Interview de Marko et Jean-Yves Le Naour pour Le réseau comète, chez Grand Angle
... dès 1862, les écrivains-rentiers Edmond et Jules de Goncourt participent aux «dîners Magny» qui réunissent deux fois par mois tout ce que Paris compte alors d'écrivains, d'artistes, de journalistes et de scientifiques. C'est à l'occasion d'un de ces repas que les deux frères auraient eu l'idée de créer une «société littéraire» portant leur nom et poursuivant un double objectif : d'une part, faire passer leur patronyme à la postérité - ce que leur oeuvre littéraire ne suffisait pas à leur garantir ; d'autre part, édifier une «contre-Académie française» afin de mettre en valeur le genre romanesque qui était alors méprisé par les Immortels du quai Conti. Les frères Goncourt se posent en effet comme les défenseurs du roman, et notamment du roman naturaliste : Germinie Lacerteux, qu'ils rédigent à quatre mains en 1865, se veut un véritable manifeste en faveur du naturalisme. Après le décès prématuré de son cadet Jules en 1870 -emporté à 39 ans par les conséquences d'une syphilis contractée une vingtaine d'années auparavant-, Edmond n'aura de cesse de faire vivre le projet, qui devient désormais une facon de rendre hommage à ce frère tant aimé.
- Hé, les gars ! On n'a rien touché depuis hier. Vous n'auriez pas un pétong de pain où un chicoulong de pinard ?
- Vous n'aurez rien. Vous autres du Midi vivez assez comme ça sur le dos des populations du Nord.
- Parce que vous croyez que le pain pousse sur les arbres chez nous ?
- Je dis que vous vivez d'abord de nos impôts. pour ça, vous êtes forts.
- Ouais, toujours en train de faire la sieste aussi !
- M'sieur l'officier ! i' faut pas continuer par là ! Les Allemands vous attendent de l'autre côté des collines. i' vont vous tomber dessus !
- Tiens donc ? Vous parlez bien le français pour des Allemands !
- Ben, c'est qu'on est en Lorraine annexée ici: on parle le français.
- Arrêtez-moi ces espions: ils veulent nous dissuader d'avancer.
- Ah ben ça ! C'est trop fort !
C’est un cimetière oublié. Près de 900 tombes à moitié écroulées sur elles-mêmes, souvent anonymes, avec, au milieu, un carré militaire et une simple plaque : « Les anciens combattants de la Gironde à leurs camarades mutilés du cerveau. » Un journaliste de L’Humanité qui, en 2005, parcourt les allées du cimetière des fous de Cadillac, remarque avec écœurement que des mâchoires, des fémurs et des éclats de crâne se mêlent au gravier et aux herbes folles. Voilà ce qui reste de ces poilus qui ne sont pas morts au front. Ce sont des morts oubliés dont personne ne se soucie. Annexé à l’asile psychiatrique de Cadillac, ce cimetière en jachère témoigne du peu de cas que l’on a fait des « blessés nerveux » et autres commotionnés de la Grande Guerre qui n’ont jamais eu droit à la reconnaissance publique parce qu’ils n’étaient pas tout à fait des blessés comme les autres. « Honneur aux poilus, ils nous ont fait cette victoire », avait lancé Clemenceau du haut de la tribune parlementaire, le 11 novembre 1918, mais ces psycho-névrosés, avec leurs yeux hallucinés, leurs délires, leurs cauchemars et leurs cris terrifiants, ces blessés sans blessures, personne ne voulait les voir. De ces héros-là, on en avait honte. S’il était difficile de soutenir le regard des « gueules cassées », au moins le pays s’inclinait devant eux, mais les fous, les hystériques, les déments, il fallait les cacher, les dissimuler parce qu’ils renvoyaient une image terrible de la guerre en complète contradiction avec les lauriers de l’héroïsme dont la société d’après-guerre couvrait les poilus et les anciens combattants. La guerre, pourtant, il faut avoir le courage de la regarder dans les yeux.
De ces tractations dans l'ombre du mois de juillet 1914, l'opinion n'a jamais rien su. En Allemagne comme en France, on ne parlait plus de Sarajevo depuis longtemps... Pour ceux qui savaient voir, il y avait pourtant quelques signes inquiétants. Le 20 juillet, les bourses autrichienne et hongroise dévissaient curieusement, puis la panique des marchés se transmettait à l'Allemagne, à la France et à l'Angleterre. Les projets austro-allemands fuitaient, à n'en pas douter, dans les milieux d'affaires, toujours mieux informés que les autres, et la chute des cours boursiers n'était rien d'autre que la manifestation de la nervosité des marchés détestant plus que tout l'incertitude et les rumeurs de guerre. La diplomatie, certes, ne se fait pas à la corbeille, mais la Bourse est un baromètre délicat, un sismographe des plus sensibles dont le caprices ne peut manquer de surprendre la masse des non-initiés.
De surcroît, prétendre que Dieu a jeté l'Europe entière dans le brasier pour manifester sa mauvaise humeur contre la loi de séparation (de l’Église et de l’État) relève au minimum du péché d'orgueil. Cela ne dérange pas le chanoine Gaudeau, prédicateur de l'église Saint-Sulpice, qui explique ainsi la guerre: "La France a commis un crime; le plus grand, celui de ne plus croire, de renier Dieu. Le créateur le lui fait expier par l'invasion. Qu'elle implore son pardon, qu'elle rejette au plus vite les théories qui lui viennent d'outre-Rhin, et peut-être Dieu dans sa bonté consentira-t-il à oublier".
1927 - Tout commence par un grand éclat de rire.
Le 25 novembre 1927, quelques jours avant la remise du prix Goncourt, le théâtre de la Michodière organise la première de la nouvelle pièce d'Eouard Bourdet, un des maîtres du théâtre de Boulevard.
Son titre, "Vient de paraître", annonce la couleur.
Cette satire jouissive du monde de l'édition raconte la bataille toute en combines pour obtenir le très convoité prix Émile Zola, gage du succès commercial ...
Alors, je me battrais pour moi et pour toutes les autres. Je me battrais pour les humiliés, les dominés, les offensés. Parce que ce n'était pas juste et parce que j'en étais.
Confrontés à un déferlement de troubles mentaux qu’ils ont du mal à reconnaître comme le fruit de la guerre, les médecins sont dans un premier temps interloqués et hésitent à formuler le diagnostic de l’hystérie qui, pour eux, relève avant tout de la nature féminine. Comment de valeureux soldats peuvent-ils présenter les troubles caractéristiques des constitutions débiles et efféminées ?
Quand les obus pilonnent la position, les crises d’angoisse se multiplient et Erich Maria Remarque rapporte qu’il fallut en venir aux mains pour empêcher un soldat de sortir de l’abri : « Il n’écoute rien et donne des coups autour de lui : il bave et vocifère des paroles qui n’ont pas de sens et dont il mange la moitié. C’est une crise de cette angoisse qui naît dans les abris des tranchées ; il a l’impression d’étouffer où il est et une seule chose le préoccupe : parvenir à sortir. Si on le laissait faire, il se mettrait à courir n’importe où, sans s’abriter. Il n’est pas le premier à qui cela est arrivé. Comme il est très violent et que ses yeux chavirent, nous n’avons d’autres ressources que de l’assommer, afin qu’il devienne raisonnable. » Parce qu’ils n’ont pas eu cette présence d’esprit, des soldats français, à Verdun, voient l’un des leurs courir nu sous la mitraille, de trous d’obus en trous d’obus, en appelant sa mère. [...]