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Critiques de Iouri Kazakov (31)
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Ce Nord maudit et autres nouvelles (suivi d..

J'ai bien aimé ce recueil de nouvelles de Iouri Kazakov. Il s'agit d'un auteur russe du milieu du 20e siècle, peu connu. Je ne peux pas dire que ces nouvelles sont particulièrement mémorables, mais il s'en dégage un petit quelque chose qui les rend précieuses. Je crois que ce sont des histoires qu'on apprécie surtout au moment de la lecture, elles laissent une impression, en tous cas. En effet, même si elles sont de facture réaliste, le ton et le style de l'auteur leur donne une sorte de poésie, presque de magie. C'est ce qui fait que, même s'il n'y est pas question de gestes héroïques, ô que non, on peut les apprécier. Kazakov a le don de s'attarder et de nous intéresser aux détails de la vie quotidienne, qui peuvent paraître insignifiants mais qui ont leur importance.



Dans « Ce Nord maudit », il raconte le quotidien, le destin de ces hommes qui vivent là-haut, dans le Nord. On est loin des grandes villes comme St-Petersbourg ou Moscou, loin aussi de ces riches campagnes de l'Ukraine. Avant de lire ce recueil, Mourmansk, Arkhangelsk, la Carélie, ce n'étaient que des noms dans un atlas. Les hommes et les femmes (même si on parle peu d'elles) y mènent une rude vie. Mais, en même temps, c'est là que se trouve l'aventure et, un peu, la liberté. Qui ne rêve pas de se rendre au bout du monde, de quitter la terre ferme pour s'exiler un moment sur un chalutier ? Explorer la mer Blanche ou la mer de Barents.



Là, on est entouré par la mer, bercé par ses vagues. Oui, il y a l'odeur du poisson, de l'huile de morue, du sel, mais ça fait partie du lot. Et on s'y habitue. Tellement que ce sont les escales dans les petits villages qui deviennent étranges. Là, dans les bars où l'on boit la vodka, on peut se défouler via une partie de football, rencontrer des étrangers de passage ou bien écouter des anecdotes, des histoires passées de génération en génération. On peut même voir les rennes passer, suivis par les Nénets, qui vivent en transhumance avec ces animaux. Certains s'y plaisent et acceptent de rester dans des kolkhozes (des coopératives) à cultiver un potager ou s'occuper d'un cheptel. Même cette vie de subsistance a ses mérites.



Tout ce Nord, même s'il peut être terrible, est fascinant. le narrateur de la dernière nouvelle de ce recueil, « Journal du Nord », l'explique bien à la fin. « Ainsi le soir, dans ma tiède maison de l'Oka, j'évoque le Nord. Et l'on dirait qu'entrent en moi Popov le mécanicien, Malyguine le maitre d'équipage, le commandant Joukov, Kotsov le pêcheur, et Pulchérie Ieremeïevna, et les Nénets, tous ceux qui figurent dans mes notes et ceux dont je n'ai rien dit, héros silencieux qui luttent toute leur vie contre une nature cruelle. »



Kazakov y croit à ce nord, il l'aime. Son dernier narrateur continue. « Je regrette de ne pas avoir parlé de bien des choses, d'en avoir beaucoup laissé passer, de très importantes, peut-être. Je veux retourner là-bas. Car le Nord commence seulement à vivre, son ère n'en est seulement qu'à ses débuts. Cette ère, nous la verrons, elle éclatera et fleurira de toute la puissance accessible à une époque comme la nôtre. » Décidément, je devrai lire les autres romans de cet auteur russe pas comme les autres.
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Ce Nord maudit et autres nouvelles (suivi d..

Ce Nord maudit est le troisième et dernier recueil de Iouri Kazakov traduit en français à ma connaissance. (Les deux autres étant La Petite Gare et La Belle Vie, beaucoup d'autres nouvelles de cet auteur n'ont jamais été traduites.) On y retrouve la plume sensible de l'auteur, sa description des espaces grandioses, mi-sauvages, mi-colonisés par l'homme du nord-ouest de la Russie, aux alentours de la Mer Blanche.



Personnellement, j'adore sa façon de dresser le portrait d'un travailleur ou d'un coin de plage perdu dans le grand nord. Il sait admirablement dépeindre au format " nouvelle ". J'ai été un tout petit peu moins enthousiasmée que dans les deux autres recueils même si je considère son travail d'écriture comme de haut vol.



Le livre se compose de sept nouvelles et d'un récit a priori véridique sur les impressions personnelles de l'auteur lors de ses virées dans le grand nord (Ce récit s'intitule Journal du Nord). J'ai particulièrement savouré la nouvelle La Laide, qui selon moi est la plus poignante du recueil. J'ai également beaucoup apprécié Les Souliers Roses ainsi que Nestor & Kir. Cette dernière, sans remettre en cause le communisme de l'époque, évoque sans complaisance le fait que les anciens koulaks (paysans aisés) avaient une haine affichée pour la révolution communiste ainsi que les raisons de cette haine.



Les autres nouvelles et le journal, tous sans jamais être déplaisants m'ont moins marquée. En somme, un bon livre, très agréable à lire, mais pas aussi succulent à mes papilles de lectrice que d'autres du même auteur. Bien entendu ce n'est que ce retors maudit d'avis qui me souffle dans la tête, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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La belle vie

« La place est encore chaude des êtres qu'il a regardé vivre. »



Telle est l'impression première – intensément lumineuse – que l'on retiendra de la lecture des pièces de Iouri Kazakov (1927-1982). « Pièces »… bien qu'il s'agisse de « nouvelles » : pièces composites ou « morceaux » épars d'un puzzle sensoriel rassemblant tout un monde cohérent au lyrisme puissant : univers extrêmement personnel évoquant pour nous – bien que moscovite dans sa genèse – le « provincialisme » cosmique – tout aussi singulièrement universel - du polonais Bruno Schulz.



Drôle de constellation qu'offre un recueil de « morceaux » (qu'on imagine soigneusement choisis) de Iouri Kazakov ! La belle couverture de Georges Lemoine réalisée pour l'édition de poche « folio » de « La belle vie » (LIOGKAIA JYZN), recueil de douze nouvelles publiées de 1957 à 1963 en Russie avant que d'être traduites en français par Lily Denis en 1964, nous le signifie avec ferveur : « La belle vie » nous parlera de nostalgies, de saisons se succédant (feuilles d'automne que fait glisser le vent devant le visage de la bien-aimée), de beauté fugitive, de pureté d'une nature vierge (taïga mythique mais aussi rivages de l'enfance s'effaçant de notre mémoire) – nature que l'on sait menacée dans son existence, de crépuscules de vies éparses à la surface de ce Grand Nord mystérieux dont l'auteur – toute sa vie littéraire durant – a été l'un des plus talentueux dévots.



(1) – « La belle vie » [1957] (pages 9-27) : est celle de Vassili Pankov, l'ingénieur-technicien nomade, monteur de chaudières de turbine, fantasque cigale dont nous suivrons les pas au long de six chapitres. Vassili se noyant d'alcools forts (dûment mérités) sitôt que le travail s'achève… tâtant les filles autant que son accordéon (toujours sans prévenir : lestement et bruyamment)… importunant tous les passagers d'un train de ses ivresses pénibles… avide de faire du bruit, d'attirer l'attention sur lui, d'« exister » pour autrui… technicien consciencieux puis fêtard sans limites, accroché à ses preuves d'existence… heureux, finalement ! Récit-trajectoire sans fin d'un feu-follet… Récit également prémonitoire si l'on songe – avec terreur et empathie – à la fin de la trajectoire existentielle de l'auteur...



(2) – « Dans le brouillard » [1957] (pages 28-35) : ou l'errance nocturne d'un mécanicien (Koudriavtsev) et d'un agronome (un de ses amis dont nous ne connaîtrons que la fonction). A l'issue de cette chasse sans un seul coup de fusil (mais en laquelle on se sera égaré bien volontiers), le brouillard du titre se dissipera, Koudriavtsev fera sortir sa femme Zoïa sur le perron de leur maison cernée par la forêt. N'ayant plus qu'à scruter avidement le ciel à son côté, sentant soudain son propre corps plus léger, le fusil sur l'épaule un peu plus froid et lourd ; attendant que le brouillard se dissipe, humant avec sa femme la réapparition espérée des étoiles – tout comme le chien reconnaît son maître.



