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Critiques de Ivo Andric (132)
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Contes au fil du temps

Il s'agit d'un recueil de nouvelles, sans véritable fil conducteur. Ces nouvelles sont plus diversifiées que dans Les contes de la solitudes, les lieux évoqués mais aussi les époques et les thématiques sont plus diverses. Il y a des nouvelles plus contemporaines, centrées sur la psychologie des personnages, sans véritable lien avec une situation historique. Néanmoins, la nostalgie et une sorte de mélancolie de choses inaccomplies et qui auraient pu être, est présente. Les être portent une sorte de faille qui les rend plus apte à ressentir et donc à souffrir que la moyenne, sensibilité exacerbée. Même lorsqu'il parle de son temps, des gens croisés dans la rue tous les jours, l'univers d'Ivo Andric est toujours un peu le même, et une conversation banale dans la chambre voisine peut devenir évocatrice et porteuse de légende, ouvrir sur un imaginaire presque infini. Le monde est plein de nostalgiques mystères pour celui qui sait regarder avec suffisamment d'acuité.



"C'est avec une véritable angoisse que je me décide à écrire le court récit d'une longue et grande peur. Cette peur-là n'a rien de commun avec les frayeurs et craintes qui assaillent les êtres durant leur lutte pour survivre et pour posséder, pour avoir une vie meilleure, une situation, la gloire et la primauté, pour acquérir des biens, les garder et les accroître. Il s'agit d'une autre sorte de peur, de cette terreur difficile à expliquer que suscitent chez les créatures innocentes les phénomènes de ce monde. Il s'agit d'une peur d'enfant qui, selon la nature du premier contact avec la société et ses lois, disparaît ensuite au fil des années, grâce au développement intellectuel et à une saine éducation, ou, au contraire, grandit avec l'enfant, l'envahit tout entier, brise et détruit son âme et empoisonne sa vie comme un mal caché et un écrasant fardeau. Il s'agit de ces événements invisibles mais fatidiques qui, souvent, brisent l'âme de ces petits hommes que nous appelons enfants, et que les adultes, occupés de leurs propres soucis, prennent à la légère ou ne remarquent même pas."



Ainsi commence un des récits, qui nous conte l'histoire d'une de ces frayeurs d'enfants, mais Ivo Andric ne nous dit pas en fin de compte, si l'enfant de la nouvelle arrivera à surmonter ses terreurs, ou va rester marqué à jamais. C'est au lecteur de tirer ses conclusions. Et il en va de même avec les autres nouvelles de l'auteur, il nous laisse toujours tirer les conclusions définitives, après nous avoir dépeints des situations fortes et significatives, mais il nous donne suffisamment d'éléments pour nous faire réfléchir longtemps et pour avoir envie d'arriver à des conclusions. Même si celle-ci ne seront pas les mêmes pour tous.

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Contes au fil du temps

Quelques tranches de vie choisies par le traducteur de ce recueil de nouvelles sont regroupées ici . Sous la plume d'Ivo Andric, on voyage dans une vaste zone, autant temporelle que spatiale. Autriche, Serbie, Bosnie sur une bonne quarantaine d'années (de1880 à 1920) même si certaines histoires sont intemporelles.

Il y en a pour tous les goûts, de la légende du héro qui combat l'ennemi à l'observation méticuleuse du jeu de pied d'une inconnue dans un restaurant. De la plongée dans la société autrichienne de l'empire à la campagne dénudée des Balkans. Du petit garçon qui a peur de se faire tancer pour avoir abimé un livre aux souvenirs d'un moine.

Les cultures se croisent . Les turcs, les germaniques , envahisseurs des Balkans, sont opposés à la culture locale.



Ce livre est très plaisant, les nouvelles où l'auteur s'attache à un personnage m'ont particulièrement plus. Ivo Andric déploie alors son art pour croquer son héro et en quelques lignes nous le décrire , état d'esprit inclus, merveilleusement. J'ai parfois retrouvé le style de maitre Zweig !

Mais alors , pourquoi 3,5 alors qu'élevé à la bienveillance de l'éducation nationale , je suis plutôt large ?

C'est un peu comme quand vous mangez un plat et que tout étant bon, il n'a pas le goût attendu.

