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Critiques de Jeff Lemire (688)
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Sweet Tooth, tome 3

Enfin la fin des aventures de Gus et de Jepperd ! Ce dernier tome est aussi le plus conséquent : 384 pages pour avoir des réponses à nos questions. Jeff Lemire commence avec le journal du Docteur James Thacker lors d'une expédition pour retrouver son beau-frère qui éclairera bien certains points quant à la présence de ces enfants hybrides. Retour à l'action présente avec les retrouvailles entre Gus et Jepperd mais ces derniers comme souvent dans les précédents épisodes se retrouvent pour mieux se quitter. Leurs péripéties les mènent jusqu'en Alaska où le secret des enfants hybrides se trouve.

Excellente conclusion à cette série ! Toujours des rebondissements avec des groupes qui se font ou se défont au gré des rencontres. le plus intéressant dans la série est l'évolution de la relation entre Gus et Jepperd. La confiance totale du début, le rejet suite à la trahison, Gus sent finalement en la présence de Jepperd une présence comme celle d'un père. Jeff Lemire a pu faire une série post-apocalyptique qui se démarque des autres productions du même genre : cette naissance d'un monde particulière est très réussie ! A la fin de l'ouvrage, il y a une interview de l'auteur par Damon Lindelof, le scénariste de la série Lost. Elle est très intéressante pour avoir des explications sur le comics. J'ai appris que Matt Kindt a dessiné la partie sur l'expédition en Alaska ou qu'il avait déjà une idée de la fin depuis longtemps… en ce qui concerne un certain point auquel il n'a pas souhaité donner de réponses, j'ai ma petite idée. (Petit erreur de retranscription dans l'interview, à un moment l'interviewer et l'interviewé ont été échangé).

C'est une série que je conseille autant pour l'intrigue que pour les dessins magnifiques (bien que déroutants pour certains). A découvrir !

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Bloodshot Reborn, tome 1 : Colorado

Après The Valiant, Jeff Lemire se charge de reprendre en main le personnage de Bloodshot et c’est l’occasion de se lancer dans une aventure toute neuve.



Valiant a en premier été publié par Panini en France, mais que leur manière de le proposer ne correspondait plus aux attentes des lecteurs. Heureusement, une fois ce flop passé, quelques fans enthousiastes de l'univers Valiant ont racheté les droits et créé la maison Bliss Comics pour nous faire parvenir un nouveau monde magnifique de super-héros. Non seulement, ils ont ressorti les numéros déjà parus en numérique, mais en plus ils rattrapent le temps perdu en publiant des séries oubliées (Quantum & Woody, par exemple) et surtout ils reprennent les séries où elles se sont arrêtées dans un meilleur format cartonné : The Valiant, puis Bloodshot Reborn sont là pour lancer la collection.

Avec Bloodshot Reborn, Jeff Lemire reprend la destinée du personnage de Bloodshot avec son statut hérité de la mini-série The Valiant. Celui qui a repris le nom de Ray Garrison a été libéré de l’emprise de ses nanites, perdant du même coup sa résistance physique et son invincibilité. Vulnérable et en proie à la morosité profonde à cause de ce qu’il a dû abandonner dans The Valiant, Ray Garrison se cache et se morfond dans la drogue au fin fond d’un motel du Colorado, d’où le titre de cet opus. C’est amusant de quitter les jungles des récits à la Rambo ou bien les environnements urbains des thrillers d’espionnage pour investir les motels, les scieries et les supérettes d’un cadre bien rural, mais typiquement étatsunien. Progressivement, il glisse dans un onirisme trouble et davantage encore quand il découvre que ses nanites perdues ont infecté d’autres personnes, les poussant à commettre des atrocités, ce qui attire forcément l’attention et l’intérêt du protagoniste.

Dans sa quête pourtant solitaire, Ray Garrison se sent accompagné par le truculent Bloodsquirt et de Kay, la Géomancienne, ce qui donne lieu à des jeux graphiques très intéressants. Déjà que Mico Suayan crée en temps normal des planches particulièrement expressives et profondes (l’ombre des plis des draps dans le motel est un bon exemple), mais les passages complètement hallucinés lui donnent l’occasion de se lâcher et David Baron se permet une colorisation d’autant plus flashy.



Violence et onirisme sont donc au programme de ce premier volume de Bloodshot Reborn qui se lit très bien indépendamment, il ne faut pas hésiter à commencer ici !



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Le Mythe de l'Ossuaire - Des milliers de pl..

Suite de la déambulation dans l'univers imaginé par le duo Lemire Sorrentino.

Par rapport au premier, je l'ai trouvé plus construit ou plus accessible. Il y a des points communs, le tunnel entre les mondes par exemple.

Graphiquement c'est toujours très beau, très travaillé et très morbide. Faire naître l'angoisse par le dessin, là où les écrivains d'horreur le font par les mots.

Pourquoi pas, c'est plutôt réussi, même si j'attends encore un petit plus scénaristique car j'ai parfois du mal à suivre.
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Immortal Hulk : De grands pouvoirs

Histoires courtes par des créateurs de premier plan

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Ce tome rassemble 4 histoires indépendantes de toute autre, initialement parues en 2021, sans rapport avec le statut de Hulk dans sa série mensuelle du moment. En particulier, le caractère Immortel du personnage n'a pas d'incidence sur le déroulement des histoires. Ce tome contient les couvertures originales de Jorge Molina, Declan Shalvey, Juan Ferreyra.



Great Power (29 pages) : écrit par Tom Taylor, dessiné par Jorge Molina, encré par Adriano di Benedetto et Roberto Poggi, et mis en couleurs par David Curiel. Avec de grands pouvoirs, viennent de grandes responsabilités. Ben Parker - Bruce Banner reprend conscience en plein milieu de New York, avec seulement un pantalon violet déchiré, comme tant de fois auparavant. Il se trouve dans un petit cratère au milieu de la chaussée. Il ne comprend pas ce qui lui arrive : il fait nuit et Hulk ne se manifeste pas. Il tourne la tête et découvre Spider-Man reprenant connaissance après avoir été balancé dans une voiture. Son sens d'araignée se déclenche à pleine puissance, sans ennemi à l'horizon. Spider-Man se transforme en Hulk.



Ce recueil de quatre histoires courtes sort vers la dernière partie de la saison Immortel de Hulk, par Al Ewing & Joe Bennett. le lecteur est tenté d'y voir un lien, c'est-à-dire de retrouver la version de ces auteurs. Il se rend vite compte qu'en fait il n'est jamais question de Celui-en-dessous-de-tout, ni de la diminution physique de Hulk. Ces récits n'ont retenu que le principe que Banner ne se transforme plus que la nuit. Cette première histoire est construite sur une intrigue simple : un individu est intervenu avec de bonnes intentions pour libérer Banner de sa personnalité de Hulk, sans se rendre compte qu'il ne faisait que la transférer à quelqu'un d'autre. L'enjeu est de libérer Peter Parker de ce Hulk, pour qu'il réintègre son propriétaire initial. Les deux héros obtiennent l'aide d'une famille célèbre dans l'univers partagé Marvel. le scénariste sait intégrer des caractéristiques fondamentales des personnages dans leur comportement. Par exemple, il met en scène Spider-Man en train de participer à la conception scientifique du dispositif permettant d'inverser la permutation de Hulk, surprenant ainsi Banner par son savoir scientifique. Il sait aussi faire apparaître le caractère enfantin de Hulk sans en faire un idiot.



Cette première histoire est illustrée par Jorge Molina en bonne forme en mode superhéros avec un bon niveau de détails. le lecteur prend plaisir à regarder les décors urbains, et les ruines sur l'île Astra. Les personnages présentent la prestance attendue pour des superhéros. Les combats sont spectaculaires comme il se doit. le langage corporel permet de ressentir les émotions des uns et des autres. le coloriste réalise un travail méticuleux et soigné, tirant partie des possibilités offertes par l'infographie, des dégradés très nuancés, aux effets spéciaux lors des combats. Un récit sympathique bien troussé.



The threshing place (30 pages) : écrit par Jeff Lemire, dessiné, encré et mis en couleurs par Mike del Mundo. Bruce Banner voyage en car pour se rendre dans une petite ville de campagne. Rebecca Green, une fillette de neuf ans, a disparu alors qu'elle jouait derrière sa maison. Quand son père l'a appelé en fin d'après -midi pour le repas, elle n'est jamais venue. Avec des voisins, ils ont fouillé la ferme et les environs, et ils ont retrouvé le corps d'un fermier coupé en deux. Trois jours plus tard, deux autres habitants ont été retrouvés déchirés en deux. Bruce peut littéralement sentir les particules gamma dans l'air.



Difficile de résister à l'attrait d'une histoire complète écrite par Jeff Lemire. Sans surprise, l'intrigue tourne autour d'un enfant, ou plutôt de sa disparition, cet auteur étant familier des récits sur l'enfance et l'incidence de cette phase de la vie sur l'adulte. L'intrigue s'avère linéaire et classique : une agence gouvernementale non officielle qui réalise des tests sur des êtres humains. le lecteur comprend vite qu'il s'agit d'un travail de commande pour l'auteur, et qu'il réalise un travail professionnel, mais moins investi que ce qu'il écrit pour ses séries qui lui appartiennent en propre, et pas en tant que main d'oeuvre pour les personnages d'un éditeur.



Difficile de résister à l'attrait d'une histoire illustrée par Mike del Mundo, aux pages si personnelles. Il réalise ses planches à l'infographie, avec une technique évoquant la couleur directe. Il a choisi de mettre en oeuvre des couleurs un peu délavée, comme si la forte luminosité produisait un effet écrasant et un peu usant sur la réalité. Dans la première page, le lecteur peut sentir la force du soleil, regarder à loisir ce paysage verdoyant qui s'étend à perte de vue. Il se retrouve à marcher au côté de Banner dans la campagne, jusqu'à découvrir l'installation de recherche militaire et sa clôture. Il apprécie l'apparence diversifiée des personnages à la morphologie normale, ainsi que l'aspect de brute épaisse de Hulk, avec ses énormes arcades sourcilières. Il est pris par surprise par l'apparence du monstre. Une magnifique narration visuelle pour un récit un peu léger.



Flatline (30 pages) : écrit, dessiné, encré et mis en couleurs par Declan Shalvey. À de nombreuses reprises, il est mort ; à de nombreuses reprises, il s'est relevé. William Butler Yeats. Bruce Banner, en pantalon violet déchiré, avance vers une mare dans un désert orangé. Il repense à cette expression qui dit que la dépression, c'est de la colère dirigée vers l'intérieur. Hulk est un puits sans fond de colère : que se passe-t-il quand quelqu'un intériorise ça ? Bruce Banner se réveille, toujours en pantalon violet déchiré, sur le sol du désert à proximité d'Albuquerque dans le Nouveau Mexique. Il rentre en ville, se dirigeant vers le diner où il travaille comme manutentionnaire et plongeur. Il se change et se met au travail, personne ne lui posant plus de question sur ce qu'il a fait de sa nuit. Il a eu de la chance de trouver ce travail payé de la main à la main. Il n'en revient pas quand il se fait interpeler dans la salle : il se retourne et découvre Noreen Noolan, une de ses professeures à la fac, sur l'analyse du programme Gamma.