(3) – « Martha l'ancienne » [1957] (pages 36-47) : récit « à la première personne » d'une longue cohabitation au bord de la Mer Blanche, rencontre que l'auteur scinde en quatre chapitres, comme autant de révélations successives. Un voyageur loge dans l'isba d'une très vieille femme, seule survivante du large cercle de tous les siens. le temps revient en arrière ; le narrateur découvre les photos de Martha du temps de sa jeunesse… Depuis, les ravages du temps, la dureté du climat, le poids des chagrins et des mille misères de toute une vie de plus en plus solitaire. Tout semble avoir été impitoyable à une aussi frêle existence. On se souviendra longtemps du coffre aux photos et vêtements de la vieille femme : vêtements de sa jeunesse mais aussi d'autres soigneusement pliés, qu'elle a préparés pour embellir sa dépouille mortelle, son pauvre corps tassé, déformé et flétri… On s'émerveillera des odeurs de plantes séchées et de résine : cette sorte de royauté secrète de l'isba cernée de la lumière blanche du dehors. Une des plus émouvantes évocations qui soit de ces « existences fantômes » : fantomatiques seulement d'apparence puisque nul ne semble – avant l'auteur et son extrême pudeur – y avoir prêté la moindre attention…



(4) – « La sonnerie du bréguet » [1959] (pages 48-64) : Lermontov « doit » rencontrer Pouchkine mais arrivera trop tard… Les traîneaux sillonnant les rues de Saint-Pétersbourg, passant devant le Palais d'Hiver, la forteresse Saint-Pierre Saint-Paul, la coupole et les colonnades de Saint-Isaac par un jour d' « atroce » froid hivernal… le coupé de Pouchkine passe au loin, inaccessible : le poète en descend, tenant le bras de sa femme Nathalie aux vêtements somptueux ; ils gravissent les marches de quelque palais où une réception les attend… Mikhaïl Lermontov ne peut approcher son idole. Alors, et bien que sujet d'une forte grippe, il traîne avec d'autres hussards, s'enivre et s'affaiblit davantage, ratant plusieurs fois l'occasion de parler au poète – ou du moins de s'en faire mieux connaître… Comme la bataille, la mort ou la gloire échapperont au lieutenant Drogo du « Désert des Tartares » de Dino Buzzati, Pouchkine échappera à la curiosité de Lermontov (disciple inconnu parmi d'autres) et périra en duel. Lermontov périra à son tour d'une balle tirée en plein coeur, cinq années exactement après la rencontre ratée. le « bréguet » – cette montre de poche à répétition – aura sonné bien inutilement ses « deux heures »…



(5) – « Trali-lali » [1959] (pages 65-85) : Iégor, le jeune garde-bouées du fleuve, en pince pour Aliona : il est encore jeune, certes, mais déjà un bel ivrogne… bien que ne donne tout le sel à son existence que sa passion de chanter (comme au Bolchoï) – bien sûr en duo avec Aliona en s'asseyant face à la rivière, tous deux appuyés contre le flanc d'une barque et contemplant ce qui vient. Cigale qui ne veut rien attendre d'autre et se fiche bien de voir l'hiver venir… puisque « Tout ça c'est de trali-lali », sa phrase-refrain favorite ponctuant les quatre parties de ce tendre « morceau de vie »…



(6) – « Les Kabiasses » [1960] (pages 86-102) : un authentique conte fantastique ! Ioukov, « directeur du club de Doubki » rentre de son travail au kolkhoze voisin jusqu'à Doubki par une belle nuit d'août, devenant – du moins jusqu'à sa rencontre de son camarade Popov, « du Comite régional des Komsomols » – héros involontaire d'un conte nocturne De Maupassant... C'est que le vieux Matvé l'avait pourtant bien mis en garde : " – Ce que c'est ? [...] Si tu leur tombes entre les pattes, tu verras ben ! [...] Ben, ils sont... [...] ils sont noirs. Y en a avec du vert... ". Effectivement, Ioukov finira par "les" entrapercevoir sur le toit d'un appentis... tandis que dans de grands battements d'ailes, une chouette tracera son chemin sinueux ponctué de hululements par-dessus cette interminable route de retour que doit suivre l'infortuné, survolé sans cesse par cet oiseau de malheur laissant des près blanchis de lune (sur sa gauche) pour regagner la forêt nocturne et sans limites (sur sa droite) : cette forêt qui "les" cache... Le temps d'une nouvelle profondément originale par l'invention d'une poétique propre, Iouri Kazakov se montre maître d'un art fantastique étonnamment suggestif : il signe ici un "classique" moderne du genre...



(7) – « Regardez ce chien qui trotte ! » [1961] (pages 103-119) : c'est le soir et un autobus s'éloigne d'une grande ville. A son bord, un encore jeune citadin (Krymov) rêve de s'offrir trois jours et trois nuits de pêche au bord d'une rivière lointaine, aux méandres charmeurs. L'homme est mécanicien, travaillant dans une grande usine : il commence à bavarder avec sa voisine de siège - celle-ci simplement curieuse de le connaître [car parler de "femme curieuse" : pléonasme...]. Bref, ils sympathisent... Nous retrouvons ici presque la situation-point de départ du roman "Neige" d'Orhan Pamuk (bien postérieur) mais l'arrivée du printemps dans le Nord de la Russie européenne précède la neige de l'arrière-pays du Plateau Anatolien derrière les vitres du bus ou du car (embuées chez Pamuk, idéalement transparentes chez Kazakov) et la jeune citadine précède le futur voisin grincheux... Le jeune homme arrivera à destination au bout d'une nuit certes sans sommeil mais aussi "de doux voisinage". Il négligera d'inviter sa voisine de se joindre à lui à l'ombre des saules où il plantera sa canadienne... Car la jeune femme descendue avec lui "pour voir", ne sera pas retenue par un geste, une parole et remontera dans l'autobus qui repart vers Pskov où elle lui a dit être attendue. Les trois jours de paradis en solitaire se passent comme prévu et l'homme subitement se rend compte du vide laissé par cette passagère qu'il a laissé repartir... ou qu'il "n'a pas su retenir". La thématique des "Belles Passantes" d'Antoine Pol, qu'immortalisa la voix de Georges Brassens fait irruption ici en point d'orgue - car l'échappée est bien de celles qu'on a laissée s'échapper par étourderie ou inconscience. Et l'on aura beau cogner - très fort et sans trêve - sur son genou dans l'autobus du retour, où soudain l'on "pleure et se lamente" en se disant bien tard : " Mais pourquoi l'avoir laissée ? ". L'un des morceaux de l'ensemble le plus profondément émouvant en sa note cathartique finale.



(8) – « Un automne, sous les chênes » [1961] (pages 120-147) : " Nous avancions sans bruit et sans une parole, comme dans un rêve blanc qui nous aurait enfin réunis." Un homme sort dans à la nuit tombante avec une lanterne : il part attendre une femme à l'un des débarcadères de l'Oka. L'une des rares nouvelles de cet ensemble (avec "L'île") témoignant d'une possibilité de bonheur conjugal. Le contrepoint fulgurant des scènes de nature nocturne est offert par le souvenir douloureux d'une errance sans but du couple dans les rues glaciales, avenues bordées de réverbères et parcs déserts de Moscou (d'où l'on se fait chasser des bancs par la police municipale), lorsque les hôtels sont pleins, les taxis chers et la gare fermée... qu'il faut tout en marchant - pieds glacés et vêtements humides de sueur - attendre l'aube jusqu'au premier train du matin...



(9) – « A deux en décembre » [1962] (pages 148-163) : il l'attend à la gare, chargé de ses skis. Elle arrive. Ils prennent le train : pour jusqu'au bout de la ligne... Il est juriste, trentenaire, habite Moscou comme elle. Repense à l'Estonie où ils étaient allés ensemble. Une sorte de paradis perdu avec ses "pommes d'Antonovo à l'arôme pénétrant" qu'on a mises à mûrir partout - "sur l'appui des fenêtres, sous le lit, dans l'armoire". Il pense aussi à l'été de leurs prochaines vacances, à leur canoë et à la tente où ils dormiront. Mais les voilà déjà arrivés au bout de la ligne, ils doivent rejoindre la datcha, chaussent leurs skis, font la trace de crête en crête... mais la datcha leur paraîtra décevante à l'arrivée - "minable" : l'amour entre eux n'est-il pas en train de périr - ou même déjà éteint ?



(10) – « Adam et Eve » [1962] (pages 164-204) : un personnage fictif, profondément antipathique - le peintre Aguéiev (une sorte de clône houellebecquesque, pessimiste fort banalement autocentré, alcoolotabagique sans surprise et se considérant comme un artiste considérable, évidemment génial et précurseur, encore incompris des critiques routiniers de son temps) HANTE les 41 pages de cette traduction de la plus longue des nouvelles du recueil. Nous croyons (naïvement et jusqu'au bout) à un possible retournement final, à une quelconque - et même timide - "illumination" altruiste, à quelque bouffée d'humanisme en guise de remord... Or, il n'en sera rien. Du côté de ce personnage central, la moindre parcelle d'empathie se révélera tout simplement impossible à éprouver, l'autosatisfaction perdurera ainsi que le "beaufisme" intégral (tel un "casque intégral" isolant ou réfrigérant tous ses sentiments) du Génie autoproclamé... Mais le voilà - tout en attendant à la gare la compagne qui devra le supporter durant les jours à venir - rêvant déjà de "s'envoyer la serveuse finnoise" - cette "grande serveuse rousse qui lui apporta sa vodka" - et la draguant à coup de : " Tu m'entends ? Je suis un peintre de génie, connu de l'Europe entière, tu saisis ? ". Puis la charmante Vika arrive : elle est l'une de ses conquêtes moscovites, comme les autres dûment fascinée par le peintre "à scandales". La scène donne évidemment un avant-goût de l'enfer que vivra la jeune femme (victime consentante, du moins initialement...) durant les quarante-huit heures qui suivront dans la petite ville, puis durant la traversée en bateau (où ils feront très vite "couchette à part"), puis dans l'île où ils sont censés incarner - par une discrète ironie de l'auteur - les nouveaux "Adam et Eve" : le tout sous l'oeil bienveillant et aveugle d'une hôtesse , Gardienne et patronne du minuscule hôtel situé sous l'église de l'île... Vika repartira - Dieu, merci pour elle ! - par le premier bateau, profondément flétrie par l'égoïsme de son fat compagnon (qu'elle plaçait sans doute sur quelque piédestal d' "artiste-anti-systême") et la seule survenue d'une aurore boréale réunira encore pour quelques minutes hors du temps ces deux individualités séparées jusque dans leur contemplation muette. Kazakov ne prend pas parti en distribuant quelques "bons" ou "mauvais" points à ses personnages mais les laisse vivre dans leur être profond et évoluer (ensemble puis séparés) "tels qu'il sont"... Et pour "l'artiste" Aguéiev, le spectacle de son quotidien se révèle assez édifiant... En les comparant à ce dernier, ces - tout relatifs - misanthropes que furent les peintres Turner et Van Gogh en deviennent des monstres d'humanisme et d'altruisme... même si quelque peu "difficiles à vivre" !