Je venais plonger dans la culture de cette zone d'Europe aux prises avec les empires ottomans et austro-hongrois, je venais m'immerger dans les tavernes enfumées, je venais voir voler les poules comme chez Kusturica. Je n'ai eu qu'une ébauche de tout cela. Ce qui n'enlève rien à la qualité de l’œuvre.

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Contes au fil du temps

"J’écoutai longuement deux Tsiganes – une trompette et un violon – qui avaient soudain surgi comme s’ils tombaient du ciel, et qui jouaient et chantaient des airs hongrois et des valses viennoises suivis de chants bosniaques et macédoniens avec l’accent de Voïvodine."

La voilà, la poudrière des Balkans : un mélange de cultures, de langues, de traditions, concentré sur un petit espace montagneux où la vie pourrait être aussi douce que dans l’Italie d’en face.

Mais non, faut que ça conquiert, que ça se batte, que ça se venge, faut succomber les armes à la main.

Désespérant.

Dans cette quinzaine de nouvelles, Ivo Andrić nous éclaire sur la source de cette furie guerrière : une longue histoire de haine, de nationalismes, de revanches ; des histoires de provocations et d’honneur bafoué, des histoires bien virilistes dans lesquelles les armes et la violence semblent une composante des personnalités masculines.

Et puis il y a les femmes.

Dans "Le tapis", c’est une mère qui rappelle à son fils où devrait se placer sa dignité. Dans "Les voisins", mademoiselle Mariana cesse brutalement de servir la soupe à son vieil ami vaniteux, et ça fait des étincelles.

Et les enfants ! En quelques pages, Ivo Andrić nous immerge dans le sentiment d’injustice ("La fenêtre") ou dans l’angoisse de la punition à venir ("Le livre").

Autant j’ai eu du mal avec les nouvelles "masculines", autant celles des enfants m’ont touchée. Mademoiselle Mariana m’a fait rire aux larmes, et une certaine paire de mocassins rouges ("Le jeu") m’a bien égayée aussi.

Impossible en tout cas de rester insensible à l’univers d’Ivo Andrić.

Traduction de Jean Descat.



Challenge Globe-trotter (Serbie)

Challenge Nobel

LC thématique novembre 2023 : "Videz vos PAL"
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Contes au fil du temps

Recueil de nouvelles sur lequel je me suis jetée après avoir dévoré "Le pont sur la Drina". Certaines nouvelles reprennent les thèmes chers à Andric, comme l'occupation turque et la résistance serbe, mais certaines sont tout à fait uniques et hors catégorie. Une nouvelle, très marquante, " Un miracle à Olovo" met fort mal à l'aise et reste longtemps en tête...
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Contes au fil du temps

A l'occasion de la réédition d'un autre de ses livres de nouvelles, je me suis enfin intéressée à cet auteur d'Europe orientale. Certes, je connaissais son existence, sa carrure (Prix Nobel 1961, tout de même ! ) mais je n'avais pas encore franchi le pas. Pour sonder, j'ai opté pour ces "Contes au fil du temps". Idée lumineuse, je me suis régalée !

Certes, j'ai lu une traduction, mais on n'y pense pas tant le style est fluide et plein de vie. Ce sont des nouvelles indépendantes, avec un art de la chute qui n'en est pas vraiment une. Prodigieux ! Quelques lignes suffisent à brosser un portrait, à créer une ambiance, à décrire un paysage. L'Histoire de la Bosnie au début du XXème siècle nous balade dans l'empire austro-hongrois, la Serbie (slave), sous le joug ottoman. Une richesse culturelle passionnante.

Et, sur Babelio, je me dois de signaler l'extraordinaire nouvelle "Le livre" , où l'on découvre le statut quasi sacré de l'objet-livre pour un adolescent de cette époque... qui ne connaissait donc pas internet et les jeux vidéo.

