Henri Queffélec n’avait pas son pareil pour décrire les mentalités et schémas de pensée des travailleurs de la mer et en particulier des îles bretonnes. Si je devais ne conseiller qu’un seul de ses livres … et bien je tricherais et je conseillerais Les romans des îles. Je tricherais sans tricher puisqu’il s’agit bien d’un livre, mais qui regroupe six romans du brestois. La Mouette et la Croix suit la vie du Recteur (ce qu’on appelle hors de Bretagne un curé et dans la Bretagne non bigote un cureton) de l’île de Hoëdic dans la période agitée de la fin du 18ème siècle. Dans ce même recueil on trouve Un recteur de l’île de Sein que je place à la suite puisqu’il suit aussi la vie d’un recteur insulaire du 18è siècle, du moins d’un laïc en tenant le rôle. Un recteur de l’île de Sein est probablement le roman le plus connu de Queffélec, pourtant sur des thématiques très proches, j’y ai préféré Un homme d’Ouessant qu’on retrouve dans le même volume. L’histoire se déroule aussi sur une île (cette fois Ouessant et non le Sein, c’est pratique, c’est dans le titre) aborde aussi la question des pilleurs d’épaves, interrogent également les rapports entre survie, morale, religion, solidarité, modernité et traditions… Mais je trouve que c’est fait dans celui-ci de manière un peu plus fine, et puis Ouessant me parle plus que Sein peut-être.
Ouessant, je pourrais en parler pendant des siècles, et les livres sur Ouessant pendant des décennies. Rassurez-vous, je pourrais ça ne veut pas dire que je vais le faire. Ouessant ce sont des paysages, magnifiques et terribles. Ouessant c’est l’archétype de l’île et de la société façonnée par la mer et le climat. Une île battue par le vent où tout est plat (enfin à vélo on se rend compte que ce n’est pas tout à fait vrai), la végétation y est rase, les constructions (sauf les phares, et pour cause) y sont basses, les animaux y sont bas sur pattes… Le relatif isolement de l’île pourtant située à peine à vingt bornes de la Bretagne continentale fait que tout s’y est développé différemment que sur le continent. Le climat, la faune, les paysages, le bâti, la langue, la religion, les rapports de genres… Enfin, en plus de ce qu’est Ouessant, il y a tout ce qu’évoque Ouessant, dernière terre Bretonne avant le grand large et l’Amérique (où c’est qu’on va aller quand on aura du fric).
Ce qui me fascine le plus sur Ouessant, ça reste malgré tout la fureur des éléments. Ses vents puissants et irréguliers, ses vagues pouvant atteindre 25 mètres, les courants terribles dans le passage du Fromveur et évidemment, pour pimenter le tout, ses récifs découpés sur lesquels peuvent jeter tout esquif ces vents, vagues et courants. Visiblement, ces éléments ont aussi fait fortes impression sur Queffélec et deux des romans regroupés dans Les romans des îles y sont dédiés. Les îles de la miséricorde raconte le naufrage d’un paquebot anglais en 1896 dans le fameux passage du Fromveur (entre Ouessant et Molène) et le sauvetage des trois seuls survivants. Le phare est un roman au centre duquel on trouve la construction, début 20è siècle, du phare de la Jument, balisant le passage du Fromveur.
Quiconque a eu l’insigne honneur de voir ce phare par gros temps a été obligé de réviser toute son appréhension du monde et de la relativité. Évidemment, Queffélec est écrivain et non magicien et n’a donc pas pu transcrire en livre tout ce qu’on ressent de visu (et de sensu). Mais c’est un bon écrivain et la lecture de Le phare est éprouvante tant elle procure de sensations. Le dernier roman compilé dans ce volume parle également de tempête terrible puisqu’il s’appuie sur le récit de la celle de 1930 qui provoqua le naufrage de 6 thoniers de l’île de Groix et le décès de 40 pêcheurs. Encore une lecture toute à la fois délectable et éprouvante que celle de Ils étaient six marins de Groix … et la tempête.
Cette critique est extraite d'un dossier sur la littérature maritime paru sur le blog R2N2
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