Citations de Jean-Luc Seigle (723)
C'est toujours un mystère ce que l'on retient des livres. C'est pour ça qu'il faut relire régulièrement ceux qu'on a aimés. (p.88)
Les dates, si on y réfléchit bien, ne sont qu'une manière de donner des noms au temps pour ne pas se perdre. Rien de plus.
Je pense à ces malades condamnés à mourir et auxquels on apprend qu'ils vont vivre grâce à un nouveau remède inconnu jusque-là; ils ont immanquablement du mal à envisager leur avenir sans cette mort annoncée depuis si longtemps. J'ai vu des hommes et des femmes finir par accepter l'idée de la mort quand la médecine n'a plus d'espoir à leur offrir. Cette acceptation n'a rien à voir avec une quelconque projection de soi sans vie dans la tombe, mais avec l'idée que tout ce que l'on a fait, connu, aimé, dit, ne sera plus, et que le souvenir de ces choses passées suffit à vous faire respirer encore un peu, à provoquer de longues apnées qui ont le pouvoir de prolonger la vie et de repousser la mort quelque temps.
C'est dans la poésie que je trouve une autre façon de regarder le monde.
"Je vous écris dans le noir" (2015)
Je ne connais pas de livres qui vous disent de rester à votre place et de ne rien espérer ou de ne rien attendre de la vie ; ceux qui disent ça dans les romans sont toujours des personnages exécrables : les vieilles tantes que l'on trouve dans la littérature anglaise ou les suivantes des grandes héroïnes de la tragédie.
Je crois qu’on ne peut mourir que d’être désaimée. Et ça, ce n’est pas mourir d’amour, c’est même l’inverse. (p.38)
" Un ouvrier c'est comme un vieux pneu ,
Quand y'en a un qui crève ,
On l'entend même pas crever . "
Jacques Prévert , Citroen . 1933 , poème en soutien à la grève des ouvriers .
Si l'on cache un pan de sa vie, c'est nécessairement parce qu'on le trouve inacceptable pour soi-même.
Gilles comprit alors que chaque roman qu'il lirait l'aiderait à comprendre la vie, lui-même, les siens, les autres, le monde, le passé et le présent, une expérience similaire à celle de la peau ; et chaque événement de la vie lui permettait de la même manière d'éclairer chacune de ses lectures. En découvrant cette circulation continue entre la vie et les livres, il trouva la clé qui donnait un sens à la littérature.
C'est dans la poésie que je trouve une autre façon de regarder le monde.
Le mensonge politique est devenu une rhétorique, un sport presque ! Si nous ne supportions pas le mensonge politique, nous serions tous dans la rue tous les jours. Les rues sont désertes.
La géographie, il faut voyager pour l’aimer. L’histoire, elle vit avec nous, même si on reste sur place toute sa vie. Qu’on le veuille ou non, elle finit toujours par s’asseoir à notre table. P 95
Depuis cinq ans, c'était elle qui faisait la toilette de sa belle-mère tous les jours, et c'était la première fois qu'elle demandait à son mari de s'en occuper. Elle savait très bien qu'elle venait de demander une chose impossible à un fils.
Croire, c’est faire comme les arbres qui poussent en direction du soleil, plus la forêt est épaisse et sombre, plus les arbres grandissent et s’étirent parce qu’ils ont plus à espérer de la lumière du ciel que des ombres de la terre.
On avait beau me traiter de « sale pute à Boches », je ne comprenais pas de quoi on m’accusait, incapable de faire le lien avec Dominik jusqu’à ce que le coiffeur arrête de me tondre et me demande de me lever. J’étais debout, couvertes de bleus, le crâne à demi tondu, le haut de ma robe descendu sur mes hanches pour exhiber les croix gammées peintes sur mes seins. Le coiffeur me demanda de soulever ma robe et d’écarter les jambes. Je me suis exécuté, et je suis resté figée dans cette position d’un french cancan sordide et sans musique, puis il a arraché ma culotte d’un coup et commencé à me tondre les poils pubiens avec sa tondeuse mal affutée. Ce que j’ai ressenti, tenant ma jupe devant mon visage, les jambes écartées, mon sexe offert à la foule, n’a pas de mot. Mon sexe n’était plus qu’une brûlure une fois la tonte terminée. Un silence m’a redonné espoir. Je me suis dit qu’ils avaient honte de ce qu’on me faisait subir, que ça allait finir et que j’allais pouvoir rentrer chez moi. Puis une femme a crié : « En voilà une jolie chatte de petite fille bien propre maintenant. » Il n’en fallut pas plus pour que les badauds soient rassurés et éclatent de rire à nouveau. Je n’avais plus aucune chance de me sortir de ce bourbier. Puis une autre femme a hurlé : « Bazarde-moi cette salope ! qu’on en finisse !
La perpétuité est un châtiment alors que la mort ne l'est pas.
Fini, enfin, d'appeler à notre rescousse ces Américains si mal élevés qui refusaient que leurs soldats noirs participent aux célébrations de la victoire.
L'avantage de la pluie, c'est qu'on peut pleurer sans être vue.
Je vous écris dans le noir. De l'obscurité dans laquelle mon crime m'avait jetée, bien sur, mais aussi de celle qui terrorise les enfants, remplie de monstres et de fantômes. C'était la lettre d'une enfant qui demande pardon pour ses bêtises et pour le mal qu'elle a fait sans le vouloir. Je me demande si on écrit autrement dans le noir, dans cette opacité qui ne révèle ce qu'elle cache qu'au fur et à mesure de l'écriture, comme l'œil finit par s'habituer à l'obscurité et à redessiner les contours des obstacles qui pourraient nous faire trébucher.
Après presque dix ans d'emprisonnement j'ai fini par comprendre , en partie grâce à Dostoievski, et aussi à mes études de médecine, que le mot -cellule- désignait aussi l'origine de la vie. C'est donc en moi, durant ces interminables années d'incarcération, que j'ai appris à trouver l'espace et l'air indispensables à mon équilibre, même si cela s'apparentait parfois à une forme de vide intérieur, nécessaire. (p.32)