Ma relation avec cet auteur ne fait que commencer.
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Contes au fil du temps

Le seul nom d’Ivo Andric m’a convaincu d’emprunter ce bouquin à la bibliothèque. Ce n’est pas du tout une déception mais, toutefois, je m’attendais à autre chose. Peut-être à un peu plus. Il faut dire que j’étais sorti enthousiasmé de ma lecture du Pont sur la Drina. Assez difficile à surpasser. Contes au fil du temps est un recueil de nouvelles (malgré le titre, faisant mention de contes), que pas grand chose relie entre elles, si ce n’est qu’elles se déroulent dans cette Mitteleuropa, principalement bosniaque, et sans doute un état d’esprit que je n’ai pas encore tout à fait saisi.



L’auteur nous promène entre le 19e et le milieu du 20e siècle. D’abord, dans un village en Herzégovine où des insurgés serbes se réfugient dans une tour et tiennent tête à des soldats turcs. D’autres trouvent refuge près d’un couvent excentré et les moines hésitent quant aux actions à entreprendre. À Bistik, une vieille matriarche refuse d’acheter à des Autrichiens des marchandises que ces derniers ont dérobées chez les musulmans exilés. Puis le lecteur continue son voyage à Sarajevo, dans une pension à Vienne, sur un bateau sur le Danube, etc.



Je ne résumerai pas toutes les nouvelles, il y a en a quatorze. Celle qui m’a le plus touché s’intitule Livre et elle raconte l’histoire de ce jeune garçon, orphelin, qui abime un livre prêté par l’école (la couverture s’en est détachée). Le pauvre garçon se tourmente pendant une session complète, craignant les conséquences de ce « crime irréparable et inavouable ». J’ai vraiment eu un petit pincement de cœur à l’idée de ce petit bonhomme qui vivait dans la hantise de devoir remettre au terrible bibliothécaire un bouquin en pareil état.



La plupart n’ont pas vraiment de chute. De ce fait, j’en avais entamé la lecture avec plaisir pour la finir, non pas désenchanté mais avec un petit « c’est tout ? ». C’est le cas avec Les voisins, qui raconte l’histoire de ce jeune homme parti faire ses études dans une ville autrichienne et se retrouvant dans la pension de mademoiselle Mariana. Ses activités le pousse à faire la sieste l’après-midi et à entendre à travers la cloison les échanges entre la maitresse de la maison et son vieil ami le baron. Intrigante d'abord, cette nouvelle finit en queue de poisson. Ceci dit, c'est sans doute une fin appropriée et réaliste, il ne faut pas s'attendre à de grands éclats à chaque histoire.



Au final, Contes au fil du temps est recueil d'histoires assez disparates, mélangeant des portraits (anecdotiques), des aventures s’approchant de la légende et des nouvelles psychologiques. Dans tous les cas, des histoires individuelles, presque anodines, qui auraient pu arriver à n’importe qui. Mais, étrangement, si ces histoires elles-mêmes se transforment en un vague souvenir et finissent par se confondre dans ma tête, quelque chose demeure et persiste, comme une réminiscence. Est-ce cet état d’esprit auquel je faisais référence plus haut ? Alors qu’elles ne m’avaient pas marqué pendant ma lecture, j’y repense beaucoup une fois le livre refermé.
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Contes de la solitude

Ivo Andric (avec un accent sur le C) à reçu le prix Nobel de littérature en 1961, mais ce n’est pas pour cela que j’ai lu ce bouquin. C’est davantage parce que l’Histoire Yougoslave m’intéresse. Peut-être parce que les derniers événements réellement Historiques (avec un grand H) en Europe se sont déroulés dans ce(s) pays. Les 14 contes ou nouvelles qui composent ce recueil sont de facture très classique, avec des aspects particuliers de la culture yougoslave qui renvoient néanmoins à l’universalité de l’humain (Nobel oblige). Dans ce genre j’ai préféré les « Nouvelles orientales » de M. Yourcenar. Dans son prologue, Andric se met en scène ; il va nous raconter les histoires de personnages qui surgissent d’un passé plus ou moins récent et qui viennent lui rendre visite dans sa maison de Sarajevo, lui le narrateur, les écoute puis il écrira afin que leurs souvenirs, leurs mémoires perdurent. Deux nouvelles m’ont particulièrement intéressées : « Conversation du soir » & « Deux écrits du scribe bosniaque Drazeslav », qui montrent les villes de Sarajevo et de Raguse comme vivantes et actives, influentes sur leurs habitants et leurs visiteurs ... 4* pour ces 2 ci et 3* pour l’ensemble. Dovidenja.
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Contes de la solitude

Très beau recueil de nouvelles de l’écrivain yougoslave Ivo Andrić. Auteur inconnu pour moi, mais que j’ai découvert avec beaucoup d’émerveillement grâce à ce livre.

