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Critiques de Jeff Lemire (688)
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Descender, tome 6

Et voici le sixième tome de « Descender » qui conclue cette saga spatiale d’une envergure folle. L’équipe créative reste inchangée avec un Jeff Lemire au sommet de son art au scénario. En ce qui concerne l’univers graphique, on retrouve Dustin Nguyen et ses magnifiques dessins où l’aquarelle donne une touche d’originalité surprenante au récit.



Après un très long (et très éloigné dans le temps) flash back qui remettra toute l’intrigue en perspective, nous retrouvons les personnages principaux de cette épopée épique au prise avec des situations toutes plus inextricables les unes que les autres. La tension est à son comble pour cette apothéose qui ne laissera aucun lecteur indifférent.



Chaque situation trouve ici une conclusion logique, mais parfois difficile à supporter pour les spectateur de cette histoire. Même si la happy end n’est pas réellement au rendez-vous, un message d’espoir est lancé et permet de dédramatiser un peu la triste fin de ce récit.



Tim-21 était bel et bien la clef par qui toute l’intrigue de « Descender » allait pouvoir se résoudre. Mais les personnages qui ont gravités autour de lui durant tout ce comics ont également un rôle à jouer. Je n’en dirais pas plus pour ne pas gâcher la surprise aux futurs lecteurs, mais sachez que chaque détail de l’histoire trouve son importance au cours de cette fin de récit.



Pour ma part, j’ai vraiment adoré ce Space Opéra futuriste très orienté science-fiction où l’action omniprésente n’empêche pas un scénario en béton de se développer. Arrivé à son terme, cette histoire se révèle parfaitement maîtrisée et totalement cohérente. On soulignera encore une fois le grand talent d’un Jeff Lemire qu’on a désormais plus besoin de présenter. J’ai également été époustouflée par le talent et l’à-propos d’un Dustin Nguyen qui a parfaitement su adapter son style graphique à l’ambiance du récit.



En ce qui concerne la suite des évènements, sachez que la saga « Ascender » est d’ores et déjà en préparation et sera une suite directe de « Descender », à la différence près que cette nouvelle série au long cours sera un hybride SF/héroïc fantasy. L’histoire se poursuivra après une pause de dix ans dans un monde où la magie a remplacé la technologie. Mais une enfant partira à la recherche d’un peuple oublié et de son légendaire messie : Tim-21 !
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Justice League - Urban, tome 5 : La guerre ..

Ce volume est centré sur l’affrontement entre plusieurs ligues de héros : la Justice League (Superman, Batman,…) indépendante, la Justice League of America (le Limier Martien, Hawkman,…) drivée par le gouvernement américain en la personne d’Amanda Waller, et la Ligue des Ténèbres (Deadman, Constantine,…).



Le terme de « guerre » employé dans le titre (La Guerre des Ligues) est trop fort. Aucun de ses groupes ne considère les autres comme véritablement dangereux. On se menace, on fait chauffer la testostérone (mêmes les filles, oui) et on engage brièvement dans de belles double pages mais ça ne va pas bien loin. On redevient vite raisonnable pour se concentrer sur les vrais problèmes.



Pourquoi autant de tension ? Elle est surtout provoquée par la politicienne, chantre des USA, Amanda Waller. Les seuls héros qu’elle tolère sont ceux sous son contrôle (la JLA). Les autres doivent être neutralisés, enfermés, éliminés. Elle cherche la faute chez la Ligue originelle. Au premier franchissement de frontière illégal, elle leur rentre dans le lard. C’est Nick Fury en plus extrémiste. Détestable !



Mais le véritable enjeu ici est de gérer la Boîte de Pandore qui est réapparue, et qui se comporte comme l’Anneau de Sauron, poussant chaque être qui la touche à se comporter de façon maléfique. Cette boîte est liée au destin de trois immortels, Pandore elle-même (qui prend ici des traits communs avec l’Eve biblique ; le malheur de l’humanité propagé par une femme, etc.), le Phantom Stranger et Question (ils apparaissaient déjà dans certains volumes précédents), qui viennent ajouter à la confusion ambiante.



Tout ce petit monde est manipulé par un homme qui ressemble à un John Steed blafard : l’Outsider, dont le but est d’ouvrir la Boîte.



L’histoire se lit avec plaisir, surtout grâce à la stratégie inexorable de l’Outsider – il a d’ailleurs introduit une taupe dans la Ligue et l’on passe son temps à se demander de qui il s’agit – et à l’accent porté sur le caractère de quelques héros : un Superman profondément affaibli mais restant résolu et une Wonder Woman impitoyable envers ses ennemis.

La fin apporte plus d’une impressionnante révélation : qui est la taupe, qui est l’Outsider et ce qu’est vraiment la Boîte. Cliffhanger qui donne envie de se précipiter sur la suite.

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Bloodshot reborn, tome 4 : Bloodshot island

• Bloodshot Reborn, Tome 4

• Jeff Lemire (Scénario) & Collectif (Dessin)

• Bliss Comics



Après un tome 3 auquel je n'avais que peu accroché, on repars un peu à la hausse avec ce volume 4, Bloodshot Island.



Le titre du tome est assez énonciateur. Nous allons retrouver Bloodshot sur une ile avec... d'autres Bloodshot, et ces derniers qui se font pourchasser et exterminer.

Sympa non ?

Mais qu'est ce que cela cache vraiment ?



Sans être la lecture du siècle, c'est assez sympa et on passe un bon moment de lecture.

A noter que ce quatrième et dernier tome n'est... pas le dernier... il vous faudra lire Blooshot USA pour avoir le fin mot de l'histoire.
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Little Monsters, tome 1

Une couverture sublime

Des pages à l'intérieur tout aussi belles.

Dans un monde d'après, se terrent enfants de la nuit et rares humains. Nul ne connaît l'existence de l'autre clan. Jusqu'à ce que...



Premier tome qui regroupe 6 comics. Le récit prend son temps à présenter les personnages. Leur environnement. Leur infini qui les lie et les dépasse. J'ai adoré. Tel un vampire j'aurais déjà bien voulu pouvoir dévorer la suite.
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Black Hammer, tome 1 : Origines secrètes

Bon autant vous le dire tout de suite, ce comics est un énorme coup de cœur ! Cela faisait longtemps que je n’avais pas accroché à ce point à un comics dès le premier tome. Pourtant, ce titre ne me tentait pas vraiment, et je l’ai acheté parce que Urban Comics a eu la bonne idée de faire un prix de lancement à seulement dix euros !



L’auteur n’est autre que Jeff Lemire, que j’aime bien mais que je trouve parfois inégal. Par exemple je n’aime pas ce qu’il fait sur Extraordinay X-Men, mais j’aime bien son travail sur Old Man Logan version All-new All-different. Je sais qu’il est également connu pour avoir fait des récits indépendants comme Descender ou Sweet Tooth mais je ne les ai jamais lus. Aux dessins j’ai découvert Dean Ormston qui est vraiment très bon, même s’il a un souci avec certains visages, qui ont l’air un peu trop bouffis, mais j’y reviendrait plus tard.



L’histoire de Black Hammer nous plonge dans un petit bled où tout le monde se connait, et dans lequel réside un petit groupe d’anciens Super-Héros. Vivant dans une ferme, ils se font plutôt discrets et cachent leur vraie nature aux autres habitants de la ville. Ce que l’on va rapidement découvrir, c’est que cela fait déjà dix ans qu’ils sont ici et qu’ils ne peuvent pas quitter cet endroit !



Le rythme de ce comics est assez lent, il ne s’y passe pas grand chose au départ et pourtant, on dévore les chapitres avec une incroyable facilité. D’ailleurs, chaque chapitre nous fait découvrir un personnage et développe un peu plus le background. On s’aperçoit rapidement que s’ils sont coincés ici, c’est qu’il y a une bonne raison.



La force de ce comics vient de sa palette de personnage qui sont tous très attachants. Il y a Abraham, le patriarche de la famille qui semble plutôt bien accepter leur situation, ce qui n’est pas le cas de Madame Dragonfly qui est assez flippante, ou encore la jeune Gail qui est coincée dans un corps de petite fille, alors qu’elle a la bonne cinquantaine. Il y a également d’autres personnages, et tous font semblant d’être de la même famille et vivent sur le même terrain qui est une grande ferme qu’Abraham prend plaisir à entretenir. Mais derrière cette image de petite famille tranquille se trouvent en réalité des individus qui souffrent de leur situation.



Mais ce qui est encore plus réussi dans ce comics, ce sont les nombreux clins d’œil et référence aux comics de Super-héros issus de chez Marvel ou DC Comics. On peut par exemple voir des similitudes avec Captain America, La créature des marais, Le limier Martien ou encore Zatanna. Pour chaque personnage, Jeff Lemire s’est inspiré de Super-Héros connus mais n’a jamais plagié car très vite il adapte le tout à sa façon, ce qui est plutôt bien vu. De plus, lorsque l’on découvre le passé de tout ce petit monde, on a l’impression de revenir de nombreuses années en arrière, à l’époque de l’âge d’or des comics.



Et c’est la que tout le talent du dessinateur Dean Ormston entre en jeu. Tout d’abord, il s’en sort parfaitement bien dans le présent. Ces dessins sont clairs, efficaces, il n’en fait jamais trop. Mais dès qu’il raconte le passé de l’un des personnage, on a l’impression de se retrouver avec un comics Old-School, tant le dessins et les couleurs utilisées semblent d’époque. Honnêtement, hormis le petit soucis sur certain visages, surtout en début de tome, je trouve les dessins vraiment super !



Urban Comics a donc eu une excellente idée de nous proposer ce titre dans la collection Urban Indies. De plus, il y a beaucoup de bonus, tels que les nombreuses couvertures (qui sont vraiment magnifiques), des crayonnés, mais également une post-face de Jeff Lemire qui nous raconte comment son projet à pris vie ainsi qu’une galerie détaillée des personnages tels qu’ils devaient être au départ. On remarquera qu’ils ont bien changé ^^



Si je n’avais qu’un comics à vous conseiller, ce serait sans hésitation celui-ci. C’est accessible mais avec un scénario qui se développe énormément (surtout dans les deux derniers chapitres), les dessins sont super, l’édition est impeccable et comme tout bon comics indépendant, vous pouvez le lire dès le tome 1 sans aucun soucis de continuité. Et en plus, il ne coute que 10€ ! Allez, foncez, vous ne serez pas déçu 😉


Lien : https://chezxander.wordpress..
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Green Arrow, tome 1 : Machine à tuer

Si jamais vous n'êtes pas un habitué des comics et que, comme beaucoup sans doute, vous vous demandez si ça vaut le coup pour vous de lire ce recueil vu que vous n'avez jamais lu la série Green Arrow depuis sa création dans les années 40. La réponse est simple : OUI !



Je sais... Il n'y a pas de quoi. De rien et à bientôt.



Jeff LEMIRE ne fait pas totalement table rase du passé mais c'est tout comme. Les seize premiers numéros de Green Arrow depuis son reboot lors du 'new 52' ne valaient pas grand chose. C'était du super-slip de bas étage qui n'arrivait même pas à divertir.



Dans cet album, Oliver Queen (Green Arrow dans le civil) va découvrir que ce qu'il croyait savoir de sa vie n'était que la partie émergée de l'iceberg.

LEMIRE va donc poser de nouvelles bases à l'univers de l'encapuchonné vert. Mystères, révélations familiales, sociétés secrètes et nouveaux ennemis seront donc de la partie.



Les dessins d'Andrea Sorrentino apportent beaucoup de réalisme tout en conférant un aspect crépusculaire et sombre au ton général de la série. Son trait me fait beaucoup penser à celui de Jae Lee.

Tout comme la série à l'archer de chez Marvel (Hawkeye, sacrément recommandée), il y a beaucoup d'effets graphiques : ronds concentriques à la Vertigo d'Hitchcock, des cadrages pour isoler un détail ou souligner une action, des praxinoscopes étalés pour simuler une séquence cinétique, ...



Que vous soyez le cœur de cible ou non, vous passerez un bon moment avec le Green Arrow de Jeff LEMIRE.
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Les éphémères, tome 1

Belle River, Canada, un soir comme les autres où trois copains sont sur le chemin de l'épicerie locale pour y acheter des glaces. Un chemin jonché de millions d'insectes: Les éphémères envahissent les rues chaque année à la même époque.



