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Citations de Jean Dutourd (209)


Dans l'extrait ci-dessous, au tout début du roman Julie, la mère Poissonard, dénonce Léon Lécuyer, le jeune militaire évadé, réfugié chez sa mère qui habite dans le même quartier que les poissonard :

"Monsieur le Général de la Commandature de l’Opéra,
J’ai l’honneur de venir vous dire qu’il se passe dam le 17è arrondissement des agissements qui révoltent le cœur honnête du Peuple français. Les choses qu’il s’agit ont leur siège rue Pandolphe (Quartier des Ternes). Le prisonnier de guerre Lécuyer Léon, non content de se sauver du Stalag où il était prisonnier des autorités d’occupations se balade dans le quartier au vu et au su de toute la population et donne le mauvais exemple.
Pour le moment, il est réfugié chez sa mère, Lécuyer Joséphine, numéro 21, impasse du Docteur-Barthès (17è arrondissement) qui le cache effrontément. Au moment où le pays doit vivre dans l’honneur et dans la dignité, c’est le devoir d’une Française digne de ce nom et fière de l’être de porter des faits comme ça à votre connaissance, parce que j’estime que chacun doit rester à sa place : les soldats au front, les commerçants dans leur magasin et les prisonniers au Stalag. Si les prisonniers se sauvent, ça fait punir leurs camarades, alors que c’est les évadés qui doivent être punis les premiers et ceux qui les cachent les deuxièmes. Je viens vous écrire en défenseur de la morale et de la société. Si vous envoyez la Gestapo à cinq heures du matin, 21, impasse du Docteur-Barthès (troisième à gauche), vous prendrez au lit l’homme qui trouble l’ordre du quartier et sa complice.
Recevez Monsieur le Général de la Commandature de l’Opéra, l’expression de mes meilleures salutations.
Une française qui ne signe pas pour des raisons que vous comprendrez."
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* Avec un texte de soixante pages, elle était parvenue, par ses annotations, ses dissertations, ses comparaisons, à produire un volume de trois cents pages dont le moins qu’on pût dire est que la lecture était difficile. Cette difficulté n’avait pas rebuté ses collègues qui jugèrent, non sans dépit, que Mlle Jolivet, pour son coup d’essai, avait réussi un coup de maître. Quant à elle, sa prouesse lui insuffla la vanité des universitaires d’aujourd’hui qui ont une illusion semblable à celle des metteurs en scène de théâtre et des chefs d’orchestre, à savoir que leur interprétation d’une œuvre est plus intéressante que l’œuvre elle-même et qu’il y a autant de « créativité » (c’est leur mot) à expliquer qu’à inventer, surtout si, à force de sollicitations et de gloses, on démontre que l’auteur a dit autre chose que ce qu’il croyait avoir dit. Annoter son propre ouvrage fournissait à Adeline un plaisir supplémentaire, qui était de traiter sa prose comme celle d’un écrivain célèbre, au point que, parfois, il fallait qu’elle se retînt pour ne pas critiquer ou contredire en note ce qu’elle avait affirmé dans le texte.

* Mme Schwob regardait son mari assis en face d’elle avec l’air de supplication de Mme du Barry mendiant au bourreau une minute de vie. Elle voyait les nuages les plus noirs se former sur le front de M. Schwob. « Il faut faire quelque chose, tout de suite, songea-t-elle, sinon c’est l’horreur ! » « Ma petite Adeline, dit-elle avec son sourire le plus mondain, vous permettez que je vous appelle Adeline, n’est-ce pas ? Ma petite Adeline, il y a certains milieux où certains sujets sont sacrés. Dans le nôtre, c’est le Général. Tout le monde a ses faiblesses. Nous sommes, mon mari et moi, ce que les journalistes appellent des gaullistes historiques. A part cela, nous n’avons pas de vices, je vous le jure. N’est-ce pas, chéri ? Je n’ai pas d’amant. Tu n’as pas de maîtresse, du moins je me plais à le croire. En fait, si, tu as une maîtresse : le Général. Dieu merci, tu ne le vois pas tous les jours de cinq à sept dans une garçonnière. Bref, ma petite Adeline, si vous voulez parler du Général dans cette maison, faites-le avec des superlatifs. Au-dessous des superlatifs, mon mari enfile sa combinaison, saute dans son Spitfire et tire sur tout ce qui vole. Chéri, ne tire pas sur Mlle Jolivet, je te le demande. Elle est trop jolie pour être descendue en flammes. Si elle nous fait le plaisir de revenir, ce que j’espère, je l’instruirai, je lui ferai lire les livres saints, c’est-à-dire les Mémoires de guerre, et je suis sûre qu’elle deviendra une adoratrice très convenable. A condition, bien sûr, que Laurent ne défasse pas mon travail derrière mon dos.

