Citations de John E. Williams (188)
- Oh, comme nous croyons être vertueux quand nous n'avons aucune raison de nous connaître... Mais il faut être amoureux pour savoir qui l'on est ! Parfois, quand je suis avec , j'ai l'impression d'être la plus grande putain du monde... la plus fidèle et la plus enragée...
Juste avant de s'endormir, il établit un lien ténu entre sa fuite devant Francine à Butcher's Crossing et sa fuite devant le bison éviscéré, cet après-midi dans les Rocheuses du Colorado. Il comprit qu'il n'avait pas fui parce qu'il était écœuré par le sang, la puanteur et les entrailles visqueuses. Il comprit que ce qui l'avait rendu malade, c'était le choc de voir le bison, si fier et si noble quelques moments auparavant, désormais nu et impuissant, morceau de viande inerte qui se balançait, grotesque et moqueur, devant ses yeux, dépouillé de son identité, ou plutôt de l’identité qu'Andrews lui avait prêtée. Cette identité avait été tuée ; et Andrews avait senti dans ce meurtre la destruction de quelque chose en lui, auquel il ne parvenait pas à faire face.
Il rentra lentement en guettant le son de ses pas dans la neige poudreuse. Ce petit craquement si doux et si sec à la fois.
Il entendit des rires au loin. Il tourna la tête. Un groupe d'étudiant étaient en train de couper par son jardin pour gagner du temps. Ils marchaient à grands pas. Il les vit très distinctement. Il y avait trois couples. Les jeunes filles étaient fines et gracieuses dans leurs robes légères et les garçons les regardaient avec une sorte d'émerveillement ravi et perplexe. Ils foulaient l'herbe, la touchaient à peine, n'y imprimaient aucune trace. Il les observa tandis qu'ils sortaient du cadre et l'écho de leurs rires insouciants continua de résonner longtemps après qu'ils se furent envolés.
Puis son regard se perdit au loin, au-delà de cette vaste étendue de plaines, en direction de la ferme qui l’avait vu naître et où son père et sa mère avaient passé toute leur vie. Il songea au prix que tous ces gens avaient dû payer, année après année, pour faire fructifier un sol ingrat que leur sueur n’avait jamais rendu meilleur. Rien. Rien n’avait changé. Peut-être même était-il encore un peu plus pauvre et plus avare qu’autrefois...
Leur vie entière avait été sacrifiée à ce labeur accablant, leur volonté avait été brisée, leur intelligence pétrifiée et à présent, les voilà qui dépendaient de nouveau de cette terre à laquelle ils avaient déjà tout donné et qui, lentement, mois après mois, année après année, allait finir par les engloutir tout à fait.
Etrangère partout, avide de tendresse et de paix, cette sensibilité était obligée de vivre dans un monde où elle ne se sentait jamais chez elle et de se nourrir d'indifférence, de fureur et de bruits. Et comme il lui manquait ici-bas, parmi nous, dans cet endroit le plus improbable et le plus hostile qui soit, la sauvagerie requise pour combattre les forces brutales qui la tourmentaient, elle n'avait d'autre choix que de se retirer dans une sorte de quiétude intérieure.
Et une fois encore, il connut cette étrange impression d'absence à lui-même.
Le bison est une créature étonnante.
T’as vu des bisons ? Pas la moindre trace… Les bisons vont pas là où y’a rien à boire.
Afin de protéger les crédules, les ignorants et les pauvres, et d'empêcher la propagation de superstitions étrangères, tous les astrologues, devins orientaux et magiciens seront interdits dans l'enceinte de la ville. Ceux qui pratiquent actuellement leur commerce odieux devront quitter Rome, sous peine de mort et de confiscation de leur argent et de toutes leurs propriétés.
Voilà, se disait-il, je deviens un enseignant, un passeur, un homme dont la parole est juste et auquel on accorde un respect et une légitimité.
Dans quelques années, j'aurai atteint l'âge où il ne sera plus convenable de me remarier. Accorde-moi ces quelques années ; car je ne souhaite pas me marier et je ne regretterai pas cette décision, même dans mon grand âge. Ce que nous appelons le monde du mariage est, comme tu le sais, un monde d'esclavage inévitable. Je pense parfois que l'esclave moyen possède plus de libertés que nous, les femmes.
Quand il était très jeune William Stoner pensait que l'amour était une sorte d'absolu auquel on avait accès si l'on avait de la chance. En vieillissant il avait décidé que c'était plutôt la terre promise d'une fausse religion qu'il était de bon ton de considérer avec un scepticisme amusé ou un mépris indulgent, voire une mélancolie un peu douloureuse. Mais maintenant qu'il était arrivé à mi-parcours, il commençait à comprendre que ce n'était ni une chimère ni un état de grâce, mais un acte humain, humblement humain, par lequel on devenait ce que l'on était. Une disposition de l'esprit, une manière d'être que l'intelligence, le coeur et la volonté ne cessaient de nuancer et de réinventer jour après jour.
" Est-ce qu'elle... travaille ici ? "
Miller le regarde sans ciller.
" Francine ? Francine est une putain. Il y en a neuf ou dix en ville. Six qui travaillent ici, et quelques Indiennes qui s'occupent des abris près de la rivière.
- Une fille de mauvaise vie, dit Charley Hoge, qui tremblait toujours. Une pécheresse." Il ne souriait pas.
" Charley est un cul béni, dit Miller. La Bible, il connait bien.
- Une... une putain, répéta Andrews, avalant sa salive. Pourtant, on ne dirait pas une...
- Tu viens d'où déjà ? demanda Miller avec un léger rictus.
- De Boston. Dans le Massachusetts.
- Ils ont pas de putains à Boston dans le Massachusetts ?
- Je suppose que si, répondit Andrexs, rougissant. Oui, je suppose.
- Ils ont des putains, à Boston, poursuivit Miller. Mais une putain à Boston et une putain à Butcher's Crossing, c'est deux choses différentes.
- Je vois, dit Andrews.
- Ça m'étonnerait. Mais tu finiras par comprendre. A Butcher's Crossing, les putains font partie intégrante de l'économie. Un homme a besoin de dépenser son fric pour autre chose que la bouffe et la boisson, et puis il lui faut une raison pour revenir en ville après avoir battu la campagne. A Butcher's Crossing, une fille peut bien faire la fine bouche, n'empêche qu'elle se fera toujours un bon paquet de blé. Ça la rend presque respectable. Certaines finissent même par se marier. Paraît qu'elles font de bonnes épouses, pour ceux que ça intéresse."
Les bruits du saloon étaient comme assourdis par des couches de poussière et de chaleur.
Il était notre ennemi – pourtant après tant d'années, la mort d'un vieil ennemi ressemble étrangement à celle d'un vieil ami.
En ces années tranquilles de ma retraite, tandis que mon temps sur terre tire à sa fin, les journées semblent s'accélérer à une vitesse indécente ; seul le passé est réel, si bien que j'y retourne comme si je renaissais, comme le dit Pythagore, à une autre époque et dans un autre corps.
C'est le monde de Rome, où personne ne sait qui est son ennemi ni son ami, où la licence est plus admirée que la vertu, et où les principes servent désormais l'individu.
"Les mourants sont égoïstes, songea-t-il. Ils sont comme les enfants, ils n'aiment pas partager."
Lorsqu'on tient le pouvoir entre ses mains et qu'on échoue à le conserver mais qu'on reste en vie, que devient-on ?