Cette contrée au bord du Lac St Clair va être le théâtre d'une nuit étrange. Un cambriolage tragique, un criminel en fuite recueilli par Franny Fox, une jeune fille solitaire, une métamorphose surprenante... Jeff Lemire nous emmène sur ses terres natales dans un récit hybride entre drame rural et polar fantastique.



Il s'est inspiré des lieux de son enfance et de ces fameux insectes envahissants pour imaginer cette histoire surnaturelle. Et ça marche étonnamment bien ! Avec son dessin essentiellement bicolore, noir et bleu, où le rouge est réservé au sang et à l'imper de Franny, il plante une ambiance sombre et pesante.



Le coup de coeur est proche... Je le réserve pour le deuxième et dernier tome qui viendra vite, je l'espère. Dans son épilogue, Jeff Lemire nous promet l'enfer, ça fait envie !
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Thanos, tome 1 : Le retour de Thanos

Même si Deodata n’est pas le dessinateur le plus doué/plaisant du monde, « Thanos returns » est une grande histoire cosmique ou la soif de pouvoir d’un fils par nature ambitieux se montre plus forte que celle d’un père déclinant.

Tragédie familiale par essence, « Thanos returns » recèle également son lot de combats épiques « larger than life » notamment celui entre la Garde impériale remontée à bloc et le Titan affaibli mais dangereux en fauve blessé.

On pourra simplement reprocher le sous-emploi de certains personnages comme Champion ou Terrax, un peu réduit ici à des rôles de faire valoir.

Malgré cela, ce « Thanos returns » recèle tous les ingrédients d’une aventure de Thanos : démesure et émotion !
Lien : https://lediscoursdharnois.b..
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Sweet Tooth, tome 4

J'avais adoré la trilogie Sweet Tooth et lorsque je suis tombée sur ce nouveau tome je n'ai pas hésité une seule seconde.



Nous sommes bien après le tome 3. Les années ont passé, il semble que les hybrides vivent librement à la surface pendant que les humains se terrent sous terre. Un jeune garçon ressemblant étrangement à Gus est gardé par un guru et se sbires pour servir la cause humaine.

C'est sombre, c'est violent. Intrigant aussi. Ce premier tome place un contexte, des personnages et amène plein de questions. J'ai hâte d'en connaître les réponses.
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The Silver Coin, tome 1

Le poison d'une émotion négative

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Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2021, tous dessinés et encrés par Michael Walsh qui en a aussi assuré la mise en couleurs avec l'aide de Toni Marie Griffin. Il a également réalisé les couvertures. Le scénario a été écrit par Chip Zdarsky pour l'épisode 1, Kelly Thompson pour le 2 Ed Brisson pour le 3, Jeff Lemire pour le 4, et Walsh lui-même pour le 5. Le tome comprend également les couvertures variantes réalisées par Tula Lotay, Maria Nguyen, Anand Radhakrishnan, Christian Ward, Maya McKibbin.



En 1978, Ryan joue dans un petit bar de province, avec son groupe, un trio : il est le guitariste, avec Ashley à la batterie et Joe à la basse. Ils jouent devant une salle vide, illuminée par une boule à facette. Après leur set, le barman Danny explique à Ryan qu'il n'a plus que le créneau de 19h00 le vendredi. La réalité, c'est que tout le monde veut danser sur du disco. Le soir, ils vont écluser des bières et fumer un peu dans la maison du père de Ryan. Ashley farfouille dans les affaires de sa mère qui a mis les bouts. Elle trouve une étrange pièce d'argent et Ryan la prend. Il décide de s'en servir comme médiator.



Une anthologie de nouvelles d'horreur qui ont comme dénominateur une pièce d'argent passant de main en main au fil des décennies. Pourquoi pas ? L'originalité réside dans le fait que ce recueil a lui comme dénominateur commun qu'elles sont toutes illustrées par le même artiste : Michael Walsh. Il a déjà collaboré avec des scénaristes de renoms, et dessiné une saison hors du commun des Secret Avengers (2014/2015) avec un scénario d'Ales Kot, en 15 épisodes. Du titre, le lecteur comprend le rôle de la pièce d'argent comme facteur surnaturel déclenchant d'une plongée dans l'horreur. La première histoire est rondement menée : l'utilisation de la pièce d'argent comme plectre a pour effet de libérer la puissance musicale du guitariste. Le lecteur retrouve des éléments classiques pour un petit groupe : le concert devant une salle vide à un horaire peu propice, leur musique passée de mode, l'agent d'une compagnie de disque qui les trouve supers, sous réserve qu'ils changent de style musical, en l'occurrence pour faire du disco, la question de l'intégrité musicale.



Les dessins sont dans un registre descriptif et réaliste, avec des traits de contours appuyés par endroit, pour donner plus de consistance ou plus de relief à un personnage, ou à un élément de décor. L'artiste joue avec les différentes teintes pour installer une ambiance : rouge quand le groupe joue du rock, plus brillante quand Ryan finit par jouer du disco, verte lors de la soirée chez le père de Ryan, violet profond dans la ruelle derrière le bar. Walsh sait donner de l'épaisseur et de la crédibilité à ses personnages, faire transparaître leur état d'esprit : l'insouciance d'Ashley souhaitant juste passer du bon temps, la colère froide grandissante de Ryan grandissant au fur et à mesure qu'il est vraisemblable que son groupe n'ira nulle part. Il parvient parfaitement à transcrire l'énergie d'un concert de rock, la ferveur des spectateurs emportés par la musique, la transe intense du guitariste. Une première histoire sympathique, avec une touche horrifique qui fonctionne.



Un soir d'été comme un autre, Fiona Watterman regarde un film de slasher dans sa chambre. Elle est interrompue par sa mère qui lui rappelle que le lendemain Fiona se rend à un camp de vacances et qu'elle doit se reposer. L'arrivée au camp avec son sac à dos, sous sac de couchage sous un bras, et sa valise à l'autre main déprime un peu la jeune fille : tout est trop ensoleillé avec des filles trop saines. Mais voilà elle est envoyée dans une cabane où un groupe de cinq jeunes filles attendaient leur copine, et elles ne veulent pas de Fiona. Le soir, devant le feu de camp, la plus revêche raconte une histoire de vrai slasher rôdant dans le coin.



Deuxième histoire, changement de décor, peut-être d'époque, mais ce n'est pas sûr car l'année n'est pas mentionnée, et il n'y a pas encore de téléphone portable. La scénariste impressionne d'emblée de jeu avec la qualité du naturalisme de sa narration. Le lecteur sourit avec cette adolescente blasée regardant des films basés sur le principe d'un tueur en série qui zigouille de jeunes imprudents à tour de bras. Il sourit à nouveau quand elle se retrouve devant ces cinq donzelles qui ne veulent pas d'elle dans la même cabane : une belle séquence visuelle avec leur visage fermé, et l'ombre dans laquelle elles se tiennent, les rendant vraiment inquiétantes car franchement hostiles à Fiona dans leur posture et leur attitude. La meneuse devient encore plus inquiétante, à la nuit tombée autour du feu de camp en train de raconter son histoire de véritable tueur en série qui rôde encore dans les parages. Suivent deux pages de brimades perpétrées à l'encontre de Fiona, assez innocentes, mais harassantes, et le dessinateur en rend compte également avec naturel. Puis la scénariste tient la promesse implicite et passe en mode slasher, les dessins se faisant plus âpres avec une réelle horreur. Une histoire convenue mais bien racontée.



Le 18 décembre 1985, un groupe de trois jeunes gens Bobby, Lisa et Vic, cambriolent une maison, mais le propriétaire était présent et s'écroule raide mort, visiblement victime d'une crise cardiaque : tant mieux, comme ça ils seront plus tranquilles pour fouiller la maison et embarquer ce qu'ils veulent. Lisa a repéré une pièce d'argent sur le manteau de la cheminée et elle l'embarque.



Ed Brisson raconte une histoire tout aussi linéaire et simple : la fuite en voiture des cambrioleurs, qui tourne au massacre, dans la forêt avoisinante. Il introduit une variante inattendue dans le fait que quelqu'un attend Lisa pour qu'elle lui remette la pièce d'argent, mais sans explication sur cette particularité. Walsh joue sur l'impression que donne la forêt dans la nuit et sous la neige assombrie, montrant la sauvagerie qui s'empare progressivement de Lisa, un récit aussi gore que le précédent, tout aussi convenu, mais avec une saveur moins prononcée.



En 2467, dans une grande métropole, l'officier Duddley patrouille les rues grouillantes de monde, en étant derrière son écran d'ordinateur dans son bureau et en pilotant un drone qui survole la foule. Dans un quartier désert, un groupe de trois personnes a agressé un individu qu'ils sont en train de passer à tabac. La jeune femme qui mène le groupe active le dispositif biotechnologique dans l'orbite de son œil droit et se connecte directement à l'iris de sa victime pour vider son compte en banque. Ils sont bientôt repérés par l'officier Duddley avec son drone.



Le lecteur salive à l'avance à l'idée de découvrir une histoire courte du talentueux Jeff Lemire. Lui aussi a opté pour une histoire linéaire et brutale. Il intègre une idée visuelle bien horrifique : la biotechnologie sous forme de vers dans l'orbite d'un œil. Il a imaginé des visuels intéressants pour l'artiste : la ville souterraine abandonnée à laquelle Walsh donne une ambiance lumineuse assez particulière. Mais l'histoire s'avère moins compacte que les précédentes, avec une intrigue et une chute peu convaincantes, malgré la narration visuelle impeccable.



À la fin du dix-septième siècle aux États-Unis, Rebekah Goode se trouve dans une maison pour accoucher une femme. Le nourrisson va bien, mais la mère décède en couche. Elle sort dehors et Martha lui demande de faire quelque chose pour sa chèvre. Rebekah se rend à l'étable et constate que l'animal souffre d'une infection qui se manifeste par des furoncles autour de l'œil. Elle prend un petit couteau effilé dans son sac, se coupe la paume de la main droite et laisse le sang couler. Avec elle trace un sigil mystique sur la tête de l'animal. Un cavalier puritain arrive bientôt en ville.



C'est donc au tour de l'artiste de raconter sa propre histoire impliquant la pièce d'argent. D'une certaine manière, c'est l'histoire des origines de ladite pièce. De l'autre c'est un récit plus dense que les précédents. L'auteur sait jouer sur les sous-entendus associés à une sorcière capturée par un puritain. Il n'a pas besoin d'expliciter le thème sous-jacent du féminisme, des mystères et des savoirs féminins éradiqués par les prêtres d'une religion masculine. Il sait que son lecteur projettera lui-même ces connotations. Il peut donc se focaliser sur le sort de la sorcière et il va jusqu'au bout de cette persécution. À son choix, le lecteur peut interpréter la maladie de la chèvre comme étant surnaturelle ou non. Il peut aussi préférer une interprétation plus psychologique et se dire que cette maladie est naturelle, que Rebekah guérit autant par son assurance et sa force de caractère que par des plantes médicinales. Le prix de la trahison de Martha n'en acquiert que plus de force.



Le lecteur sait que par nature une anthologie est un ouvrage difficile à réaliser, car les histoires sont de qualité différente, variable en fonction de celui qui les lit. En outre, certains peuvent être démotivés à l'idée de lire des récits trop variés, sans unité. Celle-ci présente la particularité que toutes les histoires sont illustrées par le même artiste ce qui en assure la cohérence visuelle. Les scénaristes optent pour des histoires directes et horrifiques par le massacre qui se produit, certaines simples et convaincantes (épisodes 1 et 2), d'autres moins consistantes (épisodes 3 et 4) et une dernière plus dense, avec un point de vue sans hypocrisie sur la répression des femmes, l'issue d'une chasse aux sorcières, et le poison qu'est une émotion négative.
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Sentient

Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018/2019, écrits par Jeff Lemire, dessinés, encrés et mis en couleurs par Gabriel Walta.