Comme le titre l’indique, il s’agit de contes ou de nouvelles qui seront tantôt philosophiques, historiques (personnages ayant existé) ou même existentialistes.

C’est l’histoire d’un homme qui reçoit chez lui à Sarajevo, ou plutôt qui ‘’subit’’ les visites de nombreux personnages décédés, des fantômes en quelque sorte, qui veulent absolument lui raconter l’histoire de leur vie, leurs tourments, soucis et tracas avant de disparaître définitivement en paix.

Peut-être le message de ce livre est-il que la vie est faite de rencontres, plus ou moins souhaitées et qu’il faut prendre le temps d’écouter. Écouter les personnes, prêter attention à leurs comportements ainsi qu’à ce qui se dit, parfois dans un langage inaudible, écouter la ville, écouter le silence.

Dans le destin souvent tragique des personnages rencontrés, l’auteur sait malgré tout mettre au jour une part d’humanité et d’humour. J’ai aussi adoré le style vraiment magnifique.

Cerise sur le gâteau, ce livre m’a permis de réviser mes connaissances géographiques lacunaires sur cette portion d’Europe.

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Contes de la solitude

un ouvrage rare et universel.
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Contes de la solitude

J'ai lu ce recueil par curiosité et je ne m'attendais pas à y trouver des ambiances fantastiques comme dans certaines nouvelles de Mérimée ou Maupassant mais aussi des textes d'Italo Calvino.

La plupart des histoires ont pour narrateur un homme qui reçoit la visite de fantômes de personnes qu'il a croisées tout au long de sa vie et de ses voyages et qui ne peuvent trouver la paix tant qu'ils n'ont pas raconté leur vie et leurs malheurs de leur point de vue.

Il y a des histoires de famille, de couple, de politique, d'argent ou de pouvoir, d'envie et de jalousie.

Intéressant et plutôt agréable à lire.
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Contes de la solitude

De l'auteur j'ai lu ´ Le pont sur la Drina ´ et je pense que ce livre est un des plus beaux romans que j'ai lu , ce recueil de contes n'a pas suscité chez moi autant de bonheur de lecture , la barre était trop haute .

Néanmoins force est de reconnaître que l'auteur est un conteur hors pair .

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Contes de la solitude

C est une vraie decouverte grace à ma fille qui me l a conseillé.

Je ne connaissais rien ou presque de la Yougoslavie et n avais jamais entendu parler de cet auteur qui a pourtant reçu le prix Nobel.

Contes de la Solitude est un recueil de nouvelles d une grande poesie. Andric est un grand conteur d histoires, il pose un tres beau regard, un peu moqueur mais aussi plein d indulgence sur ses personnages, tres poetique sur l atmosphere des lieux et des paysages.

C est du grand style, la traduction est tres belle, les nouvelles sont variées, et souvent pitoresques.

C est un plaisir à lire, il est rare de rencontrer un si beau style.

Je m en vais de ce pas lire un autre de ses livres.
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Contes de la solitude

Le narrateur, l'auteur lui-même, nous parle depuis la ville de Sarajevo, d'une petite maison avec balcon. Des personnages viennent le solliciter, d'anciens habitants de la ville, pour qu'il nous narre leurs histoires, petites ou grandes, de personnes illustres ou d'obscures sans grades, qui ont fait cette ville. Et les différents récits se succèdent, ayant pour cadre les mêmes lieux.



"Non seulement les gens m'agressent de leurs cris, de leurs rires indiscrets, paradent et laissent piétiner leurs chevaux sous mes fenêtres, non seulement ils se servent du poids moral de leurs patronymes historiques et de leur notoriété-ils n'appartiennent pas à la même époque ni par leur leur destin ni par leurs origines. Ils sont de partout et de toutes les sortes. Ils n'ont en commun que le seul fait de se réunir-,mais parfois, autour de cette maison de Sarajevo qui est la mienne, ils laissent aussi des traces invisibles mais bien réelles, suffisamment vivantes pour perturber une matinée destinée à d'autres occupations, tentant par tous les moyens d'occuper mes pensées et d'attiser mon imagination."



