Citations de Giorgio Scerbanenco (69)
La police était déjà venue ici, l'année passée, pour la pauvre Alberta. Qu'est-ce qui avait bien pu arriver encore? Si elle avait été américaine, elle aurait répondu: "En quoi puis-je vous être utile?", d'un air gentil et ennuyé. Mais, c'était une Italienne du Sud qui, l'an dernier, avait faille perdre son emploi chez Stipel, parce que sa sœur s'était tuée et "qu'elle avait fait la Une de journaux". Elle ne dit rien, pas même oui, les fit entrer, courut gauchement à travers la petite pièce éteindre le téléviseur, avec Milva, puis se retourna pour les regarder.
Il avait voulu parler ,mais son avocat ,presque les larmes aux yeux ,l'avait supplié tout bas de ne pas dire un mot ,pas un seul. Il aurait dit la vérité ,et la vérité c'est la mort;tout sauf la vérité ,dans un procès devant un tribunal!Tout comme dans la vie d'ailleurs.
Autrefois ,les délinquants avaient un physique de délinquant ou d'assassin :exactement comme Romeo Prasin. Mais aujourd'hui les délinquants, même les plus désespérés , peuvent avoir n'importe quel physique et appartenir à n'importe quelle catégorie sociale.
Sa seule vraie passion, celle qu’il cachait à tout le monde, sauf à sa mère et à Michela, était l’étude de l’astronomie et de la philosophie : deux disciplines assez peu rentables. Il était souvent en déplacement pour son travail, avec des missions très délicates, mais dans sa valise il emportait toujours deux ou trois gros bouquins qu’il n’aurait jamais dû avoir le temps de lire. Et pourtant il le trouvait ce temps, la nuit, souvent jusqu’à ce qu’il fasse jour, et aucun de ses collègues n’aurait imaginé pour quelle raison, parfois, il avait tant sommeil.
Ses lèvres étaient entrouvertes comme si elle souriait. Ce n’était pas un vrai sourire, mais la sérénité abrutie que lui provoquaient les calmants. Toutefois, la présence d’Al lui donnait un autre type de sérénité : elle arrivait à penser, à se souvenir qu’autrefois elle avait été heureuse, qu’elle avait souri, ou ri de bon cœur à certaines plaisanteries qu’il inventait pour l’amuser ; ce qui était déjà beaucoup.
La jeune femme pleine de fougue d’hier, aux enthousiasmes débordants, était éteinte. Certes, la protection, la proximité, la tendresse désespérée de son père lui avaient fait du bien. Elle n’était plus aussi maigre, les comprimés l’avaient même harmonieusement remplie. Mais à l’intérieur, elle était vide. Enfin, presque, car il lui restait un lac d’angoisse qui lui ôtait toute force physique et la faisait paniquer pour un rien, pour ce qui bougeait comme pour ce qui était immobile. L’angoisse ne se calmait qu’avec les divers comprimés qu’elle avait sur elle, lesquels, lorsqu’ils faisaient effet, la vidaient et lui donnaient l’impression d’être plus faible qu’une poule, un vrai légume. Elle était devenue presque incapable de lire et d’écrire, raison pour laquelle elle ne parlait pas ; incapable de penser aussi, sinon au malheur de s’être mise dans cet état pour un motif aussi misérable : un amour illusoire.
Son père lui disait que cela lui ferait du bien : se consacrer à ses études, revoir ses camarades, se distraire. Or, après une semaine, elle dut renoncer : elle n’arrivait plus à suivre une ligne sur les livres ; en cours, le professeur semblait parler dans une langue qu’elle ne connaissait pas et les discussions de ses camarades lui donnaient la sensation d’être étrangère, voire d’appartenir à une autre planète.
...tu éprouves de la haine pour une per sonne et désires la tuer, tu ne vas rien faire d'autre qu'aller chez cette personne et lui tirer dessus. Tu commets un acte interdit par la loi, mais tu as un comportement rationnel. Une femme hystérique, non, une femme hystérique éprouve aussi de la haine mais elle va chercher à assouvir sa haine indirectement, sans se mettre en danger, et de la façon la plus complète possible. La seule mort de la per sonne qu'elle déteste ne suffit pas à la femme hystérique, parce qu'elle est aussi un histrion.