Le corps sans vie de l'officier Alex Wu dérive dans l'espace, alors qu'une voix indique qu'il s'agit de l'histoire de leur mère, après qu'ils ont dû embarquer dans un grand vaisseau spatial pour s'en aller. En fait la narratrice n'a gardé aucun souvenir de la Terre. Ce jour-là, Lilly Wu, une enfant, se réveille, et s'empresse d'aller réveiller sa mère Alex Wu. Cette dernière lui souhaite un bon anniversaire, tout en indiquant que Lilly n'aura pas son cadeau avant son retour de l'école. Elle demande l'heure à Valarie, l'intelligence artificielle du vaisseau : il est 06h00. Dans une autre cabine du vaisseau, l'officier Jill Kruger est réveillée par Valarie. Elle va ensuite réveiller son fils Isaac pour qu'il se prépare à aller à l'école. Lilly petit-déjeune en discutant avec sa mère, et en regardant des dessins animés, pendant que le petit déjeuner entre Jill et Isaac est silencieux, sans télé. Finalement les deux paires mère et enfant se rendent à l'école, et se rencontrent sur le chemin. Wu et Kruger laissent leur enfant au bon soin de la maîtresse Clarke, puis s'en vont ensemble rejoindre le capitaine du vaisseau, car c'est un grand jour. Lilly s'empresse de rejoindre les autres pour jouer avant le début de l'école, alors qu'Isaac va chercher un livre pour lire.



Les deux femmes ont rejoint la salle de commandement, où le reste de l'équipage est déjà présent et attend les ordres du capitaine Gardner. Elles prennent leur poste, et le capitaine indique qu'ils vont bien pénétrer dans la zone noire où ils ne pourront plus recevoir de communications de la Terre et où ils ne pourront pas encore recevoir de communications de la colonie vers laquelle ils se dirigent. Il demande à Wu quelles sont les dernières nouvelles en provenance de la Terre. Elle répond que les dernières estimations indiquent que la Terre ne sera plus habitable dans 10 ans. Par ailleurs, les incidents continuent dans les colonies, alors que les séparatistes recrutent de plus en plus de personnes. Un ou deux membres de l'équipage peuvent comprendre l'envie de faire sécession d'avec le gouvernement terrestre qui a plutôt mal géré ses ressources. Valarie indique qu'elle va commencer le compte à rebours pour signaler l'entrée dans la zone noire. La tension commence à s'installer parmi les membres de l'équipage, alors que les enfants ont commencé à étudier dans la bonne humeur. Une fois le vaisseau USS Montgomery dans la zone noire, Jill Kruger se lève et présente ses excuses aux autres membres de l'équipage. Elle revêt un masque à gaz et appuie sur un bouton se trouvant sur un dispositif à son poignet. Le système de ventilation se met à diffuser un gaz mortel.



TKO est une maison d'édition de comics fondée en 2017 par Tze Chun et Salvatore Simeone, ayant fait appel à des créateurs réputés pour leurs premières parution comme Garth Ennis pour Sara avec Steve Epting, et Joshua Dysart pour Goodnight Paradise avec Alberto Ponticelli. Le lecteur se réjouit à l'avance de découvrir une histoire complète écrite par Jeff Lemire, auteur prolifique dans la deuxième moitié des années 2010, et illustrée par Gabriel Walta, le dessinateur de Vision de Tom King. Avec cette histoire, le lecteur se retrouve dans une histoire de science-fiction pur jus : un voyage dans l'espace à bord d'un grand vaisseau, en route vers une planète colonie, des relations politiques tendues entre la planète mère, la Terre, et les colonies, le besoin de s'arrêter à une station spatiale artificielle en cours de route, une technologie futuriste pour le vaisseau bien sûr, mais aussi pour les capacités de l'intelligence artificielle permettant de piloter le vaisseau. L'artiste joue le jeu avec un bon niveau d'implication pour donner une forme spécifique au vaisseau, des tenues particulières aux membres de l'équipage et à leurs enfants, pour avoir des interfaces entre humains et ordinateurs reconnaissables et plausibles, pour représenter des couloirs et des salles de vaisseau qui montrent une conception où l'usage prime sur l'aménagement, pour montrer un fond spatial acceptable, essentiellement noir avec une faible luminosité, et peut-être un peu beaucoup d'étoiles. Le lecteur se sent à la fois en terrain connu, avec les conventions du genre attendues, à la fois dans un vaisseau assez concret et particulier, et non pas un décor de SF en carton-pâte, prêt à l'emploi, épais comme du papier à cigarette. À la rigueur, il peut aussi trouver que les coursives et certaines salles sont particulièrement spacieuses, ce qui est un peu bizarre pour un vaisseau où la place devrait être comptée.



Gabriel Walta réalise des cases descriptives avec un bon niveau de détails pour les différents décors : le lecteur peut aussi bien regarder les quartiers privés des Wu et des Kruger, que les pièces de l'école, ou les salles de travail de l'équipage. Il peut observer les écrans qui permettent de communiquer avec l'intelligence artificielle du vaisseau, ainsi que les outils dont Valarie dispose pour intervenir, à savoir des chariots sur roues, avec des bras de préhension. Il éprouve la même curiosité que Lilly en regardant autour de lui comme elle, quand elle s'aventure dans la station spatiale qui semble déserte. Les personnages présentent une allure normale, avec une morphologie ordinaire, pas spécialement beaux comme des dieux, pas extraordinairement musclés. Leur expressivité reste dans un registre naturaliste, nuancée en temps ordinaire ce qui permet au lecteur de se faire une idée de l'état d'esprit du personnage représenté, et plus maquée sous l'effet de l'inquiétude, de la peur ou de la colère. La majeure partie du récit est consacrée aux enfants, et l'artiste fait de son mieux pour leur conserver la jeunesse correspondante, sans y parvenir tout le temps.



Le scénariste éprouve les mêmes difficultés à rester dans un registre plausible pour le comportement et les réactions des enfants. Par un coup du sort, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes, sous la supervision de Valarie, l'intelligence artificielle du vaisseau. Lemire se trouve confronté à la difficulté d'imaginer le comportement d'enfants qui ne sont pas soumis à une autorité parentale, qui ne bénéficient pas du réconfort affectif d'adultes. Le lecteur doit faire un petit effort d'adaptation pour se dire que ce qui est montré ne relève pas du reportage sur le vif, et que le scénariste se permet d'user de licence artistique pour le comportement des enfants, quand il choisit de privilégier l'intrigue. Sous réserve de consentir à un peu plus de suspension d'incrédulité, le lecteur peut alors apprécier l'intrigue de manière plus juste. Lemire a su créer une situation dans laquelle des enfants et de très jeunes adolescents se retrouvent encadrés et en mesure de continuer à apprendre. En passant sous silence le processus de construction de l'individu dans de telles conditions, le développement de l'intrigue s'avère satisfaisant. Finalement ces jeunes et très jeunes évoluent dans un environnement protégé, sous une tutelle bienveillante et constructive. Il s'agit donc d'individus dotés de conscience qui apprennent les rudiments des métiers à bord d'un vaisseau, se montrant finalement aussi aptes que leurs parents grâce à l'assistance continue d'une intelligence artificielle. Cet état de fait n'est peut-être pas intentionnel de la part des auteurs, mais il est bien présent.



Évidemment au vu de la couverture qui représente le vaisseau spatial USS Montgomery, et de l'omniprésence de Valarie à bord du USS Montgomery, de son rôle d'assistant personnel, de banque de données, et d'outil d'aide à la décision, le lecteur finit par se dire que son aide providentielle n'est pas très éloignée d'une forme de conscience. Le scénariste se montre très habile pour rester dans le registre réaliste d'une intelligence artificielle : des interventions à l'évidence préprogrammées, mais aussi une variété d'interventions et une banque de données assurant l'expertise dans plusieurs domaines qui placent les actions de Valarie à la frontière de la vie autonome. Du coup le lecteur oscille entre confiance pour la sécurité des enfants, et questionnement sur la pseudo-conscience de Valarie qui peut la conduire à prendre des décisions où elle ferait passer son intérêt en premier. D'une certaine manière elle perpétue le schéma d'organisation sociale des adultes, faisant en sorte que les enfants apportent leur énergie et développent leur savoir-faire pour continuer de faire fonctionner le vaisseau et en assurer la petite maintenance, vaisseau qui abrite les éléments d'ordinateur et les outils qui sont Valarie. Toute la question est donc de savoir quels conseils elle dispensera à ses protégés en cas de rencontre avec des adultes qui, eux-mêmes, peuvent être plus ou moins bien intentionnés, y compris envers le vaisseau, qui voudront sûrement reprendre la main et la direction des opérations, en en dépossédant Valarie. Le lecteur sent bien que cette pseudo-conscience peut déboucher sur des choix s'apparentant à ceux d'un parent abusif, ce qui génère une tension palpable, et une inquiétude parfois malsaine.



Jeff Lemire & Gabriel Walta racontent une histoire de science-fiction à l'intrigue simple (des enfants dans un vaisseau spatial, sous la responsabilité d'une intelligence artificielle) et mettant en œuvre au premier degré les conventions de ce genre littéraire. Cela donne un récit linéaire, surprenant, bien réalisé. Le titre génère une inquiétude dans l'esprit du lecteur, se demandant si l'intelligence artificielle Valarie ne serait pas sur le point d'acquérir une conscience autonome, ce qui lui ferait passer sa survie en premier, avant celle des enfants. Cette facette du récit est développée avec élégance, compensant le fait que le comportement des enfants est parfois un peu trop mature.
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Black Hammer '45: From the World of Black H..

Ce tome contient une histoire complète qui se déroule dans l'univers partagé de Black Hammer. Il comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019, coécrits par Jeff Lemire & Ray Fawkes, dessinés et encrés en Matt Kindt, avec une mise en couleurs réalisée par Sharlene Kindt. Il contient également les couvertures originales de Matt Kindt, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Veronica Fish, Glenn Fabry, Denys Cowan, Sandford Greene, et 16 pages montrant des planches au stade crayonné, encrage et couleurs.



Au temps présent, Jean-Paul (JP) Desjardins se met un disque (un vinyle), et il arrose ses plantes en repensant au temps passé, à la seconde guerre mondiale quand il faisait partie de l'escadron Black Hammer avec Sidney (Hammer) Hawthorne, George (Grips) McReady et

Li Zhang Yong. Il repense au fait que les journaux ne parlaient pas trop d'eux du fait de la couleur de leur peau, mais aussi qu'ils menaient à bout toutes leurs missions, étant une véritable force de la nature, la terreur de la machine Nazi. Il regarde les photographies de l'époque accrochées au mur, il parle à sa plante. Il finit par endosser son pardessus car il est temps de partir pour la cérémonie. Alors qu'il sort dans la rue, il se souvient d'une de leur mission. Il se tenait à un câble accroché à un bombardier allemand en plein vol, en train de progresser sur le dessus de la carlingue, suivant Sidney Hawthorne. Ils font sauter la porte du cockpit hors de ses gonds, balancent un explosif à l'intérieur et s'élance dans le vide pendant que leur parachute se déploie. Il se souvient encore d'autres hauts faits comme la destruction des laboratoires de Sturmhexen, la charge contre l'artillerie des soldats allemands à Bastogne, ou encore la mission contre Drakenkriegers.



JP Desjardins se souvient qu'en avril 1945 le major Thompson avait réuni ses troupes dans le grand hangar de la base pour confier sa dernière mission à l'escadron Black Hammer : se rendre dans un camp allemand à proximité de Vienne en Autriche pour libérer le scientifique Herman Greenbaum, sa femme Monika et leur fils Wilhelm. Hammer n'était pas plus impressionné que ça. Au temps présent, JP Desjardins entre dans le restaurant qui est la propriété de Li Zhang Yong. Ce dernier lui fait observer qu'il doit éteindre sa cigarette car c'est un établissement non-fumeur. Ils évoquent la dureté du commandement du major Thompson. Lors de ce briefing en avril 1945, le major avait fait observer que la surveillance militaire avait détecté que les 3 robots géants russes du sergent Aleksandra Nazarova. Cela signifie que le pilote allemand Oberst Klaus von Löwe (850 morts à son tableau) sera également dans les parages. Les membres de l'escadron Black Hammer se dirigent chacun vers leur avion de chasse. Sidney Hawthorne indique à George McReady qu'il s'agit de leur dernière mission, et que du coup lui, McReady (leur mécanicien) peut donc commencer à faire ses bagages et à rentrer chez lui. Au temps présent JP Desjardins et Li Zhang Yong montent dans la voiture de ce dernier qui conduit, malgré sa vue qui baisse. Il indique à JP qu'il est sûr qu'il est en train de penser à leur dernière mission, et qu'il porte encore la culpabilité du décès de Hammer.



