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Citations de Jean-Marc Parisis (98)


J’ai poussé la grille du parc. Il était six heures du soir, quatre heures au soleil. Je voulais juste récupérer mon ballon. Il avait atterri dans cette zone enclose de marronniers que nous appelions «la clairière», roulé près d’un sac de toile blanche, qui devait appartenir à la fille qui lisait là, assise en tailleur sur la pelouse grêlée de fumeterres et de boutons d’or. Elle portait une robe à manches courtes bleu clair. Ses cheveux tombaient en lourdes mèches cuivrées sur ses épaules. Ses bras, ses jambes découvertes au-dessus du genou étaient d’un blanc unique, aveuglant. Un peintre se serait damné pour trouver ce blanc vivant. Je me suis approché. Elle a posé son livre, aperçu le ballon, s’est levée d’un bond et l’a fait rouler du pied dans ma direction. Une belle passe. Je n’avais jamais vu un tel visage. Pas un visage, mais cent visages. Une mutinerie de traits. Un feu blanc où brillaient deux yeux pers, du gris, du bleu, du mauve. Je me suis laissé tomber sur la pierre du bassin asséché depuis des lustres.
Elle s’appelait Deirdre. Nous avions le même âge, quatorze ans. Elle parlait français, avec un fort accent anglais, mais elle le parlait très correctement et le comprenait encore mieux. Elle habitait au pays de Galles. Pays qui ne m’évoquait qu’une équipe de rugby, un sport assez fruste où l’on avait le droit de prendre le ballon avec les mains. Elle effectuait un séjour linguistique à Froncy et logeait avec sa classe dans l’ancien monastère de La Roche, derrière le potager du château.
— Je repars dans dix jours. Dix jours pour me promener et manger des gaufres avec toi. Ici, les surveillantes sont plus sympas qu’à Carlywin, elles nous laissent sortir seules.
Des gaufres, j’en mangeais rarement, il n’y avait pas de marchand de gaufres à Froncy. Mais cet accord immédiat, cette confiance spontanée m’avaient ravi, sans vraiment m’étonner. Remis du choc de son apparition, il me semblait désormais nous connaître depuis longtemps, elle et moi. La tristesse de quitter les copains s’était dissipée, c’était Deirdre désormais dont je ne pourrais plus me séparer.
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- Crâmon a quand même écrit des romans avant d'être banquier, dit ma mère. Et il a beaucoup lu.
- C'est un bluffeur, dit mon père. Il la ramène avec son amour de la littérature, mais qui ferait de la politique après avoir lu Proust, Céline, Camus ou même ce filandreux de Char ? La langue oblige à des choix de vie, à une certaine dignité.
(p. 31)
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Jean-Marc Parisis
J'ai assez grandi pour ne pas mythifier ou glorifier l'enfance. Je sais de quoi elle est faite ou défaite...
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Tout était affaire de regard. Ceux à qui il restait des yeux pour voir se passaient très bien de caméras de surveillance. Le spectacle était bestial. Les politiques dansaient sur le fumier. La pensée pendait à des crocs de boucher. Les ouvriers étaient dissous dans l'acide financier. Les enfants cognaient leurs parents. L'amour était l'autre nom de la vanité. L'hystérie avait pris corps. La poésie avait valeur de regret. Le temps, celui qui donnait une chance, une petite chance, au jeu, à la liberté, s'était compressé, réduit à une peau de chagrin. Les jeunes étaient vieux. Les vieux étaient morts. Les morts étaient oubliés. Des colonnes de fantômes défilaient de l'infirmerie psy aux poubelles de la Toile. On fabriquerait bientôt de nouveaux vaccins contre la modestie, la mémoire, le secret. Sur les Champs, Baudelaire m'avait repris en écharpe : "Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie."
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Mon grand-père, un livre ouvert, vivant, jusqu'au bout... "Les gens ont peur de la mort parce qu'ils n'y croient pas tout à fait. Ils se disent que morts, ils vivront encore leur mort, éternellement. D'où leur terreur, leur effroi, leurs religions. Moi, j'ai bien vécu la vie. Je me suis bien battu, j'ai bien travaillé, bien rigolé, bien aimé ta grand-mère, je vivrai bien ma mort, car j'y crois entièrement, à la mort."
(p. 24)
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Dès le début de notre histoire, nous avions recensé nos différences, préempté nos espaces intimes, nos temps personnels. Nos égoïsmes se respectaient. Le réglage de nos solitudes s'opérait dans une anarchie naturelle, heureuse, en marge des lois communes aux autres couples. Les soupçons, les jalousies ne passaient pas sur nous.
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On pouvait aussi s'asseoir dos au mur sur mon lit, dans le carré poussiéreux qui me servait de chambre. C'était encore ce qu'il y avait de plus confortable pour deviser. Au matin, je la trouvais endormie sur moi comme un koala sur sa branche.
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En général, il n'y a pas d'amour heureux. L'amour est inquiet, mendiant, il devient vite un droit à tyranniser l'autre.