Le titre correspond parfaitement au contenu et l'esprit du livre, plus que de nouvelles, il s'agit de contes, peut être un peu plus dans l'esprit des contes philosophique du XVIII siècle que de contes de fées:



"Il était une fois un prince-il a vraiment existé, je ne dis pas cela uniquement pour raconter quelque chose-,qui avait les yeux tristes et possédait une petite principauté. Son pays était vraiment petit, si petit que quand il rêvassait pendant sa promenade de l'après-midi, il dépassait toujours les frontières et pénétrait dans le pays voisin. Voilà à quel point sa principauté était petite, plus petite qu'une honnête promenade. Ses yeux étaient vraiment tristes. Beaux, noirs, assombris de longs cils, le blanc légèrement bleuté comme chez les jeunes veaux ou les filles phtisiques de province. Les femmes disaient que ces yeux « parlaient »; les hommes se taisaient."



Solitudes, car tous ces personnages sont tristes, vivent des épreuves, seuls,toute une vie, ou au moins une partie de celle-ci: une jeune fille qui a passé sa vie au service d'une riche famille à élever des enfants qui n'étaient pas les siens, ce géomètres qui n'a pas réussi à communiquer avec sa femme et qui s'est suicidé à ne pouvoir dire sa souffrance, ce puissant vizir, entouré toute sa vie de courtisans et d'enfants, mais mort déchu abandonné par tous. Car tous, puissants ou petites gens, célibataires ou père de famille nombreuse, lorsque la mort frappe à la porte, l'homme se retrouve toujours seul pour l'affronter.

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Contes de la solitude

Une radieuse journée d’été, une maison sur les hauteurs de Sarajevo à l’atmosphère douce et chaleureuse. L’un de ces matins lumineux où l’auteur Ivo Andrìc (1892-1975), encore empli des brumes des rêves nocturnes, s’attelle à sa journée de travail et attend, sans un souffle, sans un geste, dans une sorte d’expectative feinte, que résonne au fond de sa conscience l’écho des voix de l’imaginaire, que frémissent les fils brisés des récits ébauchés, que s’invitent les personnages, et que s’offrent et affluent les détails, les conversations, les comportements et les réflexions qui, jetés sur le papier, forgeront les histoires de « Contes de la solitude ».



Tels des fantômes émergeant des temps passés et des limbes de l’oubli, les personnages, visiteurs souvent imprévus, s’invitent dans la demeure (s’y imposent même parfois) pour conter leurs histoires, se révéler, se plaindre ou se confesser sous la plume de l’auteur, avant de s’éclipser pour rejoindre à nouveau les profondeurs du songe.

Vizir déchu, aventurier français, menteur impénitent, esclave déterminée, régisseur de cirque accablé d’amour, scribe bosniaque neurasthénique…défilent en une galerie de portraits qu’Ivo Andrìc peint avec un réalisme mesuré nimbé de douceur, un naturalisme auréolé de rêverie et de sagesse.

14 nouvelles, 14 portraits d’hommes, de femmes, de lieux…personnages historiques, nobles, esclaves ou paysans, paysages parcourus ou rêvés, par lesquels l’auteur ébauche les contours du pays yougoslave, entre tradition et modernité, quand ses frontières se partageaient encore entre Serbie, Bosnie Herzégovine, Croatie ou Macédoine.



Ainsi se compose le recueil des « Contes de la solitude », au gré de ces apparitions à la fois espérées et inopportunes dont Ivo Andrìc se fait l’émissaire, le porte-parole, le dernier écho avant l’engloutissement irrévocable dans les vapeurs de l’au-delà.

Des personnages qui « n'appartiennent pas à la même époque ni par leur destin ni par leurs origines », qui « sont de partout et de toutes les sortes » et qui jaillissent des affres de la solitude et de l’oubli pour livrer en témoignage la part d’individualité propre à chaque tempérament, laquelle, paradoxalement, offrira une fois le livre refermé, l’esquisse d’une physionomie universelle, entre joie et chagrin, entre force et faiblesse, entre ombre et lumière.