(11) – « L'île » [1962] (pages 205-228) : un homme de 35 ans, marié et père de deux enfants, inspecteur de son état, rencontre une jeune femme de 25 ans, responsable de la station météorologique d'une île minuscule - sur laquelle veille un phare. Ils se plaisent dès la première entrevue : celle-ci se prolonge. les mains se frôlent puis se touchent, les corps se serrent bientôt. le lieu s'y prête. L'homme doit rester une semaine entière dans l'île pour accomplir sa mission - ce qui permettrait à "leur histoire" de se développer... Un télégramme lui ordonne de prendre le shooner qui accostera dans la nuit et repartira à l'aube. Le récit sans doute le plus poignant du recueil - où il nous est donné d'être heureux en un si court instant, en attendant le déchirement de la séparation. Chaque heure compte. L'aube sera limpide et la mer transparente. Depuis le rivage, un grand chien - déjà attaché à eux - les regardera se séparer en silence : l'homme se hisse lentement dans le shooner tandis que la jeune fille mutique reprend les rames de la barque...



(12) – « Je pleure et me lamente » [1963] (pages 229-246) : trois chasseurs dépareillés réunis le temps d'un crépuscule et d'une nuit : un philologue de 40 ans (un nommé Iélaguine), un garde-chasse trentenaire (Khmoline) et Vania, un gamin de quinze ans, parfait novice... Pour ce dernier, ce sera : sa première bécasse descendue puis sa première ivresse... et l'impossibilité de dormir. Sous l'effet des senteurs de gibier rôti et de l'alcool fort, le discours-titre de ce morceau final du recueil : "Je pleure et me lamente" est repris sans cesse par Iélaguine - ce philologue et maître de conférences qui "parlait de la mort, disait que cette garce d'acier viendrait un jour s'asseoir sur sa poitrine et l'étouffer et alors adieu la joie et tout le reste, que rien n'est plus torturant que la conscience de cette mort inévitable que "je ne suis que cendre et poussière, j'ai regardé dans la tombe et n'ai vu qu'ossements, ossements décharnés et j'ai dit alors : lequel est roi ou guerrier, juste ou pécheur ? Je pleure et me lamente quand je songe à la mort et que je vois, gisant dans sa sépulture, notre beauté créée à l'image et à la ressemblance divines, devenue hideuse, sans gloire et sans apparences !"



Mais ne point oublier de remercier ici nos très chers "camarades" précurseurs : Nastasia-B l'initiatrice puis Bookycooky et enfin andman qui ont contribué COURAGEUSEMENT à nous faire découvrir cet auteur immense en notre petit pays "accro" à tant de mornes sous-houellebecqueries bien surlignées pour les mal-comprenants, pays où l'on voit aussi - hélas ! - tant d'autres "chers camarades" Babeliotes se précipiter grégairement D'ABORD sur "LE" dernier-machin-NON-littéraire-bien-voyant-mais-dont-on-parle (les déballages de Mme Trierweiler ou les dernières Cinquante Nuances de Beauf'eries)... et négliger, voire oublier peu à peu ce que l'on nommait il y a peu "art littéraire" : devenu phénomène de plus en plus minoritaire... "matière noire" de plus en plus étouffée, discrète et inaperçue...
Lien : http://www.regardsfeeriques...
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La belle vie

Douze nouvelles de Kazakov,que du Bonheur!

Difficile d'écrire une critique sur ce livre,car tout est pur sensation dans ce recueil de récits,tout simple, sans fioritures, mais si profond,si intime,si touchant...je ne sais pas si j'arrive à m'exprimer.

Un voyage magnifique,nostalgique dans une Russie du siècle passé,de Saint-Petersbourg aux rives de la Mer Blanche,en compagnie d'un jeune technicien-ingénieur rentrant chez lui à bord d'un train,de deux chasseurs dans le brouillard,d'une très vieille femme sur les rives de la Mer Blanche,de Lermontov à la recherche de Pouchkine à Saint-Petersbourg,d'Iegor ,le garde-bouées ,attendant une femme aimée au bord d'une rivière en pleine nuit....Tout ces personnages entrevoient le bonheur dans les petites choses de la Vie -au son des coups de marteaux dans le brouillard/à la vue des ténèbres et des étoiles qui se reflètent dans la rivière /s'abandonnant au chant sur les berges d'une rivière /marchant seul dans la nuit parmi les chants déserts .....et au contacte de l'Amour.

Ce bonheur entrevu chez Kazakov est le vrai bonheur,des instants où l'on se sent bien , même très bien, à la vue, la pensée,l'idée,l'ouïe...de quelque chose qui nous donne un ressenti de bien-être et de paix.

"Et pourtant le bonheur,il est en tout, partout .C'est un bonheur d'être là ,tous les deux,à prendre le thé,que vous me plaisiez,que vous le sachiez.."(L'Ile),un bonheur au présent,à portée de main.

Je ne connais pas le Grand Nord de la Russie,je n'ai pas vécu à cette époque,et tout ces personnages sont loin de ceux que je rencontre dans ma vie courante,pourtant ils me sont si proches et m'ont profondément touchée,pour dire Kazakov , avec une prose toute simple nous atteint au plus profond de nous-mêmes,et je crois ,c'est ca la magie de la Littérature et le génie d'un auteur.

Merci Nastasia pour la découverte de cet auteur!
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La belle vie

Quel plaisir, quel dépaysement que de lire les nouvelles de Iouri Kazakov ! J’avais adoré le recueil de La Petite Gare, le charme à continué à être opérant ici !

Les descriptions sont de toute beauté, jamais superflues, le caractère rude de cette Russie du Nord et de ses habitants, tout est décrit avec justesse et empathie. Les personnages féminins apportent de la lumière à ces pages.

J’ai adoré !

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La belle vie

Oserai-je le dire ?… oserai-je prétexter cela ?… non, quand même, c’est un peu fort… mais pourtant j’y crois, voyez-vous, je m’en suis intimement persuadée, du plus profond de moi-même jusqu'à l'épiderme… J’ai un peu le trac avant de lâcher un truc comme ça… Bon, allez, je me jette :



Je considère Iouri Kazakov comme l’un des plus grands, si ce n’est LE plus grand, nouvellistes du patrimoine littéraire, toutes époques et toutes origines confondues ; excusez du peu ! Ça fait assez énorme dit comme ça, mais c’est toutefois l’exact reflet de ma pensée. J’en ai pourtant lu des tas, de nouvelles et pas écrites par des nains ni des mièvres, mais celles de Kazakov ont un effet sur moi incalculable et inaccoutumé : apaisant, bienfaisant, shootesque, nirvanesque (si vous me tolérez ces deux derniers termes).



N’imaginez pas de spectaculaire, pas d’emphase, pas de sujets déchirants, pas d’individus exceptionnels, pas de temps anciens d’une incomparable cruauté, pas de fantasmagories exacerbées, non, rien de tout ça. Rien que du très simple, du très sobre, du très naturel, des gens ordinaires dans les paysages ordinaires de Russie septentrionale.



Mais une élégance, une pudeur, une finesse, une profondeur dans l’évocation — indubitablement l’œuvre d’un grand esthète. Une âme sensible à toutes les formes du beau, celles — communes — mais si fortes du regard, celles plus sophistiquées de l’univers des sons, celles plus subtiles encore du monde des odeurs et des saveurs, bref, tout ce qui de près ou de loin peut imprimer une sensation, qu'elle soit tactile, thermique, hygrométrique, sentimentale, fruit d’une addiction ou d’un état second, amoureuse ou nostalgique.



La Belle Vie, oh oui, le bien nommé recueil, le bien aimé recueil, oh oui, la belle vie, oh oui, le coup de chance que d’avoir un tel recueil entre les mains, oh oui, que ça fait du bien de lire des lignes de cet acabit-là, croyez-moi.