* M- Schwob considérait Adeline avec la perplexité d’un touriste qui écoute une femme du Zanzibar s’exprimant en souahéli et qui, grâce à quelques mots d’anglais par-ci par-là, entrevoit le sens général de la harangue.

* Cette pauvre gourde ne connaissait de Paris que le périmètre sorbonnard et les facultés. Dans son genre, elle aussi était une déracinée, mais son déracinement était bien plus complet que celui des Alsaciens-Lorrains après la guerre de 1870 : elle était une déracinée de l’esprit ; elle s’était retranchée de tout ce qui fait l’attrait et la richesse d’une créature humaine, c’est-à-dire son appartenance à une civilisation ; elle avait poussé le déracinement jusqu’à abandonner sa langue maternelle, à l’échanger contre un sabir incompréhensible aux bonnes gens de chez nous, sacrilège majeur pour M. Schwob, qui n’avait pas oublié l’émotion qui les saisissait, lui et sa femme, ni le battement de cœur qui arrêtait leur souffle à Londres au temps de la guerre, quand ils entendaient par hasard parler français dans la rue ou dans une boutique, quand cette divine musique de leur enfance résonnait inopinément à leurs oreilles au milieu du concert anglo-saxon et, plus puissante que l’illustre madeleine de Proust, faisait surgir toute leur vie passée devant eux, tout un monde perdu. Quelle martienne Laurent leur avait-il amenée ? C’était bien la peine de se livrer à tant de momeries, d’aller pieusement à la synagogue, d’embêter la terre entière à cause d’une tranche de jambon, de se conduire en Juif du Moyen Age, pour s’amouracher de quelqu’un qui ne croyait à rien, qui ne tenait à rien, pas même à sa propre essence,qui était ce qu’on peut trouver de pire dans le genre moderne. Il adressa à Mme Schwob un regard si accablé qu’elle ne put s’empêcher de sourire.
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* Les femmes ont une façon de faire des projets, d’engager l’avenir qui ne manque jamais d’épouvanter les hommes. Ceux-ci préfèrent vivre au jour le jour, sans regarder trop loin. C’est le grand sujet de discorde entre les sexes. Devant ce déluge de bonnes résolutions, Jean-Claude commençait à se demander s’il n’avait pas mis en branle un mécanisme implacable, comme un nouveau converti, qui veut bien consentir à croire en Dieu, mais qui est terrifié quand on lui montre les renoncements, les dépouillements, les sacrifices, l’oubli de soi que Dieu attend de lui. Il avait une idée modérée du mariage, comme il avait des idées modérées de tout ; il n’avait pas prévu que Brigitte, qui avait des idées absolues de tout, aurait aussi une idée absolue du mariage. Il voulait simplement mettre de l’ordre dans une vie désordonnée, consolider avec les échafaudages qu’offre la société un amour dont l’instabilité le faisait souffrir, et voilà qu’on lui offrait la vie monastique, l’austérité du cloître, voilà que la pécheresse, par la vertu d’un mot, se métamorphosait en sainte. Bigre !

* Les sept péchés capitaux se tiennent secrètement par la main, mais c’est entre la colère et la luxure qu’il y a le plus de correspondances, l’une appelant l’autre, ou menant vers elle par des voies souterraines.
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Où finit la paresse, où commence la contemplation ?
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On n'est pas français par le corps mais par l'âme. Tout le teste est racisme.
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Longtemps la France, avec sa manie de la clareté dans le raisonnement et la syntaxe inflexible de sa langue, a été un pays très inhospitalier aux imbéciles. Mais ils ont bien pris leur revanche depuis une quarantaine d'année. Ils ont éteint le grand lustre en cristal de la France qui avait éclairé l'Europe pendant trois siècle. En outre, ils ont changé de nom : ils se sont baptisés " intellectuels ". Moyennant quoi, aujourd'hui, on est aussi bête à Paris qu'ailleurs, ce qui n'est pas gai.