Le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre et prend les choses comme elles viennent : Noreen Noolan a des comptes à régler avec Banner et avec Hulk. Elle a fait partie des scientifiques chargés d'inspecter après coup, le site de l'explosion de la bombe gamma qui a donné naissance à Hulk. L'auteur met en oeuvre le principe de base d'u comics de superhéros : le conflit physique. Sans grande surprise, l'ancienne chercheuse s'attaque à Hulk et elle dispose de pouvoirs liés aux rayons gamma. Étant l'auteur complet, Shalvey réalise des planches d'une grande cohérence narrative. Par comparaison avec de précédentes bandes dessinées de cet artiste, il cherche moins à trouver une esthétique particulière, et plus à développer une ambiance dans les tons verts. du coup, sa narration visuelle est moins séduisante que celle de del Mundo, tout en étant très claire et fluide. Elle présente moins de cases spectaculaires, moins de planches mémorables pour elles-mêmes, dissociées de l'intrigue. le lecteur se laisse porter par le combat, par les discussions entre Banner et Noolan. Il sourit de contentement en voyant Hulk reprendre le dessus, par la force brute. Il ne s'attend pas à deux pages contemplatives muettes avec les cases de la colonne de gauche consacrées à Hulk, et celles de droites à Bruce Banner. le conflit se résout d'une manière inattendue, dans un hôpital, avec une réflexion sur la dualité de Banner et Hulk. Une histoire très sympathique.



A little fire (10 pages) : écrit par David Vaughan, dessiné, encré et mis en couleurs par Kevin Nowlan. À Verdigris dans le Kansas, Bruce Banner arrive à la tombée de la nuit et se rend au cinéma Emerald. Il demande une place et Scarecrow lui souhaite la bienvenue en l'appelant par son nom. Bruce ne se souvient que vaguement qu'il est venu là à la suite à de rapports sur des personnes disparues. Scarecrow lui fait prendre place dans une salle bien remplie. Il explique qu'il a attiré ces spectateurs par une hypnose de masse, et qu'il projette leurs peurs intimes sur l'écran, se nourrissant ainsi de leur effroi.



Une histoire simple, sans prétention, où le lecteur sait par avance que le supercriminel ne fera pas le poids face à la colère déchaînée de Hulk. Les dessins de Kevin Nowlna sont toujours aussi savoureux que d'habitude, avec des traits de contours très fins, jouant avec élégance sur une discrète exagération des expressions des visages. L'utilisation des aplats de noir est très esthétique, avec une petite influence Mike Mignola très bien mise en oeuvre. le récit se déguste comme un bonbon, une parodie qui ne se prend pas au sérieux, exécutée par un artiste plein de saveurs.



Ce tome annonce s'inscrire dans la saison Immortal Hulk d'al Ewing & Joe Bennett. le lien est des plus ténus. Pour autant, le lecteur bénéficie d'histoires courtes réalisées par des créateurs de premier plan, avec une narration graphique exceptionnelle pour deux épisodes (Mike del Mundo, Kevin Nowlan) et deux histoires avec une personnification développée et nuancée des protagonistes (Jeff Lemire, Declan Shalvey).
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Sweet Tooth, tome 2

On retrouve le jeune Gus, toujours enfermé dans le laboratoire avec ses compagnons de fortune, comme lui, enfants hybrides avec des attributs d’animaux. Ils essaient de s’échapper mais la manœuvre n’est pas aisée… Pendant ce temps, Jepperd, regrettant d’avoir livré le garçon, demande de l’aide à un homme afin de retourner prêter main-forte à Gus.

Beaucoup d’actions dans ce deuxième tome, l’évasion n’est pas facile et la forêt, pas des plus tranquilles. On sent des tensions entre Jepperd et Gus, ce dernier se sentant trahit par celui qu’il considérait comme un ami. Belle bande dessinée de plus de 300 pages, avec souvent des dessins pleine page qui montrent tout le talent de Jeff Lemire. Je les préfère aux dessins plus petits où on a parfois du mal à reconnaitre le personnage ou si quelques années sont passées depuis. Le dessinateur maitrise très bien les gros plans avec une ou deux couleurs. Il me tarde d’avoir le troisième et dernier tome de cette série, autant pour admirer les dessins expressifs que pour connaître le dénouement des aventures de Gus et Jepperd.

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Justice League - Urban, tome 5 : La guerre ..

Comme on nous l’avait laissé entendre dans le tome précédent, l’affrontement entre les ligues va avoir lieu. On retrouve donc la Justice League, la Justice League of America, la Justice League Dark sans oublier la Societé Secrète qui manipule tout ce petit monde.



La tension monte au fil des chapitres, causée bien évidemment par la détestable Amanda Waller qui veut contrôler tout le monde. Elle est imbuvable, et chacune de ses apparition m’énerve au plus haut point. Ce personnage est donc parfaitement bien fichu, et nous fait apprécier les héros qui eux veulent aider les gens et pas tout régenter. De toute façon, j’ai toujours détesté l’A.R.G.U.S, tout comme je ne supporte pas le Shields chez Marvel. Les humains qui veulent s’occuper des choses qui les dépassent, cela m’horripile au plus au point. Mais c’est justement ce qui conduit à beaucoup d’intrigues intéressantes.



Au milieu des chapitres de guerre, on trouve d’autres chapitres qui se centrent sur certains personnages, notamment Pandore et Phantom Stranger, un peu comme dans le dernier tome ou l’on découvrait un pan d’histoire sur le Limier Martien.



Ce tome est bien plus dense que les précédents et il s’y passe un nombre incroyable de choses. De plus, une taupe se cache parmi nos héros, et on s’amuse à chercher qui cela pourrait être. La fin est épique, et une fois de plus nous donne envie de lire la suite !
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Descender, tome 1 : Etoiles de métal

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2015, écrits par Jeff Lemire, dessinés, encrés et mis en couleurs par Dustin Nguyen.



Dans un futur très lointain, sur la planète Niyrata (5,5 milliards d'habitants), Jin Quon est tiré de son sommeil par un appel du général Nagoki. Il lui demande de le rejoindre immédiatement, car il vient d'apparaître un robot de taille planétaire à proximité de chacune des 9 planètes composant le Concile Galactique Uni (UGC). Alors que Jin Quon a commencé à collecter des données sur ce robot proche de Niyrata, celui-ci ouvre les yeux et déclenche un rayon qui décime la population. Ils sont appelés des Récolteurs (Harvesters).



10 ans plus tard, un robot humanoïde en forme d'enfant d'une dizaine d'années reprend conscience sur la lune de Dirichu-6, ayant abrité une colonie minière. Il s'appelle Tim-21. En explorant la base, il se rend compte que tous les humains sont morts. Il reste un robot chien appelé Bandit qui se rallume à sa proximité, ainsi qu'un robot minier à l'intelligence artificielle limitée, appelé Driller. Plusieurs factions sont en route pour récupérer Tim-21.



La couverture de ce recueil évoque instantanément le film A.I. (Intelligence Artificielle) (2001) de Steven Spielberg, avec un robot en forme d'enfant, à l'intelligence artificielle se développant au fur et à mesure du récit. Comme David, Tim-21 est un robot de compagnie programmé pour servir d'ami à un enfant. Un étrange concours de circonstances fait qu'il se réveille alors que l'enfant en question est vraisemblablement mort depuis 10 ans. Jeff Lemire trouve le ton juste pour faire exister ce personnage, entre logique imparable et une forme d'innocence le faisant s'interroger sur ce qui l'entoure, accompagné par un code moral basique. Le résultat est saisissant de sensibilité, avec un personnage faisant preuve de capacités physiques extraordinaires, tout en ayant des préoccupations et des réactions d'enfants. Tim-21 n'est pas naïf ou idiot, mais il est inquiet quant au devenir d'Andy, l'enfant dont il était le compagnon. Il appréhende chaque situation susceptible de déboucher sur la maltraitance d'un être humain.



Autour de ce personnage singulier, Jeff Lemire introduit celui du scientifique spécialiste en robotique. Dès le départ, il s'agit d'un personnage tragique qui a perdu son rang du fait d'un événement extérieur sur lequel il n'avait pas de prise (l'apparition des Récolteurs), touchant du fait de lien avec Tim-21, pas vraiment un héros du fait de son comportement (et de son manque de capacités physiques à se battre). Le capitaine Telsa se révèle très professionnelle et dénuée d'émotion, prête à mentir pour atteindre son objectif. Les premiers individus à se présenter devant Tim-21 sont des récupérateurs peu scrupuleux. Lemire n'oppose pas la simplicité de l'enfant aux compromis moraux des adultes, mais plus la pureté de ses idéaux et de ses émotions à la complexité des motivations des adultes.



Le scénariste plonge le lecteur dans cet environnement de science-fiction en présentant une intrigue concentrée sur les événements survenus suite à l'apparition des Récolteurs, et sur les personnages de Tim-21 et Jin Quon. Il développe son histoire autour du retour à la conscience de Tim-21, et des différentes factions qui souhaitent le récupérer. Il installe plusieurs mystères tels qu'une séquence de nature quasi onirique pour Tim-21 (alors que les robots ne rêvent pas), le doute sur la provenance des Récolteurs, et même le doute sur le développement de la technologie ayant permis de concevoir et construire des robots comme Tim-21.



En bon scénariste, Lemire ne joue pas sur un unique registre. Il évite de jouer sur la corde de la sensiblerie avec Tim-21, en amalgamant le caractère enfantin de Danny et la logique utilitaire de Tim-21. Il intègre des moments humoristiques, comme le caractère joueur du robot chien Bandit, et sa relation heurtée avec le robot minier Driller. Cet humour discret rehausse les moments de nature horrifique (eux aussi dispensés avec parcimonie), comme la mort d'un être cher lors des ravages perpétrés par les Récolteurs, ou une courte séquence de torture.



Le lecteur suit avec plaisir ce récit de science-fiction aux mystères encore à l'état embryonnaire, aux personnages générant un capital sympathie limité, et à l'enjeu encore assez théorique. Il est tout de suite saisi par l'originalité de sa dimension visuelle. En apparence, Dustin Nguyen réalise des dessins à peine encrés, plus des constructions ou des esquisses au crayon qu'il habille avec des couleurs appliquées à l'aquarelle. Ce choix de mode de représentation confère immédiatement une apparence unique à la narration visuelle de ce récit.



Alors qu'il s'agit bien d'un récit de science-fiction dans un futur lointain, mettant en jeu des robots et des voyages dans l'espace, l'apparence des images est à l'opposé d'une science-fiction rutilante, donnant une apparence idéalisée et scintillante à une technologie d'anticipation. Lorsque Tim-21 reprend connaissance dans le vaisseau spatial du capitaine Telsa, la pièce est toute blanche, avec de vagues traits pour figurer une ou deux jonctions entre des plaques, ou pour esquisser vaguement le meuble sur lequel se trouve le robot. Le lecteur ressent le dénuement blême, et la propreté hygiénique d'une salle blanche, aseptisée, à l'opposé d'une débauche de gadgets métalliques.



