Citations de Jean-Claude Grumberg (243)
Il était u e fois dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron. Non non non non, rassurez vous ce n’est pas le petit poucet ! Pas du tout. Moi même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ?
Mon fils a dit qu'il passerait s'il trouve le temps de venir voir sa maman. Je veux pas le louper, il vient si rarement. Il est très occupé, il court, il court, les affaires, le pognon, tout ça.
Ainsi, au fil des premiers âges, tantôt grenouilles, tantôt humains, les plus belliqueux d'entre tous régnèrent sur l'un et l'autre monde, l'aquatique et le terrestre. Bientôt la discorde régna par tout, tant sur la terre ferme que sur les étangs.
(p. 8)
Ils partagèrent tous trois un plein fagot de bonheur, orné de quelques fleurs que le printemps leur offrait pour éclairer leur intérieur.
Elle se sent devenue mère, à la fois heureuse et mortellement inquiète.
Voilà la seule chose qui mérite d'exister dans les histoires comme dans la vie vraie. L'amour, l'amour offert aux enfants, aux siens comme à ceux des autres. L'amour qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n'existe pas, l'amour qui fait que la vie continue. (p103)
[...] on fait toujours une bonne affaire quand on fait une bonne action.
(Léo, scène 5)
Noircir - consciemment ou inconsciemment - ces pages fut pour moi comme agiter un mouchoir blanc après le départ du train qui t'éloigne dans l'infini lointain (...)
Les jours succédèrent aux jours, les trains aux trains. Dans leurs wagons plombés, agonisait l’humanité. Et l’humanité faisait semblant de l’ignorer.
Après réception de la marchandise, il fut aussitôt procédé à son tri. Les experts trieurs, tous médecins diplômés, après examen, ne conservèrent que dix pour cent de la livraison. Une centaine de têtes sur mille. Le reste, le rebut, vieillards, hommes, femmes, enfants, infirmes, s'évapora après traitement en fin d'après-midi dans la profondeur infinie du ciel inhospitalier de Pologne.
Le lendemain, où qu'il posât sa main, ce fut le cœur de la petite marchandise qu'il sentit battre sous sa paume. Désormais, dans le secret de son cœur noyé dans une douceur inconnue, il nommait lui aussi la petite sans-coeur sa petite marchandise à lui. Et lorsque, par grand et rare hasard, il se trouvait en tête à tête avec elle, il tendait vers elle un doigt hésitant qu'aussitôt la petite agrippait et ne voulait plus lâcher. Il éprouvait alors une joyeuse et bienfaisante douceur.
Voilà la seule chose qui mérite d'exister dans les histoires comme dans la vraie vie. L'amour, l'amour offert aux enfants, aux siens comme à ceux des autres. L'amour qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n'existe pas, l'amour qui fait que la vie continue.
INCIPIT
Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.
Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir? Allons…
Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.
La guerre mondiale, oui oui oui oui oui. Pauvre bûcheron, requis à des travaux d’intérêt public – au seul bénéfice des vainqueurs occupant villes, villages, champs et forêts –, c’était donc pauvre bûcheronne qui, de l’aube au crépuscule, arpentait son bois dans l’espoir souvent déçu de pourvoir aux besoins de son maigre foyer.
Fort heureusement – à quelque chose malheur est bon – pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne n’avaient pas, eux, d’enfants à nourrir.
Le pauvre bûcheron remerciait le ciel tous les jours de cette grâce. Pauvre bûcheronne s’en lamentait, elle, en secret.
Elle n’avait pas d’enfant à nourrir certes, mais pas non plus d’enfant à chérir. Elle priait donc le ciel, les dieux, le vent, la pluie, les arbres, le soleil même quand ses
rayons perçaient le feuillage illuminant son sous-bois d’une transparence féerique. Elle suppliait ainsi toutes les puissances du ciel et de la nature de bien vouloir lui accorder enfin la grâce de la venue d’un enfant.
Peu à peu, l’âge venant, elle comprit que les puissances célestes, terrestres et féeriques s’étaient toutes liguées avec son bûcheron de mari pour la priver d’enfant.
Elle pria donc désormais pour que cessent au moins le froid et la faim dont elle souffrait du soir au matin, la nuit comme le jour.
Pauvre bûcheron se levait avant l’aube afin de donner tout son temps et toutes ses forces de travail à la construction de bâtiments militaires d’intérêt général et même caporal.
Connaître l'histoire, les histoires, la vraie Histoire, à quoi cela sert-il ? Sinon à alerter les chaperons d'aujourd'hui, à avertir les enfants que la liberté de traverser le bois pour porter à sa mère-grand un pot de beurre et une galette n'est jamais définitivement acquise... Cette liberté appartient à chacun et à tous. Hier ce furent les enfants Uf, ainsi que leurs parents et grands-parents, qui durent fuir, se cacher, changer de noms et de papiers afin d'échapper aux griffes du loup. Un temps pas si vieux et pas si bon où des loups noirs ou de vert vêtus pourchassaient des petits enfants...
Quand on n'a plus d'avenir, il reste le passé devant soi.
Il avait vaincu la mort, sauvé sa fille par ce geste insensé, il avait eu raison de la monstrueuse industrie de la mort. Il eu le courage de jeter un dernier regard sur la fillette retrouvée et reperdue à jamais. Elle faisait déjà l’article à un nouveau chaland montrant de ces petites mains la provenance du fromage en désignant du doigt la chèvre chérie et sa maman adorée.
Elle n’avait pas d’enfant à nourrir certes, mais pas non plus d’enfant à chérir.
Les jours suivants, pauvre bûcheron tout comme pauvre bûcheronne ne ressentirent plus le poids des temps, ni la faim, ni la misère, ni la tristesse de leur condition. Le monde leur parut léger er sûr malgré la guerre, ou grâce à elle, grâce à cette guerre qui leur avait fait don de la plus précieuse des marchandises.
Voilà la seule chose qui mérite d'exister dans les histoires comme dans la vraie vie. L'amour, l'amour offert aux enfants, aux siens comme à ceux des autres. L'amour qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n'existe pas, l'amour qui fait que la vie continue.
SIMONE. [...] Le pire c'est les mères... Vous aussi vous êtes passé par l'hôtel Lutetia ?... On m'avait dit d'y aller tout au début pour avoir des renseignements, quelqu'un qui l'aurait vu, qui... enfin vous savez, les photos, les... bon... J'y étais une fois, j'osais pas m'approcher. Il y a une bonne femme qui m'a agrippée par le bras et qui m'a fourré de force sous les yeux une photo genre distribution des prix, je vois encore le gosse, il avait l'âge de mon grand en culottes courtes, avec une cravate, un livre sous le bras, "le prix d'excellence", elle hurlait : "Il a toujours le prix d'excellence." Elle voulait pas me lâcher, pourquoi vous pleurez, regardez regardez ils reviennent, ils reviendront tous ; Dieu le veut, Dieu le veut. Alors une autre femme lui a crié dessus et s'est mise à la pousser... On a beau dire que pour les enfants c'est sans espoir, elles sont là, elles viennent, elles parlent... Je l'ai revue plusieurs fois dans les bureaux, de plus en plus folle...