Citations de Jean-Luc Seigle (723)
Ca la terrasse chaque fois qu'elle pense à cette nuit. "Tout fini dans l'absence et le silence absolu du monde". Elle craint que son histoire avec Jorgen ne finisse dans l'absence et le silence absolu du monde.
Le temps de la vaisselle après le repas était un temps presque sacré où les femmes se retrouvaient sans les hommes. C’était l’occasion pour elles de remettre les choses en place et de ranger les pensées en deux catégories, les fragiles et les ordinaires.
C'est un visionnaire . Et comme tous les visionnaires, sa conviction est plus forte que les résistances qu'il rencontre.
Les phrases étaient comme des routes de montagne avec des virages qui s'enchainent les uns aux autres et au bout desquels se révèlent des paysages magnifiques.(p 57).
Il n'y a pas de tragédie sans une certaine joie d'en finir. Pourquoi vivrais-je alors que sa vie s'est arrêtée dans une guerre? Une guerre n'est pas une maladie ou un accident, c'est une machine à tuer les jeunes hommes, c'est le sphinx à l'entrée de Thèbes qui ne trouve aucune réponse satisfaisante à la peur.
page 386.
Il le dit: "La guerre m'a été moins étrangère que l'usine." Ce qui ne veut pas dire qu'il a aimé la guerre et qu'il le regrette. Non. Personne ne peut aimer la guerre à part ceux qui ne la font pas.
page 336.
( A propos des représentations de la Vierge et l'Enfant: )
le bambin auréolé ne lui appartient pas, elle l'offre au monde. Il ne la regarde quasiment jamais, c'est la mère qui l'expose à la populace à laquelle elle le destine. C'est ça le véritable message de la mère et de l'enfant: nos enfants ne nous appartiennent pas, nous ne les faisons pas pour nous-mêmes, mais pour les offrir au monde.
pages 330-331.
La guerre ne produit que des cadavres.
page 232.
C'est ça l'enfance: terroriser les hommes et les femmes qu'ils ont été, les anéantir jusqu'à ce s'oublient eux-mêmes. Souvent je me demande pourquoi je n'ai pas posé les bonnes questions à mon père. Peut-être parce que j'avais peur des réponses, peur qu'il ne soit pas l'homme remarquable que je croyais qu'il était et qu'il ne soit tout à fait ordinaire. C'est monstrueux comme l'enfance déforme tout ce qui l'entoure. Quand on est enfant on a tellement besoin d'être impressionné pour être rassuré. Si on ne les voit pas plus grands et plus beaux et plus forts qu'ils ne sont, on ne peut pas croire qu'ils pourront nous protéger. Peut-être même qu'on ne peut pas croire qu'ils sont réellement nos parents.
page 224.
Le plus effrayant était que je prenais réellement conscience qu'il y eut un temps long, infini,où je n'existais pas. Comprendre qu'il y a eu un temps où l'on n'a pas existé, c'est comprendre qu'il y aura un temps où nous n'existerons plus. Ou je n'existerai plus.
page 170.
Mariette qui n'a jamais été molle sait qu'il faut économiser ses larmes de la même façon que ses sous ou les tissus de ses parapluies dans la façon de les couper. Tout coûte. Tout se comptabilise, même la douleur. Ce n'est pas pour rien que le mot "penser" se dit aussi en patois "calcular". Qu'est-ce que tu fais? Je calcule. Entendez: "je pense." Penser ne nécessite pas de savoir lire et écrire. Faut juste avoir un peu vécu. Beaucoup c'est encore mieux. Rien ne vaut les expériences.
page 109.
Quand on croit que les choses ne vont pas durer, c'est qu'on a rien quitté vraiment, on s'est juste absenté de ce qu'on connaît de sa vie. Pas grand-chose en vérité. Facile d'imaginer le retour.
pages 98-99.
Comme Gilles était le seul des deux fils Chassaing à avoir hérité de la grande taille d'Albert, des ses yeux bruns, de sa chevelure épaisse et noire, il n'eut jamais l'impression d'être sorti des entrailles de sa mère, mais de celles de son père.
page 35
...Albert chercha donc quelqu'un qui pourrait accompagner son fils. Rien de très intellectuel dans sa recherche, juste quelqu'un qui pourrait, mieux que lui, l'aider à se tenir dans la vie un livre à la main, comme il lui avait appris à se tenir sur un vélo.
page 31
Il y a le mal que j'ai fait et il y a le mal que j'ai subi; il y a la douleur que j'ai provoquée et il y a la douleur que j'ai pu ressentir et que je ressens encore. Ni proportion ni mesure dans le domaine du mal, pas plus que dans le domaine de la douleur. Pour la plupart des gens tuer reste une abstraction, personne ne peut ressentir l'effroi que ça représente de l'avoir fait. Et je ne sais pas si en me lisant tu pourras le ressentir, je l'espère.
page 194
Son journal (intime) fut donc aussi un journal de guerre et je n'ose imaginer ce qu'elle avait pu lui confier parce qu'un journal est bien plus qu'un simple carnet, il a la place d'un confident ou d'un confesseur, il est l'équivalent de l'ami imaginaire des enfants solitaires, le dépositaire de nos faiblesses et de toutes nos pulsions inavouables.
page 176
... mais la prison vous montre la vie comme le monde ordinaire ne vous la montrera jamais. ......Rien de tout ce que nous apprenons en prison ne nous sert, cela ouvre des perspectives d'une humanité affolante, sans la possibilité de la partager avec le reste du monde puisque le monde ordinaire nous a rejetés..
page 105
A force de me répéter : "Les morts ne s'occupent pas des vivants, les morts ne s'occupent pas des vivants", inlassablement, "les morts sont morts, les vivants sont seuls à pouvoir menacer les vivants", j'ai réussi à chasser cette hallucination. Tout vient de moi. Alors de quoi j'ai peur?
page 53
Mon cahier est posé sur la table. Rien de plus. Ne pas envahir l'espace surtout si je dois écrire. J'ai fait à nouveau de ma maison ma cellule.
page 32
Comme le silence est souvent pris pour l'expression de la culpabilité, il arrange tout le monde. On oublie toujours qu'il peut-être le résultat de l'injustice et de la résignation; pire encore, la preuve incontestable de ce qui est déjà mort.
page 225