Citations de Janine Teisson (98)
Après un grand moment de silence, ce fut un brouhaha de questions, tous se mirent à rire. Ils riaient des murs de pierre, ils riaient du chant des grillons, ils riaient des odeurs. Ils riaient de leur ignorance. [...] S'asseoir dans l'herbe, aller près de la rivière, tout les faisait rire.
Deux mots et demi, une apostrophe.
Occupée à plein temps
à l'inventaire
de tes absences
Un amour
à dose homéopathique
ne peut pas faire de mal.
Mais
peut-il
faire du bien?
Tantôt dompteur
tantôt dompté
face et face dans le cirque amour
Je n'égratigne pas ta liberté, je te veux sans entraves et pourtant je souffre
Les guerriers tatouent ceux de leur clan et deviennent ainsi les proies les plus intéressantes. (9)
Elle a été une femme contraire très réussie. Une femme double, aussi, vivant deux vies superposées, la vie pour les autres, officielle et rangée, à peu près ancrée dans la réalité et la vie pour elle, secrète, folle, imaginative. Parfois ses deux vies sont en équilibre, et parfois I'une des deux prend l'avantage. Si c'est la vie pour les autres, la contrainte l'entraîne vers le dégoût d'elle-même, la dépression. Si c'est l'autre vie, ce sont des moments de création, de fantaisie, d'audace. Une liberté qui lui donne le vertige, un bonheur qu'elle croit ne pas mériter. Qu'elle abrège, d'une façon ou d'une autre.
Est-ce que tous les humains sont ainsi ? se demande-t-elle.
Elle est dans un drôle de conte, victime d'une formule maléfique qui a le pouvoir de transformer une lycéenne douée en philosophie en une ménagère nulle en cuisine. Cette formule n'est pas le célèbre « Abracadabra », mais le plus célèbre encore " Je t'aime ».
Leur éducation tient en trois consignes : obéis, tais-toi, et, surtout pour les filles, fais plaisir aux autres.
Elle est proche des animaux. Oui. Avec eux, elle par-tage le silence, le sentiment d’être à la merci et, comme n’importe quel objet ou animal, d’être remplaçable. Elle a conscience de son insignifiance, de son anormalité, et vit par conséquent dans une grande insécurité. Elle vaut si peu, elle pèse tellement, elle est si inutile qu’elle se de-mande quel intérêt ses parents ont à la garder. Elle pisse au lit, elle suce son pouce, elle est laide et presque idiote. Et si incapable de s’améliorer ! Elle se sent perpétuellement en danger. Suis-je un être humain ?
Elle a attendu très longtemps avant d’oser penser qu’elle portait une part de l’âme de sa grand-mère.
C’est en écrivant qu’elle aura la conviction d’être son héritière. Lier ses phrases les unes aux autres, trouver les formes, ajuster les mots, les accorder entre eux comme on accorde les couleurs, les tissus selon leur grain, équilibrer contraste et harmonie, classicisme et fantaisie, lisser, ne pas perdre la trame, retirer encore et encore de la matière, se relever la nuit pour ajouter le détail qui donnera de l’allure, corriger jusqu’à penser enfin qu’on ne peut plus améliorer son texte est travail de couturière. Couturière des mots.
1956 Elle vit une enfance hébétée et mutique. Une
enfance de myope. Évidemment elle ignore ce que veut dire myope et n’imagine pas que la plupart des gens voient mieux qu’elle. Comment pourrait-elle le savoir ? Sans doute, la bouillie qui occupe son cerveau est-elle le reflet de celle dans laquelle elle évolue. À voir flou, elle entend flou. Pourquoi ne pas en conclure alors, que pour la même raison elle pense flou ? Elle flotte dans un grand aquarium impressionniste, espérant ne jamais heurter d’obstacle. Elle distingue uniquement les petites choses, celles qu’elle tient dans sa main, qu’elle touche du nez. Les insectes. Elle voit plus distinctement les traits d’une sauterelle ou d’un escargot que ceux de sa mère. Il faut dire que celle-ci demeure distante. Les livres, eux, ne se dérobent pas. Quand elle en cap-ture un, le visage presque collé à la page, elle dévore les mots sans jamais connaître la satiété.
