Il n'y a que dans les livres que l'on peut changer de vie. Que l'on peut tout effacer d'un mot. Faire disparaître le poids des choses. Gommer les vilénies et au bout d'une phrase, se retrouver soudain au bout du monde.
Etre riche, c’est voir tout ce qui est laid puisqu’on a l’arrogance de penser qu’on peut changer les choses. Qu’il suffit de payer pour ça. Mais je ne suis pas riche. Je possède juste un chèque de dix-huit millions cinq cent quarante-sept mille trois cent un euros et vingt-huit centimes, plié en huit, caché au fond d’une chaussure. Je possède juste la tentation. Une autre vie possible. Une nouvelle maison. Une nouvelle télévision. Plein de choses nouvelles. Mais rien de différent.
Je possédais ce que l'argent ne pouvait pas acheter mais juste détruire.
Le bonheur.
Mon bonheur, en tout cas. le mien. Avec ses défauts. Ses banalités. Ses petitesses. Mais le mien.
On passe une vie à remplir une maison ; et quand elle est pleine, on casse les choses pour pouvoir les remplacer, pour avoir quelque chose à faire le lendemain. On va même jusqu'à casser son couple pour se projeter dans une autre histoire, un autre futur, une autre maison.
Une autre vie à remplir.
Moi les mots, j'aime bien. J'aime bien les phrases longues, les soupirs qui s'éternisent.
J'aime bien quand les mots cachent parfois ce qu'ils disent; ou le disent d'une manière nouvelle.
Quand j'étais petite, je tenais un journal. Je l'ai arrêté le jour de la mort de maman. En tombant, elle a aussi fait tomber mon stylo et se fracasser plein de choses.
Parce que nos besoins sont nos petits rêves quotidiens. Ce sont des petites choses à faire qui nous projettent à demain, à après-demain, dans le futur; ces petits riens qu'on achétera la semaine prochaine et qui nous permettront de penser que la semaine prochaine , on sera encore vivants.
J'aimerais avoir la chance de décider de ma vie, je crois que c'est le plus grand cadeau qui puisse nous être fait.
Même les mamans mentent. Parce qu'elles aussi, elles ont peur.
Préface - Mon Père.
En commençant l'écriture de ce livre, je savais que je m'attaquais à la face nord d'une montagne verglacée.
Il n'y aurait pas d'aimable mercière cette fois, pas d'amoureuse éperdue, pas plus que de petite fille qui apprendrait à pardonner à son papa de lui avoir tiré une balle de révolver dans la figure. Et surtout, pas de happy end.
Il n'y aurait que deux hommes. Un Père et un père. Un face à face. Un règlement de mots. Une boucherie à propos du désir de l'un et de l'interdit de l'autre. De frayeurs d'homme, en somme. Il y aurait mes peurs anciennes d'enfant lorsque l'ombre me couvrait de nuit et de larmes. Il y aurait mes angoisses de père plus tard - et cette infirmité de ne jamais pouvoir protéger tout à fait ceux qu'on aime. Il y aurait aussi ce que notre part humaine compte de plus cannibale et de plus désespéré.
Alors oui, lorsque, après avoir lu la brève quatrième de couverture, cette dame a reposé Mon Père sur la haute pile derssée devant moi au salon du livre de Vannes et qu'elle m'a dit "je ne le prends pas, c'est trop dur", j'ai su que j'étais parvenu au sommet de ma montagne, là où l'on est forcé de regarder en bas, regarder loin ; là où, sans avoir besoin de cligner des yeux, l'on voit tout - la cime des arbres comme les noirceurs qu'ils tentent de masquer, et dans la plaine les hommes qui fuient et au seuil des maisons les femmes qui pleurent. Ainsi, ce qui semblait être "dur" à ma visiteuse de Vannes, c'était de voir. Et donc de savoir. Voir et savoir le mal fait à nos enfants, nos faiblesses à les défendre, l'appétit des ogres. Je crois que tôt ou tard il faut montrer, il faut nommer, car l'imagination est sans fin lorsqu'elle se hasarde du côté du féroce. Je crois aussi, qu'en ces temps où la pensée est réglementée et, aux heures sombres du monde, la parole suspectée, il est du devoir de l'art de retrouver son rôle d'empêcheur de vivre en rond, de pousser les murs, de cogner, d'évoquer "cette sinistre nouvelle de ce qu'un homme a pu faire d'un autre homme". Il faut retrouver cette liberté essentielle qui consiste à parler de tout, à montrer tout, cette joie de donner la parole à ceux qui ne l'ont plus car leurs mots en eux sont restés enfouis, car les mots en eux ont été émiettés, et s'ils arrivent parfois, oh rarement, que quelques-uns parviennent enfin à leurs lèvres, ils ne sont pas cueillis, pas recueillis. Qui croit, qui entend un enfant qui dit "papa m'a fait du mal" ? Ou grand-père ? Mon grand frère ? Monsieur le curé ? Qui peut croire qu'un protecteur a pu devenir un bourreau ? Un effroi ?