J’avais adoré son précédent recueil La Petite Gare où il avait réussi à m’émouvoir même d’un chien aveugle et à me faire vibrer à l’unisson de l’animal lorsque ses instincts étaient assouvis. Ici, c’est le même bonheur à la lecture, absolument. Ici, c’est sur le destin d’une vieille dame en bord de cercle polaire arctique qui me touche au plus profond de moi, là c’est sur un alcoolique fainéant doué d’un organe vocal qui met tout le monde en état de grâce, là encore, c’est sur un couple timide aux manières un peu rudes qui n’ose pas trop s’avouer qu’ils se sentent bien ensemble, etc., etc.



Douze nouvelles, douze atmosphères, douze ambiances, douze moments volés à la vraie vie et enfermés entre ces pages, comme d’une belle fleur des champs qu’on cueille et qu'on veut conserver dans un bouquin pour qu’elle ne se fane jamais. Kazakov, le seul gars qui arrive à me faire rêver sur la Russie communiste des années 1950-60.



Il nous parle du grand nord, des littoraux de la mer Blanche, il nous parle des trains du temps de Staline dont on imagine aisément le confort, et pourtant, on aurait envie d’y être, de vivre et de voir ce que ses yeux ont vu, de posséder le même filtre que lui, qui a le pouvoir de rendre beau tout ce sur quoi il pose son dévolu.



Iouri Kazakov a le goût de nous dresser des portraits sublimes et sensitifs de gens qui ont tous, plus ou moins, pour dénominateur commun un réel attachement pour la nature bien plus que pour la foule ; cette nature vierge, sauvage, inviolée ou presque par les cicatrices de l’action humaine. Ce pour quoi il faut souvent aller loin, loin dans le grand nord ou vers l'inaccessible Sibérie, loin de la ruche bourdonnante qu’est Moscou, prendre les bus ou les trains soviétiques pour jouir de quelques heures, quelques jours d’instants de grâce…



L’isolement, le calme, la communion avec la nature, des gens simples, des gestes essentiels, des sentiments bruts, de l’indicible, un voile de pudeur, une relation intime et complexe entre deux êtres, voilà ce dont l’auteur sait se faire le chantre, le peintre et le distillateur, lui qui passe ses nouvelles dans les fins tourbillons de ses alambics et dont on regarde couler goutte à goutte la quinte essence sous laquelle il n’y a plus qu’à allonger la langue et se repaître.



Une véritable cure de jouvence, un élixir, un séjour dans la nature auprès de gens qui vivent chichement mais se sentent bien. En somme, la belle vie, mais ça, ce sera encore à vous d’en décider car ceci n’est qu’un avis, un mince reflet d’une impression de lecture sur une âme manifestement prédisposée à se laisser séduire par cette écriture, autant dire, pas grand-chose.
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La belle vie

“La petite gare'' de Iouri Kazakov m'avait particulièrement enthousiasmé l'an dernier. Et puis voilà que dernièrement une grande dame, fervente admiratrice de l'écrivain soviétique, m'a fait cadeau de ‘'La belle vie”, un recueil de nouvelles écrites entre 1957 et 1963.



Trois phrases extraites de la nouvelle “Un automne sous les chênes” suffisent à rendre compte du prodigieux talent de cet auteur que d'aucuns considèrent comme la référence absolue en matière de condensé littéraire :



“Une contrebasse élégiaque murmurait dans la nuit, cherchant la ligne de son contrepoint, divaguant du grave à l'aigu sans trouver de solution, et son mouvement plein de lenteur me rappelait les étoiles. Le saxophone qui la suivait élevait la plainte, puis la trompette attaquait et réattaquait des aigus frénétiques, tandis que le piano insinuait parfois au milieu de tout cela ses apocalyptiques accords de quinte. Et, pareil à un métronome, pareil au temps qu'il divisait en rythmes syncopés, le batteur soumettait tout, comme par magie, à ses coups sourds et vides.”



Privé dès l'âge de six ans de la présence paternelle pour cause de goulag, Iouri Kazakov réussit néanmoins à assouvir sa passion pour la musique et l'écriture.

Malgré la terreur stalinienne partout présente, ses écrits ne montrent jamais la moindre accointance avec le pouvoir. On pressent chez cet homme de lettres le besoin vital d'échapper à l'ambiance étouffante de la capitale, l'envie de s'évader dès qu'il le peut vers les contrées sauvages du Grand Nord, le souci constant de ne jamais laisser croire qu'il cautionne le système en place.

Malgré les vents contraires de l'Histoire, Iouri Kazakov trouve dans la beauté de la nature toujours matière à s'extasier. Il n'a pas son pareil pour s'interroger sur cette sensation de liberté, sur ces petits moments d'euphorie qui vous tombent dessus sans crier gare.

Ce court extrait tiré de la nouvelle “Dans le brouillard” vous donnera un petit aperçu de son style enjoué :



“Je suis heureux !... se dit-il. Mais pourquoi comme ça, tout à coup ?”

Bon, l'amour, ça se comprend, la réussite, le succès, le travail, quand on sent que tout vit, que tout bouge, et rondement : c'est clair il n'y a pas à s'éterniser dessus. Mais que cela vous prenne sans raison, à un moment perdu, au milieu d'une vie désespérément terne, que cela vous éclaire ainsi, que votre coeur se mette à battre et que l'on se souvienne longtemps de ce jour… Que cette nuit était belle et quelle fameuse chose que la vie !







P.-S. : C'est un bien beau cadeau que vous m'avez fait là Nastasia, un témoignage d'amitié qui me va droit au cœur ! Je vous remercie infiniment de votre gentillesse ; “La belle vie” occupera désormais une place de choix dans ma bibliothèque.

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La belle vie

Nous voici projetés dans le Grand Nord russe où Iouri Kazakov nous fait découvrir une nature brute, originelle mais d’une beauté saisissante.

Kazakov partage avec nous sa passion charnelle pour la nature, pour sa terre russe, c’est un pur émerveillement qu’il nous transmet pour « cette terre mère ». Il décrit finement et en délicatesse des joies simples, des gens simples et leurs secrètes émotions intérieures. Ces histoires nous ressemblent, ces émotions sont ou ont été les nôtres : le frémissement d’un amour naissant, le chasseur à l’affut, le tranquille pêcheur, la solitude et le silence dans une nature dont la beauté se révèle à qui sait l’observer… Ces nouvelles nous parlent simplement de "désamour", d’amitié et même de mort de façon simple et vrai.

Ces beaux récits ont quelque chose d’apaisants.



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La petite gare et autres nouvelles

Asseyez-vous au creux d'un bon fauteuil, — moelleux, confortable. Emparez-vous de La Petite Gare — c'est un recueil de 12 nouvelles, exactement du gabarit de ceux de Maupassant. Ouvrez-le n'importe où, lisez n'importe quelle nouvelle et prenez plaisir.



Faites une pause à un moment et écoutez-vous pousser des petits couinements d'aise, sortez de vous même, imaginez-vous depuis l'extérieur et regardez-vous vous trémousser de bonheur à cette lecture.



Car la lecture, cela peut vraiment être ça, une pure gourmandise qu'on s'offre comme pour se récompenser d'un mérite imaginaire, comme on prendrait une bonne tasse de thé accompagnée de biscuits fins.



Quel régal ce Kazakov, quel artiste, quel artisan du verbe au savoir-faire impeccable ! Quel grand orfèvre des émotions, quel maître sommelier des relations infimes. Bref, douze nouvelles dorées à l'or fin.



On y parle d'amour : amours naissantes, amours avortées, amours potentielles. On y parle de nature : la forêt, la côte, la neige, les espaces. On y parle des gens, des gens vraies, pas héroïques, pas exceptionnelles dans aucune de leurs dimensions : des femmes jeunes ou matures, des enfants, des vieux, des hommes d'âge médian, des heureux, des malheureux. On y parle d'animaux de compagnie, de lieux d'habitation, de métier et le tout dans la Russie rurale de l'époque de l'Union Soviétique.



Et, le principal, c'est que toute cette nature, ces hommes, ces bêtes, ces lieux, ces activités humaines sont toutes en interaction les unes avec les autres pour former, — ça paraît idiot à dire mais pourtant je ne vois pas d'autre définition — l'essence même de la vie.



Iouri Kazakov développe une écriture très belle, à la fois onirique et sans fioriture. Il restitue tout l'esprit et toute l'âme russe, à la fois rudes, robustes, les pieds dans la terre, volontiers flamboyants mais aussi très empreints de poésie et de pensée magique.



En somme, un vrai chef-d'œuvre de subtilité et d'écriture ciselée, qui fut découvert et révélé à la France par Louis Aragon dans les années 1960 et que je compare à mille égards à l'écriture d'un John Steinbeck. Une bulle d'oxygène, une parenthèse à ne pas manquer pour s'extraire moindrement d'un quotidien pas toujours rose. Mais ce n'est bien sûr que mon petit avis, alors, Gare ! ce n'est peut-être pas grand-chose.
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La petite gare et autres nouvelles

Les nouvelles d'Iouri Kazakov se concentrent sur moments intenses où le destin peut basculer pour ses personnages. En peu de pages, ils deviennent familiers et le lecteur vit leurs aventures.