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Qu'est-ce que c'était pour moi, ce pays, à 30 ans? Qu'est-ce qu'il représentait? D'abord des couleurs, des odeurs, des sensations d'enfance. Les pavés pentus de la venelle des Papegaults à Blois, les promenades avec ma mère au parc de la Roseraie, les concours de ricochets sur la Loire avec les copains de la cité scolaire Augustin-Thierry (un château plutôt), la cime du mont Blanc en février, la dune du Pyla en été... Et dans ce tableau de fils unique né chez des conteurs, les échos de la tradition orale familiale. Les souvenirs d’un grand-père paternel né avant la crise de 1929, son apprentissage dans l’ébénisterie à Paris, ses «fredaines avec les gisquettes» du Faubourg-Saint-Antoine, sa Résistance dans les Forces françaises de l’intérieur, «Rien de plus subtil, de plus rigoureux, que de vivre. À son idée, à ses idées, la liberté, c'est tout un art, une mécanique de précision. À l'origine du fascisme, il y a toujours un manque de rigueur. Ne mens jamais, mon petit. p. 23
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Dans le style ludion monté sur ressorts, elle était plutôt réussie. ( ... ) Elle crépitait de classe et de bonté.
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Le vide laissé par le départ d’Ava est aux dimensions du temps que nous avons passé ensemble. Je la pleure parce que je l’aimais, mais aussi parce qu’elle m’aimait. Ce que je sais d’elle aujourd’hui ne me sert plus à rien et ce qu’elle savait de moi va me manquer. Par son départ, une possibilité de mieux me connaître m’est enlevée. Ce que je sais désormais, c’est qu’Ava était la femme de ma vie. Le constat est effroyable, mais son évidence m’arrache au moins le sourire de la vérité.
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La vie est un rêve dont on se réveille mort.
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Cette fabuleuse complicité n'était pas seulement l'oeuvre de l'amour. Nous étions unis par autre chose, un accord gémellaire, un principe à la fois complice et concurrent qui nous neutralisaient, nous empêchaient de déployer toute la vie que nous aurions dû vivre à deux.
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j'avais déjà rencontré Ava, j'étais dans son orbite. Toute vie est soumise aux lois de l'attraction. Ava aura polarisé la mienne très tôt, à un âge où certains corps sont très sensibles à la lumières.
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La beauté vivante plaint l’art, et je crois que l’art s’en console comme il peut.
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Dès le debut de notre histoire, nous avions recensé nos différences, préempté nos espaces intimes, nos temps personnels. Nos égoïsmes se respectaient. Le réglage de nos solitudes s'opérait dans une anarchie naturelle, heureuse, en marge des lois communes aux autres couples. Les soupçons, les jalousies ne passaient pas sur nous. Souvent, quand on aime, on a beau étreindre l'autre, lui parler toujours, il vous manque encore. Donner sa peau ou ses mots ne change rien. En général, il n'y a pas d'amour heureux. L'amour est inquiet, mendiant, il devient vite un droit à tyraniser l'autre. Nous, nous étions toujours riches de nous voir, dans un bonheur limpide et confiant. Nous nous aimions sans peur et sans reproche, sans éprouver le besoin de nous le dire. On se foutait la paix avec l'amour.
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nos noms débutaient par la même lettre, nous étions réunis par l'alphabet.
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Message paternel sur ma boîte vocale : « Je regarde ce nouveau gouvernement qui plastronne à la télévision. Les politiques sont des bouchers de la chose publique et les journalistes sont leurs commis. Quand on voit l'étalage de faces politiques et journalistiques à la télé, leurs tics, leurs contorsions, leur diction horrible, leurs arguments, leurs patelinages, on doit poser le diagnostic qui s'impose, celui d'un pays psychiquement ruiné, mentalement au bout du rouleau. Chaque fois qu'apparaît un politique ou un journaliste, apparaît une pathologie. »
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C'est en sortant de la voiture, sur le trottoir, à la lueur d'un réverbère qui blanchissait ses mèches blondes, que j'avais remarqué les minuscules signes d'imprimerie sur le visage de Marianne : des virgules sous les yeux, un tiret au menton, des parenthèses sur les joues, des croix dans le cou. Des pattes de mouche, trois fois rien. Ça ne devait pas dater d'hier. Pourtant il me semblait voir ses ridules pour la première fois. Comme si le temps me sautait aux yeux. Un coup de foudre à rebours, un éclair d'effroi, de pitié, aussi. Des sentiments nouveaux, encombrants. Des virgules, des parenthèses, des ratures, des croix. Et ces mots dans mes yeux que j'avais refermés de peur qu'elle ne les lise : Rien ne sera plus comme avant. 
   Dans le lit, une heure après, j'avais répondu à son enlacement par des gestes tendres, qui n'étaient pas feints, mais qui le devenaient, à vouloir donner le change. La tendresse du bout des doigts, des lèvres. Impossible d'aller plus loin. Marianne n'avait pas insisté. Elle s'était endormie la tête sur mon épaule...
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Si les mots ont manqué à ceux qui ont vécu l'enfer, il n'y a rien à ajouter.
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