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Quand une chose est tout à fait clair et évidente, un imbécile ne manque pas de survenir et de déclarer gravement : " Ce n'est pas si simple. " Les imbéciles recherchent le compliqué, l'obscur, le nuageux, l'ambigu - et le créent au besoin - comme les vieilles coquettes qui vivent dans la pénombre afin qu'on ne voie pas leurs rides.
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Finalement, j'admire ce métier, parce que, effectivement, le chant me paraît être ma plus grande passion : Ouvrez la bouche, produisez des sons mélodieux, et faites rêver le monde...
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Qu'est-ce qui rend le passé si captivant, si charmant, si beau, si joyeux, si facile à comprendre ? C'est qu'il n'en reste que les monuments de l'intelligence et de l'art, le propre de la bêtise (comme de la laideur) étant d'être éphémère. Dans une époque donnée, il y a quatre--vingt-quinze pour cent de laideur et de bêtise, mais cela disparaît complètement et, quarante ans plus tard, on ne voit plus que les cinq pour cent d'intelligence et de beauté qui, par un phénomène d'optique naturel, apparaissent comme les caractéristiques de cette époque-là, laquelle fut, en réalité, aussi confuse, tâtonnante, absurde que toutes les autres et en particulier celle où nous vivons.
De là, le goût des gens supérieurs pour le passé. Ils se réfugient dans une sorte de monde idéal, où ils ne voient que des passions puissantes, des chefs-d'oeuvre, des hommes de génie à qui toute justice est rendue. De là, encore, le scandale que cause toujours la destruction du passé : c'est évidemment une revanche de la bêtise actuelle sur l'intelligence éternelle. Au fond, les gardes rouges de Pékin qui cassent les statues et brûlent les livres de poésie font plus horreur que des imbéciles tuant d'autres imbéciles, car ce n'est pas la matière contre la matière, mais la matière contre l'esprit. (28 septembre 1966, "Eloge du passé".)
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À six ans, à huit ans, je me lamentais déjà d'être né dans le pire siècle que l'humanité ait connu : le XXe et non au moyen âge ou sous Louis XIII. Plus tard c'est autre chose que je regrettai dans le passé et que j'aurais tant aimé : les époques où la France dominait le monde, tant par la force que par l'esprit. Je ne me consolais pas de n'avoir pas été le contemporain des charmants français d'autrefois mais de l'etre de la peuplade moutonnière, colonisée,illettree, sectaire qu'ils sont devenus.
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N'en as-tu pas quelquefois assez d'être mort ? Me demanda Hadamas.
Question à la fois étrange et saugrenue. Que répondre ? C'était vrai pourtant il m'arrivait de regretter la Terre et ses plaisirs. J'aimais bien respirer, nager, courir, manger, boire du vin, caresser une femme, et diverses autres choses que l'on ne peut faire que si l'on possède une peau recouvrant des muscles. Dans certains moments de solitude, la matière me manquait. Si un maître important et puissant m'avait offert de me revêtir pour quelques jours d'un corps humain comme d'un pardessus, j'aurais peut-être accepté. Quoique j'aime bien mon état actuel, une villégiature dans ce qu'on appelle "ici-bas" me distrairait. On se lasse de tout, même de l'au-delà.
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L'église, c'est bien gentil, poursuivit-il, mais pas très varié. Tiens, par exemple, la messe. Quand tu as assisté à une messe, tu as assisté à toutes. Les gens viennent chaque dimanche, ils redisent les mêmes paroles, ils refont les mêmes gestes. Et cela dure depuis 2000 ans : on a de la peine à croire qu'un spectacle aussi dépourvu de talent et d'imagination ait tenu si longtemps l'affiche.
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On a volontiers tendance à penser que les mésaventures, les humiliations, les épreuves, les chagrins, les drames ouvrent l'esprit de ceux qui les endurent et qu'un imbécile qui a souffert et moins sot qu'un imbécile qui ne s'est jamais heurté aux asperites du monde. Mais ce n'est pas vrai. Un imbécile, heureux ou malheureux, reste toujours un imbécile ou. Sa nature ne change pas sous la pression des événements.