Lemire a construit l'épisode 2 comme une alternance de pages, l'une consacrée au temps présent sur la Lune Dirichu-6, la suivante aux souvenirs de Tim-21. L'artiste a choisi une teinte bleutée pour les premières, une teinte sépia pour les secondes, rendant bien compte des 2 ambiances. De manière discrète, il se sert des touches d'aquarelle pour renforcer le relief des formes, ou pour donner l'impression d'éléments visuels (des petites touches de couleurs pour évoquer la myriade de têtes d'une foule assise sur les gradins d'une arène, dans l'épisode 5).



La combinaison de ces traits de crayon et des ces couleurs aquarelle forment une ambiance unique, tout en décrivant un monde assez détaillé. Lorsque le scénario le requière, Nguyen augmente la densité d'informations visuelles : scène de foule, détail de la carrosserie du robot minier, morphologie de races extraterrestres ou des Récolteurs. Contre toute attente, ce mode graphique permet aussi de faire ressortir les éléments technologiques. Lorsque Tim-21 retrouve son chien robot, des parties de son anatomie se séparent pour laisser apparaître des éléments mécaniques sous la peau. L'effet est saisissant et les pièces métalliques ressortent de manière claire.



Dustin Nguyen maîtrise l'utilisation de l'aquarelle, et il s'en sert pour modeler les visages, aboutissant à une représentation de la peau plus vivante que par une mise en couleur traditionnelle. Les irrégularités dans la teinte font apparaître des nuances aux contours flous qui rendent bien compte de l'imprécision du regard, et des légères fluctuations incessantes de ce qui nous entoure, en fonction des infimes variations de lumière de chaque instant. Derrière cette apparence singulière des dessins, le lecteur se rend compte que l'artiste dispose d'un bon niveau de compétence narrative. Le langage corporel des personnages est adapté à chaque situation, sans être forcé. La construction des pages montre l'action de manière claire, et s'adapte à chaque séquence. Ainsi lors des souvenirs de Tim-21 dans l'épisode 2, Dustin Nguyen opte pour des compositions sans bordure de case, à l'échelle de la page, assez complexe dans leur structure, tout en restant d'une lisibilité aisée.



Ce premier tome invite le lecteur dans une expérience de lecture originale, sans donner l'impression d'être expérimentale. Sous les apparences singulières du dessin, la narration graphique est maîtrisé et claire. L'aquarelle permet d'insuffler une vie à chaque personnage, en atténuant ce que le récit peut avoir de violent, mais sans neutraliser les quelques éléments de nature horrifique. Jeff Lemire a conçu ce premier tome comme une introduction à une intrigue de plus grande ampleur. Il apporte de nombreuses informations sans jamais noyer le lecteur, tout en ouvrant des pistes fortes intrigantes. Pris comme un récit complet, ce premier tome ne serait pas satisfaisant, faute de résolution pour de nombreux fils narratifs. 4 étoiles. Pris comme un prologue, il devient une porte d'entrée captivante pour un récit qui promet beaucoup.
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Animal Man, tome 1 : La chasse

Animal Man peut sans doute être considéré à juste titre comme un super-héros de seconde zone MAIS...quel formidable concept : posséder les aptitudes de n'importe quel animal ! Voilà qui parle inévitablement à l'enfant qui survit (tant bien que mal) au plus profond de notre être. Qui n'a pas rêvé de voler comme un oiseau, de nager comme un dauphin ou de courir tel le guépard ?



Créé, en 1965, par Dave Wood et Carmine Infantino, cet album nous présente les six premier épisodes du personnage version New 52. Scénarisés par Jeff Lemire et dessinés par Travel Foreman (sauf l'épisode 6 crédité à John Paul Leon), ils présentent un aspect horrifique assumé, auquel je ne m'attendais pas. Buddy Baker, qui n'a plus endossé l'identité d'Animal Man depuis longtemps, s'est engagé dans la lutte pour la protection des animaux et fait l'acteur dans un film indépendant (ce que nous apprend un article, au début). Mais une prise d'otage, à l'hôpital, l'oblige à reprendre du service et ce n'est pas pour lui déplaire...La nuit suivante, il fait un rêve étrange et peu de temps après, sa fille de 4 ans, Maxine, commence à manifester des pouvoirs morbides (façon Simetierre^^)



Animal Man va se retrouver embarqué dans une lutte millénaire entre les forces du vivant (lui qui tire ses pouvoirs de la Toile du Vivant, une énergie qui relie tous les êtres) et celles de la Nécrose. Son but ultime sera de protéger sa famille (sa femme, son fils Cliff et surtout sa fille, amenée à jouer un rôle important dans cette guerre éternelle).



J'ai vraiment apprécié l'aspect horrifique de l'ensemble. Le côté manichéen est tout ce qu'il y a de plus basique, rien de très novateur, malgré une touche de mysticisme. Le fait que l'ensemble de la famille soit mêlé aux aventures de Buddy entremêle enjeux personnels et universels et c'est plutôt bien vu. Par contre, je trouve que les scènes d'actions ne mettent pas assez en valeur le potentiel d'Animal Man.



En ce qui concerne le dessin de Foreman, je suis assez partagé. Certes, il ne se casse pas la tête avec les arrière-plans mais, j'aime globalement cet aspect minimaliste (renforcé par une colorisation assez monochromatique), à mi-chemin entre abstraction et pop art. Le découpage des planches est vraiment énergique et il apprécie particulièrement les cases tout en longueur et ne dédaigne pas quelques pleines pages. Par contre, je suis dubitatif par rapport à l'encrage (Dan Green et Jeff Huet) qui laisse une impression brouillonne. Le changement de dessinateur, pour le chapitre 6, est plutôt bien vu, puisque cet épisode nous narre l'histoire dans l'histoire, à savoir le film dans lequel Buddy a joué, film qui met en scène un héros au fond du trou (serait-ce un avertissement pour Animal Man ?)



L'album se termine par l'annonce d'un crossover avec Swamp Thing, un autre héros en lutte contre la Nécrose, et constitue un cliffhanger plutôt alléchant.



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Sweet Tooth, tome 1

Etrange petite bd... Sweet Tooth, histoire à épisodes, en américain, de Jeff Lemire, nominé aux Eisner-Awards.

Sweet Tooth ça veut dire littéralement "Dent sucrée", ce qui veut dire : une passion pour les sucrerie, on dit aussi en français : bec sucré.

Gus, petit garçon étrange - il a des bois de cerfs sur la tête - vit isolé dans les bois avec son père, depuis toujours... enfin, depuis une dizaine d'année. Gus est né 9 ans plus tôt.

L'Affliction, Le Malheur, La Maladie, elle, a commencé une dizaine d'années plus tôt. Elle a décimé des milliards de gens, dont sa mère, à Gus. Et après ça, tous les enfants sont nés avec d'étranges malformations, mi-humain mi-animal, et cette transformation semble miraculeuse, car les enfants ne sont pas atteints par la maladie mortelle.

Gus vit maintenant caché dans les bois avec son père qui lui apprend tout. Et surtout à ne pas sortir des bois, et à rentrer se cacher dès qu'il entend un bruit suspect.

Mais un jour le père de Gus meurt aussi de la maladie. Et Gus se retrouve seul. Pas pour longtemps : les chasseurs qui le cherchaient, comme ils cherchent tous les gamins comme lui pour en faire des trophées, le débusquent et s'apprêtent à l'occire. C'est alors qu'apparaît Jepperd, étrange homme solitaire, véritable machine à tuer, qui va prendre Gus sous son aile. Il le convint de l'accompagner à la "Préserve", un endroit de rêve, où les enfants comme Gus sont pris en charge et coulent des jours tranquilles, en sécurité... Mais un endroit comme ça existe-t-il vraiment dans un tel monde ? Gus n'est-il pas un peu trop naïf ? Et qui est Jepperd ? Gentil samaritain à l'âme altruiste, ou chasseur de prime sans scrupule ?

Le style anguleux et sombre du dessinateur Jeff Lemire sert à merveille son histoire de monde violent et malade en pleine mutation. Magnifiquement mise en couleurs, cette histoire à épisodes se dévore, en langue anglaise, de fait on entend bien le "parlé simple et rude", on EST dans l'action, et on veut savoir la suite, on veut savoir ce qui va arriver à ce gentil Gus, petit garçon mutant qui adore les barres chocolatées au point de faire confiance à celui qui lui en offrira.

J'ai d'ores et déjà commandé la suite...
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Jack Joseph : Soudeur sous-marin

"Je m'appelle Jack Joseph, et j'ai 33 ans.

Je suis soudeur sous-marin sur une plate-forme pétrolière, sur la côte de Tigg's Bau, en nouvelle-écosse.

Je suis né ici, et j'y mourrai sans doute.

J'ai l'âge qu'avait mon père quand je suis né.

Il a disparu en 1990.

Dans la nuit d'halloween. J'avais 10 ans

Je m'appelle Jack Joseph et j'ai 33 ans.

J'ai une femme, Susie... et un bébé en route."



"Je m'appelle Jack Joseph, et j'ai 33 ans.

L'âge qu'avait mon père quand je suis né.

J’étais marié… Ma femme s’appelait Susie Joseph.

Nous allions bientôt avoir un enfant. Un garçon.

Mais je me suis enfui. Et maintenant je suis seul.

Je m'appelle Jack Joseph et j’étais soudeur sous-marin. J’allais être père.

Mais aujourd’hui je ne suis plus rien.

Et je ne suis nulle part."



Jack à un problème avec son père. Ce père alcoolique dont sa mère s’est rapidement séparé. Ce père qui lui a donné le virus de la plongée et qui s’est noyé un soir d’Halloween. Son corps n’a jamais été retrouvé et depuis Jack semble vivre avec son fantôme. Il aimerait connaître la vérité, savoir comment les choses se sont déroulées ce soir là. Au cours d’une intervention au large d’une plate forme pétrolière, il tombe sur un objet qui ne lui est pas inconnu. Un objet qui va ouvrir les portes d’une dimension d’où le passé va resurgir, comme dans un rêve…



Je ne connaissais pas Jeff Lemire, n’ayant pas lu Essex County, mais je dois avouer que notre première rencontre est une réussite. J’ai embarqué sans peine dans ce récit introspectif qui laisse la part belle à l’onirisme. La préface nous présente cet album comme "l’épisode le plus spectaculaire de La quatrième dimension jamais produit". Pas de bol, je ne connais pas du tout cette série télé qui doit commencer à dater donc je n’ai aucun point de comparaison. Le fait est que Jack le soudeur bascule dans un autre monde au cours d’une plongée. Rêve ou réalité, on est bien en peine de démêler le vrai du faux. C’est un aspect qui ne m’a pas gêné le moins du monde. Derrière les éléments fantastiques affleurent des questions plus complexes. L’angoisse de la paternité à venir le renvoie sans cesse vers l’image de son propre père. Plus l’accouchement approche et plus les relations avec sa femme se tendent. Elle ressent son malaise, lui reproche de ne pas être plus présent. Lui semble toujours perdu dans ses pensées, comme s’il devait régler une fois pour toute le solde de cette tragique nuit d’Halloween. Finalement, le monde parallèle dans lequel il entre a presque une fonction cathartique, il va lui permettre de tirer un trait définitif sur ses maux d'enfance et le faire entrer avec apaisement dans le vie de parent qui l'attend.



Niveau dessin j’ai beaucoup aimé ce noir et blanc un peu cradingue et torturé, ces personnages aux visages taillés à la serpe et ce décor maritime extrêmement bien reconstitué.