Difficile de résister à l'attrait de cette série : elle s'inscrit dans l'univers très riche de Black Hammer, elle est réalisée par 3 auteurs de premier plan, elle constitue une histoire complète qui peut être lue indépendamment de toute autre. L'histoire a été conçue par Jeff Lemire et Ray Fawkes, ce dernier étant l'auteur complet de Underwinter. Matt Kindt est également un auteur complet, par exemple de Mind MGMT. Comme pour les autres superhéros de l'univers Black Hammer, le lecteur peut reconnaître un hommage aux univers partagés de DC ou de Marvel. Ici il s'agit en l'occurrence d'un hommage au groupe d'aviateurs des Blackhawk, créé en 1941 par Chuck Cuidera avec l'aide de Bob Powell et Will Eisner. Comme dans les autres séries Black Hammer, il n'est pas nécessaire d'être familier avec le modèle original car ceux-ci acquièrent rapidement leur propre originalité. Le lecteur voit passer quelques références à l'univers partagé de Black Hammer : 2 évidentes (Golden Gail et Abraham Slam), une plus pointue (Wingman). Les 3 créateurs racontent une histoire au premier degré, mais elle libère plus de saveurs si le lecteur est déjà familier avec la longue tradition de comics de guerre de DC et Marvel, et qu'il la considère comme une œuvre postmoderne, en particulier par la réutilisation de formes préexistantes.



Au premier degré, le lecteur découvre l'existence d'un escadron qui a accompli des missions très dangereuses contre l'armée allemande pendant la seconde guerre mondiale, et très souvent pour mettre un terme à l'existence d'individus dotés de pouvoirs ou de créatures surnaturelles. Les coscénaristes ont décidé de raconter l'histoire sur 2 lignes temporelles différentes : le présent où il est évident que Desjardins et Zhang Yong se rendent à une cérémonie commémorative pour leur chef d'escadron décédé, et dans le passé pour assister à leur dernière mission. Dans un premier temps, les dessins peuvent déconcerter le lecteur s'il ne connaît pas Matt Kindt. De prime abord, il peut se dire qu'il dessine simplement avec un crayon à la mine dure, ce qui fait qu'il n'a pas à encrer ses traits (en fin de volume, les pages à différents stades de réalisation montrent bien qu'il y a un encrage). En surface ses dessins peuvent donner l'impression qu'il s'agit plus de croquis rapides, que de représentations peaufinées. Les traits de contour et de texture semblent avoir été réalisés directement sans reprise ou correction, sans phase de consolidation. Cela donne une impression d'esquisse et de spontanéité, parfois même de naïveté dans la représentation. Dans le même temps, la narration visuelle est limpide, facile à suivre et comprenant tous les éléments prévus par le scénario. Toutefois, il est possible que le lecteur tique un peu sur les visages avec des yeux un peu grands et des lèvres un peu écrasées, sur les véhicules et engins qui reproduisent l'allure générale, sans détail technique ou volonté de description authentique. Le dernier combat aérien peut sembler raconté de manière désinvolte avec les traits pour figurer les acrobaties aériennes entre deux avions se poursuivant et cherchant à s'échapper.



Le lecteur découvre donc cette intrigue qui reprend des schémas classiques jusqu'à la commémoration sans panache, en notant en plus qu'en cours de route, Matt Kindt s'est trompé sur la position de la blessure d'Herman Greenbaum, à l'épaule gauche dans l'épisode 3, à l'épaule droite dans l'épisode 4. En fait, il n'est pas possible de lire cette histoire uniquement au premier degré, à la fois du fait de son rattachement à l'univers partagé de Black Hammer, à la fois parce que la route de Hammer et de PJ croise celle d'un petit groupe de militaires qui font immédiatement penser à Sgt. Rock (DC Comics, personnage créé en 1959, par Robert Kanigher & Joe Kubert) et à Sgt. Fury (Mavel Comics, créé en 1963 par Jack Kirby & Stan Lee), et celle d'Abraham Slam (fortement inspiré de Captain America même s'il n'a pas de bouclier). En outre, dans ses souvenirs, PJ Desjardins évoque également une patrouille de loups garous, un dragon… Là encore le lecteur reconnaît des éléments de la ménagerie développée par les scénaristes de comics de superhéros pour peupler la seconde guerre mondiale d'ennemis capables de résister aux superhéros, justifiant ainsi que la présence de superhéros pendant ce conflit n'ait pas suffi à emporter la victoire.



Ainsi le lecteur est amené à prendre un peu de recul par rapport au récit en lui-même. Il se rend compte que les caractéristiques des dessins de Matt Kindt et la mise en couleurs à l'aquarelle de Sharlene Kindt participent à créer cette distanciation. L'apparente naïveté des dessins induit que l'histoire est plus à prendre comme un conte que comme un reportage. C'est aussi ce qui permet au lecteur de consentir le niveau de suspension d'incrédulité nécessaire. Avec cet état d'esprit, il se focalise alors sur les thèmes propres du récit. Le premier est nourri par le fait que les 4 membres de l'escadron Black Hammer ne sont pas blancs de peau. Du coup, ils sont considérés comme un groupe à part plus pour leur couleur de peau que pour leur statut à part de commando extraordinaire. Toutefois, Fawkes & Lemire ne développent que peu ce point-là qui a déjà été un thème central dans d'autres comics comme Dreaming Eagles (2016) par Garth Ennis & Simon Coleby, et Captain America: Truth (2003) par Robert Morales & Kyle Baker. Le deuxième thème réside dans la culpabilité de Jean-Paul Desjardins. Il estime qu'il aurait dû trouver un moyen d'agir pour éviter la mort de son chef. Le fil narratif du temps présent finit par complètement occulter le fait qu'il s'agit d'un récit de guerre, et par aboutir à la commémoration de Sidney Hawthorne comme un héros de guerre, parvenant ainsi à occulter totalement la question morale de la guerre. Les auteurs parviennent à écrire un récit de genre, à s'affranchir de toute question sur la guerre, et à montrer en quoi les missions d'Hammer et son équipe ont eu un impact positif pour des dizaines de personnes. Le lecteur en ressort très décontenancé qu'ils aient ainsi réussi le pari d'écrire un récit de guerre postmoderne qui soit lisible par un adulte sans volet éthique sur la guerre.



Dans le monde postmoderne de l'univers partagé Black Hammer, cette histoire tranche par rapport aux autres. Elle aussi peut se lire au premier degré pour un récit faisant la part belle aux situations déjà vues, avec une narration visuelle à l'apparence étonnamment diaphane. Au second degré, elle réussit le tour de force d'être un récit de guerre qui ne porte pas de jugement sur la guerre en général, qui utilise des éléments fantaisistes tels que des robots russes géants pilotés par des militaires dont une femme, et de réhabiliter l'héroïsme premier degré des membres de cet escadron.
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Gideon Falls, tome 1 : La grange noire

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2018, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Il comprend également les couvertures originales réalisées par Sorrentino et les couvertures alternatives réalisées par Jeff Lemire (*3), Jock, Tom Whalen, Cliff Chiang, Greg Smallwood, Dustin Nguyen, Skottie Young.



Norton Sinclair (un jeune homme) est en train de considérer un tas de sacs de déchets. Il porte un masque anti-poussière de type FFP2. Ayant pris sa décision, il enfile des gants de chirurgien pour fouiller dans les ordures. Il finit par détecter ce qu'il est venu chercher : une mince écharde de bois. Il la récupère précautionneusement et la met dans un bocal en verre qu'il referme avec un couvercle, et qu'il met dans sa besace. Il rentre chez lui, dans un appartement à la propreté douteuse. Il vient poser le bocal avec son écharde sur une étagère abritant plusieurs pots au contenu similaire. Il recule d'un pas et considère les 5 étagères remplis de bocaux. Il enlève son blouson, s'assoit sur son lit, et récite un Notre Père. Le père Wilfred arrive au terme de son voyage en voiture, dans la petite ville de Gideon Falls. Il remplissait la fonction de professeur au séminaire, mais l'évêque l'a envoyé là pour succéder au précédent prêtre. Après avoir garé sa voiture devant l'église, il est accueilli par Gene Tremblay, une femme âgée qui lui montre son logement et qui lui explique qu'elle s'occupait du père Tom qui l'a précédé.



Le père Wilfred (surnommé Fred) indique à Gene Tremblay qu'il souhaite rester seul pour se reposer. Juste comme elle part, il lui demande comment est décédé son prédécesseur. Elle lui répond qu'elle préfère ne pas en parler. De son côté, Norton Sinclair est en pleine séance avec sa psychothérapeute la docteure Angie Xu. Il a remis son masque anti-poussière qu'il conserve pendant la consultation. Il lui demande si elle croit au Mal. Elle évoque son obsession avec les déchets urbains. Il explique que c'est comme si une intuition le guidait pour choisir les morceaux de bois qu'il ramasse, peut-être même une voix. Elle lui répond qu'en tant que bouddhiste elle ne croit pas en l'existence d'un diable. Elle ajoute qu'il faut qu'il travaille à contenir son obsession, sinon elle se verra dans l'obligation de demander son retour en institution. Norton Sinclair termine la session en indiquant qu'il comprend la nécessité pour lui de reprendre du contrôle sur ses comportements. Il sort et commence à marcher pour rentrer chez lui. Il ne peut pas s'empêcher de ramasser un clou tordu dans la chaussée. La nuit, le père Wilfred se réveille au son d'une voix qui l'interpelle : il s'agit du père Tom qui se tient assis sur une chaise à côté de son lit.



Le lecteur est fortement intrigué par la couverture, avec cette presqu'île dont la forme dessine celle d'un buste humain de profil. Les auteurs ont décliné ce motif dans les autres couvertures, à partir de champs vus du ciel pour l'épisode 2, d'une marina pour l'épisode 3, d'une station d'épuration pour l'épisode 4, et de 2 autres paysages côtiers pour les épisodes 5 & 6, toujours en vue du ciel. Ces images annoncent une forme de relation entre un individu (ou plusieurs) et les sites concernés, comme s'il y avait imprimé sa marque, comme si sa conscience agissait sur la géographie des lieux. S'il est un lecteur habituel de comics, le lecteur est également curieux de découvrir une nouvelle série de Jeff Lemire, scénariste canadien prolifique et souvent original surtout sur les séries qui lui appartiennent en propre. Il est tout aussi curieux de découvrir une nouvelle collaboration entre Lemire et Andrea Sorrentino qui avaient imprimé la marque de leur forte personnalité sur les séries Green Arrow (épisodes 17 à 34) et Wolverine: Old man Logan. Il absorbe inconsciemment l'imagerie de la série véhiculée par les couvertures (et peut-être la quatrième de couverture s'il l'a lue) qui indique qu'elle s'inscrit dans le genre horrifique, ce qui fait naître plusieurs attentes en lui.



Le lecteur est un peu décontenancé par l'image d'ouverture qui se trouve à l'envers. Il s'agit d'un dispositif déjà employé par Lemire dans d'autres de ses séries, par exemple Trillium. Cette image renversée peut sembler gratuite, mais le scénariste réutilise ce principe de tête bêche par la suite, créant ainsi un motif visuel qui génère l'idée d'un lien entre 2 mondes, dans la tête du lecteur. Si cela lui a mis la puce à l'oreille, le lecteur relève d'autres occurrences de liens visuels par la suite, à commencer par ce clou ramassé par terre, qui répond au clou dans la main du père Tom, et que le lecteur associe aussitôt à l'image du Christ en croix présente par la suite. Les auteurs induisent par ce biais l'existence de liens entre des faits se produisant fortuitement et à des endroits éloignés, sous-entendant l'existence de forces invisibles, à l'œuvre de manière imperceptible par le commun des mortels, instillant l'idée qu'il existe des liens de cause à effet qui expliquent des faits a priori sans relation. Le lecteur se retrouve alors dans le bon état d'esprit pour une intrigue de complot et de forces occultes. Pour matérialiser ces manifestations surnaturelles, ils ont choisi la forme d'une grange noire (black Barn), plus anodine que réellement menaçante.