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Là-dessus Hadamas me fit un éloquent laius sur les plaisirs de la vie, sur la joie qui coule en vous lorsqu'on a de la chair sur ses os, des biceps, des papilles gustatives, des narines qui respirent, une langue qui parle, des mains qui caressent le corps des femmes. D'après lui, il n'y avait que les êtres faits de la sorte, bien encastrés dans la matière, incapables de porter leur regard au-delà de la place qu'ils occupent dans l'espace, qui savaient jouir complètement de leurs possibilités. Ce n'est pas pour rien que la préoccupation majeure des vivants est l'amour. Il y a dans ce sentiment une douceur, une langueur, une chaleur, un appel, une faim de tendresse, qui est le propre de la chair, et dont l'esprit n'a pas le soupçon.
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Je songeais qu'en somme, j'étais mort au bon moment où le [...] Avant que la ménopause ne signala son arrivée par des humeurs de [...] Tant pis pour toi, mon cher Monmon. Si tu avais envie de coucher avec Marie-Françoise ou, il fallait le faire pendant que j'étais encore la. J'étais le garant de ta liberté comme le sont habituellement les maris trompés. Un mari est une bénédiction pour l'amant. Le seul fait qu'il existe suscite au couple adultère une quantité d'obstacles qui, en contrariant les élans, fait durer les passions et même les amourettes. On est acculé aux précautions, à la dissimulation, aux rencontres clandestines, au mensonge, aux rendez-vous hasardeux, toutes choses qui apportent l'illusion de gagner chaque rencontre commune bataille. Sans ces empêchements, l'intimité amoureuse risquerait parfois d'être pesante, et surtout l'amant se retrouverait nu, fragile, vulnérables, désarmé, devant sa maîtresse, laquelle, si elle veut l'asservir tout à fait, y parviendra en six mois. Devant une femme un homme n'est pas de force. Le mari, en cela, est une aubaine pour. Son existence est le seul point lumineux dans le long et obscur tunnel de l'amour, l'unique espoir qu'on ait de retrouver son indépendance.
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Je ne regrette pas le temps. Je suis très content d'être débarrassé de la tyrannie des minutes qui emprisonne la vie des hommes depuis la Préhistoire. Un des aspects charmant de l'éternité est que, sur ce plan-là, on est tout à fait libre. Vivant, on était boudiné dans le temps comme dans un costume trop étroit (quand on n'avait pas l'impression de flotter dans un vêtement trop large) bref, jamais (ou rarement) on n'avait la satisfaction d'être habillé sur mesure. Il y avait quand même un domaine où le temps avait une qualité essentielle : la littérature. À l'époque je lisais des livres, j'admirais tel romancier d'avoir su montrer la durée des sentiments ou des êtres, tel autre d'avoir bien rendu le vieillissement du monde, l'usure des choses. À certains moments de ma vie terrestre, j'ai tenu un journal intime, dans lequel je consignais des pensées, des racontars, des anecdotes et où je reproduisais des conversations. Soi-dit en passant, je me repens de ne pas avoir détruit les neuf carnets renfermant mes idées géniales et les relations de mes rencontres historiques. Je m'aperçois maintenant qu'ils ne contiennent pas le meilleur de moi, mais surtout reflète ma vanité, y compris la vanité de l'écrivain amateur qui se prend pour Jules renard. Pourvu qu'un héritier zélé ne se mettre par en tête de publier ce fatras ! Le journal intime avait toutefois une commodité, à savoir qu'il était, comme son nom l'indique, un journal, c'est-à-dire qu'il était découpé en petites tranches de temps et que cela permettait de se repérer dans la bouillie des jours.
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Il me semble que mon prénom était Olivier, mais je n'en jurerais pas. J'irai vérifier sur ma pierre tombale. Même oblitération du nom de famille, à croire que le vent qui souffle dans les allées de mon cimetière est un vent d'oubli. J'ai l'impression qu'un certain nombre de mes souvenirs tombent de moi comme de vieux costumes, peut-être parce que, dans l'état où je suis, ils ne me servent plus rien.