Quelques nouvelles sont des histoires d'amour universelles dont les thèmes m'ont fait penser à des chansons de Brassens: « La petite Gare » à « Saturne », « La maison sous la falaise » aux « passantes », « le Bleu et le vert » à « la première fille », « Manka» peut-être à un couplet du « Mécréant »

D'autres sont des initiations : « Une matinée tranquille », « Nocturne », « A la chasse », « Les Secrets de Nikichka » « Les cornes de rennes »

Et des nouvelles inclassables : « les vieux », où l'amertume est si forte qu'il n'est pas possible de prendre parti contre un des vieux ;« le pèlerin » est une nouvelle dure et ‘immorale'. Kazakov en laissant tranquille le coupable, il fait preuve d'un anticléricalisme retord ou il décrit l'âme slave tolérante avec les pèlerins

« Arcturus, chien courant » est l'histoire réjouissante d'une double renaissance d'un chien. Kazakov a été malin, il posé les réserves qu'il ne fallait pas confondre l'homme et l'animal, puis il nous a partagé la vie de ce chien Arcturus avec des sentiments humains. Cette nouvelle est très chaleureuse.

Même bousculés dans le métro, grâce à son style nous trémoussons de plaisir à lire les nouvelles de Iouri Kazakov

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La petite gare et autres nouvelles

A quelques années près, l’existence de Iouri Kazakov (1927-1982) a coïncidé avec celle de son pays, l’Union soviétique.

L’arbitraire stalinien le privera très jeune d’un père déporté au goulag pendant plus de vingt ans, avant d’être enfin réhabilité. Iouri réussit néanmoins de brillantes études de musique classique et devenu jeune adulte joue dans différents orchestres symphoniques et de jazz de Moscou avant de se consacrer au milieu des années cinquante à l’écriture.



“La petite gare” est un recueil de douze nouvelles écrites de 1954 à 1958 lors de nombreux voyages organisés par le prestigieux Institut littéraire Maxime-Gorki au sein duquel il étudie.

Iouri Kazakov, le moscovite, est sous le charme des régions les plus septentrionales du vaste pays et le littoral boisé de la mer Blanche est le terrain idéal pour assouvir ses passions de chasse et de pêche.



“Une matinée tranquille”, “Nocturne”, “A la chasse”, “Les secrets de Nikichka”, “Arcturus, chien courant”, près de la moitié des titres du recueil fait la part belle à la nature où magnificence et poésie se confondent. Les mondes végétal et animal, qui s'éveillent et s’animent dans un ordre immuable de lumières et de sons, inspirent la plume de l’écrivain qui retranscrit avec grand réalisme de véritables symphonies naturelles. La partition ci-dessous n’est-elle pas par sa tonalité extrêmement douce de l’ordre du divin ?



“Le soleil s’était enfin levé : dans les prés, un cheval hennit doucement et tout parut s’illuminer à une allure extraordinairement rapide, tout, aux alentours, se vêtit de rose. On distingua plus nettement la rosée d’argent des sapins et des buissons, le brouillard se mit en mouvement, s’effilocha et découvrit peu à peu, à contrecœur, les meules de foin, taches sombres se détachant sur le fond gris-cendré de la forêt maintenant proche. Les poissons s’en donnaient à cœur joie. Les gouffres répercutaient de temps à autres, de lourds rebondissements, l’eau s’agitait, le long de la rive les joncs se balançaient doucement.”



“La petite gare”, “La maison sous la falaise”, “Le pèlerin”, “Le bleu et le vert”, “Les vieux”, ''Manka'' racontent des histoires sentimentales pas toujours très heureuses, des rapports humains où l’âme russe trouve tant de charme et de jouissance aussi bien dans l’abandon et la solitude que dans l’exubérance et l’intempérance parfois.



Le recueil se termine sur une note onirique avec la nouvelle intitulée “Les cornes de renne” dans laquelle le lecteur découvre le quotidien d’une jeune fille à l’imagination fertile. Hébergée dans une Maison de repos suite à une longue maladie, elle a une façon bien à elle de s’évader, de croire en un avenir meilleur.



La prose exquise de ce nouvelliste de talent se déguste lentement. Un petit verre de vodka et un grand bol de thé, pour imiter les protagonistes de ''Manka'', accompagneraient idéalement la découverte de ces tranches de vie slaves ô combien rafraîchissantes en ces chaudes journées printanières.

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La petite gare et autres nouvelles

Kazakov – Kazakov – Kazakov… Trois notes cadencées qui signalent le bruit de roulement du train sur les rails.

Iou-riii ! Iou-riii ! le son de la sirène indique l'arrivée en gare.



Mon voyage se termine, douze étapes, dans le train mélodique du merveilleux conteur qu'est Iouri Kazakov. Ce périple, que j'imagine ferroviaire, dans le Nord-Ouest de la Russie des années cinquante, sur les côtes boisées et gelées de la Mer Blanche, le long de la Dvina septentrionale, un secteur grand comme la France, mais qui ne représente qu'une infime partie de cette U.R.S.S. kolkhozienne, qui a longtemps été considérée comme un empire glaçant.

Se le représenter maintenant, peut-être en pire, tout proche de l'Europe « démocratique », mais avec ces habitants du terroir, à des milliers de verstes des querelles de pouvoir et de frontières, c'est ce que nous montre l'écrivain d'origine biélorusse, en nous peignant musicalement les paysages et les caractères de cette contrée éloignée et secrète.



La petite gare se remplit, de voyageurs qui comme moi ont été subjugués par ce voyage à la fois réaliste et onirique, et de souvenirs, pleins la tête, une symphonie fantastique qui résonnera encore longtemps, avec un mot qui me vient à l'esprit pour résumer les sentiments qui se sont propagés dans mon corps et mon esprit à la lecture de ce recueil de nouvelles, harmonie.



Avant de composer ses petites pièces littéraires, Kazakov était musicien, contrebassiste, dans des formations de jazz et des orchestres symphoniques. Après avoir enseigné la musique comme professeur au Conservatoire, il entre à l'Institut de Littérature Gorki.

Ah ! Milieu favorisé, un apparatchik, la voie royale, pardon, impériale, euh non, je voulais dire l'ascension par l'adhésion, aux thèses en vigueur à l'époque, la promotion du soviet suprême. Et bien que nenni, son père ouvrier fut déporté au goulag, lui-même s'est retrouvé bègue après l'explosion d'une bombe pendant la bataille de Moscou.

C'est peut-être la raison qui l'a poussé à écrire, à mettre des notes musicales dans ses notes littérales, à produire des textes comme des partitions, pour que les sons sortent sans hésitation, avec des ouvertures à progression lente, des descriptions foisonnantes et précises, des envolées lyriques et des silences pesants mais subtils, pour mettre de la respiration dans son propos.

Lire Kazakov, c'est se retrouver dans une salle de concert, attentif à toutes les sensations procurées par la magie de l'écriture, d'une simplicité dépouillée de tout artifice mais capable de mettre le feu aux sentiments éprouvés, d'une luminosité éblouissante, à l'image des paysages de ce grand Nord intact et figé, nature hostile et hospitalière, pas antinomique car peuplée de gens en accord avec leur décor.



D'autres voyageurs se précipitent dans les wagons, ils ont hâte de participer à cette aventure littéralement musicale, à cette expédition musicalement littéraire.

Allez, montez vous aussi, les instruments sont accordés, asseyez-vous, prenez place, la prestation va commencer, le chef d'orchestre de la gare a levé son drapeau, le sifflement s'accentue, les musiciens sont aux aguets, la vapeur s'échappe en chuintant, roulement de percussions, la fumée s'élève dans le ciel éclatant, le violoncelle lance sa note mélancolique, les roues se mettent à tourner, les violons débutent le thème, c'est parti... Bon voyage !



Douze morceaux, douze pépites, douze, symbole d'harmonie et de paix, mais comment l'obtenir cette paix, dans la fureur du monde ou dans le silence de la solitude ?

Maupassant, l'autre nouvelliste majeur, l'a décrit ainsi :



« Nous sommes deux races sur la terre. Ceux qui ont besoin des autres, que les autres distraient, occupent, reposent, et que la solitude harasse, épuise, anéantit (...) et ceux que les autres, au contraire, lassent, ennuient, gênent, courbaturent, tandis que l'isolement les calme, les baigne de repos dans l'indépendance et la fantaisie de leur pensée ». 

Qui sait ? Contes et nouvelles



Harasse, Arras, à race, le poids des mots, le choc des cultures, la bêtise humaine, les cycles anxiogènes.

Heureusement, il y a le pouvoir de la littérature, la prose poétique, la lumière des phrases, la sonorité de la phonétique.



« Rien n'est éternel en ce monde, pas même le chagrin. La vie ne s'arrête pas. Non, jamais elle ne s'arrête, elle s'impose impétueusement à notre âme, et toutes les peines se dissipent, comme de la fumée, ces petites peines humaines, si petites, quand on les compare à la vie. le monde est si bien ordonné ».



