Citations de Guillaume Siaudeau (205)
Alors qu'ils reviennent vers la cabane, le soleil transperce les nuages et rejoint leurs sourires. Cette semaine de vacances commence plutôt bien. Joe regrette un peu de ne pas avoir pris le forfait pension complète mais ce sera pour l'an prochain.
Il se souvient parfaitement de l'odeur de sa chemise de nuit. Il pourrait la reconnaître encore aujourd'hui parmi mille odeurs de chemise de nuit. Si on planquait la chemise de nuit de sa mère dans le plus grand magasin de chemises de nuit du monde, Joe saurait la retrouver en moins de deux. Parce que cette odeur avait le parfum d'un sauvetage.
C'est sa mère qui était venue. Quand elle était entrée dans sa chambre, Joe aurait dit qu'elle débarquait en armure, le heaume sous le bras, d'un rêve plein de douceur au milieu de l'enfer. Les éclairs ne semblaient ni lui faire peur ni l'inquiéter outre mesure. Il avait arrêté de pleurer au moment où il s'était retrouvé blotti entre ses bras.
Quelques éclairs taquinent le ciel. Lorsqu'ils surgissent, Joe peut apercevoir, l'espace d'une demi-seconde, l'immensité du paysage. Les montagnes n'ont jamais été aussi impressionnantes. De temps en temps, un éclair leur fait des avances qu'elles repoussent aussi sec.
Ça doit faire dix mètres carrés à tout casser. D'une pierre bien froide et d'un toit partiellement arraché. Juste de quoi faire le plein d'étoiles entre deux tuiles.
Elles auront ici tout ce qu'il faut. De l'herbe à profusion et un petit ruisseau en contrebas. L'inverse d'un abattoir. De quoi ruminer jour et nuit loin des bouchers.
Ils s'arrêtent pisser sur un bord de route. On n'entend rien que leur jet puissant dans le fossé. C'est un silence propre aux régions montagneuses. Un silence de pierre, massif, indestructible. On ne retrouve ce silence nulle part ailleurs. Seul le vent ose le défier, comme un type qui se mettrait à siffloter en pleine catastrophe.
Toutes les certitudes palmées se sont fait bouffer par un banc de doutes qui passait par là.
Six vaches et un enfant libre. Ce que la vie aurait produit de plus rassurant depuis ce début d'année.
Joe n'y croit pas. Personne n'est fait pour vivre seul. Pour lui, la solitude ne peut s'apparenter à un choix.
Quand Joe le voit s'extasier, plus rien n'a d'importance. Il se dit que si le monde devait s'écrouler d'une minute à l'autre, c'est précisément là qu'il aimerait s'arrêter pour attendre la fin. Au bord d'un sourire d'enfant.
Joe se dit qu'il doit y avoir longtemps que Jacques n'a pas souri. Que le sourire se perd, qu'il faut un entraînement régulier. Qu'il arrive à certaines personnes d'oublier complètement que leur bouche est aussi faite pour autre chose que mordre et cracher.
Plus que trois heures à tirer. L'histoire de quatre ou cinq résumés de matchs, cinq ou six recettes de cuisine et deux ou trois analyses de la faune et de la flore locales.
Le fait qu'ils ne se soient pas vus depuis des lustres n'est pas un problème. C'est à ça qu'on reconnaît les amis d'enfance. Avec les années, les retrouvailles deviennent de plus en plus banales. Peu importe le laps de temps qui sépare chacune d'entre elles. Les amis d'enfance sont une machine à souligner le ridicule du temps qui passe.
Il n'est que sept heures mais le soleil ne fait pas semblant. Si les choses tournent mal, Joe pourra en faire l'alibi de ses sueurs froides.
La mouche à merde mène elle-aussi son enquête. On jurerait qu'elle cherche qui sent le plus mauvais.
Un jour son grand-père lui a dit que la nuit se rangeait toujours du côté de ceux qui n'ont rien à perdre. Ce soir, Joe se sent tout contre elle. Ils sont cul et chemise. Deux soldats blottis l'un contre l'autre. Tout au fond du terrier, un enfant et six vaches colmatent un rêve avec le ciment de l'insouciance.
Cette nuit elle est sa plus fidèle alliée. Il ne l'échangerait contre aucun calibre. La prend pour ce qu'elle est. Un immense terrier dans lequel il a déposé sa marmaille. Une respiration entre deux parties de chasse.
Par moments, il croit apercevoir un animal rôder près du troupeau. C'est un arbre qui se prend pour un loup. Pour un démon. La nuit a le don de déformer les choses sans envergure. De leur donner le charisme d'une bête sauvage.
Il va falloir penser à cette première nuit qui commence à se faire de la place dans la lumière. Les nuits ne sont pas les mêmes lorsqu'on est en fuite. La liberté les rend plus belles mais plus dangereuses. Comme ces champignons colorés qui ressemblent à des bonbons mais qui sont gorgés de poison. Chaque nuit devient une grand-mère adorable dans le ventre d'un loup.