En dehors de la lecture, elle explore le seul domaine à sa portée : son corps. La verrue au genou comme un minus-cule cœur de marguerite qu’elle détruit grain à grain. Goût de soufre de la peau l’été, dessins tracés avec une brindille sur ses cuisses brunes, effacés à la salive, doigts appuyés sur les yeux, étoiles derrière les paupières, doigt explorant le nez jusqu’au sang, doigt dans le derrière, l’odeur.
Ils la disent anormale. Elle se colle aux miroirs. Elle n’attrape jamais le ballon qu’on lui lance. Elle se tord les pieds.
À force d’être déçue par l’évaporation des êtres et des choses qui perdent leurs contours et leur existence sans qu’elle puisse les retenir, elle s’est elle-même éloignée. Elle a renoncé à avoir de l’emprise sur quoi que ce soit. Elle ne désire rien qui soit à plus de deux mètres d’elle. Séparée des autres, elle voit le monde comme une goutte d’eau croupie sous le microscope. Beaucoup d’animal-cules indistincts qui s’agitent, traversent subitement son champ de vision puis disparaissent. Pourquoi ? Pour aller où ? Elle n’en sait rien.
Un jour ils lui posent des lunettes sur le nez. Mais l’ha-bitude de la solitude et du flottement est prise. S’extirper de l’indistinct dans lequel elle a fait son nid est malaisé.
Sortie du film « Et Dieu créa la femme ». Brigitte Bardot est promue Sex-symbol. L’enfant n’a jamais entendu le mot sexe. Sa collection de mots n’en est qu’à ses débuts.
Elle se déshabille dans la salle de bain. Comment ses membres tiennent-ils encore à son tronc? Il semble qu'un rien la disloquerait, comme une caille trop cuite. Sa peau suit les creux des os du bassin. A la place des fesses elle a deux trous, profonds à y loger les poings. Plus de ventre non plus. Un cratère vide suspendu entre les deux pics de ses hances. Ses épaules sont un portemanteau. Elle ressemble à un pantin, à un mauvais dessin. Ses jambes sont trop éloignées l'une de l'autre, comme celles des squelettes. Ses poils se hérissent sur ses bras décharnés. Son cou de Ramsès II semble prêt à se rompre. Ses dents avancent. Et au fond de ses orbites bistres, son regard est traqué, perdu, las.
Je hurle; Ca vient du fond de mes entrailles. Du fond du monde. 9a dure. Je ne me reconnais pas dans ce feulement qui me rabote comme un nouvel accouchement. Je refuse. Je refuse ça. Je refuse la mort.
Je me ramasse sur moi-même pour expulser l'enfant loin du danger.
"Rhabille-toi. On va à l'hôpital."
Tout à coup, à part cette volonté qui m'emplit toute, il n'y a rien. Je n'ai aucun doute sur la décision à prendre: c'est l'hôpital. Le constat de notre impuissance à la guérir est fait. L'urgence de la confier à ceux qui en ont le pouvoir s'impose. Aucune hésitation. Pour la première fois.
Je suis folle. Rencontrer à nouveau ce garçon, c'est vraiment aller tout droit à la catastrophe. Ça ne peut se terminer que mal. Mal pour moi. Je le sais. Et pourtant je ne souhaite que ça. Je suis folle, c'est sûr. Je ne connais même pas son nom et je crève parce que je n'ai pas entendu sa voix depuis quinze jours.
Un crime à l'institut de Thalassothérapie, je vois très bien ça. Ca pourrait se passer ici, dans la baignoire, cabine N°7.
Ou sous les douches multi-jets, mais la victime serait debout et bien éveillée, et Psychose, ça a déjà été fait et refait en pire.
"Je suis assez découragé, surtout que les effets du congrès de Milan de 1880 se font maintenant sentir pleinement. Les entendants sont bien décidés à nous réduire au silence et à l'imbécilité ! "
Une belle histoire , une famille sur les routes fuyant les allemands après la perte du papa résistant. La maman perd la raison, deux petites filles perdues face aux silences des grands. Des rencontres, un combat de femmes face à l'horreur . Ado ou pas on ne peut qu'apprécier ce petit livre si émouvant .
Ils disent : elle réagit bien.
Je pense : je suis fichue
Je n'avance plus.
La vie, comme un tapis roulant,
me transporte,
immobile.
Ça va ? Ça va.
Que dire à ceux
qui ne mettent pas leur vie
dans les mots ?