Un album intimiste, tout en sensibilité, où la narration n’hésite pas à bousculer le lecteur. Les souvenirs et les remords sont au cœur de l’histoire. Ce n’est certes pas d’une folle originalité mais la construction imparable provoque un incontestable plaisir de lecture. Une vraie belle découverte en ce qui me concerne.




Lien : http://litterature-a-blog.bl..
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Bloodshot U.S.A.

• Bloodshot USA

• Jeff Lemire (Scénario) & Juan José Ryp (Dessin)

• Bliss Comics



Nous voila sur Bloodshot Reborn tome 5.

Quoi ? Non c'est pas ça ?

Bon bah nous voila sur Bloodshot USA mais qui aurait tout à fait pu être Bloodshot Reborn tome 5 étant donné qu'ici, nous avons tout simplement la suite et fin de la série Reborn de Jeff Lemire.

Pourquoi un changement de nom ? Aucune idée... Peut-être pour en faire un pseudo évent, mais étant donné qu'on garde le nom Blooshot ce n'est pas vraiment le cas. Etrange...



Je me répète, nous sommes donc sur la suite et fin de Bloodshot Reborn et nous aurons retrouverons donc dans ce tome l'équipe des Blooshot qui va tenter de sauver New-York de l'attaque lancé par le PRS.

C'est dans la ligné du tome précédent (Bloodshot Reborn, Tome 4), tout en étant un poil au dessus pour l'ampleur des évènements.



Le run de Lemire sur le personnage de Bloodshot touche à sa fin, et l'auteur avait du bon et du moins bon à raconter.

Pour ma part j'aurais passé un bon moment de lecture, mais peut-être que dû au nom de l'auteur, j'en attendais un peu plus.
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Gideon Falls, tome 1 : La grange noire

En digne amateur de Swamp Thing et Animal Man, il était écrit que ma modeste expérience du comics soit un jour amenée à croiser le chemin de Gideon Falls. Halloween approchant à grands pas, je trouvai le prétexte idéal pour enfin entamer ce premier tome dont j'avais tant ouï les louanges. Après une journée harassante de boulot (vous savez cette bonne vieille loi des séries), un bol de chips et un bon petit - bon okay peut-être légèrement plus - verre de délectable Fitou plus tard, l'affaire était pliée. Verdict ? le résultat est franchement plaisant, même si perfectible.



Débutons avec l'aspect graphique qui va sûrement en rebuter plus d'un dès les premières pages tournées, tant la patte d'Andrea Sorrentino se veut des plus singulières. du coup de crayon convexe à la limite du brouillon, aux planches atypiques aux tons psychédéliques parfois très prononcées et défiant les lois de la gravité à vous donner le tournis, le dessinateur compte bien marquer les esprits. Même si de prime abord j'ai personnellement eu un peu de mal à m'accoutumer au style, je dois reconnaitre que j'ai fini par y trouver un charme fou, notamment grâce aux coloriages bien pensés de Dave Stewart qui mettent parfaitement en valeur l'oeuvre du graphiste.



De son côté, le très prometteur Jeff Lemire livre une intrigue à la fois nébuleuse et lugubre, qui ne manquera pas de vous ravir à coup sûr tant les inspirations télévisuelles auprès des ambiances de True Detective, de la Black Lodge de Twin Peaks ou encore des ténors de l'horreur sur grand écran imprègnent habilement l'histoire. Des tréfonds de l'Amérique profonde crasseuse aux meurtres sanguinolents arpentant le récit en passant par de (hélas trop rares) glaçants passages teintés de fantastique, l'auteur signe un envoûtant, même si imparfait, conte horrifique aux multiples facettes.



Si les amorces de notes philosophiques, réflexions sur la religion et psychologie des personnages sont intéressantes, elles sont malheureusement trop lisses, tout comme les enjeux qui semblent non seulement à peine effleurés, mais également fluets. Ce premier tome pâtit donc de son statut introductif et ne parvient pas à suffisamment susciter l'intérêt malgré des prémices alléchantes et pleines de promesses. Cependant, l'exercice reste louable et mérite que l'on s'y attarde, que vous soyez adeptes de comics en-dehors des sentiers battus du mainstream ou non. Bienvenue dans l'antre du mal.
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Black Hammer, tome 2 : L'incident

Encore une série de Super héros, avec de l'héroïsme, des doutes, de la psychologie, j’avoue que ça ne m’emballe pas, mais ici, derrière tout cela, il y a une ironie mordante et ça change tout. Lu au premier degré, c’est archi-nul, mais au second degré, c’est génialissime, un équilibre entre adoration et moquerie.



On passe d’un brin de nostalgie autour de la bande dessinée des années 50, utilisant les couleurs acides, les trames grossières, répliques manichéennes, aux problématiques actuelles comme l’inclusion, cela donne un mélange assez jouissif, un bordel où l’ironie se balade d’un thème à l’autre, forçant les dérapages en tous genres, là où on ne les attends pas forcément. Le graphisme se réfère alors aux années 90 où la volonté d’intégrer de la psychologie dans les récits a été mise en avant, et ça aussi, c’est traité avec une certaine ironie. Sur l’inclusion justement, l’aspect manichéen où l’on voudrait que le bien finisse par triompher du mal, ici, le superhéros homosexuel se prend un monumental râteau. Les problèmes amoureux de nos héros sont risibles, loin de tout héroïsme romantique, tous ces super héros sont de pitoyables humains, normal, ils n’en sont pas vraiment.



Tout en vouant une adoration sans faille à cet univers, Jeff Lemire saccage le mythe du super héros avec des chemins de traverses qu’il nous faut parvenir à suivre, l’ironie va même se cacher dans les noms des héros, avec une scène hilarante de la rencontre entre Talkie-Walkie et le Colonel Weird. J’adore cette série, donc à suivre.
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Black Hammer, tome 5 : Reborn Part One

Reprendre une activité délaissée

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Ce tome fait suite à Black Hammer, tome 4 : Le meilleur des mondes qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il vaut mieux avoir commencé par le premier tome pour avoir en tête l'histoire personnelle des protagonistes. Il regroupe les épisodes 1 à 4 de cette saison trois, initialement parus en 2021, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Caitlin Yarky, avec une mise en couleurs réalisées par Dave Stewart. Les couvertures originales ont été réalisées par Yarsky, les couvertures variantes par Jeff Lemire, Jill Thompson, Fiona Stephenson, Dave Johnson.



Lucy Weber commence par se présenter : son père était le plus grand des superhéros. En tant que Black Hammer, Joseph Weber a sauvé le monde en détruisant l'Anti-God. Cela se déroulait en 1986, tous les superhéros sont morts dans ce combat, et elle avait dix ans. Dix années plus tard en 1996, elle n'avait pas abandonné l'espoir de les retrouver et elle avait réussi à localiser Abraham Slam, Mark Martz, Randall Weird, Gail Gibbons, M-11 et Madame Dragonfly. Elle était sortie de cette aventure en ayant acquis le marteau précédemment manié par son père : elle était devenue Black Hammer. Vingt ans plus tard, au temps présent, Lucy s'occupe de ses enfants au petit-déjeuner pour que tout le monde soit prêt en temps et en heure : finir de préparer le sac de son fils Joseph, et le faire accélérer pour son petit-déjeuner, crier à sa fille Rosa Lee de sortir de sa chambre et de descendre, qui finit par le faire et lui demande de l'argent. Son mari Elliot entre dans la cuisine sur ces entrefaites en lui demandant où se trouve son pantalon. Elle demande à son époux s'il ne trouve pas que leur fille a l'air bizarre comme si elle prenait quelque chose. Finalement tout le monde part, et elle emmène son fils à l'école, en voiture.



En 1996, en pleine rue à Spiral City, un supercriminel, Black Hole, est cerné par la police. Mais il les affronte, très confiant dans ses pouvoirs. Black Hammer arrive sur place, et le raille sur le sous-entendu de son nom. Il recommence à aspirer tout ce qui est à sa portée avec le trou noir qu'il a au niveau de son torse. Elle lâche son marteau qui va directement dans ledit trou : Black Hole exulte car il est sûr que cela assure sa victoire. Mais il ressent un fort malaise et tombe au sol en ayant perdu conscience, alors que le marteau est ressorti de son corps. Black Hammer le confie à la police, et s'adresse à la foule pour dire qu'elle est de retour en tant que nouvelle incarnation de ce superhéros : les jours des supercriminels sont comptés. De retour au temps présent, Lucy Weber est assise à son bureau de correctrice, chez un éditeur de moyenne importance, en train de consulter un article sur une intervention de l'équipe d'intervention TRIDENT. Son encadrant lui rappelle qu'elle devrait plutôt travailler : fort heureusement l'heure de la pause est arrivée et elle part rejoindre sa copine Reyes au bar du coin. Elles évoquent le fait qu'il n'y a plus de superhéros depuis trois ans, et que l'équipe TRIDENT neutralise tous les autres, qu'il n'y a plus besoin de superhéros, et que Lucy n'est pas prête à réendosser son costume. Un énorme choc se produit avec un grand fracas. Les deux femmes sortent dans la rue pour savoir de quoi il retourne.



La couverture annonce clairement quel le personnage principal de cette saison, ce qui conforte le lecteur dans l'impression que les héros des deux premières saisons étaient arrivés au terme de leur cycle. Retour à Spiral City pour une nouvelle génération de héros qui compte une seule superhéroïne : la nouvelle Black Hammer. D'ailleurs celle-ci a abandonné son activité costumée, et est une mère de famille dynamique. Pour autant, l'histoire parle plus à un lecteur familier de cet univers partagé. Le scénariste prend soin de rappeler les éléments essentiels : la ferme à proximité de Rockwood, les héros qui y sont cantonnés, l'Anti-God. Toutefois ça reste très, très rapide, sans avoir le temps d'évoquer la parazone, les trois superhéros dont Black Hammer croise la route, ou encore ce mystérieux directeur de prison avec des ailes dans le dos Warden Wing qui apparaît le temps de deux pages. D'ailleurs s'il n'a pas lu la minisérie Sherlock Frankenstein, tome 1 : From the World of Black Hammer (2017), le lecteur sera en bien en peine de replacer ce personnage ailé. Ce besoin de connaître cet univers partagé est encore plus prégnant pour le dernier épisode, où Lucy doit s'adapter au comportement apparemment erratique et incompréhensible d'un autre superhéros.



Le lecteur suit donc Lucy Weber en civil, selon deux lignes temporelles : en 2016, ce qui correspond au temps présent du récit, et en 1996 l'année où elle a décidé d'arrêter d'endosser le rôle de Black Hammer, d'arrêter d'être une superhéroïne. D'un côté, il peut être déçu que Dean Ormston, l'artiste originel de la série ne soit pas de retour ; d'un autre côté, cela correspond à une logique narrative d'avoir un nouvel artiste, pour un nouveau personnage principal. Cette dessinatrice réalise des dessins dans un registre descriptif, réaliste, avec un degré de simplification dans les traits des visages et dans les décors. Elle bénéficie de la mise en couleurs de Dave Stewart, un orfèvre en la matière qui apporte une sensation de consistance tangible à chaque surface, avec des nuances de couleurs un peu ternes, pour rester dans un registre réaliste. Les personnages ont des morphologies normales, sans musculatures exagérées, sauf pour le cas très particulier du superhéros urbain de l'épisode 2. Elle représente les corps sans les sculpter, et même le costume de Black Hammer ou des autres superhéros n'est pas si moulant, ce qui tient la narration visuelle à l'écart des conventions industrielles des comics de superhéros. Il ne s'agit pas d'une forme de naïveté visuelle, mais de fait ça lui permet de mettre sur le même plan les phénomènes psychédéliques de la parazone, ou le supercriminel pathétique Lightning Fingers dont le costume met en évidence l'absence de muscles.