Écrire, c'est écouter le monde, les vents chauds, les vents doux, mais aussi les tempêtes et les ouragans. C'est nommer pour empêcher l'oubli. C'est dire pour donner une vie.
Écrire, c'est enfin se dénuder pour habiller l'autre .
Voilà, chère lectrice vannetaise, ce que j'aurais voulu vous dire lorsque vous avez reposé Mon Père et que vous vous êtes éloignée, comme on s'écarte du chagrin d'un homme, ou d'une pierre qui brûle. Et vous dire merci, à vous qui avez osé ce livre.
Je sais bien, depuis, que les femmes ne livrent jamais tout au premier regard. Elles gardent des provisions. Les hommes sont des affamés.
p51
La vie est la courte distance entre deux vides.
On gesticule pour la remplir. On traîne pour l'étirer. On voudrait qu'elle s'éternise. On s'invente même parfois des doubles vies. On respire et on ment. On regarde sans voir. On veut profiter de tout et tout glisse entre les doigts. On aime et c'est déjà fini. On croit au futur et le passé est déjà là. On est si vite oublié. On ne veut pas perdre et, lorsque vient la fin, on refuse de baisser les paupières. On refuse la poignée de terre sur notre peau glacée. Il faut pourtant savoir lâcher prise.
Il y a des hommes qui vous trouvent jolie et d’autres qui vous rendent jolie.
- Nous étions trois soeurs et notre père n'aurait pas supporté l'idée que nous fussions (elle leva les yeux au ciel ) trois idiotes. Alors nous devions toujours avoir un livre dans les mains, j'ai continué et voilà comment je connais Maurice Maeterlinck, Prix Nobel de littérature en 1911, ce qui fait de moi une idiote cultivée !
p139
Je me suis dit que le bonheur on ne le sait qu'après; on ne sait jamais qu'on est en train de le vivre, contrairement à la douleur.
Je découvre avec amertume que nos souffrances ne sont jamais profondément enfouies, nos corps jamais assez vastes pour y enterrer toutes nos douleurs.
" Le secret de la beauté, c'est l'estime de soi. "
[interview pour le JT de France2, à propos de la sortie
de son roman : "La première chose qu'on regarde"]
Cioran disait que les sources d'un écrivain ce sont ses hontes.
p138
On ne doit pas redonner vie à nos amours d'enfance. On doit les laisser là où elles sont: dans l'obscurité confortable des souvenirs. Là où les promesses ébauchées, les caresses imaginées, oubliées, la nostalgie des peaux, des odeurs, là où les rêves enfouis se bonifient et écrivent la plus belle histoire.
Le désir ne tient pas toute une vie, m'avait-elle dit.
L'amour non plus, lui avais-je répondu. Moi, je crois au premier regard, maman. Je crois à la première impression. Je crois au langage de la chair. Au langage des yeux. Au vertige. À la foudre.
- Ce à quoi tu crois, ma petite fille, cela aboutit au chagrin.
Le prince avait ravi le coeur de la belle et l'avait abandonné aux chiens dans le fossé parmi les papiers gras, le mépris, la merde. Claire pleura sans discontinuer pendant trois jours et trois nuits; sa peau devint grise et sèche et dure comme les galets des rivières. [...]
Quels mots pour guérir la peau de galet, le coeur de pierre ?
p149