Il me faut cependant noter la persistance d'une illusion d'autrefois, à savoir que je n'avais aucune mémoire des bonnes actions que j'avais accomplies, mais à peu près uniquement des mauvaises. Il m'est arrivé des centaines de fois, sinon des milliers, d'être patient, prudent, compatissant, généreux, courageux, etc. tout cela a filé dans le néant ; je n'ai dans mon souvenirs que les petites lâchetés, les mesquineries, bassesses, petites mufleries, petits calculs, petites tromperies et autres vilenies. A vue de nez, j'en distingue une trentaine, une quarantaine, pour 65 ans de vie, ce qui n'est pas beaucoup en soi et ne pèse pas lourd dans ma balance intime du bien et du mal, mais c'est cela qui me revient comme une nausée quand j'examine ma vie d'homme, et non ce dont je pourrais me prévaloir, ne fût-ce qu'à mes propres yeux. Ce minuscule paquet d'ordures ménagères a pris toute la place dans ma conscience. Je ne vois que cela, je cherche en vain quelque chose de bien, de convenable, pour compenser. J'ai beau me dire que les plus illustres bienheureux ont eu comme moi leurs moments de faiblesse, leurs ombres fugitives, cela ne me console pas. ils étaient habités par une passion qui emportait tout comme un ouragan. Le bon et le mauvais de leur âme étaient pris dans un mouvement furieux qui les jetait au paradis, aux pieds de Dieu. Moi, je ne suis pris dans aucun mouvement furieux. J'ai un coeur médiocre qui a sécrété des idées médiocres et des actes médiocres dont je sens qu'il me faudra répondre. Devrais-je les racheter un par un, comme des traites ou des billets a ordre ? Personne ne me l'a dit mais quelque chose en moi me murmure que je ne me trompe pas.
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C'est extraordinaire de constater, quand on est désincarné, à quel point on est dépourvu de passion. J'en suis pour ma part, à la fois bien content et attristé. C'était distrayant la passion. On souffrait, on espérait, on redoutait un tas de choses idiotes, on était triste, on était gai, on sautait de joie quand un projet réussissait. Et les chagrins d'amours ! Était-ce gentil, les chagrins d'amour ! On était malheureux comme des pierres pendant quinze jours, endolori pendant trois mois et l'on gardait dans le cœur une nostalgie qu'on savourait comme un gâteau.
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Il n'y a pas huit jours que je suis mort et j'ai déjà compris la grande leçon du monde. Je la subodorais bien de temps à autre mais je ne m'y arrêtais pas, je la prenais pour un lieu commun, une phrase toute faite, une maxime pour moralistes du dimanche. Cette grande leçon si méconnue, c'est que rien n'a d'importance. On m'objectera le bien, le mal, la mort ou la souffrance des êtres que l'on aime ; on m'objectera Napoléon qui a fait tuer plus d'un million d'hommes, Hitler, Staline, les divers monstres du XXe siècle. Objections faciles à repousser : un peu de temps passe et, comme disait Valéry, tout va sous terre et rentre dans le jeu. Tout finit par se transformer en courant d'air. La bonne surprise, c'est que le courant d'air cogite, et se rappelle quelques détails de la vie dans ce qu'on nomme «Ici-bas».
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Il en est de la mort comme de tout : tant qu'on n'y a pas tâté, on s'en fait un monde. Moi, par exemple, j'avais une peur affreuse non pas tellement d'être mort mais du moment de la mort, de la seconde pendant laquelle on passe, quasiment sans le soupçonner, de l'état de vivant à l'état de défunt. Je me faisais des idées complètements folles là-dessus. […] mon corps accouchant de mon âme dans des douleurs surhumaines.
[…] Toute ma vie, j'ai hésité entre l'être et le néant, selon la formule du petit père Sartre. L'être, c'était Dieu, le bon Jésus, La Sainte Vierge et tous les saints qui m'accueilleraient dans un petit Paradis appétissant comme une enluminure du Moyen Age. Le néant avait aussi ses charmes mais il était moins pittoresque. […] L'idée de n'avoir plus de pensée, devenir brin d'herbe ou caillou, me contrariait. […] Je me rassurais en rêvassant sur le cerveau humain. Il n'était pas possible que quelque chose d'aussi compliqué que la machine placée dans notre boite crânienne ait été le fruit du hasard ou même de l'évolution des espèces. Une volonté, un esprit se tenait forcement derrière cela. Pour compliquer tout, il y avait la religion catholique dont j'étais nourri depuis l'enfance et qui m'était devenue consubstantielle, de la même façon que ma langue maternelle.
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