D'ailleurs, le lecteur est pris un peu à contrepied s'il connaît déjà le travail d'Andrea Sorrentino. L'artiste a su s'émanciper de l'influence de Jae Lee, très marquée à ses débuts. Il semble avoir choisi sciemment de se restreindre dans la composition de pages complexes, ce qui était une de ses marques de fabrique jusqu'alors. Le lecteur retrouve une page dont les cases sont disposées comme des rayons autour d'une case ronde dans le premier épisode, une similaire dans le deuxième épisode, des cases donnant l'impression de bandelettes arrachées dans le troisième et le quatrième, rien d'aussi flamboyant que par le passé. Il faut attendre l'épisode 4 pour Sorrentino se montre plus aventureux avec des cases représentées comme des facettes de cubes disposés pour former le symbole de l'infini, puis une traversée des apparences par Norton Sinclair d'ans l'épisode 5, et des effets plus étonnants dans l'épisode 6. Pour le reste, le lecteur a l'impression d'évoluer dans un monde triste et cafardeux, que ce soit dans les séquences centrées sur Norton Sinclair, ou celles centrées sur le père Wilfred



Effectivement, Dave Stewart réalise une mise en couleurs, à base de nuances grises et brunes, ternies. Celui lui permet de jouer un fort contraste avec une teinte rouge vif lors d'un moment de violence ou de passage vers le surnaturel. Ce choix de mise en couleurs engendre un effet de fadeur des dessins, sans aucune mise en relief autre que la couleur rouge utilisée avec parcimonie. Andrea Sorrentino donne l'impression d'avoir fait un choix similaire, en proscrivant les effets spectaculaires. Il reprend son mode de représentation habituel et personnel. Les dessins donnent l'impression de photographies retouchées et simplifiés pour chaque décor : l'appartement de Norton Sinclair, les champs de blé aux alentours de Gideon Falls, le parc où Sinclair & Xu s'assoient sur un banc, le cabinet de la docteure Xu, la cellule de prison de Wilfred, etc. Le lecteur observe que Sorrentino fait fortement varier la densité d'information visuelle dans les arrière-plans, mais que la mise en couleurs de Dave Stewart permet de conserver une impression homogène. L'artiste utilise une approche également quasi photoréaliste avec les personnages, mais avec des traits de contour plus fins, parfois jusqu'à en être cassants. De ce fait, ils bénéficient tous d'une apparence très distincte, à la fois pour la morphologie, le visage et la tenue vestimentaire. Dans le même temps, les simplifications apportées dans quelques textures permettent de plus facilement intégrer les protagonistes dans les décors, ou de les raccorder avec une manifestation surnaturelle.



Le lecteur plonge donc un monde proche du sien, mais baignant dans une ambiance vaguement dépressive qui constitue une indication sur l'état d'esprit de Norton Sinclair, obnubilé par sa recherche de fragments de bois, sur celui du père Wilfred avec un passé chargé, et même sur celui d'Angie Xu pas très sûre de pouvoir améliorer l'état de son patient. Jeff Lemire présente encore quelques personnages au lecteur, mais en nombre restreint : la shérif Clara Miller, ses adjoints Reggie et Tony Ballard, son père, un couple Joe Reddy & Janet, et l'évêque qui reste sans nom. La narration établit rapidement que le père Wilfred et Norton Sinclair sont liés par leur capacité à percevoir la Grange Noir, chacun à leur manière. Le scénario déroule l'intrigue de manière linéaire avec juste deux évocations légères du passé (l'histoire personnelle de Norton Sinclair qui reste assez superficielle) et l'existence du frère disparu d'un personnage. Le lecteur se laisse emmener dans les 2 lieux principaux, mais n'arrive pas à s'investir dans les 3 personnages les plus présents, ou à ressentir un soupçon d'effroi quant à la nature trop vague de la Grange Noire. La lecture est sympathique et professionnelle, mais dépassionnée, sans éclat, avec des rebondissements classiques.



Ce premier tome n'arrive pas à impliquer totalement le lecteur. Jeff Lemire & Andrea Sorrentino ont choisi de diminuer le niveau de spectaculaire ou de flamboyance visuelle de leurs précédentes collaborations, pour une narration plus réaliste et finalement plus terne. Le lecteur n'arrive pas à ressentir un niveau d'empathie suffisant pour les personnages, et il éprouve de forts doutes quant à la consistance potentielle du mystère de cette Grange Noire qui reste encore très générique à la fin de ce premier tome.
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Sweet Tooth, tome 2

Sweet Tooth se poursuit avec ce 2ème volume, "In Captivity" (En captivité).

On retrouve le petit hybride Gus - jeune garçon d'une dizaine d'années dont la tête est ornée de petits bois de cerf - là où on l'avait laissé : enfermé avec d'autres bambins hybrides comme lui, dans une cage de la Préserve.

La Préserve, cette soi-disant enclave de sécurité, abrite en fait des brutes violentes sans foi ni loi, si ce n'est celle de leur survie.

Car l'épidémie qui a ravagé la race humaine 7 ans plut tôt fait encore des ravages. Alors dans l'espoir de trouver un remède, un médecin scientifique sans scrupule, sous les ordres d'un autre type sans scrupule, pratiquent des expériences sur ces enfants étranges, mi-humains mi-bêtes, qui ne semblent pas affectés par la maladie.

Gus l'intrigue tout particulièrement : il dit être né avant l'épidémie. Ce qui semble impossible, car les mutations sont apparemment une conséquence de cette maladie. Cependant Gus s'entête et maintient : il est né il y a neuf ans, dans les bois. Sa mère est morte à sa naissance. Il ne l'a jamais connue. Son père l'a élevé, seul, lui apprenant tout, même à lire à partir de Sa Bible... Et surtout, Gus est vraiment étrange : il n'a pas de nombril...

Tout à coup, l'histoire prend un nouveau sens...

Parallèlement, on va suivre l'histoire de Jepperd, l'homme sombre et mutique qui a livré Gus à la Préserve. Car Jepperd avant de devenir ce salop près à tout, a eu une vie... On découvre ce qu'il y a dans le sac jaune qu'il a reçu en récompense pour avoir amené Gus.... On découvre son passé... Et l'homme devient humain, attachant. Et il va se remettre en question. Et ça va saigner encore, car Jepperd aime la baston, sauvage et sans pitié. Là, une pointe d'humour noir, très noir, commence à poindre. C'est bien vu.

Cette suite se révèle très bonne, fidèle aux promesses faites dans le premier volume ; ambiance post-apocalyptique réussie avec le dessin sombre et torturé de Jeff Lemire, cette série nous imprègne doucement mais surement, on veut connaitre la suite... à suivre donc.

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Le labyrinthe inachevé

Une très belle histoire de perdition dans les méandres du souvenir, du deuil et peut être de la reconstruction. Une histoire qui passe du monde réel à celui du rêve en suivant un fil rouge - celui d'un vieux pull qui se détricote - dans les dédales d'un ancien labyrinthe devenu ville de briques et de béton. Une très belle histoire d'amour père -fille, une histoire douloureuse mais par laquelle il faut nécessairement passer pour, au final, trouver une sortie plus lumineuse et, qui sait, un futur heureux.
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Family Tree, tome 3 : Forest

Un arbre en colère

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Ce tome fait suite à Family Tree, Volume 2 (épisodes 5 à 8) qu'il faut avoir lu avant. Il s'agit du dernier tome de la série, et il faut avoir commencé par le premier car il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Celui-ci regroupe les épisodes 9 à 12, initialement parus en 2021, écrits par Jeff Lemire, dessinés par Phil Hester, encrés par Eric Gapstur et mis en couleurs par Ryan Cody, avec un lettrage réalisé par Steve Wands.



La fin du monde devrait survenir quand tout le monde meurt ? C'est un petit peu le ressenti initial à ce qui s'est passé, tellement tout s'est déroulé si vite. L'air que l'on respire est devenu l'ennemi. On avait l'impression que l'air était en train de tuer tout le monde. Mais maintenant, on sait que les gens ne sont pas morts, ils ont simplement changé. Les spores libérées par les arbres ont saturé l'air, et les êtres humains se sont transformés en le respirant, devenant des arbres. En 1997, Joshua Hayes est coincé sur la banquette arrière de la voiture de police, alors qu'il voit les gens autour de lui se transformer en arbre. Les spores relâchées par sa petite sœur sont emportées par le vent et cause la transformation de milliers de personnes. Mais elle n'était pas la seule à émettre des spores. Cinq ans plus tard, Joshua avance dans une zone envahie par la végétation et se retrouve devant un autre arbre à forme humaine, avec encore des lambeaux de vêtements entourant ses branches et son tronc. Il dit à haute voix que ce n'est pas une bonne chose. La main en bois qu'il porte autour du cou, lui confirme que qu'il l'a bien entendu et qu'il faut que Joshua sorte de là rapidement. Il se retourne en entendant un bruit de branche piétinée.



Effectivement un groupe de quatre hommes armés en combinaison de protection contre les risques infectieux se rapprochent. Ils l'ont repéré. Il se met à courir et arrive sous un pont surplombant une grande voie. Ayant un peu d'avance, et étant masqué par le pont, il se cache dans le coffre d'une voiture. Les individus armés passent devant et poursuivent leur chemin à l'affut d'un signe indiquant la direction qu'il a prise pour fuir. Une fois qu'ils se sont éloignés, Joshua sort du coffre et rebrousse chemin. La main n'a aucune idée du groupe auquel ces individus pouvaient appartenir. Des arboristes ? Joshua se remet en route : il doit retrouver sa mère Loretta. Cinq ans plutôt des individus également en tenue de protection contre les risques infectieux se tiennent devant Loretta, avec des tronçonneuses. La combinaison de l'un d'eux est déchirée et il se transforme en arbre sous ses yeux. Elle attaque l'autre pour dévier sa tronçonneuse. Un hélicoptère s'écrase à quelques mètres d'eux. Dans la voiture, Joshua tape des poings contre la vitre, voulant aller aider sa mère. Dans la grande forêt, Judd Hayes, le grand-père de Joshua, reprend conscience sur une énorme branche. Il est salué par Megan Hayes, sa petite fille et par Darcy son fils. Ce dernier le remercie d'avoir sauvé son épouse et son fils. Judd dit que le garçon est encore tout seul en milieu hostile.



C'est déjà la fin. Ce n'est pas la première fois que le scénariste écrit un récit court, relativement, 240 pages quand même. L'un des précédents avec ce genre de format était l'extraordinaire Royal City (2017/2018) qu'il avait dessiné lui-même. Ici, il a confié la mise en image à un autre artiste que lui-même et son histoire est plus orientée action. Le lecteur ressent fortement cette dernière caractéristique car chaque épisode se lit très vite, en un tiers de temps en moins qu'un comics de superhéros industriel. Les deux lignes temporelles contiennent des affrontements : l'armée contre la cellule familiale des Hayes pour essayer de détruire Megan, Joshua et Loretta s'attaquant à la base des militaires cinq ans plus tard. Les traits de contour sont toujours aussi fins, avec un tracé comprenant des angles qui accrochent le regard, un peu agressifs. Le dessinateur et l'encreur épaississent ces traits à l'intérieur des formes détourées, avec des aplats de noir irréguliers dont le contour présente également des angles. Cette apparence indique au lecteur que les personnages n'ont pas le temps de s'apprêter pour faire joli, qu'ils font dans l'utilitaire et l'efficace. Néanmoins cela ne va pas jusqu'à montrer que cinq ans plus tard il est devenu difficile de se procurer des vêtements neufs ou en bon état.



Ce rendu de surface s'avère très adapté pour rendre compte de l'âpreté des affrontements, de la violence des coups portés et de leur côté fruste, primaire, sans l'efficacité esthétique des combattants niveau expert. Le lecteur ressent toute la brutalité de l'hélicoptère qui s'écrase sans aucune grâce dans un dessin en pleine page, la violence terrible que subit un corps humain se transformant en écorce et en sève, la maladresse catastrophique et angoissante d'un individu en combinaison brandissant une tronçonneuse sans aucune précaution ni habitude de s'en servir, la déchirure sale et imprécise provoquée par une balle d'arme à feu transperçant la peau et s'enfonçant dans la chair, la dislocation des corps qui se produit quand un arbre s'anime pour malmener des êtres humains en les secouant par saccade comme des pantins, la force d'un explosif et le ravage des flammes sur la chair. Les personnages sont confrontés à des situations de combat sale et maladroit, mais où leur vie est en jeu.