Linéaire, suivons les rails, la progression est musicale, je vous dis, d'abord, une petite ouverture, huit pages, pas une de plus, suffisant.



« C'était un automne gris et froid. le baraquement bas en rondins de la petite gare avait noirci sous l'action des pluies ».



Le décor est planté. Un cheval, une charrette, une valise, un gars, une jeune fille, un quai de gare. La séparation est imminente.



« Au loin, on entendit le bruit du train, faible, indistinct. le silence mélancolique de ce jour maussade fut traversé par un coup de sifflet grêle et traînant ».



Les violons sont en sourdine, la flûte a lancé sa note, lancinante.

Le hautbois et le basson alternent leurs phrases, langoureuses et ronchonnantes.



« - Je vais m'ennuyer, murmura-t-elle. Ecris de temps en temps, dis… Tu entends ? Ecris… Tu viendras, hein ?

- On te l'a déjà dit, répétait-il à contrecoeur, effrayé. Essuie tes larmes, voyons !

- Voilà, murmura-t-elle en suffocant, frottant ses larmes comme un écureuil et regardant avec amour le visage du garçon. Je vais rester seule. Rappelle-toi ce qu'on a dit…

- Je me rappelle. Qu'est-ce que ça peut me faire… bredouilla-t-il d'un air sombre, relevant la tête et roulant les yeux.

- Mais moi… Je ne vis que pour toi… Tu le sais bien !

- Tu me l'as dit, bougonna-t-il en regardant à ses pieds avec indifférence ».



La solitude harasse, l'isolement calme. Il part. Elle perd. C'est pur, c'est pire.

Les percussions reprennent, les solistes se sont tus.



« Le craquement des traverses, le bruit des roues cessèrent et, quand elle releva la tête, elle vit que le dernier wagon, avec son oeil rouge et rond sur un tampon, s'éloignait sans bruit, toujours plus, comme s'il voguait dans les airs ».



KAZAKOV – KAZAkov – kazakov…



Plus que 250 pages, faut que j' me calme, la place va manquer…



Matinée tranquille, partie de pêche, Volodia et Iachka, un citadin et un campagnard, un bruit au loin.



« Qu'est-ce donc qui tintait si étrangement là-bas derrière ? Qui donc soudain lançait dans les prés des cris distincts, mélodieux, pareils à des coups frappés l'un après l'autre sur une corde bien tendue » ?



Les berges sont fuyantes, « la terre s'effondrait sous ses pieds », sacrée anti-phrase, la matinée tranquille. Non, je ne vous dirai pas pourquoi, allez-y voir vous-mêmes, mais attention à l'eau, tel est pris qui croyait prendre !



Puis "Nocturne", un chasseur solitaire et sa longue progression, jusqu'à une lueur, il en chope un, de nocturne, un autre chasseur, qui chante et joue de l'accordéon.



« C'est vrai, c'est vrai, je joue. Seulement je fais un rêve, mais quel rêve ! Une chanson, comment ça s'invente ? Certes, pour ce qui est d'une chanson, ça peut se tourner de toutes les façons, et on arrive à la jouer comme personne ne l'a fait. C'est-il vrai ce que je dis ? Moi, comment je joue ? Je prends une mélodie, j'y ajoute encore une voix et voilà, la chanson a déjà son tour à elle, et la voix, comme qui dirait, sa propre nature. Il est possible, si c'est trop peu, d'y ajouter encore une voix, et alors ça donne une tout autre musique. Mais, là encore, ce n'est pas tout. C'est seulement la main droite, alors que dans la gauche il y a l'harmonisation. Les accords, autant dire. On va choisir un accord, ça a l'air bien, mais quand on ajoute un léger son, alors il n'y a plus de vraie pureté ! Tandis que la chanson, surtout si elle est longue, doit avoir son parfum, tout comme la rivière ou la forêt ».



Ensuite, « la maison sous la falaise », une chambre d'hôte tenue par une mégère non apprivoisée, qui tient sa fille sous sa coupe. Un homme arrive pour louer.



« Dehors, on entendait un son fréquent et cadencé, qui se rapprochait peu à peu. Cela évoquait le tic-tac sonore d'un réveil.

- Qu'est-ce que c'est ? Demanda Blokhine.

- ça ? La jeune fille poussa un soupir haletant et regarda par la fenêtre obscurcie. - C'est le veilleur et sa kolotouchka.

- Sa kolotouchka ? Questionna Blokhine stupéfié, prêtant l'oreille : jusqu'à ce jour, il n'avait jamais entendu frapper sur une kolotouchka. Pourquoi donc une kolotouchka ?

- Je l'ignore, répondit à contrecoeur la petite. Il frappe… Il frappe, et il me semble parfois que cela me cogne dans la tête.

Tak-tok, tak-tok, tak-tok, répéta le son mélancolique qui déjà s'éloignait ».



Dans « le pèlerin », à nouveau une rencontre dans une maison avec un voyageur pas au-dessus de tout soupçon.



« Un accordéon préluda, et une voix cassée de fausset entonna le couplet languissant d'une chanson populaire. Puis les voix s'égaillèrent, s'éloignèrent et tout redevint très calme. Dans la cour, un coq chanta trois fois ».



C'est alors qu'arrive la romance. Pas l'arrogance et la maturité du rouge et du noir, mais celle de l'innocence et des premiers balbutiements, le bleu et le vert.



« La neige craque sous nos pieds. Nous restons immobiles, mais la neige craque. Derrière nous retentit brusquement un claquement sonore. Il se propage avec un bruit sec sur les planches, comme sur la glace d'une rivière, et va mourir quelque part, à l'extrémité du quai ».



« A la chasse », c'est la transmission d'un père à son fils des traditions séculaires, mais après plusieurs décennies le paysage a changé.



« Peu après, dans les buissons de spirée, un oiseau préluda brièvement et son chant, composé de deux notes, était très simple : Ti-ti, ti-ti ».



Puis « Les secrets de Nikichka », c'est l'histoire d'un petit garçon sur un grand cheval. Un chemin entre falaises et vagues, vers un apprentissage que prodiguera le père.



« Soudain, au milieu de ce calme, de ce silence de mort, de ces bruits sans vie, une chanson. On entend quelqu'un frapper avec une hache, on perçoit une odeur de fumée. le cheval, les oreilles pointées, pousse un hennissement sonore, et le voilà au trot, au trot, et qui fonce : il sent une habitation ».



Vient ensuite Arcturus, le chien courant, pas l'étoile bleue, un canidé aveugle qui compense par l'ouïe.



« Les sons de la voix du maître étaient alors longs et brefs, comme un glouglou ou un murmure, ils ressemblaient d'emblée au bruit de l'eau, au bruissement des arbres et à rien du tout. Chaque son faisait naître des sortes d'étincelles, des odeurs confuses, comme une goutte provoque un tremblement dans l'eau ».



« Les vieux », c'est la lutte autant psychologique que physique entre Tikhon, le gardien et Krouglov, le patron.



« Il aimait écouter le son, d'une triste langueur, d'une cloche dans le lointain, les hennissements des juments dans les prés, les voix aiguës et chantantes des femmes qui lui parvenaient du village ».



Puis Manka, jeune factrice orpheline et Perfilii, un coq de pêcherie un peu cabotin, une évolution sentimentale où l'un sauvera l'autre.



« La mer rugissait comme un fauve géant en fureur. Brusquement, tout s'apaisa, on entendit le frémissement de l'eau qui refluait, et par derrière un grondement grandissait, comme celui d'un train ».



Enfin, « Les Cornes de Renne », où le mystérieux le dispute au merveilleux, la jeune fille de ce conte n'étant appelée qu'« elle ».



« Les touches du piano sont jaunies par le temps, dures et froides. le pied sur la pédale qui grince, elle frappe une touche, écoute le son languissant qui s'éteint lentement. Elle voudrait se rappeler la musique entendue en rêve. Elle choisit des accords, ses doigts se glacent, elle a la fièvre, il lui semble qu'à l'instant elle va se souvenir de tout... Non, ce n'est pas ça, ça ne va pas, ça ne ressemble pas » !



Bien sûr, vous l'avez compris, il n'y a pas que les sons, tous les sens sont mis à contribution, une véritable farandole qui exhale les sentiments.



Le voyage se termine, la petite gare a retrouvé son train-train quotidien.

Je sens que vous avez apprécié la musique des mots.

Kazakov, on ne peut que la – do – ré !



Merci à Nastasia-B d'avoir partagé cette merveilleuse découverte.



Iou-riii ! Iou-riii !



KAZAKOV – KAZAkov – kazakov...













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La petite gare et autres nouvelles

Il s’agit d’un recueil de 12 nouvelles, d’un auteur soviétique d’origine biélorusse, qui semble avoir connu son heure de gloire en URSS à partir de la fin des années 50. Il s’agit d’après la présentation de l’éditeur de son premier livre publié.