Le Prix Nobel de Littérature 1961 clôt ce recueil empreint d’humanité par une peinture de la ville de Sarajevo, dont les pierres portent la marque de deux mondes distincts, entre Orient et Occident, entre le sceau festonné apposé par la domination ottomane et la droiture sévère du cachet austro-hongrois, deux visages qui ont su parfaire et unir leurs différences en symbole fraternel en devenant emblématique d’une cité.

Cet écrivain qui a su si bien décrire les haines entre confessions et nationalités rivales ainsi que la complexité des rapports humains, serait certainement heureux de constater que cette ville, qui a subi les foudres et les sévices d’une guerre fratricide, ait réussi à panser ses blessures, se relever et s’offrir aux touristes dans la dignité et la beauté.



Mais qu’aurait pensé l’homme qui a construit le « Pont sur la Drina », face aux eaux troubles d’un fleuve devenu l’un des plus grands charniers d’Europe ? Sans doute, s’il avait encore vécu dans les années 1990, aurait-il eu le cœur brisé de voir son pays déchiré de guerres intestines, et sa ville de Višegrad défigurée par les massacres et les exécutions.

A l’heure où le cinéaste Emir Kurturica s’est allié l’amitié et le soutien du nationaliste serbe Milorad Dodik, le président de la petite république Srpska dont les airs amicaux camouflent mal l’idéal de sang pur et l’encouragement à la purification ethnique…à l’heure donc où Emir Kusturica oblitère la mémoire génocidaire pour financer la construction, sur des lieux de torture et de déportation, d’une ville dédiée au grand écrivain, il est bon de souligner qu’Ivo Andrìc a toujours espéré une « Yougoslavie » solidaire et unie, construite sur la paix et l’entente entre les peuples. En ce sens, son œuvre ne devrait pas être réquisitionnée à des fins autres que littéraires, artistiques ou culturelles.



http://www.larevuedesressources.org/emir-kusturica-et-la-mise-en-scene-de-l-oubli-d-un-genocide,2512.html

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Contes de la solitude

A lire, toute affaire cessante !
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Innocence et châtiment

Encore un hasard heureux... Un livre à prix réduit pour un auteur serbo-croate inconnu de moi et dont j'apprends, stupéfaction,...qu'il a été prix Nobel de littérature en 1961!! Je me suis donc informée sur lui. D'origine pauvre,témoin et acteur des bouleversements de son pays d'origine , la Bosnie, il sera à la fois ambassadeur et écrivain, discret, mais superbe conteur.



Ce sont ici des nouvelles, extraites, comme nous le précise le traducteur, dans le postface, du tome 9 de ses oeuvres complètes, un volume intitulé " Deca-Les enfants". Le titre " Innocence et châtiment" est tout à fait bien choisi car comme l'écrit l'auteur au début de la première nouvelle, " Le livre", " il s'agit de ces incidents minimes, invisibles et néanmoins funestes qui brisent ces petits d'hommes que nous nommons des enfants, et que nos aînés, tout à leurs propres soucis, vivent sans problème, ou même sans s'en rendre compte."



Oui, chaque nouvelle ( sauf la dernière, curieuse version de la chèvre de Monsieur Seguin) met en jeu un enfant encore pur, naïf, confronté à la peur, aux difficultés, aux cauchemars, à la violence aussi. Un événement va le transformer, souvent le durcir, le culpabiliser.



J'ai trouvé remarquable l'écriture, chaque mot est juste, pesé, et rend admirablement les angoisses, les pensées intimes de ces enfants malmenés par la vie ou dans l'incompréhension du monde des adultes. Le sens aigu de la psychologie m'a fait penser à Stefan Zweig. La première," Le livre" ,est ma préférée, pauvre enfant qui ne sait comment restituer un livre emprunté et abîmé par accident... Mais j'ai aimé aussi toutes les autres, notamment la poésie onirique de " L'excursion", le jeu dangereux de "La tour", le mystère autour d'un mot dans " Fâché avec le monde" ( cela m'a fait penser au fameux " presbytère " de Colette...)



