reposant de faire l’économie momentanée du cimetière qui s’étendait autour des bâtiments, là où des cadavres de machines dépecées rappelaient sans cesse des époques révolues, comme des strates disparates dans la coupe d’une carrière abandonnée. Pour l’heure, les surfaces étaient immaculées, planes, creuses ou bosselées, corps albinos de la nature, dont le soleil impitoyable aurait un jour raison.
Ils traversèrent des lambeaux de brume, semblables aux tentacules démesurés d'une pieuvre albinos s'enroulant autour des arbres.
"Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà." Montaigne avait raison en ce qui le concerne.
Tu sais, les hommes disent souvent trop tard les choses qu'ils ont sur le coeur ou ils ne les disent jamais, et des fois même, ils ne comprennent pas que c'est sur le coeur que sont les choses.
Mes mains se mettent à trembler, une des lois auxquelles ne peut se soustraire un vieillard, comme si les dernières hésitations du corps n’étaient que le crépitement de l’âme en chemin. Il est temps de partir.
Pour les femmes, la vie c'étaient des actes et bien peu de mots. On leur avait appris que les mots représentaient la désinvolture de l'esprit s'ils n'étaient rattachés à des gestes concrets, comme égrener un épi de maïs, pétrir une pâte, fendre une bûche par le milieu, construire un feu. Les mots, quand ils sortaient, leur semblaient boursoufles de raison, jamais de légèreté et encore moins de folie.
Les élèves m'attendent. Je leur parle des gymnospermes, des moins évoluées aux plus évoluées, des spores qui préparent le terrain pour les graines des angiospermes. Faire comprendre que l'évolution est une succession de hasards, que la nature n'a rien à faire de la nécessité, que rien n'est nécessaire. La nature ne fait que s'accommoder, sans jamais rien décider.
C'est cette nuit-là que j'ai compris que ça voulait rien dire, dormir, que c'étaient rien que des petits galops plus ou moins réussis, que la vraie course qui s'arrête jamais, c'est la mort.
Je m’endors toujours avec le même sifflement continu qu’au début je prenais pour du silence et qui n’est pas non plus du bruit. M’est avis que ce que j’entends c’est la respiration de l’âme en train de trier le vécu pour fabriquer des souvenirs qu’on a jamais vécus, mais qu’on finit par admettre comme des vérités.
Le père et le fils ne s'étaient jamais bien entendus. Peut-être que si le père avait vécu plus longtemps, il se serait passé des choses entre eux, de l'ordre du pardon et de la rédemption ; mais il arrive fréquemment que la vie rencontre la mort plus tôt que prévu, et personne n'y peut grand-chose.
C'est pas facile d'être l'homme qu'on voudrait être... on y arrive jamais vraiment.
La dignité, c’est ce qui venait à Gus, plus que la fierté. Et la liberté, il était persuadé qu’elle se situait entre deux pas, quand on avait la chance de choisir où on allait.
La première truite sauvage qu'il attraperait, il la garderait et la ferait cuire pour Suzanne, avec un peu de gros sel, un filet d'huile d'olive et quelques brins de ciboulette.
L'homme et sa monture traversèrent les coulées de lumière entre les ombres portées des grands cyprès plantés là par on ne savait plus qui, en bordure du chemin, effilés comme des flammes sombres et immobiles.
"Les mots seuls ne fabriquent pas l'émotion sincère, c'est l'émotion qui doit précéder l'apparition des mots."
On passa de l'été à l'hiver par un mince trait d'union teinté d'ocre et de rouge.
Ici, les lignées, elles s'éteignent toutes les unes après les autres, comme des bougies qui n'ont plus de cire à brûler.