Il faut un peu de temps au lecteur pour se faire une opinion sur les décors. Dans les premières pages, il note un niveau de détails élevé : les buildings de Spiral City, le bâtiment d'habitation de la ferme, l'aménagement de la cuisine et les différents accessoires (évier, robinets avec col de cygne, le sac en papier pour le repas de Joseph, les placards au mur, la corbeille de fruits avec oranges, raisins et citrons), les chaises, la table, la poubelle à pédale, le réfrigérateur avec les aimants et les dessins des enfants, etc. Il effectue le parallèle avec les personnages : une forme d'approche simplifiée qui leur apporte une sensation de naïveté dans la représentation, même si la densité d'informations visuelles est assez élevée. Lorsqu'il voit arriver Rosa Lee vers sa mère avec un short informe et un teeshirt sans particularité, le lecteur ressent un manque de texture du textile, de plis du vêtement, même si le bas de chaque jambe du short est déchiré. La même impression se produit avec le salon des Weber dont le la forme et les dimensions semblent changer avec l'angle de vue, ou avec une rue de Spiral City dans l'épisode 3, avec une absence de texture du revêtement de la chaussée, pas de caniveau apparent, des plaques de béton pile-poil de la largeur du trottoir pour un résultat trop géométrique, un revêtement des façades parfaitement lisse, même s'il y a quand même un climatiseur en façade, etc. Cette particularité des dessins n'empêche par une bonne qualité de la narration visuelle, tout en diminuant un peu l'impact de certaines scènes.



Les auteurs ont construit leur récit de manière à entremêler deux lignes temporelles, celle au temps passé finissant par révéler ce qui a amené Lucy Weber à abandonner son activité de superhéros, celle au temps présent la ramenant inexorablement vers la reprise de cette activité. Le scénariste ne se contente pas de faire fructifier son univers partagé : il continue de raconter la vie de cette jeune femme qui s'est installée, a fondé une famille, élève ses enfants. D'un côté, elle refuse de se conformer à ce qui est attendu d'elle, c’est-à-dire être une superhéroïne ; de l'autre côté, elle se conforme à être une bonne mère de famille. De ce point de vue, l'intrigue découle de manière organique de la vie du personnage principal et de ses caractéristiques : elle serait différente avec un autre personnage. Le lecteur se prend vite d'affection pour Lucy Weber avec ses responsabilités, et il se demande quelle sera la nature de la menace qui va la contraindre à réenfiler le costume de Black Hammer. Il se rend compte qu'il est en pleine empathie avec le personnage quand elle se trouve à reconduire sa fille Rosa Lee à la maison en voiture. Son adolescente est sous le choc de ce qui vient de lui arriver. Elle pleure tout en disant qu'elle ne sait pas quoi faire. C'est comme s'il y avait une chose en elle, qu'elle peut voir, mais qu'elle ne peut pas atteindre. Comme une chose qu'elle devrait devenir mais elle ne sait pas ce que c'est. Du coup, elle éprouve l'impression de n'être que la moitié d'une personne. Sa mère la regarde, et le lecteur voit bien qu'elle éprouve la même chose, qu'elle-même est en pleine empathie parce qu'elle a déjà ressenti ça, sans que le scénarise n'ait besoin de l'écrire en mots. Il devient alors évident que la narration visuelle porte parfaitement le récit.



Une nouvelle saison de Black Hammer : pourquoi pas ? Le lecteur constate rapidement qu'il s'agit de la suite de l'histoire de Lucy Weber qu'il a déjà croisée dans la saison précédente et dans une série dérivée. La narration visuelle comprend une forme de naïveté dans certaines de descriptions, avec un bon niveau de détails et une capacité à faire passer les états d'esprit et les éléments les plus fantastiques du scénario. Le lecteur se prend vite d'amitié pour l'héroïne, et de curiosité pour l'intrigue.
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Inferior 5

Au pire des cas

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Ce tome contient une histoire complète, indépendante, faisant régulièrement référence à Invasion! (1988/1989) de Keith Giffen, Bill Mantlo, Todd McFalane, Bart Sears. Il regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019/2021, coécrits par Keith Giffen et Jeff Lemire. Giffen a dessiné les épisodes 1 à 5, avec un encrage de Michelle Delecki. L'épisode 6 a été dessiné et encré par Scott Kolins. La mise en couleurs a été réalisée par le studio Hi-Fi. Les épisodes 1 à 5 contiennent une histoire de 4 pages en fin, suivant le personnage de Peacemaker, écrites, dessinées et encrées par Jeff Lemire, avec une mise en couleurs de José Villarrubia.



Dans le désert aux alentours de Dangerfield en Arizona, une jeune fille en chasuble de patient d'hôpital est en train de courir pour s'enfuir. Elle dépasse un cactus avec une fleur et arrive devant un garçon qui se tient immobile avec un sac marqué d'une croix rouge, sur la tête, serré par une corde au cou. Elle tombe à genou et promet de ne rien dire à personne. Le garçon entonne une comptine et il se produit un éclair dans lequel l'adolescente disparaît. Le lendemain en plein jour, la ville de Dangerfield apparaît abandonnée, désolée, décrépite. Justin se promène dans les rues regardant les détritus abandonnés, l'arbre avec les photographies accrochées dessus, la poupée pendue à un arbre. Il s'avance un petit peu dans le désert, en pensant à ce qui disait toujours son père : Au pire des cas… Son père est mort pendant l'Invasion menée par une coalition d'extraterrestres. Au bout de quelque temps, sa mère lui avait annoncé qu'ils allaient déménager de Metropolis parce que l'appartement lui rappelait trop son époux défunt. Il retourne vers sa nouvelle maison, et le voyant arriver sa mère raccroche, ne voulant pas qu'il sache à qui elle téléphone.



Dans un vaisseau spatial en orbite, un Khund et un Dominateur échangent des informations : en fait l'invasion n'est pas finie, elle vient tout juste de commencer. Superman serait mort. Captain Atom (Nathaniel Christopher Adam) est détenu par les forces extraterrestres. Les Thanagariens ont été exterminés. Ils n'ont plus rien à craindre. Lisa, une jeune fille est en train de lire le numéro 37 de la série mensuelle Invasion, chez le libraire de Dangerfield. Le libraire lui indique que cette série figure parmi les meilleures ventes. Elle estime que c'est de la provocation surtout pour les pauvres civils qui ont vécu et souffert pendant ladite Invasion. Elle fait remarquer au libraire qu'il saigne des gencives. Elle finit par partir sans rien acheter en lui disant qu'elle espère bien qu'il aura le dernier numéro de la série Doom Patrol la semaine suivante. La surveillance des jeunes depuis le satellite se poursuit. L'un des observateurs remarque que le sujet cinq-point-six se trouve à proximité des sujets deux et quatre. Il se dirige vers le marchand de disques. À l'intérieur, Vance et Theresa se chamaillent comme à leur habitude. Elle souhaite qu'il lui lâche la grappe, et il insiste qu'il faut bien qu'ils puissent compter l'un sur l'autre, en l'appelant pas son surnom Lapin idiot. Il s'en prend une. Pendant ce temps-là, Peacemaker (Christopher Smith) effectue une mission en Sibérie pour le compte d'Amanda Waller.



Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Une histoire qui sort de l'ordinaire et qui sort de nulle part. Keith Giffen est un vétéran des comics ayant commencé sa carrière comme dessinateur en 1976, étant devenu progressivement un scénariste peu conformiste dans le monde des superhéros, connu pour avoir réimaginé la Justice League avec John-Marc DeMatteis et Kevin Maguire en 1987, et pour avoir beaucoup écrit et beaucoup dessiné la Légion des SuperHéros. Il est ici aidé au scénario et aux dialogues par Jeff Lemire, créateur canadien, également scénariste & dessinateur, connu pour sa série Sweet Tooth et de nombreuses autres. Ils reprennent ici le nom d'une équipe parodique créée en 1962 par Nelson E. Bridwell, Joe Orlando et Mike Esposito. Ils y associent de nouveaux personnages créés pour l'occasion. S'y ajoute une histoire racontée en court chapitre en fin des cinq premiers épisodes, consacrée à Peacemaker, un personnage créé en 1966 par Joe Gill & Pat Boyette. Ce même personnage apparaît dans le film Suicide Squad de 2021 et bénéficie d'une série télé la même suivante en 2022. Le lecteur a la surprise de découvrir que l'intrigue de la série évoque à plusieurs reprises cette invasion extraterrestre massive, histoire imaginée et écrite par le même Giffen en 1988. Malgré tout, il est possible de comprendre la présente histoire sans avoir lu Invasion!



Au début du récit, le lecteur n'est pas sûr du tout de ce dans quoi il s'engage. Il rencontre de nouveaux personnages, ne reconnaissant que les représentants des deux races extraterrestres. En voyant Lisa lie un comics, il se demande si les auteurs ne vont pas passer en mode métacommentaire, la minisérie Invasion! ayant donné naissance à un comics dans le comics, pas loin d'être auto-référentiel, mais finalement cette composante n'est pas développée. Peut-être qu'elle l'aurait été si la présente minisérie n'avait pas été diminuée de moitié, passant de 12 épisodes initialement à 6 finalement. Rapidement, il semble qu'un des cinq adolescents dispose de superpouvoirs. Cet élément de l'intrigue est expliqué de manière satisfaisante et surprenante. Par la suite, les auteurs intègrent encore des variations sur des personnages de l'univers partagé DC : Brother Power créé en 1968 par Joe Simon, Tasmanian Devil créé en 1977 par E. Nelson Bridwell et Ramona Fradon, ou encore Awkward Man (Leander Brent), l'un des membres originaux des Inferior Five. Le mode métacommentaire étant écarté, le lecteur y voit surtout un hommage à des créateurs auxquels Giffen est sensible.



Une fois qu'il s'est adapté aux bizarreries du départ, le lecteur plonge avec plaisir dans un épais mystère. Qui sont ces adolescents ? Pourquoi habitent-ils dans une ville délabrée, Quels sont les desseins des extraterrestres ? Qu'est-ce que vient faire Peacemaker dans la choucroute ? Il est possible également que le lecteur apprécie les dessins de Keith Giffen et qu'il soit venu pour ça. Il retrouve vite sa propension à utiliser un découpage en gaufrier de 6 cases, 2 cases par bande, 3 bandes par page. L'encreure respecte les traits de Giffen, sans essayer de les adoucir ou de les lisser, conservant leur irrégularité, leurs cassures, les petites marques à l'encre dans les surfaces délimitées pour montrer les textures et l'usure ou la rugosité. Le lecteur retrouve une légère influence Kirby, ou plutôt un hommage assumé, ainsi qu'une narration visuelle très fluide. L'artiste navigue avec aisance et élégance entre les conventions superhéros, et celles de l'anticipation, avec une touche de science-fiction, une touche de comics de monstre, une touche d'horreur, le tout dans une grande cohérence visuelle. S'il le souhaite, il peut comparer les pages dessinées par Lemire, moins fournies en informations visuelles, avec une apparence un peu plus naïve qui se marie pourtant très bien avec le costume à l'apparence ridicule, surtout le casque, de Peacemaker. Pour le dernier épisode, Giffen retrouve un artiste avec lequel il a déjà collaboré précédemment. Scott Kolins ne singe pas l'apparence des dessins de Giffen, mais sait en conserver l'esprit, avec une apparence plus dense, moins compact, et plus énergétique.