J'ai eu un plaisir immense à découvrir cet auteur et je compte me lancer dans la lecture du plus connu de ses livres " Le pont sur la Drina".

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Innocence et châtiment

Six nouvelles d'un auteur serbo-croate tournant autour de la culpabilité et de l'injustice aveugle, d'une punition qui s'abat sur quelqu'un d'innocent, comme dans "le livre" où un enfant, qui se promettait monts et merveilles de son accession à la bibliothèque, non seulement se voit fourguer un ouvrage qu'il n'a pas pu choisir, mais l'endommage par accident. Il va alors vivre un vrai calvaire, perdant le goût de l'étude, de la nourriture, du sommeil, pensant à la mort comme seule échappatoire. On y découvre aussi une jeune fille accusée du vol d'une bague, une tour inquiétante qui a l'air de rendre fous les enfants qui y jouent, un enfant qui se met dans la peau d'un individu "louche", ou une vitre qui explose en pleine nuit.

J'ai aimé ces nouvelles étranges, sauf la dernière (une petite brebis désobéissante qui veut apprendre la danse), qui, si on comprend bien l'intention de l'auteur, est pourtant trop différente du réalisme des autres et détonne par rapport à l'ensemble.

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Innocence et châtiment

Innocence et Châtiment est un recueil de six nouvelles de l'écrivain yougoslave İvo Andric, prix Nobel de Littérature 1961.



Dés le premier récit « Le Livre » nous sommes en plein dans le titre, avec l'histoire d'un livre déjà abîmé, emprunté par un enfant à une bibliothèque. D'un privilège tant convoité il lui deviendra source de châtiment.

Dans "L'Excursion", le jeune Pétar, entre rêve et réalité, plonge dans une page de l'histoire de la ville où il est en excursion, et devient malgré lui témoin à une faute dont on se voit accusé à tort et à son châtiment .

« Fâché avec le monde », le jeune Lazare essaie vainement de percer le sens caché du mot " louche" attribué à un individu, qu'il entend au hasard d'une conversation d'adultes, et en percer le mystère implique pour lui forcément châtiment.

"La Tour" lieu de jeux d'enfants "innocents", où l'instinct du mal inné chez l'enfant n'est jamais loin.

"La Vitre" , le châtiment injuste de l'adulte à l'enfant innocent.

Et enfin la dernière, une fable magnifique, "Aska et le loup" où la danse pour la Vie d'Aska, nous fait voir "l'art et la volonté de résistance triompher de tout mal et même de la mort."



Avec son immense talent de conteur , Ivo Andric à travers les enfants, symboles de l'innocence, désemparés devant des fautes qu'il n'ont pas commis, mais dont ils doivent néanmoins endosser la responsabilité, aborde "l'éveil à la réalité du monde et, surtout au mal qui l'habite". De lui je ne connaissais que "Le pont sur la Drina" que j'avais beaucoup aimé, de ce pas je vais aller à la découverte de ses autres nouvelles. Un recueil magnifique de 86 pages, que je conseille vivement.



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Inquiétudes

Premiers écrits publiés du futur prix Nobel yougoslave, deux oeuvres de poésie en prose réunies dans ce recueil, « Ex Ponto » et « Troubles », écrites en 1918 et 1920, d'après sa douloureuse expérience de la captivité durant la Guerre.



Textes ambivalents, entre une sensation de grande maturité et celle d'un romantisme de jeune homme. Remplis de considérations sur les rapports humains, de leurs rapports avec Dieu, d'une notion de souffrance résignée mais apaisée, ils oscillent entre un lyrisme certain, et des scènes plus courantes de la vie.



Ex Ponto sort de l'esprit d'un prisonnier au crépuscule de sa vie, revivant par épisode certains moments de celle-ci, anodins ou essentiels, sans jamais se décider à raconter ce qui nous permettrait de le saisir. Il est l'Homme qui souffre mais qui a pardonné, comme une parabole plutôt célèbre… Certains versets, à la gloire des étoiles ou des montagnes, nous ramènent vers Hölderlin et les romantiques allemands du siècle passé. Curieux optimisme pessimiste (ou le contraire…).