On peut très bien quitter un homme qui vous plaît pour en épouser un autre qui vous paraît ridicule. Mais après il faut aller vivre là-bas, dans son pays. Je me suis déjà enfuie de ce pays, quand j’étais petite. Je n’y tenais plus. Si encore c’était un vrai petit village. Non, c’est un groupe de quatre fermes qu’on n’ose pas même appeler un hameau. Ça s’appelle Ca’Tarino di Romano-Banco à Buccinasco. Quand on a fini d’écrire l’adresse, le stylobille est à sec.
Ne vous fâchez pas, sinon vous me plairiez encore plus. Je vous ai dit que j’aime les hommes qui se mettent en colère comme des coqs.
Il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre qu'il parle, et ils attendirent. Maintenant, ils savaient tous les deux ce qu'il dirait. Et, de fait, c'est ce qu'il dit.
-J'ai essayé plusieurs choses pour l'empêcher de boire. D'abord, je lui ai parlé. C'est la méthode persuasive. De ma vie, je n'ai jamais vu personne se laisser persuader de quoi que ce soit par des mots, mais je devais essayer. Les psychologues soutiennent qu'il faut convaincre les jeunes gens, pas les mater, mais le whisky a remporté une victoire éclatante sur mon entreprise de conviction. Je parlais et il buvait. Puis j'ai essayé la méthode restrictive. Pas un sou, surveillance maximale, j'ai passé presque deux semaines avec lui, sans jamais le laisser seul, nous étions à St. Morte, nous passions des heures à regarder les cygnessur le lac, sous un parapluie vu qu'il pleuvait tout le temps, mais il réussissait à boirequand même, il buvait la nuit, parce que nous dormions dans des chambres séparées, un domestique ou un employé de l'hôtel devait lui apporter à boire dans mon dos, et le matin il était complètement soûl.
SOÛL.
- La troisième méthode n'a pas donné de meilleurs résultats, dit Auseri.
Jusqu'au procès, il croyait que même la bêtise devait avoir des limites, puis il avait fallu reconnaitre que sur ce point aussi il avait eu tord.
Aucun spectacle, si répugnant soit-il, n'est exempt d'un public.
«Avec la civilisation de masse naît la criminalité de masse. Aujourd'hui, la police ne peut plus rechercher tel ou tel criminel, ni enquêter sur telle ou telle affaire. Aujourd'hui on fait d'énormes coups de filet... On pêche dans cette mer fangeuse du crime et on en sort de répugnants poissons, des petits et des gros ; et c'est comme ça qu'on fait le ménage. Mais on n'a pas le temps de s'occuper d'une fille qui mesure presque deux mètres, pèse cent kilos, simple d'esprit, et qui a disparu de chez elle, volatilisée dans l'immense milan où une personne disparaît chaque jour sans qu'on puisse la retrouver.»
Son père lui riait au nez et disait, ricanant à sa femme :
- Tu vois à quoi ça sert d'avoir une fille honnête. Il va falloir la supporter encore une bonne quarantaine d'années, alors que, si ç'avait été une pute, elle serait déjà partie depuis belle lurette avec un godelureau à cheveux longs.
Elle devait avoir autour de trente-cinq ans, n’était en rien attirante, mais quelqu’un, peut-être par courtoisie, lui avait fait un enfant
Pour fumer, il s'installa sur la dure et inconfortable chaise derrière le meuble qui avait servi de bureau et son regard embrassa la classe, c'est à dire les quatre tables entourées de quatre chaises chacune qui avaient fait office de pupitres pour ces singuliers élèves. Il relut le rapport encore une fois, numéro huit: urine. Pas un mais plusieurs élèves - si le terme pouvaient ici s'appliquer - s'étaient soulagés dans un angle, transformant un modeste mais sérieux, charitable et sincère lieu d'étude en une étable puante.
Peut-être en était-il ainsi, le passé n’était qu’un livre qu’on lisait, pas notre vie. Et il fallait sans cesse lire de nouveaux livres, on ne peut pas toujours lire le même.
On pense qu’on est toujours les mêmes, mis on change un peu, chaque année, peut-être chaque jour.