D'un certain point de vue, l'intrigue est particulièrement basique : dans le passé la cellule familiale des Hayes réussit à s'installer et finit par s'agrandir en intégrant deux nouveaux membres, dans le futur, c'est le dernier affrontement entre les Hayes et les militaires. L'alternance entre les deux lignes temporelles n'apporte finalement pas grand-chose : pas de résonnance entre les deux ou de parallèle révélateur. D'un autre côté, le scénariste s'y entend pour imaginer des séquences surprenantes et les artistes semblent prendre plaisir à insuffler de la vie dans ces visions. Le lecteur savoure alors le divertissement visuel : une nuée de pollen à l'effet instantané provoquant des transformations spectaculaires, une fuite réfléchie dans les bois, ces retrouvailles inattendues sur les branches énormes d'un arbre sans limite, la récupération de nourriture dans un supermarché abandonné, une fillette sur une balançoire, l'usage terrifiant d'un lance-flamme, un arbre fâché qui laisse libre cours à sa colère.



Le lecteur s'est attaché à ces personnages : Joshua très protecteur vis-à-vis de sa mère, après avoir perdu sa sœur, Loretta très vindicative et le grand père Judd totalement apaisé. Il perçoit bien que le les auteurs ne visent pas le réalisme d'un récit survivaliste : le bébé est né sans difficulté et il n'a pas eu besoin de soin particulier pendant ses premières semaines. Les personnages n'éprouvent aucune difficulté en s'approvisionner en matériels de tout genre : vêtements, nourriture, et bien sûr armes. De même, la vue de Joshua ne semble pas évoluer ou se dégrader car il a conservé ses lunettes depuis le premier épisode, toujours à sa taille bien qu'il soit devenu adulte, et elles n'ont jamais cassé. Trois êtres humains parviennent à déplacer un arbre entier de trois mètres de haut, sans réelle difficulté, bien qu'il doive peser assez lourd.



L'intrigue progresse sans grande surprise sur un schéma très linéaire. Le récit se démarque donc à la fois par la nature de l'épidémie et par ce plan spirituel. Les personnages humains évoquent rapidement la raison pour laquelle eux ont été épargnés par la transformation occasionnée par le pollen : ce n'est ni très développé, ni très convaincant. Le lecteur peut s'en satisfaire, comme il peut s'en retrouver frustré : visiblement le cœur du récit ne se trouve pas là. L'autre particularité du récit réside dans la mise en scène d'une vie spirituelle après la mort, déjà présente dans les 2 premiers tomes. L'âme de chaque individu dispose d'une vie après la transformation du corps en arbre. D'une manière très logique, les auteurs ont donné une apparence d'arbre géant à cet au-delà. Pourquoi pas. Néanmoins, le lecteur ne doit pas s'attendre à une philosophie de vie ou à des convictions spirituelles venant étayer cette phase de vie après la mort : c'est à prendre en l'état, sans se poser de questions. Joshua a la possibilité de communiquer directement avec l'âme ou l'esprit d'une des personnes ainsi transformées : son grand-père. Pourquoi pas. Le dispositif de communication, mis en place dans le premier tome, est visuellement amusant : la main en bois sectionnée de Judd. Pourquoi pas. Là encore, il ne faut pas chercher d'explication supplémentaire ou de second degré particulier. Le lecteur en ressort avec une très belle image : celle d'une pelle soulevant de la terre pour creuser un trou. De prime abord, il présume qu'il s'agit de quelqu'un en train de creuser une tombe, puis il se dit qu'il s'agit peut-être d'un trou pour planter un arbre, belle polysémie de l'image.



Ce dernier tome vient conclure l'intrigue de manière satisfaisante, tout en opérant la jonction entre les deux lignes temporelles. Dessinateur et encreur sont dans une très bonne forme, bien impliqués dans leurs pages, pour des visuels saisissants et des séquences bien agencées. Le scénariste réalise une narration décompressée pour des pages qui se lisent rapidement. Le récit aboutit à un constat très basique : le monde change et il faut s'y adapter. Au final : une histoire divertissante et dépaysante, mais loin des meilleures de Jeff Lemire, car trop convenue, et un peu superficielle.
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Skulldigger & Skeleton Boy

Relations bénéfiques ou toxiques

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Ce tome contient une histoire complète qui s'inscrit dans l'univers partagé Black Hammer créé par Jeff Lemire, avec Dean Ormston Ce tome regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020, écrits par Jeff Lemire, dessinés, encrés et mis en couleurs par Tonči Zonjić qui a également réalisé les couvertures. Les couvertures variantes ont été réalisées par Mike Deodato Jr., James Harren, Patric Reynolds, Daniel Warren Johnson, Sam Kieth. Le tome se termine avec 8 pages d'études graphiques annotées par le dessinateur, et 12 planches réparties sur 8 pages, réalisées et annotées par Jeff Lemire.



En 1996, Matthew, un garçon de douze ans, commence à se souvenir. Ils étaient allés dans un restaurant italien avec ses parents, et il avait fait une comédie pour avoir un dessert, alors que sa mère avait commencé par refuser parce qu'il y avait école le lendemain. S'il n'avait pas fait sa comédie, ils seraient sortis du restaurant plutôt et ils ne seraient pas tombés sur l'individu armé qui les avaient agressés, et avait abattu ses parents, les laissant morts sur le trottoir. William Bowers est en train de dire au garçon qu'il va devoir le tuer également car il a vu son visage. Il tombe d'un coup à terre, avec une blessure à l'arrière de la tête, là où le crâne métallique au bout d'une chaîne l'a frappé. Skulldigger se tient debout immobile, et il s'excuse auprès du garçon d'être arrivé trop tard. Il s'agenouille devant Matthew et lui dit que la police va arriver pour s'occuper de lui. Il s'éloigne, le crâne ensanglanté attaché à sa ceinture, et se retourne pour s'excuser encore une fois.



Un peu plus tard, Matthew a été examiné par un psychologue : il n'a pas dit un mot depuis qu'il a été pris en charge par la police. L'inspectrice Amanda Reyes explique au capitaine Howard que l'enfant a forcément vu Skulldigger, qu'il peut l'identifier, et l'incriminer dans la mort de l'agresseur et de deux autres défunts. Le capitaine lui ordonne de ne pas s'occuper de cet aspect-là de l'affaire, car cela ne fait pas partie de ses dossiers. Elle sort de son bureau et se rend quand même dans la salle où Matthew attend. Elle lui pose des questions sur la présence éventuelle de Skullidgger, en lui montrant une photographie. Il ne prononce pas un mot, ne réagit pas. Elle ressort de la pièce et échange quelques mots avec un collègue qui lui apprend qu'il y a un nouveau candidat pour l'élection du maire : Ted Reed qui fut un superhéros du nom de Crimson Fist, il y a quelques années de cela, avec Alley Rat, un assistant adolescent. Dans son échoppe, le boucher découpe une tranche de viande pour sa dernière cliente, puis il ferme sa boutique une fois qu'elle en est sortie. Il descend dans le sous-sol, passant devant ses plastrons de Skulldigger, et les masques, allant s'installer dans son bureau sommaire, une chaise, une table et six écrans de télévision, pour regarder les informations : la candidature de Tex Reed, le meurtre du couple devant les yeux de leur fils. Il considère longuement le masque de Skulldigger posé sur la table devant lui.



S'il a déjà effectué plusieurs voyages dans l'univers partagé de Black Hammer, il y a fort à parier que le lecteur est acquis d'avance à l'histoire qu'il va découvrir, en particulier à l'écriture de Jeff Lemire. Il connaît le principe : raconter une histoire avec des personnages évoquant des superhéros classiques de DC ou de Marvel, en empruntant des éléments de leur mythologie et réaliser un récit différent, renvoyant des échos du modèle choisi, mais finalement indépendant. La première page ne laisse planer aucun doute : un enfant qui a vu ses parents assassinés sous ses yeux, de nuit dans une rue qu'on suppose déserte. C'est le meurtre de Martha & Thomas Wayne, les parents de Bruce encore enfant, perpétré par Joe Chill. D'ailleurs le criminel du récit a la peau violette comme la veste de Joker, et semble tout aussi déséquilibré mentalement, même s'il n'est pas porté sur les blagues macabres. La relation entre Skulldigger et Skeleton Boy constitue une variation sur celle entre Batman et Robin, avec un passage rappelant fortement une version plutôt malsaine, dans All Star Batman and Robin, the Boy Wonder (2005-2008) par Frank Miller & Jim Lee. Le lecteur ne connaissant pas Black Hammer a vite fait de se rendre compte de ce parallèle, de la dualité de la narration, entre hommage et développement original.



C'est en même temps étrange et déconcertant : Jeff Lemire a imaginé une histoire originale, mais il insiste pour citer explicitement sa source d'inspiration pour se montrer honnête. Il inclut les noms de Frank Miller, Klaus Janson et Gerry Conway dans un décor. L'artiste réalise deux planches en contraste total entre noir & blanc sans couleur, évoquant de loin le parti pris radical de Frank Miller pour sa série Sin City. Mais ce ne sont ni Batman ni Robin. Pour commencer, Matthew ne devient pas Batman, mais Robin, ensuite, l'inspectrice de police Amanda Reyes ne joue pas le rôle du commissaire Gordon, ni celui de Renee Montoya, ou d'un autre membre connu de la police de Gotham, et le lien entre Grimjim et Skulldigger n'a rien à voir entre celui de Batman et Joker. L'esprit du lecteur est donc ainsi partagé entre ce parallèle qui ne disparaît pas, et l'originalité de l'histoire. Sous réserve qu'il arrive à réconcilier cette ambivalence, il s'attache rapidement aux personnages, au sort de Matthew, et à l'intrigue découlant de l'attaque de Grimjim, et de l'enlèvement du candidat à la mairie. Les personnages prennent rapidement de l'épaisseur car leurs décisions constituent le moteur de l'intrigue. Qu'est-ce qui a poussé Skulldigger a aller trouver Matthew dans l'établissement où il a été placé ? Quel lien unit Skulldigger à Grimjim ?



Du coup, le lecteur fait l'effort d'ajuster son mode de lecture, pour mettre de côté, la filiation Batman & Robin dans son esprit, et ne conserver que le fil directeur de la relation entre le superhéros en tant que figure paternelle, et l'assistant (tout juste) adolescent qui calque son comportement sur celui de l'adulte dont les actions font sens, au regard du traumatisme qu'il doit surmonter, ou au moins vivre avec : l'assassinat de ses parents sous yeux. Il est possible que les dessins évoquent également une autre référence. L'artiste s'est fait connaître dans une autre série dérivée, d'un univers partagé de grande ampleur : le Mignolaverse issu de Hellboy, dans Lobster Johnson avec Mike Mignola & John Arcudi, des histoires avec une ascendance Pulp assumée. Dans le même temps, Tonči Zonjić met en œuvre une narration visuelle personnelle, qui ne donne jamais l'impression de vouloir rendre hommage à Frank Miller ou David Mazzucchelli, ou aux comics de Batman. Il dessine dans un registre réaliste et descriptif, avec des contours un peu simplifiés et une maîtrise épatante de la composition, que ce soit celle des pages, ou celle des cases. Les pages en fin de tome explicitent comment il a travaillé pour parvenir à un motif de crâne original pour le masque de Skulldigger. Ce motif fonctionne parfaitement pour son caractère macabre, sans jamais donner l'impression d'être une imitation de celui de Punisher ou d'un autre anti-héros, alors qu'ils sont pourtant nombreux à l'utiliser.



