En préambule, Giuliano Da Empoli nous fait savoir que « ce roman est inspirée de faits et de personnages réels, à qui l’auteur a prêté une vie privée et des propos imaginaires. Il s’agit néanmoins d’une véritable histoire russe. » Le procédé est judicieusement choisi pour nous éclairer sur les arcanes du pouvoir et le rôle joué par une éminence grise en la personne de Vadim Baranov. Par le truchement d’un narrateur à qui le « mage du Kremlin » raconte son immersion dans les hautes sphères du pouvoir soviétique, on découvre la fascination qu’exerce celui qui dirige toujours encore cet immense pays qu’est la Russie.
La rencontre se produira grâce, si l’on peut dire, à Zamiatine dont l’œuvre suscite l’intérêt voire l’obsession du narrateur et que traduisent ses propos : « Il me semble que son œuvre concentrait toutes les questions de l’époque qui était la nôtre. Nous ne décrivait pas que l’Union Soviétique, il racontait surtout le monde lisse, sans aspérités, des algorithmes, la matrice globale en construction et, face à celle-ci, l’irrémédiable insuffisance de nos cerveaux primitifs. »
Avant d’entamer ce long récit, alors que le narrateur imagine Baranov écrivant ses mémoires, celui-ci lui rétorque que « Aucun livre ne sera jamais à la hauteur du vrai jeu du pouvoir…Le pouvoir est comme le soleil ou la mort, il ne peut se regarder en face, surtout en Russie. »
Tout l’ouvrage de Guiliano Da Empoli va nous en faire la démonstration au travers d’événements qui ont marqué ces dernières décennies et d’autres toujours en cours. Pour aboutir à cette réflexion où le pouvoir n’aurait plus besoin de collaboration humaine car il serait fondé sur des machines qui maintiendraient l’ordre et la discipline, mais d’ajouter « le problème des machines n’est pas qu’elles ne se rebelleront pas contre l’homme, c’est qu’elles suivront les ordres à la lettre… Ce jour-là, le monde sera prêt pour l’avènement du Bienfaiteur de Zamiatine : celui qui veillera à ce que plus rien n’arrive. La machine aura rendu possible le pouvoir dans sa forme absolue. »
Près d’un siècle plus tôt en 1922, le visionnaire qu’était Zamiatine, écrivit à la fin de sa préface de Nous : « J’ai écrit pour ceux qui ne savent pas seulement marcher, défiler au pas cadencé- mais qui ont des ailes pour voler. »
Vadim Baranov, le mage du Kremlin, termine son scénario catastrophe en rapportant les promesses divines consignées dans le chapitre 21 du dernier livre de la Bible appelé Apocalypse, terme grec qu’on peut traduire par Révélation, à une ère dominée par la technologie où « Ce n’est pas Dieu qui crée, c’est Dieu qui est créé », vision on ne peut plus sombre déjà décrite à leur manière d’abord par Zamiatine puis par Orwell et qui fait abstraction de la croyance en un Dieu Tout Puissant qui a un autre dessein pour l’humanité !
Après ce long monologue, récit d’un cynisme à vous glacer le sang, le mage du Kremlin tombe le masque pour nous dévoiler sa part d’homme vulnérable au travers de la parentalité. L’amour d’un père pour son enfant qui, pour le coup, arrive à nous le rendre moins antipathique et laisse planer une lueur d’espoir…
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