Les auteurs russe (Tchekov, Tourgueniev, Gogol, Bounine, Nabokov etc) maîtrisent admirablement l’art si particulier de la nouvelle, celui de dépeindre en quelques (ou quelques dizaines) de pages une personnalité, un caractère, de créer une ambiance, de donner à ressentir un paysage ou un milieu social, l’air de rien à partir de petites choses. Tout cela dans une approche pleine de respect et d’empathie avec les personnages, typiques d’une mentalité, d’une façon de penser « russe », même si l’universel est aussi là derrière une façade pittoresque.



Iouri Kazakov est complètement dans cette lignée. Il nous parle de gens simples, paysans, pêcheurs, ouvriers, même si parfois un observateur visiblement plus instruit raconte leur histoire. Leurs vies ne sont pas aisées dans la majorité des cas, leurs aspirations simples, une forme de bien être physique et un peu plus d’aisance matériel, l’amour y tient une grande place, et une revendication de dignité, même si ce ne sont pas forcément eux-même qui arrivent le mieux à l’expliquer. La nature, ses beautés et ses joies sont présents dans de nombreuses nouvelles, quelques animaux y ont leur place. Iouri Kazakov dresse une sorte de tableau d’une Russie éternelle, même si des changements apparaissent. Il ne faut pas s’attendre à une évocation de la situation politique de l’époque dans ces textes, quelques petites allusions de-ci, de-là , qu’il faut décrypter, sauf dans une nouvelle, Les vieux, dans lequel l’auteur oppose un ancien ouvrier, devenu gardien, à un ancien riche, qui a tout perdu à la révolution. Tikhon, le pauvre ouvrier, a fini par trouver une forme de reconnaissance dans la nouvelle société, alors que Krouglov, l’ancien millionnaire, n’est que haine impuissante face à sa perte de statut. Kazakov fait aussi un peu de propagande au sujet du vote en URSS. Mais tout cela reste finalement assez discret, et on sait à quel point il était difficile d’écrire dans ce pays à l’époque. J’ai d’ailleurs été surprise par les évocations de la religion, par l’image d’un pays en grande partie resté croyant malgré les injonctions et les persécutions.



Ces textes, modestes par leur format, par leurs personnages et par les événements décrits, sont dans l’ensemble magnifiques, d’une grande justesse et d’une écriture superbe. Ils contiennent des rêves, des souffrances, des attentes, des incompréhensions, comme toutes les vies humaines, et font naître une sorte de reconnaissance fraternelle avec les personnages, qu’ils n’idéalisent pas, mais qu’ils regardent avec humanité et attention.



Merci à @Dourvach d’avoir attiré mon attention sur ce livre.
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La petite gare et autres nouvelles

Iouri Kazakof, écrivain "soviétique", ne fut jamais dans les clous. Né un peu tard, en 27, pour fuir le stalinisme, trop tôt pour ne pas suivre ses parents qui vont s'installer au 30 de la rue Arbat à Moscou qui est la rue des artistes, proche d'un théâtre et de la maison de Pouchkine ; laissant ainsi leur village natal en Biélorussie. de ce déracinement, Iouri Kazakov ne s'en remettra jamais. il apprendra vite à ses dépens de quel bois on se chauffe en Union soviétique avec ce qu'il faut pour nourrir son aversion du régime : à l'âge de 6 ans, il voit son père arrêté et rejoindre un camp du goulag pour avoir dénoncé la collectivisation des biens en plein stalinisme. Cette affaire équivaudra à une disgrâce pour la famille. Et le jeune Iouri quoiqu'il fasse verra ses démarches entravées : pour être tour à tour ingénieur en génie civil, prof de musique .. car c'est un fils de condamné. Dans les années 50, il veut devenir écrivain. Il ne sera pas un écrivain soviétique bien que sa fibre artistique l'y prédestinait. Ses écrits vont être considérés par la nomenklatura comme négatifs, ne répondant pas à la volonté idéologique de l'Union soviétique. Il retournera voir son village natal et en reviendra meurtri. Il n'y trouvera en lieu et place que des friches. Dans les années 60, il ne sera plus publié dans son pays, mais à l'étranger. Son père libéré du camp restera en exil, proche du camp, proche du syndrome de Stockholm aussi. Il est vrai qu'une génération passée dans un goulag, ça marque les esprits. Plus ça va aller, moins il va publier. Déçu par la vie, il se mettra à boire et mourra en 1982 à Moscou. Il avait quitté la rue Arbat, pour aller s'installer dans le nord de Moscou dans sa Datcha lors des dernières années avant sa mort.



Il ne fut donc pas un écrivain de l'orthodoxie soviétique, fallait-il s'en glorifier, je ne le pense pas.. Lui qui aspirait aux joies simples, naturelles de la campagne, à la relation avec ses gens proches de la nature, authentiques, les picaresques copains, aurait dit Steinbeck, il la goutera peu, très peu, avec son père notamment, ils aimaient tous deux la chasse ; Il la concevra dans ses écrits, à défaut de la vivre autrement qu'avec parcimonie. Lui qui aimait aussi la musique, je laisse la vie de cet artiste sur une note triste.



Cette Petite gare est mignonne, sensible. Pourquoi Gallimard-Philippon 1962 venir estampiller cela : littérature soviétique. Heureusement que j'ai commencé par avertir le lecteur sur ce sujet. Iouri Kazakov qui a tout fait pour s'éloigner de ce système à vomir qui jugeait ses textes trop personnels. Heureusement que le wagon de Staline s'est détaché à ce moment-là, sinon on ne serait même pas ici pour en parler. Et qu'est-ce que c'est vouloir à tout prix trouver une ressemblance avec Tchékhov, Tourgueniev, Bounine, ça a vraiment le chic pour m'énerver. A ce que je sache, Iouri Kazakov n'a pas été poursuivi pour plagiat de ces grands noms. Avec la censure soviétique, il serait allé au camp direct. Vous vous rendez compte : un parfum de Bounine dans ses textes : insupportable pour la GPU. Quant à la " tonalité du grand nord", c'est vraiment de saison avec ce gla-gla qui fait dehors. On passe d'un glaçon à l'autre, c'est merveilleux ! Et cette "tonalité musicale" n'est pas pour nous surprendre, il a été imbibé de culture musicale notre cher Iouri Kazakov et si les soviétiques avaient permis à ce fils de condamné pour des clopinettes, nous aurions peut-être aussi dans sa bio, une corde de plus à son arc, compositeur, musicien ..



Il faut lire ces premiers textes de Iouri Kazakov, vraiment. Certainement plus littéraires que ceux du prosaïque Norman Mac Lean, s'il faut absolument faire des comparaisons. Voilà donc un artiste "soviétique" qui aura toujours couru après le bonheur et qu'il l'aura eu qu'en de trop rares occasions, juste ce qu'il faut pour un supplice. Merci l'Union Soviétique ..
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La petite gare et autres nouvelles

« La petite gare », de Iouri Kazakov… Je viens de lire un livre exceptionnel, d’une très rare beauté d’écriture.

J’en sors encore tout ému !



On se laisse bercer par ses 12 nouvelles. On perd la notion du lieu, on est dans une isba, au coin du poêle…

le samovar chauffe, on boit le thé noir brûlant, on grignote des graines de tournesol, on joue de l’accordéon, des icônes nous entourent, et on a la tête dans les aurores boréales…



« Le Bleu et le Vert »



« Notre hiver s’est passé de façon merveilleuse. Tout nous appartenait, tout nous était commun : le passé et l’avenir, la joie, toute la vie jusqu’au dernier soupir. Quel heureux temps, quelles belles journées, quel beau vertige ! »



Aliocha est un garçon très timide. Il va aller pour la 1re fois au cinéma avec une jeune fille, Lilia…



Amour-Amitié ? Il aime pour la 1re fois et ça ne s’oublie pas…



Une délicieuse nouvelle, toute en délicatesse et en pureté, et qui donne à réfléchir sur le bonheur et le sens à donner à sa vie.



« Les secrets de Nikichka »

Un petit gars de 8 ans, tout à fait à part…

On frémit avec lui au spectacle de la nature !

Des esprits des bois logent dans de petites isbas…

Et les rochers aussi sont vivants , ils « se retournent quand ils sont fatigués de rester dans la même position. »

Nikichka part avec son cheval rejoindre son père qui est pêcheur et habite dans la forêt.

Ils vont aller ensemble pêcher le saumon…

Nikichka pose beaucoup de questions à son père.

Son papa est très content de lui apprendre les poissons, la mer, les bateaux, les vents…



Qu’est-ce que ça fait du bien ! On a envie de redevenir un enfant à la lecture de cette charmante nouvelle !



« Manka »

C’est l’histoire d’une orpheline de 17 ans. Elle a dans les gênes un peu de sauvagerie, de barbarie. Elle est factrice. Elle distribue son courrier dans la nature et doit marcher beaucoup, vers des lieux un peu difficiles d’accès. Elle est attendue avec impatience partout. Des pêcheurs lui offrent le repas, contents de l’accueillir et de glaner des nouvelles.

En secret elle s’éprend d’un pêcheur, qui, malheureusement pour elle, s’intéresse à une certaine Lenka, une belle délurée du village…

Néanmoins, un jour elle l’accompagne à la pêche, mais la mer déchainée, « rugissait comme un fauve » …

Et ils passent par-dessus bord…



« Les Cornes de Renne »

« Depuis bien des jours, elle vit à la maison de repos, au bord de la mer. »

Elle a 16 ans. « Comme tous les adolescents, elle est heureuse sans motif, … »

Ses yeux sont mystérieux, son imagination naïve et romantique.