Le lecteur s'immerge donc complètement dans une aventure qui baigne dans l'univers partagé DC, tout en étant à nulle autre pareille. Il sent bien que cela est dû à Keith Giffen, plus qu'à Jeff Lemire. Au vu de la carrière de ce dernier et de ses thèmes de prédilection, il se dit qu'il affine le caractère de chaque enfant. L'histoire en courts chapitres de Peacemaker est très classique, une mission après l'autre, avec un hommage au Suicide Squad version John Ostrander & Luke McDonnell, et une narration visuelle un peu naïve qui se marie bien à son apparence bizarre et sa forme d'esprit simple. Les dessins de Giffen le plonge dans une ville délabrée, aux côtés d'adultes inquiétants, d'adolescents pas très bien dans leur peau, malaises dans cet environnement en décrépitude, le contraire d'un avenir prometteur. Il savoure ces moments bizarres et inexpliqués : l'apparition du diable de Tasmanie version superhéros, le garçon avec son sac sur la tête, l'homme chauve en costume noir avec lunettes de soleil faisant face à un être humanoïde à la peau jaune de trois mètres de haut, avec une tête trop grosse, le combat de Theresa contre son père dans un quartier en ruine de Dangerfield, etc. Il finit même par être surpris quand les auteurs lèvent le voile sur le mystère, et que la raison tient la route, et s'articule logiquement avec Invasion! Il n'en attendait pas tant.



L'étrangeté bizarre de la créativité de Keith Giffen n'est pas pour tout le monde. Le lecteur qui le découvre avec ce récit peut être rebuté par les dessins un peu rugueux, par la narration déconcertante. Le lecteur qui l'apprécie se dit que Jeff Lemire a dû le seconder pour que sa notoriété permette au projet de voir le jour, tout en faisant tout pour ne pas altérer la bizarrerie de ce créateur très particulier. Le résultat est effectivement aussi bizarre qu'on peut le souhaiter, avec une intrigue en bonne et due forme qui fait sens, des héros malgré eux, et un espace de liberté inattendu dans l'univers partagé DC.
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Black Hammer, tome 3 : L'heure du jugement

Avec pourtant une palanquée de clichés, cette série parvient à nous amener là où on ne l'attend pas.

Une équipe de super-héros est coincée dans un petit village, habitant dans une ferme depuis dix ans, cachant à la population leur véritable identité. le ton est tragique, plein de mystère, le style graphique est rude, un peu sec, et il s'envole dans quelque lyrisme totalement baroque, ou gothique. le fantastique, la science-fiction donnent quelques moments d'anthologie, et les flashback sont traités dans un style plus rétro qui ramène aux premiers temps du genre. L'histoire joue sur le mythe des super-héros, celui qui sauve le monde, torturé, solitaire, et qui porte une espèce de combinaison avec ou sans cape. L'histoire se moque avec une certaine tendresse de l'aspect héroïque, romanesque, manichéen du genre classique, ainsi que des pseudo partis-pris psychologiques des créations plus récentes (que je déteste personnellement), et même des complexités scénaristiques torturées. Ce tome semble nous dire que les deux tomes précédents comptaient pour du beurre, il ne s'y est en réalité pratiquement rien passé, et encore, le mot réalité finit par ne plus rien vouloir dire. C'est toujours en dérapage contrôlé, j'adore cette petite fille qui jure comme un charretier, son comportement est en total désaccord avec sa silhouette, le thème de l'homosexualité est aussi à découvrir au second, troisième et énième degré. Je ne m'attendais pas à avoir une crise de fou rire irrépressible en plein milieu de l'histoire.

C'est rafraichissant, décalé, un peu cinglé, irrespectueux du genre, des classiques, et même des lecteurs, et en même temps, plein de tendresse pour tout ceci. J'adore cette série.
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Barbalien : Red Planet

Répression

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Ce tome contient une histoire complète qui peut s'apprécier sans rien savoir du personnage au préalable. Barbalien fait partie de l'univers partagé Black Hammer créé par Jeff Lemire, avec Dean Ormston Ce tome regroupe les cinq épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020/2021, avec une histoire coécrite par Jeff Lemire & Tate Brombal, ce dernier ayant écrit le script, dessinés et encrés par Gabriel Hernández Walta, la mise en couleurs ayant été réalisée par Jordie Bellaire. Il comprend également les couvertures originales de Walta et les couvertures alternatives de Phil Jimenez, Kevin Wada, Aud Koch, Naomi Franquiz, Nick Robles. Il se termine avec une postface d'une page, écrite par Brombal, et 9 pages de recherches graphiques de Wada.



Sur la planète Mars, au temps présent, Mark Marz est jugé pour trahison contre son peuple, par l'empereur Zoaz lui-même. Ce dernier prononce la sentence : la mort pour avoir trahi sa propre race, l'exécution devant avoir lieu dans trois mois. En 1986, il y a quelques temps de cela, Mark Marz était un policier en uniforme dans la ville de Spiral City aux États-Unis. Il était le coéquipier de Cole. Ils interviennent ensemble dans une prise d'otage perpétrée par un homme armé dans une banque. Ils le neutralisent avec efficacité, sans violence inutile, et le remettent aux policiers du quartier. Ils montent dans leur voiture de patrouille, Cole conduisant. Marz s'excuse pour son attitude de la veille en faisant le geste de poser sa main sur le bras gauche de son coéquipier, mais celui-ci lui dit d'arrêter ça tout de suite. Le moment de gêne prend fin avec la radio du véhicule qui demande à toutes les unités de se rendre à l'hôtel de ville, pour contenir des troubles.



Cole et Marz arrivent sur place et se joignent aux forces de l'ordre déjà présentes. Cole explicite sa position : il ne fera pas de rapport de signalement à la hiérarchie sur les avances de Marz, mais uniquement parce qu'il le tient en haute estime. Ils rejoignent le cordon formé pour tenir les manifestants à distance de l'hôtel de ville. Il s'agit d'une marche de protestation contre l'inaction des pouvoirs publics concernant le SIDA. Miguel Cruz a réussi à franchir le cordon et à monter les marches menant à l'entrée de l'hôtel de ville. Il dénonce l'inaction du gouvernement pendant les cinq ans qui se sont écoulés depuis l'apparition de la maladie, pointant du doigt que cette absence d'action a été décidée par des hétérosexuels qui espèrent ainsi que les homosexuels disparaîtront. Il prend dans sa main un drapeau aux couleurs de l'arc-en-ciel et monte au mât au sommet duquel se trouve le drapeau américain, dans le but d'aller le remplacer par celui du mouvement homosexuel. Alors qu'il commence à enlever la bannière étoilée, il lâche prise et chute, promis à une mort inéluctable. À mi-hauteur, il se rend compte qu'il vient d'être pris dans les bras de Barbalien qui va le déposer sur un toit en terrasse d'un immeuble en vis-à-vis. Barbalien demande à Miguel pour quelle raison il a accompli une action aussi risquée. Le jeune homme lui répond qu'il n'a pas le choix, qu'il doit se battre chaque jour pour avoir le droit d'exister.



La couverture annonce une histoire de superhéros extraterrestre qui doit se libérer de ses chaînes. Le lecteur reconnaît ou identifie rapidement Mark Marz comme étant une variation sur le personnage de J'onn J'onzz, Martian Manhunter, créé en 1955 par Joseph Samachson & Joe Certa, un superhéros de l'univers partagé DC Comics. Il se rend tout aussi vite compte que ce n'est ni un ersatz, ni une facilité pour ne pas avoir à créer un personnage original. Il découvre bien une histoire de superhéros avec un personnage doté de capacités fantastiques, qui plus est venant d'une autre planète, avec des hauts faits spectaculaires, des combats physiques, et un ennemi acharné armé d'un pistolet à plasma, sans oublier l'apparition de deux autres superhéroïnes le temps d'une séquence de 2 pages. L'artiste dessine de manière descriptive, avec parfois des cases évoquant l'influence de John Romita junior, s'amusant bine avec les scènes sur Mars pour montrer d'autres martiens et quelques bâtiments. Les scènes de combat en mode superhéros sont peu nombreuses, mais la violence est brutale, et Boa Boaz est un ennemi qui en impose par son agressivité, le dessinateur citant discrètement l'apparence et les postures de ‎Terminator (1984, de James Cameron) à une ou deux reprises. L'amateur de récit de superhéros en a pour son argent, avec un récit original, même si la teneur en affrontement n'est pas très élevée.



Dans la série Black Hammer, Jeff Lemire avait établi de manière explicite l'homosexualité du personnage. Ce n'est donc pas une sortie du placard de circonstance pour cette histoire. Une fois passé les deux scènes introductives, les coscénaristes indique de manière explicite que le récit se déroule en 1986. Le lecteur plonge ensuite dans une évocation de la communauté homosexuelle masculine à l’époque. Le récit est clairement situé aux États-Unis dans une ville de moyenne importance. Le personnage principal découvre cette communauté grâce à Miguel Cruz. Lemire & Brombal développent une comédie sentimentale : Mark a pris l'apparence d'un jeune homme que Miguel décide de prénommer Luke, ignorant donc que son flirt est en réalité un policier participant aux opérations de maintien de l'ordre, et parfois de répression. Le lecteur assiste à la naissance de leur amour grâce à des dessins disposant d'une réelle sensibilité pour montrer les gestes d'affection mutuelle, sans voyeurisme, sans stigmatisation ni romantisation. Il ne s'agit donc pas d'une bluette mièvre ou naïve, ni d'une romance torride, mais d'un couple qui en est aux premiers stades d'apprendre à se connaître.



Dans la postface, Tate Brombal explique que Lemire lui a donné toute latitude pour développer le récit et l'inscrire dans ce contexte choisi. Il dit à quel point il ne s'attendait pas à pouvoir raconter un tel récit dans le genre superhéros. Effectivement, il évoque les préjudices dont pouvaient souffrir les communautés homosexuelles à cette époque et à cet endroit du globe. S'il a vécu ces années, ou s'il les a étudiées, le lecteur retrouve des éléments bien réels : le SIDA désigné comme une maladie de dieu pour punir les homosexuels, les descentes de police dans les clubs homos, les brutalités policières, la stigmatisation des homosexuels dans la rue, etc. Il en découle une forme de discrimination et de ghettoïsation banalisée, que ce soient les remarques homophobes au boulot, ou les propriétaires qui ne souhaitent pas louer à des couples de même sexe. Certes le récit est construit avec un point de vue assumé, mais comme un témoignage, pas comme un pamphlet accusateur. Le lecteur accompagne Mark Marz qui découvre ces comportements auxquels il n'avait pas jusqu'alors été confronté, car s'en tenant à une vie bien rangée, sans rien laisser paraître de son orientation sexuelle, et qui écoute Miguel Cruz lui expliquer les brimades quotidiennes subies par ceux ayant choisi de ne pas se cacher. La narration visuelle est impeccable : elle aussi naturaliste, sans exagération, reprenant des représentations de cette répression ordinaire, de ces remarques banalisées, de ce harcèlement ordinaire et normal dans cette société, sans rien occulter de la violence vécue par ceux qui en sont la cible.