L'artiste transcrit avec force la force de la violence, assez sadique qui régnait dans les comics dans les années 1990, en particulier le crâne métallique au bout d'une chaîne dont se sert Skulldigger pour frapper ses ennemis, ou la séance de torture que Grimjim inflige au pauvre maire, avec par exemple un sectionnement de pouce au sécateur vraiment éprouvant même si la case n'est ni gore ni photoréaliste. En artiste complet, Zonjić emploie la couleur pour compléter ses dessins et pour instaurer l'ambiance, avec une force qui évoque le travail tout aussi Pulp de Francesco Francavilla. Les scènes en civil sont aussi intenses que les scènes d'action avec superhéros. Le lecteur peut voir toute l'ambiguïté de l'attitude de Skulldigger dans sa relation avec Matthew, en regardant ses postures, son langage corporel, et il en va de même quand le garçon se retrouve seul dans la voiture avec Amanda Reyes, ou quand celle-ci parle avec sa compagne Theresa. Les séquences d'action sont violentes et sèches, lisibles et spectaculaires, avec une tension qui reflète la détermination et l'état d'esprit des combattants. En costume ou en civil, le lecteur voit des individus habités par des émotions intenses, et portant une terrible culpabilité. Le scénariste se montre terrifiant dès la première page, Matthew se disant que les événements se seraient déroulés différemment s'il n'avait pas fait une comédie pour avoir un dessert. Quel sentiment insupportable de culpabilité ! Lemire développe un aspect de l'enfance traumatisée, au travers de Matthew mais, aussi d'autres personnages, domaine dans lequel il excelle pour la mise en scène de ces tourments, sans prêchi-prêcha, sans culpabilisation du lecteur, sans pathos surjoué ou artificiel.



Une minisérie de plus, dérivée de la série mère Black Hammer, une histoire extraordinaire à mettre à l'actif de Jeff Lemire, avec une narration visuelle aussi évidente et facile à lire, que bien adaptée et élégante. À l'opposé d'un projet de plus, vite fait mal fait, pour faire fructifier une licence à succès, cette histoire constitue la preuve que les histoires de superhéros sont un genre dans lequel il est possible d'aborder ou de mettre en scène des thèmes adultes, avec sensibilité et justesse, tout en rendant hommage aux superhéros originels.
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Gideon Falls, tome 6 : The End

Ce tome fait suite à Gideon Falls, Volume 5: Wicked Words (épisodes 22 à 26) qu'il faut avoir lu avant. C'est le dernier de la série, et les 6 tomes forment une histoire complète : il faut donc commencer par le premier. Celui-ci reprend l'épisode 27 ainsi que 10 nouvelles pages supplémentaires, initialement paru en 2020, écrit par Jeff Lemire, dessiné et encré par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Il est complété par 26 pages de bonus. Se trouve d'abord le script complet de l'épisode 27, et des 2 pages supplémentaires. Dans les 12 dernières pages, l'artiste explique et décortique plusieurs éléments constitutifs de la série, avec des illustrations et des schémas : la carte du multivers et le principe de passage d'un monde à un autre avec une chronologie, le principe de fonctionnement de la grange noire, la conception de la représentation du centre de l'univers, le pas-à-pas de la réalisation de l'illustration en double page de l'épisode 4. Il se termine avec la couverture alternative réalisée par Jeff Lemire.



Vide blanc infini avec juste un point noir en son centre. Le point noir grossit un peu en s'étirant de plus en plus dans une forme très aplatie. Au sein de ces ténèbres impénétrables, un individu reprend conscience, discerne ses mains sous ses yeux, et attrape un masque de tissu pour son visage. Norton Sinclair entend le bruit d'un grattement répété, très net insistant. Il s'approche du lac noir, situé près du Village, près du Centre. Il appelle son père et Clara d'une voix faible, sans réponse. Il se penche vers l'eau et voit une image déformée de lui-même grimaçant. Il se recule et se rend compte qu'il tient un morceau de bois e la main, un morceau de la grange. Il se souvient de l'explosion de la grange. Elle apparaît intacte juste derrière lui, dans un éclat de lumière. Il laisse tomber le bout de bois par terre et se met à courir à dans les bois, alors que les bruits de grattement ont repris. Il parvient à l'orée du bois et découvre une vue dégagée sur le village. Trois jeunes gens l'accueillent en l'appelant père. Ils portent un masque et celui devant déclare qu'ils sont ses enfants et qu'ils l'attendent depuis longtemps.



Dans la version totalitaire de Gideon Falls, Fred, Angie et Molly se tiennent devant la machine installée dans la station du père Burke. Il y a quelques villageois de présent. Le prêtre explique qu'il ne sait pas où se trouvent les autres, qu'il était dans une version futuriste de Gideon, horrible. Angie l'informe de la disparition de l'évêque Burke. Molly ajoute qu'elle a ressenti des tremblements et qu'ils ne devraient pas rester ici. Wilfred inique qu'il sait où vont se rendre les autres : ils vont rentrer à la maison. Dans la maison de Don, le docteur Stutton est en train de discuter avec Clarabelle. Deux enfants, Emma et Jasper, entrent et la sœur indique que son petit frère a besoin d'un vraiment médecin car il s'est fait mal au pied. Le médecin commence à s'occuper de Jasper. Clara regarde Emma d'un drôle d'air, car elle voit également derrière elle la coupure de journal épinglée, dont le titre évoque la disparition d'enfants. Soudain une énorme secousse se fait ressentir ébranlant la maison. Des cafards apparaissent dans les interstices entre les planches et Clara en écrase avec le poing. Puis elle demande à son père s'il a toujours son fusil de chasse.



Le temps est venu de la résolution de cette intrigue labyrinthique, des révélations, et d'une fin en bonne et due forme. Du coup, peut-être que le lecteur jette un coup d'œil au tome précédent pour être sûr d'avoir bien en tête qui se trouve où, disséminés dans plusieurs réalités alternatives, à des époques différentes. Il inspire un grand coup, et c'est parti. Le nœud de l'intrigue est de comprendre comment fonctionne la grange noire, ce qu'elle représente réellement et le rôle de Norton Sinclair. Le scénariste a fait le choix de ne pas se montrer complètement explicite : il n'apparaît un nouveau personnage qui vient tout reprendre depuis le début, et il n'y a pas de phénomène de compréhension soudaine pour un personnage ou pour un autre. Dans le même temps, le scénariste est passé dans un mode narratif privilégiant l'avancement de l'intrigue au développement des personnages. S'il s'est fortement investi en eux, le lecteur ressent encore l'incompréhension inquiète et même angoissée de Norton, la force de caractère et le courage de Clara, la résignation devant la fatalité du père Wilfred Quinn. Sinon, il est à craindre qu'il voie des individus ballottés par des événements échappant à toute forme de contrôle, sur lesquels ils n'ont aucune prise, et que très peu d'incidence (une fois au cours de ce tome). Le plaisir de lecture se reporte alors sur l'intrigue et sur les sensations apportées par la narration visuelle.



S'il est curieux, une fois le tome terminé, le lecteur va jeter un coup d'œil au script, très concis et même un peu court. En lisant ce qui correspond à quelques pages, il se rend alors de l'ampleur du travail réalisé par le dessinateur pour donner à voir ce que représente une dizaine de lignes d'indications par page, dialogues compris. Certes, il est probable que Lemire et Sorrentino aient eu des sessions de travail avant de lancer la série, pour que le premier explique au second les grands principes de l'intrigue, du fonctionnement des réalités et de la grange noire, et pour s'accorder sur les éléments visuels fondamentaux. Pour autant, la lecture du script permet de se rendre compte de tout ce qu'apporte l'artiste à l'histoire, y compris en éléments scénaristiques. Dans l'horizon d'attente du lecteur, figurent le fait de retrouver des visuels hallucinants au sens premier du terme, et des compositions de pages sortant de l'ordinaire. Le dessinateur le contente et même le gâte. La réapparition de la grange noire intacte en ombre chinoise sur un fond rouge pétant, fort bien choisi par Dave Stewart, avec des cases déstabilisées sur la page en vis-à-vis. L'illustration en double page montrant le sommet d'un gratte-ciel s'abattre sur le Village, avec le choc en retour dans la mégapole de Gideon Falls, une composition aussi évidente que sophistiquée avec une onomatopée mastoc. Le retour des deux rubans de cube entrecroisés, vision toujours aussi spectaculaire et signifiante. Une construction d'escalier de Penrose (1898-1972) dans une illustration à la Maurits Cornelis Escher (1898-1972). Dans le fil d'une séquence, Andrea Sorrentino parvient même à rendre très impressionnante et tout aussi spectaculaire, une double page blanche. Comme dans les tomes précédents, les protagonistes passent d'un monde à autre, en particulier dans la réalité du Centre, et l'artiste s'en donne à cœur joie pour jouer avec l'agencement des cases et les déformer comme si elles menaient effectivement à un endroit situé sur un plan de la page différent de la réalité physique (quasi) normale.



Si dans le tome précédent, ou peut-être également dans celui d'avant, le lecteur avait pu éprouver l'impression le temps qu'une planche ou deux que l'artiste était plus pressé que d'habitude, ici il n'en est rien. Il a peaufiné chaque page : les personnages avec cet équilibre incroyable entre photoréalisme et esquisse, les décors allant du détail à des plans panoramiques de très grande ampleur, le découpage de chaque planche à chaque fois conçu sur mesure en fonction de ce qui se passe. À nouveau, le lecteur n'en revient pas d'à quel point cette histoire est l'œuvre de Sorrentino plus encore que celle de Lemire. Il se dit que cela explique également que parfois certains éléments visuels ne sont pas repris par les personnages comme s'ils n'en étaient pas pleinement conscients ou que cela n'avait pas d'incidence concrète dans leur propos, le scénariste n'ayant pas repris ses dialogues pour prendre en compte les éléments apportés par l'artiste. Ce dernier épisode / tome mène donc à bien le mystère de la grange noire, de sa fonction, et peut-être même de son origine. Il continue de jouer avec les différentes époques dans une construction rigoureuse, mais pas forcément chargée de sens, plus un exercice de style virtuose pour une intrigue qui décoiffe qu'un élément de réflexion ou un révélateur de la psychologie d'un personnage, ou d'un fonctionnement systémique. La partie analytique de l'esprit du lecteur est donc satisfaite, mais sa sensibilité émotionnelle peut trouver ça un peu aride. Néanmoins, s'il n'est pas bien sûr de ce qu'il a lu, il dispose des pages explicitant les principes et les concepts de passage d'un monde à un autre, de fonctionnement de la grange noire, du centre de l'univers. Le récit se termine avec un épilogue de 6 pages : un dialogue entre Clara et Norton dans un grand parc. Cela permet de disposer d'une fin à échelle humaine, pouvant inciter le lecteur à considérer toutes ces péripéties comme correspondant à la perception de Norton Sinclair, individu à la psyché un peu malmenée. Avec ce point de vue, le récit regagne un peu d'épaisseur humaine.



Après leur collaboration sur Green Arrow, puis sur Old Man Logan, le lecteur était impatient de découvrir une série personnelle réalisée par ce duo de créateurs. Au vu du degré d'implication et d'investissement de l'artiste, il est probable que le scénariste et lui aient discuté au préalable du genre de récit qu'ils souhaitaient raconter, et que ce n'était pas un travail de commande impersonnel de Lemire vers Sorrentino. La narration visuelle de ce dernier est fascinante de bout en bout avec une ambiance pesante bien entretenue par la mise en couleurs de Dave Stewart, et des fulgurances visuelles mémorables. S'il est plutôt venu pour l'histoire, le lecteur se trouve vite immergé dans un mystère horrifique obsédant et angoissant. Il ressent le fait que l'intrigue prenne le dessus sur les personnages, rendant certains passages un peu désincarnés.
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Winter Road

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. L'histoire a été publiée initialement en 2017, d'un seul tenant, sans prépublication. Il s'agit de l'œuvre de Jeff Lemire : scénariste, dessinateur et metteur en couleurs, et qui a également réalisé le lettrage.



À Pimitamon dans le nord de l'Ontario, Derek Ouelette est en train de descendre des bières au comptoir et de fumer des clopes, dans le bar The Pit Stop, tenu par Gerry. Lisa propose qu'il lui paye un coup, mais il décline, pas ce soir. Deux gugusses s'approchent de lui : ils l'ont reconnu comme étant un joueur de hockey professionnel qui avaient atteint un niveau national. Ouelette ne leur serre par la main. Son interlocuteur l'asticote un peu, et Ouelette lui flanque un violent coup de boule sur le nez et le tabasse. L'homme tombe sans connaissance sur le sol. Ouelette sort se soulager sur le mur dans la ruelle. Un chien vient lui aboyer dessus puis s'en va. La voiture de police s'arrête et le shérif Ray en descend. Il dit à Ouelette qu'il devrait l'arrêter, pas pour se soulager sur la voie publique, mais pour avoir brutalisé le conducteur de motoneige. Ouelette répond que c'est l'autre qui l'a cherché, et demande à Ray s'il n'aurait pas une bouteille. Ray finit par lui tendre une flasque. Ouelette en boit une rasade et s'en va, sans même prendre la peine de récupérer son manteau dans le bar. Il garde la flasque avec lui. Il se rend au stade hockey sur glace, et se rend compte que la clef de la loge du gardien qu'il occupe est restée dans son manteau. Il descend les tribunes et pénètre sur la glace du terrain. Il contemple la surface le regard dans le vide.



