Citations de François Cérésa (94)
Un malheur, ça se couve. Le mien est bien au chaud.
Je ne résiste plus. Même plus à la résistance elle-même. Je suis à la dérive.
(…) Je ne me change pas les idées, ce sont les idées qui me changent. J’étais la joie, je suis le désespoir. J’étais l’enthousiasme, je suis le ressentiment. On m’a précipité dans un désordre où rien ne compte. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain.
Les gens qui ont perdu un être cher se ressemblent. Ils ressassent ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont, ce qu’ils avaient, ce qu’ils n’ont plus. Moi, dans mes rêves, c’est toujours pareil. Victoire est là. Comme si elle n’était jamais partie. En dehors des douleurs, les regrets s’amoncellent. Oui, les regrets. Car les jouissantes perdues le sont à jamais. Quand je crois apercevoir Victoire au détour d’une rue, au sortir d’un commerce, elle me frôle tel un doux fantôme. J’éclate en sanglots. Où est-elle ? Je marche à tâtons, je titube, je hurle. Une fois j’espère, une autre je désespère.
Il avait un nom prédestiné, entre reblochon et capuchon, bouchon et Racouchot (le chef des Trois faisans à Dijon dans les années 30). J'ai connu Robuchon un soir de Joël.
Il y a un monde entre les croyants et nous. J’ai toujours cru que le premier prophète, chrétien, juif, musulman, hindou ou je ne sais quoi encore, a été le premier fripon à rencontrer le premier imbécile venu. Le doute persiste, puisque personne ne nous a raconté ce qui se passe de l’autre côté. Il est quand même permis de se demander si ce que nous assimilons à la vie éternelle n’est pas simplement l’expression de la jouissance que procure un repos pas vraiment mérité entre des millions de dégringolades.
D’ici, on pouvait voir ses jambes qu’elle croisait et décroisait, son décolleté qui tranchait sur l’ambiance générale. Elle ressemblait à une écuyère. Quand elle m’aperçut, elle me gratifia d’un petit coucou. Surpris par ce geste amical, je me suis rejeté en arrière.
Quelqu’un qui fait des paris sur le hasard ne gagne jamais. Je devrais méditer cette définition du hasard qui en dit long. Le hasard, c’est la logique de Dieu. Et aussi cette citation de Voltaire : « Dieu ? Nous nous saluons, mais nous ne nous parlons pas. » Exactement ça. Dieu ou le Grand Absent.
C’est une fille joviale, un peu rude, laiteuse de peau, cheveux courts, toujours en débardeur et jupe courte. Qu’il fasse chaud ou froid, elle est légèrement vêtue. Pour moi, un mystère pâtissier. Quand elle lève les bras, ses aisselles s’offrent telles des fleurs ouvertes et humides, lisses, sans une ombre. Parfois, en passant l’aspirateur, elle prolonge le faisceau de ses cuisses. Ça remonte jusqu’à la culotte. Toujours blanche et dentelée. Je sens bien qu’elle essaie de me charmer.
Un malheur, ça se couve. Le mien est bien au chaud. Personne ne viendra le troubler. Un jour, tout s’arrêtera. Je ne verrai plus, je ne sentirai plus, je n’entendrai plus. Il sera temps de retourner aux fleurs. D’être poussière. Minéral. Exposé aux quatre vents du néant.
Je passe tout près d’elle. Fragrances de bergamote, de citron vert. Elle lève la tête. Dans ses yeux rieurs, je décèle la curiosité. Je m’éloigne, certain qu’elle m’étudie du regard, avide de détecter, dans ma démarche traînante, un soupçon de complicité. Qu’est-ce que je vais imaginer ?
J’avais commencé un essai sur l’amour fatal, la violence des conflits avec les pouvoirs, l’impuissance de la volonté, l’obscurité de la conscience, la déchéance, le désir d’absolu ; bref, tous les thèmes chers à l’abbé Prévost, homme tumultueux et picaresque, qui pensait que l’amour précipite les hommes dans le tourment et la faute.
Avoir conscience, c’est le premier degré du terrible. J’en suis là.
Au début, j’ai essayé l’alcool, les médicaments, le cynisme, la foi, la frivolité, l’amitié, la lecture : rien n’y fait. Ça revient toujours. Des portes s’ouvrent, d’autres se ferment. Le néant m’articule.
Ce n’est pas parce que l’on souffre que l’on a raison. Je sais, je tourne en rond. Avec Jean-Paul et Margaret, nous parlons beaucoup. C’est ça, les profs. Ça parle. Ça croit savoir. Ça veut expliquer. Mais il faut dédaigner les explications pour la raison très simple que la vie elle-même les dédaigne. Les connaissances ne servent à rien.
Son amour me permettait de résister. Je ne résiste plus. Même plus à la résistance elle-même. Je suis à la dérive.
Les gens qui ont perdu un être cher se ressemblent. Ils ressassent ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont, ce qu’ils avaient, ce qu’ils n’ont plus. Moi, dans mes rêves, c’est toujours pareil. Victoire est là. Comme si elle n’était jamais partie. En dehors des douleurs, les regrets s’amoncellent. Oui, les regrets. Car les jouissances perdues le sont à jamais.
On dit que le soleil est l'artiste de la vie. En banlieue, il n'y avait pas d'artiste.
Il me rappelle aussi mon vieux maître Hermann P. qui, comme lui, détestait Wagner. L'autre jour, il m'a dit qu'à chaque fois qu'il écoutait du Wagner, il avait envie d'envahir la Pologne. N'est-ce pas hilarant ? Comme lui encore, il n'a jamais vu d'aveugle dans un camp de nudistes.
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- Je projette de fonder une vraie famille et de m'expatrier dans mon île.
Je tique. Le mot famille n'a jamais fait partie de son vocabulaire. Il est à la fois Faust, Peter Pan, Dorian Gray. Le mythe de l'éternelle jeunesse. L'inconscience portée à son incandescence.
(page 201)
J'aime les coïncidences. Elles s'amusent avec le destin, qui est la cohérence des dieux, et la destinée, qui est l'incohérence des hommes.
(page 12-13)