Par la force des choses, cette facette sociale du récit a tendance à prendre le pas sur le côté aventure. Le lecteur ne peut pas mettre sur le même plan un témoignage plutôt honnête de ces années-là et la traque dont Marz fait l'objet par un chasseur de Mars. En fait si, il peut car il ne se produit pas de dissonance cognitive entre ces deux dimensions du récit. Peu à peu, Marz comprend qu'il est traité comme un réprouvé par la société américaine et son homophobie ordinaire, et dans le même temps il est traité comme un criminel par son peuple pour avoir choisi de vivre comme un terrien, entretenant des relations avec des terriens, mâles de surcroît. Il y a là une autre forme d'intolérance. Elle revêt les atours d'un récit d'action avec une traque dans la ville menée par un extraterrestre armé d'un pistolet à plasma : thématiquement, c'est la même dynamique que la maltraitance de la communauté gay. Du coup, les deux formes, réalisme / superhéros, se complètent, se font écho, gagnent en épaisseur en se répondant. Elles conduisent Mark Marz / Barbalien à la même conclusion dans les deux cas, au même questionnement sur sa conviction de ne pas répondre à la violence par la violence, sans que les superpouvoirs ne tirent vers le bas le témoignage sociétal de cette répression.



Kurt Busiek a souvent répété que le genre superhéros peut permettre de servir de support à n'importe quel type de récit ou de thème, et il l'a mis en pratique avec brio dans sa série Astro City. Lemire, Brombal, Hernández Walta et Bellaire réussissent le même pari avec ce récit. Le lecteur découvre un extraterrestre exerçant le métier de policier, revêtant une identité de superhéros pour protéger les faibles et lutter contre le crime, avec une narration visuelle qui respecte les codes du genre, et une reconstitution sensible et mesurée de ce que pouvait être la persécution d'une communauté gay au milieu des années 1980, dans une ville de moyenne importance aux États-Unis. Une belle réussite, prenante et émouvante.
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Le labyrinthe inachevé

Je savais que cette BD, ce roman graphique de 250 pages et des rawètes, serait une belle lecture. Quelque chose qui reste en tête. J'avais entendu des commentaires plutôt élogieux de personnes que j'apprécie. Je me suis lancé pour quelques pages... "pour voir". Et j'ai tout lu d'une traite.



Cela démarre de manière un peu banale, presque sordide. William est un loser. C'est du moins l'impression que l'on peut s'en faire. Il divague dans le métro. Se raccroche à un pull over rouge qui s'effiloche, porté par une gamine dont il ne peut plus se rappeler le visage. Il mène une vie métro-boulot-dodo, plutôt tâtillonne.



Puis peu à peu on dérape. Des appels nocturnes. Cette obsession d'un fil rouge. Le fait que la gamine est sa fille, morté à 11 ans. Son mariage explosé. Tout cela est projeté à la gu... du lecteur comme autant de coups de poings au sternum. La lecture se fait haletante, compulsive.



Vient ensuite pour William la certitude que les appels nocturnes sont ceux de sa fille. Qu'elle est toujours vivante. Au centre d'un labyrinthe urbain. Elle était fan de labyrinthes, elle en réalisait tant... Commence alors une course folle pour retrouver sa fille.



Enormissime parabole sur le deuil, la mémoire, la culpabilité, la résilience, la capacité de tourner la page un jour, sereinement, paisiblement, cette BD est incontournable.
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Snow Angels, tome 1

Course-Poursuite

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Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de toute autre. Il est d'abord paru en format dématérialisé en juin 2021, puis en format papier en février 2022. Il a été réalisé par Jeff Lemire pour le scénario, et par Jock pour les dessins, l'encrage et la mise en couleurs. Il compte 96 planches de bande dessinée.



Trois personnes avancent en patinant dans une énorme tranchée, sur un monde de glace et de neige : Milliken, Mae Mae sa jeune sœur et leur père. Mae Mae, la plus jeune, n'a jamais connu que l'environnement de la tranchée, depuis son plus jeune âge. Elle connaît par cœur les trois règles : la Tranchée pourvoit à tous les besoins, c'est le cadeau laissé par les Froidis, on ne doit jamais, jamais quitter la Tranchée sinon l'homme de neige vous tue, et enfin la Tranchée est sans fin, elle s'étend à l'infini dans les deux directions. Les trois êtres humains patinent très rapidement sur une étendue blanche de glace entre deux hauts murs enneigés. En haut s'étendent deux plaines de neige et de glace, totalement nues jusqu'à l'horizon. Un chien sauvage a repéré une trace de sang dans la neige : il s'approche pour la humer. Une flèche lui traverse le crâne et il s'écroule mort. Père félicite Milliken pour son tir. Mae Mae est triste pour le chien : son père lui redit que l'animal lui a offert sa vie et qu'ils honoreront chacun de ses morceaux, comme les Froidis le leur ont dit. Milliken qui est plus grande, douze ans, se moque d'elle. C'est le jour de l'anniversaire de l'aînée et elle aurait préféré que son père n'emmène qu'elle pour chasser. Mais elle sait qu'aucune autre personne de la communauté n'aurait pu garder sa petite sœur sans devenir chèvre. Les autres habitants n'apprécient pas trop que Père élève ses filles comme des garçons, mais Milliken préfère qu'il en soit ainsi.



La nuit est tombée et les trois chasseurs se réchauffent autour d'un petit feu. Père offre un cadeau à sa fille aînée : un petit disque qu'il a trouvé parmi des machines des Froids. Celle-ci fonctionne encore car il lui reste un peu d'énergie et elle projette un hologramme constitué de diagrammes dans l'air. Il ne sait pas à quoi ça correspond. En réponse à Mae Mae, il indique que les Froidis ne ressemblent pas à ça, qu'il avait déjà vu ce genre de diagramme dans le ciel gris, avec son frère quand il était plus jeune. Sa plus jeune fille le reprend : il n'a pas de frère. Il corrige : il voulait dire leur mère. Il lui conseille de l'éteindre pour économiser l'énergie, et l'heure est venue de dormir. Il mentionne encore l'homme des neiges pour asticoter son aînée. Le lendemain, le trio reprend la route, toujours en patin à glace, pour revenir au village. Arrivé à proximité, Père hèle Caleb la sentinelle qui ne répond pas. Ils continuent d'avancer. Milliken glisse et chute à terre. Elle se rend compte que c'est du sang qui lui a fait perdre son équilibre. Le trio s'arrête et découvre un carnage : tous les habitants baignant dans leur sang, allongés à même le sol. Père demande à Mae Mae de ne pas regarder. Il entend le bruit de patins à glace dans le lointain. Il se dépêche de cacher ses filles, chacune sous un cadavre : l'homme de neige arrive.



Jeff Lemire est un scénariste très prolifique ayant acquis la notoriété avec Sweet Tooth, puis ayant réalisé de nombreux récits allant du drame (l'extraordinaire Royal City, ou Roughneck) à des récits de genre horreur ou science-fiction. Jock a travaillé pour DC Comics, et également illustré des récits indépendants comme l'excellent Wytches, tome 1 (2014/2015) avec Scott Snyder. Le lecteur s'engage donc assez intrigué pour une telle collaboration. Il comprend la situation dès les premières pages : un monde de glace et de neige, une communauté très petite, et trois personnages principaux, quatre en comptant l'homme de neige. Il découvre les dessins qui laisse la part belle au blanc et au bleuté de la neige et de la glace. La première page est représentative de la narration visuelle : une approche minimaliste, avec des traits encrés cassants, des aplats de noir aux formes déchiquetées, en moyenne cinq cases par page, avec sept dessins en double page, et cinq en pleine page. L'artiste aime bien donner de la place à ce qu'il représente. Les décors sont quasi inexistants, ou plutôt, ils se limitent à de grandes étendues de glace ou de neige, avec la paroi abrupte représentée par quelques traits, parfois un seul. De temps à autre, les personnages se réfugient dans une anfractuosité, ou à l'intérieur d'un engin de chantier prévu pour des individus d'une taille plus grande que la leur. Le lecteur ressent bien la désolation d'un tel environnement, encore accentué par la stérilité blanche ou bleutée.



Pour les personnages, l'artiste joue sur le degré de définition, en fonction des parties considérées. Les visages restent assez détaillés, pour être expressifs, avec ce qu'il faut de caractéristiques pour pouvoir distinguer chaque personnage, ce qui n'est pas très exigeant sachant qu'il y en a quatre dont un avec une allure de robot. Pour les silhouettes, Jock se place dans un registre qui donne une impression générale, avec d'épais traits noirs, des aplats aux formes irrégulières qui grignotent les habits et les chevelures. Cela aboutit à une impression générale, les vêtements formant quasiment une carapace informe pour protéger du froid, les accessoires ayant une forme quasi iconique. Il n'y a que les machines laissées par les froidis qui ont une silhouette plus massive, à l'évidence technologique, mais là encore le lecteur en saisit l'allure globale, pas les détails. Ce parti pris graphique crée une ambiance un peu cafardeuse avec la palette de couleurs très réduite, et une sensation d'enfermement : les personnages ne peuvent pas sortir de la Tranchée, ils ne peuvent pas s'extirper de ce milieu de glace et de neige, ils ne peuvent espérer d'autres couleurs. Ils sont presque les seules manifestations de la vie au sein de cet environnement froid, désolé et abandonné.



Au bout d'une quinzaine de pages, le lecteur a bien compris le principe : un récit dont la dynamique repose sur une course-poursuite entre les trois humains et l'inquiétant homme de neige, avec le mystère de la nature de la Tranchée, et de ce qui se trouve peut-être au-delà. Les relations entre le père et ses filles sont assez simples : il les protège et leur inculque quelques principes de survie, et les élève sans sexisme, ni féminisme. Il y a eu une race mystérieuse qui a créé la Tranchée, et fait en sorte que ce soit un milieu qui fournisse de quoi vivre à la petite communauté d'êtres humains. Il y a un mystérieux prédateur humanoïde, peut-être robot, peut-être humain, peut-être cyborg, qui punit ceux qui enfreignent l'une des trois lois, ou peut-être pour d'autres raisons. C'est à peu près tout en termes d'intrigue, l'histoire se focalisant sur la course-poursuite. Donc tous les habitants ont été massacrés sauf trois, c'est en page 20, tout au début du récit. Les rebondissements tiennent le lecteur en haleine, car il découvre les règles du jeu au fur et à mesure. Il s'arrête sous le choc de quelques visuels : les patins sur la glace, l'immensité blanche, les diagrammes holographiques, les quelques tâches de rouge qui ressortent vivement sur le blanc ou le gris bleuté, la première apparition de l'homme de neige qui vérifie qu'il n'a laissé personne de vivant.



