En 2018, Libretto fête ses 20 ans ! Une bonne occasion pour revenir avec son Directeur éditorial sur l'histoire de cette maison d'édition emblématique. Dans cette vidéo, il nous emmène à la découverte des livres se rattachant au voyage dans cette maison d'édition, à travers une sélection de titres incontournables.
0:44 Huit jours aux Indes, d'Emile Guimet
1:20 L'Odyssée de l'endurance, de Sir Ernest Shackleton
2:05 Longue marche (trois tomes), de Bernard Ollivier
2:50 A marche forcée, de Slavomir Rawicz
5:24 Tsiganes, de Jan Yoors
Site dédié pour les 20 ans de Libretto : https://libretto20ans.fr/
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Puis, à la façon des Rom, il laissa sa phrase en suspens et se rassit.
(p. 97)
Il serait bon de sentir de nouveau le vent souffler, donnant des forces et une pureté nouvelles. Bon de voir défiler les paysages, les arbres, les montagnes, les champs et les pâtures, de rencontrer des groupes de parents ou d'amis à la croisée des chemins ou dans les campements. Les Rom se réjouiraient de leur rencontre, puis se sépareraient de nouveau avant d'avoir épuisé les ressources de l'amitié, avant d'avoir satisfait leur curiosité, aussi pleins de joie et d'exubérance que le premier jour de leur rencontre, sachant en partant qu'ils se retrouveraient un jour car en Romani on dit que "si les montagnes sont immobiles, les hommes bougent".
Je fus pris d'un soudain accès de tristesse. Je regrettais la vie trépidante que je menais chez les Lovara. Les bois, la nature, les odeurs, les couleurs, les goûts, les paysages et les bruits qui rendent la vie lyriquement douce. La ronde des saisons et même - oui - les paysans que j'avais tant méprisés : les culs-terreux dont les capacités se limitaient au lent, lourd et archaïque travail de la terre, qui vivaient et dormaient et copulaient et mouraient dans de sombres trous puants près de leur bétail et de la terre. Je regrettais les cours de ferme avec leurs énormes tas de fumier, où les oies et les porcelets jouaient dans les sombres mares de purin qui suintait autour. Ils m'apparaissent à présent sous un autre jour, ces paysans : je voyais leur patience, leur ténacité, leurs liens à la terre, leurs amours et leurs joies simples, leur peur du surnaturel et leurs émotions inexprimées.
J'évoquerai d'abord la couleur de mon âme : l'immensité du ciel omniprésent, l'éternité de l'instant où la nuit n'était que la continuation du jour, la boue, l'eau bue saumâtre, l'inconfort... Le défi des incessants départs, les tourbillons de poussière, les arbres rares, les vents plaintifs, le ciel nocturne rassurant... Le piaffement des chevaux, le cercle des roulottes, les feux de camp, les jeux des enfants, l'aboiement des chiens... Les raids de la police montée, la dignité des Rom, leur magnétisme animal, le lac où, au soleil, jouaient les carpes, la venue du crépuscule...
Les Lovara ne voyagent pas uniquement pour trouver des épouses à leurs fils. Ils quittent un pays parce qu'ils en ont épuisé les ressources, parce qu'une guerre, une révolution ou une épidémie menacent, ou simplement parce qu'ils ont envie de changer d'horizon. Ils n'attendent rien d'un monde auquel ils n'appartiennent pas et fuient sans cesse une nuit des longs couteaux qui revient toujours. Ils ont trois moyens de se défendre : leur mépris des convenances, leur apparente pauvreté et leur mobilité.
Elle, vulnérable, qui ne partageait rien avec personne, partagea son verre avec moi.
Un peu partout les Tsiganes ont des parents qui sont restés sur place ou sont partis on ne sait où de par le monde. Ils les retrouveront un jour, à un croisement de routes. Pourquoi parler de ces gens-là, comme de Turcs, de Bulgares, de Grecs, d'Espagnols ou de Français ? Ce sont des Rom. Les gadje n'ont pas à savoir qui ils sont, d'où ils viennent et où ils vont. Cela, les Gitans eux-mêmes ne le savent pas.
Pour les Rom, la vie était comme un fleuve sans fin, ou un torrent sans lit et sans but, au-delà du bien et du mal, et la place de l'homme dans la vie semblable à un processus d'autoconnaissance interdisant la trop humaine couardise de la faiblesse et du doute. Animé d'un urgent besoin de chercher ce qu'il y avait d'essentiel dans la vie, l'homme était libre de réagir à sa façon à ses défis et d'être ce qu'il ferait de lui-même. Cela, c'était la liberté.
Elle disait qu'elle avait besoin de vent pour vivre, de balval, le "vent coulis", pas la brise que dispense une fenêtre ouverte.
Devant nous, la caravane paraissait avancer lentement mais, de façon exaspérante, la distance qui nous séparait paraissait constante quels que fussent nos efforts, comme si nous étions sous l'emprise d'un sortilège nous donnant la sensation et l'illusion de la vitesse et de l'action, alors que nous étions cloués sur place.