Sa solitude, sa liberté, ses promenades, lui plaisent et elle craint même de penser au moment où elle devra partir de la maison de repos ! Elle aime l’abandon, le silence…

"Les Cornes de Renne", c’est le nom que la jeune fille donne à une maison et à un terrain qui l’entourent.

Elle aime le monde fantastique des contes…

Et apparemment, d’étonnants habitants, tout-petits, vivent à l’intérieur de cette demeure…



« Nocturne »

La nature vous enveloppe avec douceur, avec ses parfums, ses odeurs, ses sons…



Un jeune chasseur marche de nuit pour atteindre au petit jour un lac aux canards.

Il se trouve dans un état de bien-être, qui lui permet de se souvenir des êtres chers qui ne sont plus.

Puis il est intrigué car il entend quelqu’un chanter dans la forêt…



Il y a encore de la nature à l’état vierge, des zones naturelles où les hommes ne se sont peut-être pas encore aventurés. L’Amazonie est vaste, mais la Sibérie aussi ! Une belle raison d’aller s’y perdre avec Iouri Kazakov !



Je ne vous en dévoilerai pas davantage !

Ce livre fait du bien ! A lire et à relire sans modération !

Les mots manquent pour célébrer à sa juste valeur la beauté de ces nouvelles et de ce livre d’EXCEPTION!

C‘est on ne peut plus savoureux ! A lire ABSOLUMENT !

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La petite gare et autres nouvelles

Un rectangle jaune dans la nuit, la fenêtre éclairée d’une isba : l’envie de s’approcher et de regarder à l’intérieur. L’ensemble est sobre, presque austère. Dans un angle, un poêle ronfle et sur une table basse, un thé qu’on devine réconfortant laisse échapper ses volutes fumantes. Ce pourrait être le décor d’une des nouvelles de Iouri Kazakov, nouvelles écrites entre 1954 et 1958 et rassemblées dans cet ouvrage. Des scènes de vie qui animent des protagonistes ordinaires magnifiés par la justesse de leurs sentiments. Leurs histoires amoureuses sont parfois contrariées, parfois balbutiantes voire maladroites mais toujours présentées avec une sincérité qui émeut. Dans ce registre, j’ai particulièrement apprécié « Manka », une nouvelle qui met en scène une jeune factrice un peu sauvage, apeurée par la découverte de ses premiers émois amoureux. Mais c’est en fait la nature qui s’invite le plus au travers des nouvelles. Avec un immense talent, l’auteur restitue les différents états de la forêt ou de la campagne, comme un tableau changeant selon les heures du jour ou les saisons. Il ajoute à ce tableau une palette sonore (est-ce sa carrière de musicien qui l’influence ainsi ?) faisant bruisser la forêt et crisser la neige de mille manières. Cette dernière devient presque un personnage à part entière, tant l’auteur sait trouver d’adjectifs pour la qualifier. Iouri Kazakov n’est pas en reste non plus pour décrire la mer et ses états tumultueux, la nouvelle « Manka » comporte une scène de relevé de filets sous la tempête absolument prodigieuse. Précisons que « Manka » est dédiée à Constantin Paoustovski, un autre nouvelliste russe que je ne connaissais pas et qui, d’après les rapides lectures que je viens de faire, avait aussi le don, de magnifier dans ces textes, la Russie rurale. Est-ce par ce qu’elle a été autant malmenée à l’époque du stalinisme que cette Russie là a été défendue de manière aussi poétique et sincère par certains auteurs ? Mais si on en discutait autour de ce thé qui nous attend ?

Merci à Nastasia qui m’a donné envie de découvrir cet auteur.




Lien : http://leschroniquesdepetite..
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La petite gare et autres nouvelles

Aprés avoir dégusté les merveilleuses nouvelles de Constantin Paoustovski,voulant prolonger mon séjour russe,j'ai enchaîné avec ces trés beaux récits de Iouri Kazakov(1927-1982).Plus que comblée,j'ai continué ma pérégrination à travers la campagne russe,la nature,les animaux,la mer,les pêcheurs et divers ésquisses d'histoires d'amour.

Une petite gare,un automne gris et froid,un jeune homme quitte une jeune fille assez brutalement;Une matinée tranquille,deux jeunes garçons à la pêche,l'un risquera d'y laisser sa peau;La maison sous la falaise,la rencontre manquée de deux âmes solitaires;Les secrets de Nikichka,un petit garçon de huit ans ,tout à fait à part....mais les deux récits qui m'ont le plus touchée,sont ceux d'Arcturus,extraordinaire chien courant aveugle("pour lui,l'aveugle,débuta une vie amer et difficile.Elle eût même était affreuse,s'il avait pu prendre conscience de sa cécité.Mais il ne se savait pas aveugle,il ne lui avait pas été donné de le savoir.Il acceptait la vie telle qu'il l'avait reçue) et Manka,la jeune factrice orpheline,amoureuse("on devine quelque chose de sombre,d'impénétrable,de secret dans son silence,dans son sourire indéfinissable,dans ses yeux aux reflets verts toujours baissés").

Des personnages et des animaux infiniment touchants et vulnérables,avec presque toujours,l'hiver,le froid,la neige en toile de fonds,se réchauffant avec l'éternel vodka,du thé très chaud et un zeste d'amour.Magnifique!
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La petite gare et autres nouvelles

Superbe découverte que ce recueil de nouvelles de l'écrivain russe Iouri Kazakov (1927-1982), que Gallimard a édité en français en 1962 dans la collection "littératures soviétiques" dirigée par Aragon. Kazakov nous raconte des épisodes de la vie de personnes modestes, vivant dans des villages perdus au milieu des forêts, près d'un lac ou au bord de la Mer Blanche. Il est souvent question d'un homme qui vient de la ville et qui s'installe dans un village, où les anciennes traditions, notamment celles des vieux-croyants sont encore vivaces en dépit de l'administration soviétique. Le style m'a semblé proche de celui de Jean Giono, avec un regard à la fois perçant et amoureux porté aussi bien sur les personnes que sur la nature et les animaux. Mes nouvelles préférées : Une matinée tranquille, Le bleu et le vert, Acturus chien courant, Manka, Les cornes de renne.

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La petite gare et autres nouvelles

Ambiances ambiances.

Ce sont effectivement les mots qui résument le mieux mon sentiment après avoir tourné la dernière page de ce livre.



Chacune de ces nouvelles est l'occasion de nous immerger dans un moment de vie quotidienne en Russie à l'époque soviétique. Chaleur ou violence humaines, refuge dans la sérénité de la nature, nostalgie ou rejet de l'époque précédente. Mais ce qui m'a le plus touché sont incontestablement les moments de poésie en prose que ces nouvelles permettent à l'auteur de distiller.



Ainsi dès la première nouvelle (la petite gare):

" avec un faible bruissement, les feuilles roulaient sur le quai, se rassemblaient en tas, chuchotaient avec mélancolie une histoire qui les concernait, puis, dispersées par le vent, se remettaient à tourbillonner sur la terre humide, roulaient dans les flaques, et enfin, plaquées à la surface de l'eau, cessaient de bouger. Tout le paysage était baigné d'humidité, de froidure"



Merci aux babelionotes qui ont posté les critiques qui m'ont permis de découvrir ce collier de perles!
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La petite gare et autres nouvelles

Douze nouvelles composent ce fascicule, coup de cœur pour moi. J’aime Iouri Kazakov pour tout ce qu’il fait surgir en nous, pour l’atmosphère intimiste et si spéciale qui se dégage de ses récits.

J’avais lu la version Folio bilingue du même titre qui rassemblait trois de ces nouvelles : Une matinée tranquille, Petite gare, et nocturne.

Ayant beaucoup aimé j’ai voulu lire l'édition complète.

Ces récits réalistes sont d’une extrême finesse. Ils pourraient paraître trop simples, si on ne considère que les thèmes choisis, mais, Iouri Kazakov d’une plume sûre et subtile décrit des scènes de la vie courante, chasse, pêche où il exalte la nature, le bonheur simple d’y folâtrer. Kazakov explore aussi l’âme humaine et ses sentiments, compassion, amour et haine.

Dans le « Bleu et le vert » ces descriptions sont étonnantes et percutantes de réalisme : les sentiments encore naïfs sont mis à nu, l’élan, les frémissements d’un amour de jeunesse et l’éveil sensuel d’un jeune homme sont d’une belle pureté. Il y a maint et maint détail qui sublime ce récit.

Iouri Kazakov a l’art de faire surgir les images et avec elles les émotions qui nous troublent et il nous place ainsi au centre du récit. On se perd dans l’immensité des paysages, une matinée tranquille, « le pèlerin marchait sur le bas-côté de la grand-route, le regard perdu au loin, dans l’azur, au-dessus d’une chaîne de collines en pente douce, coiffées de nuages immobiles, roulés en boule. »

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