Quelques pages plus loin, le lecteur découvre la carte simpliste de la Tranchée, réalisée par la mère des deux fillettes : un dessin également minimaliste. Il prend mieux conscience du kilométrage exploré de la Tranchée : finalement très faible. Il en a la confirmation quand le trio de fuyards en atteint une extrémité. Arrivé là, il se dit que le scénario ne lui apportera rien de plus que les principes de base du scénario, ce qui équivaut à une narration décompressée, avec des dessins totalement en phase, savamment composés avec un rendu sophistiqué, et une densité d'informations assez faible. Il n'y a pas d'étude de caractère à proprement parler, ni de réflexions sur la condition humaine. Éventuellement, le lecteur peut voir ce milieu de la Tranchée comme une forme de métaphore du milieu dans lequel vit chaque être humain, finalement pas si étendu que ça au regard du monde entier et de son Histoire, et pourtant conditionnant sa vie entière. Cependant le scénariste ne développe pas ce thème, ou tout du moins ne l'explicite pas. Il reste à voir comment évoluera le récit dans les chapitres suivants.



En feuilletant rapidement les pages, le lecteur perçoit une narration visuelle au fort caractère, à la fois dépouillé, et à la fois installant une ambiance glaciale. Il entame avec plaisir sa lecture curieux de savoir ce que le scénariste lui réserve, et la manière dont le dessinateur va donner à voir cette intrigue. Passé les vingt premières pages, il a assimilé le principe de ce chapitre et est prêt à aller de surprise en surprise. La narration visuelle se trouve tout à fait adaptée à ce monde froid, à ce huis-clos dans un environnement naturel ouvert. Jock sait montrer la dureté de la vie, la tension de la course-poursuite. Pus il se rend compte que ces surprises ne viennent pas. Pas de grandes révélations, pas d'augmentation de la tension dramatique, pas de prise de recul sur ce que vivent les personnages.
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Immortal Hulk : De grands pouvoirs

Histoires courtes par des créateurs de premier plan

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Ce tome rassemble 4 histoires indépendantes de toute autre, initialement parues en 2021, sans rapport avec le statut de Hulk dans sa série mensuelle du moment. En particulier, le caractère Immortel du personnage n'a pas d'incidence sur le déroulement des histoires. Ce tome contient les couvertures originales de Jorge Molina, Declan Shalvey, Juan Ferreyra, et les couvertures variantes réalisées par Joe Bennett, Kevin Nowlan.



Great Power (29 pages) : écrit par Tom Taylor, dessiné par Jorge Molina, encré par Adriano di Benedetto et Roberto Poggi, et mis en couleurs par David Curiel. Avec de grands pouvoirs, viennent de grandes responsabilités. Ben Parker - Bruce Banner reprend conscience en plein milieu de New York, avec seulement un pantalon violet déchiré, comme tant de fois auparavant. Il se trouve dans un petit cratère au milieu de la chaussée. Il ne comprend pas ce qui lui arrive : il fait nuit et Hulk ne se manifeste pas. Il tourne la tête et découvre Spider-Man reprenant connaissance après avoir été balancé dans une voiture. Son sens d'araignée se déclenche à pleine puissance, sans ennemi à l'horizon. Spider-Man se transforme en Hulk.



Ce recueil de quatre histoires courtes sort vers la dernière partie de la saison Immortel de Hulk, par Al Ewing & Joe Bennett. Le lecteur est tenté d'y voir un lien, c’est-à-dire de retrouver la version de ces auteurs. Il se rend vite compte qu'en fait il n'est jamais question de Celui-en-dessous-de-tout, ni de la diminution physique de Hulk. Ces récits n'ont retenu que le principe que Banner ne se transforme plus que la nuit. Cette première histoire est construite sur une intrigue simple : un individu est intervenu avec de bonnes intentions pour libérer Banner de sa personnalité de Hulk, sans se rendre compte qu'il ne faisait que la transférer à quelqu'un d'autre. L'enjeu est de libérer Peter Parker de ce Hulk, pour qu'il réintègre son propriétaire initial. Les deux héros obtiennent l'aide d'une famille célèbre dans l'univers partagé Marvel. Le scénariste sait intégrer des caractéristiques fondamentales des personnages dans leur comportement. Par exemple, il met en scène Spider-Man en train de participer à la conception scientifique du dispositif permettant d'inverser la permutation de Hulk, surprenant ainsi Banner par son savoir scientifique. Il sait aussi faire apparaître le caractère enfantin de Hulk sans en faire un idiot.



Cette première histoire est illustrée par Jorge Molina en bonne forme en mode superhéros avec un bon niveau de détails. Le lecteur prend plaisir à regarder les décors urbains, et les ruines sur l'île Astra. Les personnages présentent la prestance attendue pour des superhéros. Les combats sont spectaculaires comme il se doit. Le langage corporel permet de ressentir les émotions des uns et des autres. Le coloriste réalise un travail méticuleux et soigné, tirant partie des possibilités offertes par l'infographie, des dégradés très nuancés, aux effets spéciaux lors des combats. Un récit sympathique bien troussé.



The threshing place (30 pages) : écrit par Jeff Lemire, dessiné, encré et mis en couleurs par Mike del Mundo. Bruce Banner voyage en car pour se rendre dans une petite ville de campagne. Rebecca Green, une fillette de neuf ans, a disparu alors qu'elle jouait derrière sa maison. Quand son père l'a appelé en fin d'après -midi pour le repas, elle n'est jamais venue. Avec des voisins, ils ont fouillé la ferme et les environs, et ils ont retrouvé le corps d'un fermier coupé en deux. Trois jours plus tard, deux autres habitants ont été retrouvés déchirés en deux. Bruce peut littéralement sentir les particules gamma dans l'air.



Difficile de résister à l'attrait d'une histoire complète écrite par Jeff Lemire. Sans surprise, l'intrigue tourne autour d'un enfant, ou plutôt de sa disparition, cet auteur étant familier des récits sur l'enfance et l'incidence de cette phase de la vie sur l'adulte. L'intrigue s'avère linéaire et classique : une agence gouvernementale non officielle qui réalise des tests sur des êtres humains. Le lecteur comprend vite qu'il s'agit d'un travail de commande pour l'auteur, et qu'il réalise un travail professionnel, mais moins investi que ce qu'il écrit pour ses séries qui lui appartiennent en propre, et pas en tant que main d'œuvre pour les personnages d'un éditeur.



Difficile de résister à l'attrait d'une histoire illustrée par Mike del Mundo, aux pages si personnelles. Il réalise ses planches à l'infographie, avec une technique évoquant la couleur directe. Il a choisi de mettre en œuvre des couleurs un peu délavée, comme si la forte luminosité produisait un effet écrasant et un peu usant sur la réalité. Dans la première page, le lecteur peut sentir la force du soleil, regarder à loisir ce paysage verdoyant qui s'étend à perte de vue. Il se retrouve à marcher au côté de Banner dans la campagne, jusqu'à découvrir l'installation de recherche militaire et sa clôture. Il apprécie l'apparence diversifiée des personnages à la morphologie normale, ainsi que l'aspect de brute épaisse de Hulk, avec ses énormes arcades sourcilières. Il est pris par surprise par l'apparence du monstre. Une magnifique narration visuelle pour un récit un peu léger.



Flatline (30 pages) : écrit, dessiné, encré et mis en couleurs par Declan Shalvey. À de nombreuses reprises, il est mort ; à de nombreuses reprises, il s'est relevé. William Butler Yeats. Bruce Banner, en pantalon violet déchiré, avance vers une mare dans un désert orangé. Il repense à cette expression qui dit que la dépression, c'est de la colère dirigée vers l'intérieur. Hulk est un puits sans fond de colère : que se passe-t-il quand quelqu'un intériorise ça ? Bruce Banner se réveille, toujours en pantalon violet déchiré, sur le sol du désert à proximité d'Albuquerque dans le Nouveau Mexique. Il rentre en ville, se dirigeant vers le diner où il travaille comme manutentionnaire et plongeur. Il se change et se met au travail, personne ne lui posant plus de question sur ce qu'il a fait de sa nuit. Il a eu de la chance de trouver ce travail payé de la main à la main. Il n'en revient pas quand il se fait interpeler dans la salle : il se retourne et découvre Noreen Noolan, une de ses professeures à la fac, sur l'analyse du programme Gamma.



Le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre et prend les choses comme elles viennent : Noreen Noolan a des comptes à régler avec Banner et avec Hulk. Elle a fait partie des scientifiques chargés d'inspecter après coup, le site de l'explosion de la bombe gamma qui a donné naissance à Hulk. L'auteur met en œuvre le principe de base d'u comics de superhéros : le conflit physique. Sans grande surprise, l'ancienne chercheuse s'attaque à Hulk et elle dispose de pouvoirs liés aux rayons gamma. Étant l'auteur complet, Shalvey réalise des planches d'une grande cohérence narrative. Par comparaison avec de précédentes bandes dessinées de cet artiste, il cherche moins à trouver une esthétique particulière, et plus à développer une ambiance dans les tons verts. Du coup, sa narration visuelle est moins séduisante que celle de del Mundo, tout en étant très claire et fluide. Elle présente moins de cases spectaculaires, moins de planches mémorables pour elles-mêmes, dissociées de l'intrigue. Le lecteur se laisse porter par le combat, par les discussions entre Banner et Noolan. Il sourit de contentement en voyant Hulk reprendre le dessus, par la force brute. Il ne s'attend pas à deux pages contemplatives muettes avec les cases de la colonne de gauche consacrées à Hulk, et celles de droites à Bruce Banner. Le conflit se résout d'une manière inattendue, dans un hôpital, avec une réflexion sur la dualité de Banner et Hulk. Une histoire très sympathique.



A little fire (10 pages) : écrit par David Vaughan, dessiné, encré et mis en couleurs par Kevin Nowlan. À Verdigris dans le Kansas, Bruce Banner arrive à la tombée de la nuit et se rend au cinéma Emerald. Il demande une place et Scarecrow lui souhaite la bienvenue en l'appelant par son nom. Bruce ne se souvient que vaguement qu'il est venu là à la suite à de rapports sur des personnes disparues. Scarecrow lui fait prendre place dans une salle bien remplie. Il explique qu'il a attiré ces spectateurs par une hypnose de masse, et qu'il projette leurs peurs intimes sur l'écran, se nourrissant ainsi de leur effroi.



Une histoire simple, sans prétention, où le lecteur sait par avance que le supercriminel ne fera pas le poids face à la colère déchaînée de Hulk. Les dessins de Kevin Nowlna sont toujours aussi savoureux que d'habitude, avec des traits de contours très fins, jouant avec élégance sur une discrète exagération des expressions des visages. L'utilisation des aplats de noir est très esthétique, avec une petite influence Mike Mignola très bien mise en œuvre. Le récit se déguste comme un bonbon, une parodie qui ne se prend pas au sérieux, exécutée par un artiste plein de saveurs.



Ce tome annonce s'inscrire dans la saison Immortal Hulk d'Al Ewing & Joe Bennett. Le lien est des plus ténus. Pour autant, le lecteur bénéficie d'histoires courtes réalisées par des créateurs de premier plan, avec une narration graphique exceptionnelle pour deux épisodes (Mike del Mundo, Kevin Nowlan) et deux histoires avec une personnification développée et nuancée des protagonistes (Jeff Lemire, Declan Shalvey).
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