Troubles, beaucoup plus court, davantage travaillé dans sa forme, magnifie en condensant tous les thèmes du premier, s'élevant dans l'universel, successions de chants à l'écriture simple et mélodieuse, Dieu comme idée transcendante à toute chose, les paysages de Bosnie vibrant à la conscience de celui qui les contemple.



Andric a continué toute sa vie à écrire de la poésie, sans plus jamais l'éditer, la trouvant trop « personnelle ». Un autre recueil posthume, « Lirika » reprend ses poèmes parues dans différentes revues avant 1914. Ils ne sont pas repris dans cette édition, contrairement à ce qu'en dit Wiki. Les traducteurs insistent sur leur caractère éclairant, enrichissant le regard sur l'oeuvre du maitre.
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L'éléphant du vizir

Ivo Andric est un conteur hors pair. C'est ce qu'on nous promet dans la préface, et ce que l'on comprend très vite lorsqu'on lit ces sept précieuses histoires, délectables tant elles vous projettent dans un univers dépaysant et pittoresque, au carrefour mouvementé des civilisations et des empires, plein d'un charme légèrement désuet et tendre-amer.



La première nouvelle est celle qui prête son titre au recueil. On y figure Travnik, petite ville de Bosnie, dont les habitants attendent avec une angoisse et une fébrilité croissantes le nouveau vizir. Celui-ci s'est construit une réputation effroyable, et a pour mission de mater les beys et autres puissants locaux. Il s'installe dans sa résidence et, comme beaucoup de ses prédécesseurs, fait venir un animal extraordinaire: un éléphant (le filj). La population de Travnik est d'abord figée dans sa stupeur, mais les dégâts occasionné par cet hôte inattendue va devenir le point de cristallisation de toutes les angoisses, les incompréhensions et la haine se fera jour. Mais venir à bout d'un éléphant, qui plus est l'éléphant d'un cruel vizir, n'est pas chose facile.



La deuxième nouvelle, tout aussi savoureuse, emmène le lecteur dans une contrée, Osatitsa, une "ville sur la hauteur, mais cette hauteur elle-même entourée de tous cotés par de hautes montagnes" . Comme dans tous le pays, il y a à Osatitsa une communauté musulmane et une communauté Orthodoxe. Et la totalité de ses habitants a un caractère fanfaron, du moins le type de caractère qui incite à l'escalade, à l'ascension tant physique que sociale, et de préférence sous les regards à la fois admiratifs et envieux. C'est ainsi que les habitants de la ville haute voulurent donner à leur église un apparat digne de leur rang, en s'endettant pour construire un dôme et y ériger une croix dorée. Et c'est également ainsi que, l'alcool aidant aidant, deux mystérieux ivrognes vont escalader l'église. Pour éviter un incident diplomatique grave avec son supérieur, le pope de la ville demande à ce qu'une enquête soit menée.



La troisième histoire "Une année difficile" représente un usurier puissant et réputé, Me Yevrem qui est un homme autoritaire et redouté de tous les habitant de la bourgade où il exerce. Me Yevrem est féroce, et férocement attaché à sa fille adoptive, Gaga, tzigane de 15 ans. Jusqu'à ce que l'armée turque vienne occupé la région. Arriveront avec cette armée les fléaux si courants des temps de guerre, en dépit des nombreux efforts des civils pour sauver leurs biens.



"Yelena, celle qui n'était pas", est le quatrième récit, celui d'un homme épris ... d'une hallucination récurrente.



J'ai adoré ces nouvelles, celle d'un peuple qui demeure spectateur plus ou moins résigné des évènements, des changements de régime, des armées qui passent. On finit par avoir l'impression que, dans ce perpétuel mouvement propre à ce pays, les gouvernements changent, les frontières changent, mais le peuple reste le même. C'est un vrai message, mais qui a l'élégance d'être sorti des contingences politiques et historiques, et qui revêt la forme de contes absolument charmants.



Dans "figures" (cinquième récit) où Andric se tient en équilibre entre l'iconoclaste et l'amoureux des figures; "Entretien avec Goya" (sixième récit ) où Andric, de séjour vers Bordeaux, dialogue de façon imaginaire avec le peintre espagnol notamment sur la société et ses puissants et "Histoire japonaise", on se rapproche plus ouvertement de la réflexion abstraite ou symbolique.
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