Beth Ouelette, la sœur de Derek, est en train de marcher le long de la route nationale à Pimmins, à 120 kilomètres au sud de Pimitamon. Elle rentre dans le restaurant routier de la station-service, après avoir remis à leur place deux hommes lui ayant demandé où elle va. Elle demande un café au comptoir dans l'établissement vide. La serveuse remarque que Beth est frigorifiée et qu'elle n'est pas assez habillée pour le temps. Beth répond qu'elle a dû partir à la hâte : elle a décidé de quitter son copain et de se rendre Pimitamon là où elle a de la famille. La serveuse lui demande si elle a de l'argent. La réponse étant négative, elle lui déconseille de faire du stop. Elle ajoute que Beth peut rester une nuit ou deux dans l'une des chambres à l'arrière. Attendrie par la situation de la jeune femme, la serveuse finit par lui donner quelques billets, en lui conseillant de finir son café. À peine s'est-elle retournée vers la machine à café, que Beth sort, sans un mot, sans un remerciement, sans même attendre l'heure du bus. Le lendemain matin, au stade couvert de Pimitamon, Al, le responsable du stade, retrouve Derek endormi sur la glace avec la flasque vide du shérif dans la main.



Entre deux séries plus longues, majoritairement avec un dessinateur, Jeff Lemire réalise une histoire complète et indépendante de toute autre qu'il met lui-même en images avec son graphisme si particulier. Il donne l'impression de réaliser ses dessins de manière spontanée, avec un trait un peu irrégulier, un niveau de détails sommaire. Pour habiller ces cases, il applique de l'aquarelle, généralement une seule teinte (ici un bleu entre Gris de lin et gris Horizon). Il n'utilise d'autres couleurs que pour les scènes peu nombreuses et courtes se déroulant dans le passé. L'impression générée par ces pages est celle de l'essentiel : pas de fioriture, pas d'embellissement, une réalité plutôt crue, sans fard, un peu fruste en phase parfaite avec les personnages et leur condition sociale. Ça fonctionne également parfaitement pour les paysages urbains, une petite ville sans beaucoup de personnalité, avec des bâtiments surtout fonctionnels, et pour les paysages naturels, une zone enneigée et boisée, sans rien de remarquable si ce n'est de la neige terne et des bouleaux dénudés.



En deux scènes, Jeff Lemire a établi son personnage principal : Derek Ouelette, un individu costaud, très soupe-au-lait et ayant tôt fait d'atteindre sa limite et de frapper son interlocuteur, de le cogner trop fort, pour faire mal, pour blesser. Il a été un joueur de hockey, mais il a été expulsé de la Ligue National de Hockey pour avoir envoyé à l'hôpital, un membre de l'équipe adverse. Depuis, il a repris l'emploi auparavant occupé par sa mère dans le petit restaurant de Pimitamon, semblable à tant d’autres. Il n'a pas de maison ni d'appartement, et dort dans la loge du concierge du stade de hockey, en fait juste une grande pièce rectangulaire avec un lit et une ou deux étagères. Le soir, il va descendre des verres au bar du coin, en regardant les matchs de hockey, un bon à rien. Le retour de sa sœur n'améliore pas les choses, car elle-même se classe dans la catégorie des bons à rien. Elle a quitté Pimitamon il y a quelques années pour aller à Toronto, où elle a zoné dans la rue, avec de prendre un emploi de serveuse dans un café, puis de se mettre à la colle avec un gugusse violent, étant devenue accro à l'oxycodone. C'est pas gai tout ça. Pourtant, ce n'est pas une lecture qui donne le cafard.



Jeff Lemire raconte une tranche de vie, un peu particulière dans un coin du monde finalement particulier lui aussi, sans misérabilisme. Il est visible que Derek Ouelette ne s'aime pas et qu'il est incapable d'envisager une autre vie. Il est visible que Beth Ouelette ne s'aime pas, mais qu'elle ne peut plus supporter la vie avec Wade Daniel Lachine. Il apparaît quelques autres personnages, un peu mieux lotis dans la vie : Ray le shérif (un emploi régulier et stable), Al le gérant du stade. Ce sont les deux personnages secondaires principaux. En les regardant, le lecteur constate que l'apparente simplicité des dessins est trompeuse : chaque personnage dispose d'une morphologie spécifique, d'une forme de visage spécifique, et même de postures particulières. Ray est plus filiforme que Derek, Al est beaucoup plus âgé. Brenda, le médecin, a des hanches un peu larges. Wade a une chevelure tignasse plus fournie. Il ne fait pas de doute que l'artiste a réalisé des études graphiques pour définir l'apparence de chaque personnage.



Étrangement, le lecteur ne se sent pas agressé par le comportement de Derek Ouelette, ni plombé par l'addiction de Beth Ouelette. Pourtant, il ressent bien de l'empathie pour eux. Il faut un peu de temps se rendre compte que cela vient à la fois des deux personnages, à la fois de leur environnement. S'il est possible de compatir au fait que Derek ne se maîtrise pas, il n'est pas possible de cautionner de brutaliser toux ceux dont il estime qu'ils l'ont agacé. De même, si elle ne l'a pas bien cherché, Beth s'est mise toute seule dans sa situation. De plus, l'un comme l'autre ne sont que moyennement affectés par leur condition : ils n'en sont pas satisfait, mais ils font avec. Autour d'eux, Ray, Al et Brenda indiquent qu'il faudrait qu'ils évoluent, mais sans non plus s'ériger en sauveur. Il y a une autre caractéristique de la narration qui reste très posée, calme sans être indolente : la longueur. En tant qu'auteur complet, Jeff Lemire maîtrise sa pagination et a décidé de se donner la place de raconter son histoire. Il peut ainsi consacrer une page muette à Derek en train de se soulager contre un mur, 3 pages muettes à montrer Beth marcher sur le bas-côté de la nationale, consacrer un dessin en pleine page à montrer Beth sortant du café en vue du ciel, une page de 3 cases de la largeur de la page montrant deux motoneiges venant vers le lecteur en plan fixe, un dessin en pleine page avec la neige qui tombe sur les bouleaux, etc. Cela donne un rythme apaisant à la narration.



Le lecteur éprouve vite la sensation que l'environnement de cette petite ville au nord de l'Ontario impose son rythme aux personnages : elle ne les englue, elle ne rend pas leurs efforts dérisoires, mais elle fait comme un tampon pour leurs émotions, ce qui les rend plus supportables pour le lecteur. Celui-ci est à la fois concerné par les personnages, à la fois il dispose d'une forme de recul. Les pages se tournent rapidement du fait du faible nombre de cases par page, généralement 4 ou 5, et des dialogues succincts. S'il connaît déjà les œuvres indépendantes de l'auteur, le lecteur se doute bien que ce moment de crise pour Derek et pour Beth correspond à la cristallisation d'un élément de leur passé. Beth fait remarquer à son frère qu'il est devenu le même genre d'individu que son père, brutal et alcoolique, et Derek lui répond qu'elle-même s'est mise avec un individu brutal et alcoolique. Jeff Lemire révèle par petites touches le relationnel entre Mary et Pat, la mère et le père de Beth et Derek, ainsi que l'empreinte que ça a laissé sur leurs enfants, la façon dont ils reproduisent ce schéma, sans forcément en avoir conscience. L'auteur n'a rien perdu de sa sensibilité émotionnelle et psychologique et de sa capacité à mettre en scène ces mécanismes au travers d'individus complexes, avec une délicatesse épatante, comme il l'avait fait dans Royal City. Cela n'aboutit pas à un mélo larmoyant, mais à une histoire touchante et émouvante.



Jeff Lemire est passé maître dans l'art de raconter une histoire simple, avec des individus ordinaires, un peu paumés, dans un bled sans éclat. Il raconte histoire l'histoire d'un mec trop violent cuistot dans un diner d'une petite ville, sans avenir, et de ses retrouvailles avec sa sœur qui fuit un compagnon violent, et qui est dépendante à l'oxycodone. À l'opposé d'un drame social pesant, la narration raconte une prise de conscience plus ou moins explicite pour les personnages, dans une petite ville banale, en emmenant le lecteur relever des pièges à martres d'Amérique, sans que cela n'apparaisse comme le comble de l'exotisme.
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The Valiant

The Valiant est le vaste événement crossover des différentes séries Valiant Comics de l'année 2015 et c'est un petit événement aussi chez nous de pouvoir le lire en VF !



Valiant a en premier été publié par Panini en France, mais que leur manière de le proposer ne correspondait plus aux attentes des lecteurs. Heureusement, une fois ce flop passé, quelques fans enthousiastes de l'univers Valiant ont racheté les droits et créé la maison Bliss Comics pour nous faire parvenir un nouveau monde magnifique de super-héros. Non seulement, ils ont ressorti les numéros déjà parus en numérique, mais en plus ils rattrapent le temps perdu en publiant des séries oubliées (Quantum & Woody, par exemple) et surtout ils reprennent les séries où elles se sont arrêtées dans un meilleur format cartonné : The Valiant, puis Bloodshot Reborn sont là pour lancer la collection. Avec The Valiant, la maison d'édition du même nom croise ainsi ses différentes séries (elles ne sont pas nombreuses, c'est aussi l'avantage) en un événement majeur mais restreint dans le temps. C'est l'occasion rêvée pour reprendre le cours de l'histoire de l'univers Valiant qui va être relancée à l'issue de ce crossover. Pas de reboot pour autant, mais une écriture faite pour que chaque série soit indépendant et lisible sans connaissance profonde de cet univers.

Pour le coup, Jeff Lemire et Matt Kindt réussissent son histoire, puisque n'ayant pas suivi l'avancée des personnages concernés, je n'ai eu aucune difficulté à suivre l'intrigue qui met en scène un ennemi multimillénaire mais qui ne cherche pas à persister, ce qui est bien pratique pour revenir à un statu quo stable et en paix. Ainsi, Gilad, le Guerrier Éternel, se doit d'affronter l'Ennemi Immortel qui revient tuer la Géomancienne de notre époque, entité quasi divine. Toutefois, dans sa quête, il bénéficie ce coup-ci du concours de son frère, le truculent Armstrong, de Bloodshot, surhumain bourré de nanites chargé de protéger personnellement la Géomancienne, d'organisations du contre-espionnage et de quelques autres comparses de cet univers comme Ninjak et l'équipe d'Unity. Malgré cette « super-équipe » de choc, Jeff Lemire et Matt Kindt livrent davantage une histoire humaine que surhumaine, car il travaille surtout les notions de sacrifice, de deuil et de fatalité. Sachant que dans cet univers, les morts sont véritablement marquantes et les bouleversements des statu quo persistent un bon moment, eu égard aux mastodontes Marvel et DC Comics qui laissent leur continuité aller à vau-l'eau.

D'un point de vue graphique, Joe et Paolo Rivera (père et fils) sont à l'oeuvre et s'encrent et se colorisent eux-mêmes. Il n'y a pas grand-chose à redire à leur travail : face à la difficulté de multiplier autant de personnages, de situations et de décors si variés, ils rendent une copie largement suffisante pour s'immerger dans l'intrigue. Il n'y a certes pas de planches marquantes, mais rien ne dépasse ni ne choque et, pour lire un crossover de ce type, c'est l'essentiel. En revanche, ils livrent un carnet en fin de volume expliquant leurs choix graphiques et c'est le genre de bonus toujours très enrichissants. Notez en plus de tout cela que le Free Comic Book Day (FCBD) de Bliss Comics a comblé toutes les attentes de leurs nouveaux lecteurs avec moult descriptions et moult previews pour proposer en fait un guide complet pour aborder cet univers Valiant.



The Valiant n'est donc pas une histoire au long cours, mais permet justement de rattacher les morceaux et de relancer l'intérêt des lecteurs : je serai le premier à poursuivre l'aventure, à commencer par Bloodshot Reborn qui suit au plus près cette histoire.



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